Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Enseignement : le retour des années 1990 ?
La crise a donc fini par rattraper le monde scolaire. Officiellement du moins, puisqu’il était évident depuis des mois qu’un trou gigantesque de plus de 600 millions d’euros était en train de se creuser dans le budget de la Communauté française. Tous les acteurs politiques et sociaux en étaient parfaitement conscients, mais se sont contentés d’un […]
La crise a donc fini par rattraper le monde scolaire. Officiellement du moins, puisqu’il était évident depuis des mois qu’un trou gigantesque de plus de 600 millions d’euros était en train de se creuser dans le budget de la Communauté française. Tous les acteurs politiques et sociaux en étaient parfaitement conscients, mais se sont contentés d’un jeu de rôles bien convenu, en rivalisant, pendant la campagne électorale, de programmes et mémorandums ambitieux, particulièrement pour l’éducation et la formation. Sur les économies, les choix, pas un mot. Il est vrai que ce moment de la vie démocratique est peu propice à un quelconque exercice de vérité. Mais plus inquiétant par contre, les négociations d’accords de majorité n’ont pas permis de réaliser pendant l’été les arbitrages nécessaires au sein des finances publiques francophones, wallonnes et bruxelloises. On sait à présent que des « pistes » avaient été mises sur papier, sans être réellement tranchées.
On ne peut en vouloir à la ministre Simonet d’avoir déchiré ce voile pudique masquant la bombe à retardement d’un déficit qui grossit à vue d’œil. Parler vrai était inévitable et indispensable. Le contenu des « pistes de réflexion » et la méthode d’approche de la ministre ont par contre été pour le moins surprenants. Plutôt que d’attendre une démarche collective du gouvernement ou de discuter dans un premier temps avec ses interlocuteurs des seuls paramètres budgétaires du problème, pour ensuite ouvrir un large débat, la nouvelle ministre a curieusement préféré directement avancer ces fameuses pistes qui ont immédiatement conduit les syndicats à déterrer autant de haches de guerre.
Le débat s’est refermé avant même d’avoir commencé. Mais pouvait-il en être autrement ? Toute mesure d’économie dans l’enseignement est plus douloureuse qu’ailleurs. Cela tient tout d’abord au fait que des restrictions entrent en contradiction massive avec les discours tenus sur la place cruciale de l’école dans la société. Parler de restrictions à des enseignants auxquels on confie une mission essentielle sinon écrasante ne peut que décupler leurs sentiments d’incompréhension, de dévalorisation et de rupture face à la crise que l’école, et même l’éducation au sens large, rencontre. Toute restriction participe pour eux inévitablement d’une politique du mépris à leur égard. D’autres raisons plus institutionnelles et proprement belges francophones conduisent une telle politique à l’impasse. Comme depuis la première année de communautarisation de l’enseignement, il y a vingt ans exactement, la structure de financement (sans outil fiscal propre) et de dépenses (essentiellement des salaires) de la Communauté française Wallonie-Bruxelles est singulièrement fragile. Dans un tel carcan, une récession se transforme vite en un « petit meurtre entre amis » dans l’enseignement ainsi que dans les secteurs culturels et non marchands. Ce genre d’exercice condamne à sacrifier l’essentiel pour préserver l’indispensable… Le monde scolaire, et plus largement socioculturel, n’est en réalité sorti que tout récemment de la série de trains de restrictions lancée à partir de 1990, voir de 1986 avec le conclave de Val-Duchesse. Ce n’est qu’à partir de 2004 que les premières marques du refinancement se sont fait sentir dans les écoles. Cinq ans de réinvestissements réels mais limités, c’est court pour tourner la page d’un conflit social de plus d’une décennie. Mais, par contre, vingt ans auraient dû suffire pour tirer les leçons des impasses dans lesquelles Wallons et Bruxellois continuent à s’enferrer. Allons-nous fêter vingt ans d’amnésie ?
Les francophones belges ne semblent pas avoir encore réellement compris qu’un véritable projet de société demande d’élargir tout débat public (sur les politiques à mener et sur leur financement) au-delà des limites étroites de la Communauté française. Ils ne semblent pas encore sortis du déni de leur propre dépendance : les économies wallonne et bruxelloise ne produisent tout simplement pas assez de richesses pour assurer notre niveau de vie. Et la responsabilité de cette situation est partagée, en ce compris par un système scolaire aussi fortement inégalitaire et cloisonné que le nôtre. Où investir dès lors prioritairement les maigres ressources francophones ? Dans l’allongement des pistes d’aéroport et d’autres programmes d’infrastructures routières ? Dans des politiques de sanction des chômeurs sous couvert d’«accompagnement » alors que les volumes d’offres d’emploi s’assèchent brutalement ? Ou dans une refondation de notre système éducatif ? Poser ces questions, c’est y répondre. Elles supposent cependant un préalable : remettre à plat l’ensemble des budgets publics tous niveaux confondus côté francophone, afin de les « consolider » et pouvoir y effectuer de réels arbitrages. Ce genre d’exercice doit conduire à rationaliser les répartitions de compétences ainsi qu’à diminuer le nombre d’institutions, de réseaux d’enseignement et de niveaux de pouvoir. Il faut d’urgence aller plus vite et plus loin que les compromis flous des récents accords de majorité autour des provinces en Wallonie et des communes à Bruxelles. En réduisant leurs dépenses, les cabinets ministériels et les Parlements ont ouvert une voie importante, symboliquement parlant, elle reste à concrétiser structurellement.
