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Engelures et angélisme
On nous l’a assez répété, nous sommes en période de vaches maigres, aussi faut-il faire une chasse impitoyable au gaspillage, exploiter nos moindres ressources, tout rentabiliser. D’un autre côté, comme chacun le sait, une période d’effondrement des cours est une occasion de faire de bonnes affaires. Les conditions sont donc idéales pour démontrer une fois […]
On nous l’a assez répété, nous sommes en période de vaches maigres, aussi faut-il faire une chasse impitoyable au gaspillage, exploiter nos moindres ressources, tout rentabiliser. D’un autre côté, comme chacun le sait, une période d’effondrement des cours est une occasion de faire de bonnes affaires. Les conditions sont donc idéales pour démontrer une fois de plus que notre système capitaliste permet une allocation optimale des ressources ; pas seulement des ressources financières, d’ailleurs. Cela étant, pour tirer parti de la situation, il faut en analyser correctement les diverses variables. Partons d’un exemple pour être clairs.
Un déséquilibre entre l’offre et la demande de minutes d’antenne en a fait s’effondrer le cours. D’un côté, l’offre ne faiblit pas, puissamment soutenue par l’attitude keynésienne de l’État qui continue de financer la RTBF. De l’autre côté, la demande baisse. Ainsi, les acteurs économiques voient leurs moyens se réduire et sabrent dans les investissements publicitaires et les artistes préfèrent diffuser leur musique par l’internet, où leurs œuvres courent moins le risque d’être confondues avec les publicités. Quant à l’information, il faut avouer que, depuis qu’il ne suffit plus de révéler au public ébahi le nom du restaurant dans lequel les négociateurs se sont secrètement rencontrés, la produire demande des investissements humains et intellectuels difficilement justifiables. Nous sommes ainsi confrontés à une crise de surproduction de minutes d’antenne. Pour exploiter les stocks disponibles, il faut créer du contenu à faible cout, de préférence sans les migraines dues à la réflexion et à l’analyse de dossiers ennuyeux comme l’asile, l’immigration, le chômage ou encore la réforme des pensions. Le défi est de taille.
Parallèlement, le cours pauvre est lui aussi à la baisse. La multiplication des miséreux en ces temps de crise en a fortement fait baisser la valeur. Si, à la fin des années soixante, un nécessiteux valait son pesant d’or tant il était difficile à trouver, aujourd’hui, il est pour rien. Comme toujours en pareilles circonstances, l’abondance rend le consommateur difficile : il veut du pauvre bien pauvre, couvert d’engelures, avec une bonne tête de pauvre, et méritant. Contrit est un plus. C’est donc le moment rêvé de mettre sur pied sans se ruiner des activités fortement consommatrices de pauvres, surtout si l’on est capable de s’approvisionner en matières premières de haute qualité.
Souvent, l’effondrement du cours des matières premières entraine une baisse du prix des produits finis. Si ces produits finis sont stockables, c’est l’occasion de se constituer un bas de laine que l’on valorisera une fois les cours remontés. Il en va ainsi de la relation entre les pauvres — la matière première — et la bonne conscience — le produit manufacturé. Tout le monde sait en effet que le retraitement de pauvres génère un fort dégagement de bonne conscience. Si celui-ci fut longtemps considéré comme un sous-produit négligeable, notre période de crise incite à ne pas le négliger, ce d’autant moins que les analystes s’accordent à dire que les perspectives à moyen terme sont clairement haussières. Les opportunités du marché sont alléchantes.
Dans cette situation, on ne peut que crier au génie face à la campagne de marketing montée par la RTBF et intitulée « Hiver 2012 ». Sous un nom qui fleure bon à la fois le pieux et généreux « Hiver 54 » de l’abbé Pierre et l’insurrectionnel « Hiver 60 » de la révolte contre la crise, il s’agit en fait d’acheter massivement des pauvres sur le marché national et de les exploiter grâce aux minutes d’antenne disponibles en abondance. Moyennant la conclusion d’un partenariat avec des petits porteurs qui ne pourront refuser la médiatisation « pour la bonne cause » de leur générosité spontanée et qui devront s’estimer heureux d’être payés en quarts d’heure de célébrité, il est possible de maximiser la prise de bénéfice. Contrit, nanti de la tête de l’emploi, frigorifié, le pauvre secouru sous l’œil des caméras produit un très fort dégagement de bonne conscience collective sans nécessiter le moindre apport intellectuel ou politique.
Reconnaissons que la météo a bien aidé les instances de la RTBF, mais c’est cela, aussi, un bon investisseur : quelqu’un qui tire parti de la conjoncture.