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Engelures et angélisme

Numéro 3 Mars 2012 par Anathème

mai 2015

On nous l’a assez répé­té, nous sommes en période de vaches maigres, aus­si faut-il faire une chasse impi­toyable au gas­pillage, exploi­ter nos moindres res­sources, tout ren­ta­bi­li­ser. D’un autre côté, comme cha­cun le sait, une période d’effondrement des cours est une occa­sion de faire de bonnes affaires. Les condi­tions sont donc idéales pour démon­trer une fois […]

On nous l’a assez répé­té, nous sommes en période de vaches maigres, aus­si faut-il faire une chasse impi­toyable au gas­pillage, exploi­ter nos moindres res­sources, tout ren­ta­bi­li­ser. D’un autre côté, comme cha­cun le sait, une période d’effondrement des cours est une occa­sion de faire de bonnes affaires. Les condi­tions sont donc idéales pour démon­trer une fois de plus que notre sys­tème capi­ta­liste per­met une allo­ca­tion opti­male des res­sources ; pas seule­ment des res­sources finan­cières, d’ailleurs. Cela étant, pour tirer par­ti de la situa­tion, il faut en ana­ly­ser cor­rec­te­ment les diverses variables. Par­tons d’un exemple pour être clairs.

Un dés­équi­libre entre l’offre et la demande de minutes d’antenne en a fait s’ef­fon­drer le cours. D’un côté, l’offre ne fai­blit pas, puis­sam­ment sou­te­nue par l’attitude key­né­sienne de l’État qui conti­nue de finan­cer la RTBF. De l’autre côté, la demande baisse. Ain­si, les acteurs éco­no­miques voient leurs moyens se réduire et sabrent dans les inves­tis­se­ments publi­ci­taires et les artistes pré­fèrent dif­fu­ser leur musique par l’internet, où leurs œuvres courent moins le risque d’être confon­dues avec les publi­ci­tés. Quant à l’information, il faut avouer que, depuis qu’il ne suf­fit plus de révé­ler au public éba­hi le nom du res­tau­rant dans lequel les négo­cia­teurs se sont secrè­te­ment ren­con­trés, la pro­duire demande des inves­tis­se­ments humains et intel­lec­tuels dif­fi­ci­le­ment jus­ti­fiables. Nous sommes ain­si confron­tés à une crise de sur­pro­duc­tion de minutes d’antenne. Pour exploi­ter les stocks dis­po­nibles, il faut créer du conte­nu à faible cout, de pré­fé­rence sans les migraines dues à la réflexion et à l’analyse de dos­siers ennuyeux comme l’asile, l’immigration, le chô­mage ou encore la réforme des pen­sions. Le défi est de taille.

Paral­lè­le­ment, le cours pauvre est lui aus­si à la baisse. La mul­ti­pli­ca­tion des misé­reux en ces temps de crise en a for­te­ment fait bais­ser la valeur. Si, à la fin des années soixante, un néces­si­teux valait son pesant d’or tant il était dif­fi­cile à trou­ver, aujourd’hui, il est pour rien. Comme tou­jours en pareilles cir­cons­tances, l’abondance rend le consom­ma­teur dif­fi­cile : il veut du pauvre bien pauvre, cou­vert d’engelures, avec une bonne tête de pauvre, et méri­tant. Contrit est un plus. C’est donc le moment rêvé de mettre sur pied sans se rui­ner des acti­vi­tés for­te­ment consom­ma­trices de pauvres, sur­tout si l’on est capable de s’approvisionner en matières pre­mières de haute qualité.

Sou­vent, l’effondrement du cours des matières pre­mières entraine une baisse du prix des pro­duits finis. Si ces pro­duits finis sont sto­ckables, c’est l’occasion de se consti­tuer un bas de laine que l’on valo­ri­se­ra une fois les cours remon­tés. Il en va ain­si de la rela­tion entre les pauvres — la matière pre­mière — et la bonne conscience — le pro­duit manu­fac­tu­ré. Tout le monde sait en effet que le retrai­te­ment de pauvres génère un fort déga­ge­ment de bonne conscience. Si celui-ci fut long­temps consi­dé­ré comme un sous-pro­duit négli­geable, notre période de crise incite à ne pas le négli­ger, ce d’autant moins que les ana­lystes s’accordent à dire que les pers­pec­tives à moyen terme sont clai­re­ment haus­sières. Les oppor­tu­ni­tés du mar­ché sont alléchantes.

Dans cette situa­tion, on ne peut que crier au génie face à la cam­pagne de mar­ke­ting mon­tée par la RTBF et inti­tu­lée « Hiver 2012 ». Sous un nom qui fleure bon à la fois le pieux et géné­reux « Hiver 54 » de l’abbé Pierre et l’insurrectionnel « Hiver 60 » de la révolte contre la crise, il s’agit en fait d’acheter mas­si­ve­ment des pauvres sur le mar­ché natio­nal et de les exploi­ter grâce aux minutes d’antenne dis­po­nibles en abon­dance. Moyen­nant la conclu­sion d’un par­te­na­riat avec des petits por­teurs qui ne pour­ront refu­ser la média­ti­sa­tion « pour la bonne cause » de leur géné­ro­si­té spon­ta­née et qui devront s’estimer heu­reux d’être payés en quarts d’heure de célé­bri­té, il est pos­sible de maxi­mi­ser la prise de béné­fice. Contrit, nan­ti de la tête de l’emploi, fri­go­ri­fié, le pauvre secou­ru sous l’œil des camé­ras pro­duit un très fort déga­ge­ment de bonne conscience col­lec­tive sans néces­si­ter le moindre apport intel­lec­tuel ou politique.

Recon­nais­sons que la météo a bien aidé les ins­tances de la RTBF, mais c’est cela, aus­si, un bon inves­tis­seur : quelqu’un qui tire par­ti de la conjoncture.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.