On peut espérer qu’une réallocation globale des ressources francophones dégage de premières économies qu’il faudra venir compléter en levant le tabou fiscal. Cette voie étroite permettrait de limiter des restrictions brutales dans l’enseignement et d’envisager autrement les pistes qui ont été enterrées, à peine révélées. Ainsi, supprimer purement et simplement le système de préretraite à partir de cinquante-cinq ans entraînerait certainement des économies, mais nierait la nécessité de gérer les fins de carrière et manquerait un tout autre enjeu, intergénérationnel celui-là. D’une part, les nouveaux enseignants ont besoin d’accompagnement ; d’autre part, la génération de professionnels qui est en train de quitter l’école emporte avec elle une expérience qui serait utile aux jeunes collègues. Pourquoi ne pas introduire des alternatives à la préretraite comme le recyclage d’enseignants expérimentés dans le parrainage des jeunes enseignants ? Ou offrir la possibilité à ces enseignants plus âgés d’apporter du soutien scolaire au sein des classes dès les premières difficultés de l’élève ? Il est tout aussi nécessaire de réfléchir de manière différenciée au temps de travail enseignant en y incluant, pour les reconnaître, bien des dimensions et des inégalités actuellement cachées. Enseigner dans telle école ou telle autre n’est plus du tout faire le même métier et demande une adaptation des méthodes, des organisations horaires et des charges de travail.
Mais au-delà de ces pistes, une remise en question plus structurelle du système scolaire est indispensable. L’enjeu est de parvenir à un système efficace et équitable permettant de répartir sur un plus grand nombre d’écoles les élèves en difficulté. Le dégonflement soudain de la fameuse « bulle des inscriptions » a montré que c’est tout à fait réalisable. Mais jouer sur les seules inscriptions ne suffira pas. Il faudra, par exemple, cesser d’envoyer dans l’enseignement spécialisé des élèves qui n’ont rien à y faire, alors que ces structures sont bien plus coûteuses qu’une prise en charge à la source des difficultés d’apprentissage. C’est une des nombreuses réformes structurelles à engager pour réduire à moyen et long termes un échec scolaire qui constitue un gâchis humain évitable et… coûte annuellement à la Communauté française 350 millions d’euros, soit 16 millions de plus que ce qu’elle devra économiser à l’horizon 2015, tous secteurs confondus. Des mesures purement budgétaires, linéaires et de court terme ne conduiront pas à repenser l’école francophone belge pour qu’elle puisse répondre aux besoins des élèves et de l’ensemble de la société. Par contre, une refondation de notre enseignement peut déboucher sur plus d’efficience.
L’école se retrouve à nouveau dans la situation tragique où ouvrir de tels chantiers de refondation est plus nécessaire, mais aussi plus difficile que jamais… voire impossible. D’autant plus qu’il ne suffira pas de limiter les restrictions et de rendre les investissements en éducation plus efficients. De nouveaux moyens sont également indispensables pour répondre à bien des défis au premier rang desquels il faut placer les besoins énormes qu’engendreront, avant tout à Bruxelles, le boom démographique ainsi que la diversification ethnique et culturelle qui y est liée. Nul ne sait où les trouver.
Va-t-on en fait reproduire le schéma des années nonante ? Finir par réduire l’emploi sans réorienter les politiques, c’est-à-dire adopter les pires mesures qui soient, entraînant la résistance légitime du monde enseignant, mais également un repli conservateur sur ses maigres acquis ? Allons-nous nous enfermer dans les distinctions absurdes d’il y a quelques années : régler la question du « quantitatif » pour se préoccuper ensuite du « qualitatif » ? Les moyens avant le projet ? La méthode utilisée au début septembre par la ministre de l’Enseignement ressemble tellement à un mauvais remake que c’en est presque suspect. En immolant elle-même ses propositions, a‑t-elle voulu préparer le terrain à des mesures réellement alternatives ? Ce n’est manifestement pas bien parti. Et l’absence de forte solidarité au sein de l’Olivier ne conduit pas plus à l’optimisme. Le CDH, mis sous pression par les critiques venues essentiellement de l’école libre, hésite entre la joie d’avoir décroché la floche et l’effroi de constater qu’elle est en plomb. Ses partenaires se sont quant à eux courageusement débinés : le président du PS a feint la surprise en déclarant qu’il allait « interroger Mme Milquet », tandis que le chef de file Écolo au gouvernement tonnait, comme s’il était encore dans l’opposition, que « les enseignants ne sont pas responsables des erreurs des banques ».
De 2004 à 2009, le monde enseignant a tenté de panser ses plaies après plus de dix ans de conflits sociaux. Les politiques, les responsables de réseaux et les représentants syndicaux n’ont pas alors été en mesure de mettre à profit ce qui, rétrospectivement, n’a été qu’une accalmie de courte durée. L’enseignement est aujourd’hui acculé, en pleine récession, à se repenser. Les chances d’y parvenir sont très minces. Mais, a contrario, espérer réformer l’école après une nouvelle série de chocs brutaux n’est certainement pas plus crédible. Autant essayer d’utiliser la rigueur comme une opportunité.