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Encore un pas plus loin ?
Notre architecture scolaire qui découle de la liberté d’enseignement est un patchwork trop couteux que la Fédération Wallonie-Bruxelles ne peut plus financer. Seul un réseau unique public est à même d’assurer le droit à l’éducation.
Les analyses et études diverses sur l’article 24 de notre Constitution ne manquent guère et, sur l’enseignement en général, tant des constats de carence que des pistes de solution sont déjà sur la table depuis belle lurette. C’est plutôt la traduction politique des différentes revendications qui fait défaut. Mais, ici, par la rigueur de son analyse et sa volonté fortement affichée de tourner des pages tout en dépassant des clivages, se plonger dans la liberté d’enseignement en compagnie de Mathias El Berhoumi devient une entreprise savoureuse.
D’une plume allègre, il revisite l’histoire de cette vieille liberté. Avec quelques piques acérées, il analyse au scalpel tous ces maux dont notre enseignement est aujourd’hui victime1 avant d’asséner, de façon implacable, une réalité que bien trop d’acteurs, recroquevillés derrière de vieux bastions ou vautrés sur de prétendus éternels privilèges, refusent encore de voir : « Notre modèle hérité du Pacte scolaire est aujourd’hui largement dépassé2 ». Mais, les législations sur lesquelles reposent les antagonismes qu’on voudrait dépasser, elles, subsistent.
Malgré ses constats argumentés aboutissant à l’idée qu’il est vain d’imaginer encore « gouverner l’école de demain avec les outils d’hier », Mathias El Berhoumi qualifie cependant d’«improbable3 » le scénario selon lequel la liberté d’enseignement pourrait faire prochainement l’objet d’une révision constitutionnelle. Pourtant, dans la situation de crise aigüe que nous connaissons, ce scénario est-il encore aujourd’hui à ce point « improbable » ? Même si, à titre personnel, je préfèrerai toujours que notre enseignement soit radicalement transformé avant tout pour des raisons de fond, il n’en demeure pas moins que, en période de disette, la question du cout de notre architecture scolaire ne pourra pas être indéfiniment éludée. Or, cette architecture scolaire découle clairement de notre liberté d’enseignement.
Une drôle de liberté aux effets pervers
Mathias El Berhoumi prend comme point de départ de son analyse sa formation de juriste « convaincu de l’apport d’une analyse prenant comme point de départ une description du droit ».
À titre personnel, ma lointaine formation de « juriste », pas toujours convaincu que le droit soit un point de départ obligé4, m’a amené à me pencher sur quelques libertés, principalement dans le cadre de ma militance à la Ligue belge francophone des droits de l’Homme où les questions de libertés fondamentales sont fréquemment abordées. Mais, tout au long de ces émoustillantes années de sens à la Ligue, lors de tous nos débats enflammés et autres actions subversives, il n’a jamais été question de cette fameuse liberté d’enseignement. Cloisonnement malheureusement trop classique de la « société civile » ? Peu d’intérêt ou de temps des militants des droits de l’Homme pour une question pourtant essentielle ? Ou, finalement, liberté conçue si étrangement qu’elle n’a jamais interpelé ce milieu ?
En effet, comme l’indique Mathias El Berhoumi, « telle que proclamée par la Constitution, la liberté d’enseignement comprend deux dimensions qui sont comme les faces d’une même médaille. La liberté organisationnelle vise à garantir aux individus la liberté d’ouvrir une école, de l’organiser et d’y enseigner, alors que le revers, le libre choix, reconnait aux parents le droit de choisir l’établissement d’enseignement de leurs enfants ainsi que, dans les écoles officielles, le cours de religion ou de morale qu’ils suivront ». Bref, une liberté en quelque sorte avant tout organisationnelle5 qui, si elle n’a pas capté l’attention d’un vieux militant de la Ligue, a quand même produit les effets pervers dénoncés par Mathias El Berhoumi. Ainsi, au fil du temps, une âpre concurrence s’est développée entre les réseaux, les pouvoirs organisateurs et les écoles, exacerbée par le mode de calcul du financement en fonction du nombre d’élèves6. Le principe constitutionnel de liberté d’enseigner a donc engendré une compétition permanente qui, en dispersant les forces, n’a pas été sans nuire à la qualité de notre enseignement. Au nom de cette liberté d’enseigner, « on a vu se multiplier les pouvoirs organisateurs, façonnant un paysage scolaire surréaliste, un vrai patchwork qui dilue les responsabilités et coute très cher à la collectivité alors même que l’enseignement manque de moyens7 ».
Et à mes yeux, en l’espèce, c’est cette dilution des responsabilités qui est dommageable. La signature et la ratification de conventions internationales protégeant les droits de l’Homme, dont le droit à l’éducation, ne sont pas des actes anodins. Pour éviter que ces droits ne soient qu’ornementaux, organiser leur effectivité est indispensable et, cette tâche, ce devoir de faire respecter ces conventions, incombe prioritairement à l’État signataire, non à un acteur privé quel qu’il soit… Pour le droit à l’éducation comme les autres.
Sortir du vieux cliché dépassé et parler vrai
Dans ce cadre, Mathias El Berhoumi ne se trompe pas non plus lorsqu’il pointe le fait que « si la liberté subsidiée de l’enseignement a été au centre d’autant de polémiques, c’est en raison de la connotation philosophico-religieuse qu’elle revêt ». On ne peut que le rejoindre lorsqu’il précise que cette coloration philosophico-religieuse « irradie chacune des dimensions de l’enseignement8 ».
