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Enfants : des SAC à malice ?

Numéro 2 février 2014 par Madeleine Guyot

février 2014

Les enfants seraient-ils des adultes comme les autres ? Plu­sieurs mesures prises en 2013 ont ouver­te­ment remis en cause la pro­tec­tion des mineurs et l’intérêt supé­rieur de l’enfant. Une démo­cra­tie qui a peur de ses jeunes ne serait-elle pas gra­ve­ment malade ?

[**La main dans le SAC !*]

[/Made­leine Guyot/]

Lais­ser quelques miettes d’un sand­wich sur les marches d’une église, ramas­ser des confet­tis tom­bés par terre et les relan­cer, poser un pot de fleurs sur le trot­toir devant chez soi… autant de com­por­te­ments à prio­ri ano­dins, mais qui sont pour­tant consi­dé­rés par cer­tains comme suf­fi­sam­ment inci­viques pour être punis.

Por­tée par la ministre de l’Intérieur, la loi rela­tive aux sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales (SAC) per­met à une com­mune de lut­ter entre autres contre les inci­vi­li­tés en infli­geant une amende ou en pro­po­sant une média­tion ou une pres­ta­tion citoyenne. Cette loi exis­tait déjà, mais son champ d’application a été élar­gi par une réforme votée au Par­le­ment fédé­ral en mai 2013 : abais­se­ment à qua­torze ans de l’âge per­met­tant une SAC, étof­fe­ment de la liste des infrac­tions concer­nées, aug­men­ta­tion du mon­tant des amendes… Elle a été cri­ti­quée par nombre d’associations, dont la Ligue des droits de l’Homme, au vu de ses poten­tielles consé­quences liber­ti­cides et de sa visée répres­sive. Car, par le flou de ses défi­ni­tions et le manque de cri­tères pré­cis per­met­tant son appli­ca­tion, la loi ne res­pecte pas les droits fon­da­men­taux des indi­vi­dus en termes de sécu­ri­té juri­dique. Les com­munes qui le dési­rent pour­ront, après vote au conseil com­mu­nal, l’appliquer dans ses nou­velles moda­li­tés dès le 1er jan­vier 2014.

Absence de pédagogie

Plus de deux-cents asso­cia­tions tant fran­co­phones que néer­lan­do­phones se sont mobi­li­sées. Elles ont obte­nu un amen­de­ment au pro­jet de loi, tra­duit par l’obligation faite au conseil com­mu­nal de consul­ter au préa­lable les organes repré­sen­ta­tifs de la jeu­nesse exis­tants sur son ter­ri­toire s’il désire appli­quer cette loi aux mineurs à par­tir de qua­torze ans.

Mais cet abais­se­ment n’est jus­ti­fié par aucun élé­ment objec­tif. En effet, aucune éva­lua­tion sérieuse de l’efficacité du sys­tème sur les mineurs n’a été réa­li­sée. Les défen­seurs de la loi avancent une pré­ten­due visée péda­go­gique via des moda­li­tés spé­ci­fiques aux mineurs : l’implication paren­tale, l’offre de média­tion et les pres­ta­tions citoyennes. Mais le cadre d’application de la loi tel qu’il est pro­po­sé aux com­munes ne com­porte pas de garan­ties suf­fi­santes pour en faire un outil de tra­vail péda­go­gique efficace.

Tout d’abord, cette loi pré­tend répondre à une demande de rapi­di­té de trai­te­ment des petites infrac­tions. Or, la média­tion et la pres­ta­tion citoyenne néces­sitent de prendre du temps, afin d’amener l’individu à entrer dans un pro­ces­sus réflexif. S’agissant de mineurs, ces types de pro­cé­dure demandent d’autant plus de temps et d’accompagnement. Les jeunes sont en appren­tis­sage de com­pé­tences. Le jeune en voie de deve­nir mature se cherche, notam­ment en tes­tant les limites. Prendre le temps de dis­cu­ter avec lui est un élé­ment clé du pro­ces­sus édu­ca­tif. Avec les mineurs, c’est la ques­tion du sens qui est impor­tante et qui est à tra­vailler pour qu’ils prennent conscience de la mesure de leurs actes. Avec une telle loi, on peut s’attendre à ce que, quelle que soit la sanc­tion ou la mesure prise, ils n’en com­prennent pas la por­tée et la réduisent à une mesure auto­ri­taire sup­plé­men­taire, contre laquelle ils dési­re­ront peut-être s’opposer.

Ensuite, le sys­tème tel qu’il est énon­cé ne garan­tit en rien un cadre édu­ca­tif. Ni les agents consta­ta­teurs, ni les média­teurs, ni les per­sonnes sus­cep­tibles d’encadrer les pres­ta­tions citoyennes ou la média­tion, et encore moins le fonc­tion­naire sanc­tion­na­teur, ne sont des pro­fes­sion­nels de l’éducation. Il n’est fait men­tion d’aucune exi­gence de spé­cia­li­sa­tion des per­sonnes qui inter­vien­dront dans le cadre de la pro­cé­dure des SAC avec les mineurs. Pour­tant, selon la Conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’enfant, rati­fiée par l’État belge : « Le gou­ver­ne­ment doit pro­mou­voir l’adoption de lois, de pro­cé­dures, la mise en place d’autorités et d’institutions spé­cia­le­ment conçues pour les enfants (art. 40) ». Ce qui n’est pas garan­ti par le cadre d’application de cette loi1.

Criminalisation de l’espace public

Enfin, il est regret­table qu’une telle loi outre­passe dans son appli­ca­tion le cadre juri­dique de la pro­tec­tion de la jeu­nesse (loi de 1965) et réduise la ques­tion des inci­vi­li­tés com­mises par des mineurs à une approche uni­que­ment admi­nis­tra­tive. Il aurait été sou­hai­table de ren­for­cer ce sys­tème de jus­tice spé­ci­fique aux mineurs plu­tôt que d’imposer un cadre d’action paral­lèle et qui n’en est, dans cer­tains de ses aspects, qu’une pâle copie (notam­ment dans les concepts de média­tion et de pres­ta­tion citoyenne).

Cri­mi­na­li­ser l’espace public n’est pas une solu­tion. La pré­sence humaine est le meilleur anti­dote aux com­por­te­ments irres­pec­tueux. Le fait de se par­ler et de se connaitre rend l’espace public plus res­pec­table. Une telle loi ne fait qu’accentuer un cli­mat anxio­gène qui porte comme seule valeur la lutte contre l’insécurité, au détri­ment d’une réelle convivialité.
Un argu­men­taire sur les SAC est dis­po­nible sur le site http://bit.ly/1gzLwOi

  1. Avis du délé­gué géné­ral aux droits de l’enfant de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, « Sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales », avril 2013.

Madeleine Guyot


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