Pour en sortir, ne faudrait-il pas d’abord aujourd’hui appeler un chat un chat et mettre aux orties nos vieilles grilles de lecture ? Et après avoir constaté avec Mathias El Berhoumi qu’il est « hasardeux de considérer de nos jours que la référence, religieuse ou autre, d’une école inspire l’ensemble des enseignements dispensés9 », n’est-il pas temps alors nous dégager des vieux oripeaux de ce dualisme « philosophico-religieux » qu’il dénonce et d’analyser la situation sous le seul angle de la distinction entre ce qui est initiative publique ou initiative privée ?
Et à partir de là, de nous poser la question de qui est le mieux à même d’assurer ce droit à l’éducation ?
Aller un cran plus loin ?
En réalité, dans les trois quarts de sa contribution, et particulièrement lorsqu’il évoque le fait que « cette dépendance à la liberté d’enseignement hypothèque l’entreprise de réduction des inégalités », Mathias El Berhoumi démontre lumineusement la nécessité d’un réseau unique public.
Pourtant, dans ses conclusions, il semble hésiter à franchir ce pas, développant différentes pistes, certes fort intéressantes10, mais qui n’ont peut-être pas le mérite d’enfin clarifier notre paysage scolaire et ce, surtout, pour la détermination des responsabilités. Car le réseau unique public11, lui, permet de répondre à cette exigence d’effectivité et d’opposabilité du droit à l’éducation.
Dès lors, malgré les considérations purement matérielles précitées quant à la capacité d’une Fédération Wallonie-Bruxelles exsangue à encore financer une pareille usine à gaz telle que notre enseignement d’aujourd’hui, un zeste d’utopie ne serait-il pas le bienvenu pour réinventer notre enseignement ? Après tout, comme l’écrivait Oscar Wilde, « une carte du monde qui ne comporte pas l’Utopie ne vaut même pas qu’on y jette un coup d’œil, car elle néglige le seul pays où aborde toujours l’humanité. Et, quand elle y aborde, elle regarde autour d’elle, aperçoit une meilleure contrée et fait alors voile. Le progrès est la réalisation des utopies ».
Merci déjà à Mathias El Berhoumi d’avoir levé l’ancre et esquissé un premier cap.
- Et parmi lesquels, à titre d’exemples, je retiendrai : « La ségrégation scolaire empêche les enfants en difficulté scolaire de bénéficier d’effets de pair », « Le libre choix engendre de la distance entre les citoyens dès leur plus jeune âge»…
- Le Centre d’étude et de défense de l’école publique, dans un texte de Guy Vlaeminck, ne dit d’ailleurs pas autre chose : « La situation actuelle correspond à des clivages politiques et historiques dépassés » (www.cedep.be/default.asp?contentID=21).
- Tout en indiquant aussi en introduction de sa contribution que « le contexte actuel est propice à une interrogation à frais nouveaux sur la liberté d’enseignement ».
- Il n’est que le fruit de considérations sociales, politiques économiques… et surtout d’un rapport de force. Situation que Mathias El Berhoumi n’ignore pas lorsqu’il ajoute à son plaidoyer pour le droit « pour autant qu’il s’ouvre sur les autres sciences sociales […]».
- Que l’on retrouve dans la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 en son article 29, §2 qui indique : « Aucune disposition du présent article ou de l’article 28 ne sera interprétée d’une manière qui porte atteinte à la liberté des personnes physiques ou morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement, à condition que les principes énoncés au paragraphe1 du présent article soient respectés et que l’éducation dispensée dans ces établissements soit conforme aux normes minimales que l’État aura prescrites. »
- Pour autant, je serai sans doute moins affirmatif que Mathias El Berhoumi lorsqu’il indique que « l’effectivité de la liberté postule le concours financier de l’État ». Sans nul doute, il la facilite, mais le temps n’est peut-être pas si loin où, à l’écart des réseaux classiques, prospèreront d’autres types d’enseignement pour ceux qui ont les moyens et/ou la volonté de se passer d’une subvention publique.
- Guy Vlaemenick : www.cedep.be/default.asp?contentID=21.
- Peut-être plus chez certains que chez d’autres cependant. On imagine mal en effet ailleurs que dans le réseau privé confessionnel une autorité s’immiscer directement dans la vie privée des directions d’école en vilipendant les personnes divorcées…
- Cependant, l’«anachronisme » dénoncé par Mathias El Berhoumi qui vise à structurer l’ensemble d’un système scolaire autour de la référence religieuse ou philosophique des établissements et de leurs réseaux est selon moi bien plus une erreur de principe que le fruit d’un quelconque « recul de la foi et de la pratique religieuse»…
- Plutôt que ce retour direct à l’unité du système, il préconise : de subordonner le libre choix au respect du droit à l’instruction, d’étendre le bénéfice de la liberté organisationnelle à l’ensemble de la communauté éducative et de garantir le respect des convictions au sein de chaque établissement (ce que la neutralité fait déjà…).
- L’école publique n’est cependant pas complètement à l’abri de critiques et pourrait s’inspirer, pourquoi pas, pour certains aspects, des modes de gestion de l’enseignement privé.