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En Revue
L’appel Mensuel, n° 295, mars 2007, 32 p. On pouvait s’y attendre, des chrétiens de toute appartenance, mais encore trop peu nombreux, prennent conscience d’avoir à coopérer à ce titre au sauvetage de la planète. En tant que « magazine chrétien de l’évènement », L’appel se devait de répercuter et d’encourager cette tendance naissante, qui se heurte toutefois à une difficulté […]
L’appel
Mensuel, n° 295, mars 2007, 32 p.
On pouvait s’y attendre, des chrétiens de toute appartenance, mais encore trop peu nombreux, prennent conscience d’avoir à coopérer à ce titre au sauvetage de la planète. En tant que « magazine chrétien de l’évènement », L’appel se devait de répercuter et d’encourager cette tendance naissante, qui se heurte toutefois à une difficulté préalable d’importance : les croyants ne peuvent contourner sans plus — parce qu’interprétée comme prédatrice — l’injonction brute de décoffrage faite à l’homme par Dieu dans la Genèse : « Remplissez la terre et soumettez-la ! » (chapitre I, verset 28).
Dans le dossier qu’elle présente, la rédaction de L’appel se montre consciente du problème et met en discussion ce que, pour faire clair, on appellera ici dans la suite le « principe anthropocentrique », au sens où ce dernier fait de l’homme le centre du monde et du bien de l’humanité la cause finale de toutes choses. En ce qui concerne les titres toutefois, le magazine n’y va pas par quatre chemins. En manchette, « SOS Terre » devient « le onzième commandement » s’ajoutant — excusez du peu — au Décalogue de Moïse ! Quant à l’éditorial de Frédéric Antoine, il enrôle en ces termes le carême catholique comme support pratique immédiat d’actions écologiques : « Consommer, se déplacer, se chauffer, s’éclairer autrement est possible… si l’on en fait l’effort. Mettre en oeuvre ces petites actions peut être un autre moyen de “faire carême”. Au bénéfice de l’humanité. » Reste pour fonder un tel discours à faire intervenir un scientifique et un théologien
« Les écologistes veulent sauver la nature. Les religions veulent sauver l’homme. Est-ce compatible ? » C’est la quest ion qui surplombe l’intéressante interview par Gérald Hayois du botaniste Jean-Marie Pelt, cofondateur dès 1971 de l’Institut européen d’écologie de Metz. L’intéressé y répond d’emblée existentiellement : « L’amour de la nature et la foi furent les deux piliers essentiels de ma vie. »
Pour illustrer sa conviction, l’auteur de C’est vert et ça marche (Fayard 2007) va surtout se référer à l’Évangile, mais commence par se prononcer brièvement sur l’Ancien Testament dans une affirmation qu’il ne démontre pas, ne fût-ce que par des références (et qui risque fort de n’être qu’une projection écologique de sa part) : « Je trouve dans la Bible cette idée que le sort de l’homme et de la nature est intimement lié et que les dérèglements que l’homme suscite entrainent des perturbations dont il est ensuite la victime. » Rien d’étonnant dès lors à ce qu’il balaie d’un revers de la main le principe anthropocentrique en déclarant « malheureuse » la phrase « remplissez la terre et soumettez-la » et en utilisant pour contourner l’obstacle la réponse toute faite et sommaire d’un certain clergé : « L’interprétation littérale doit être dépassée pour découvrir l’esprit, le sens des textes. »
En réalité, ce qui, à raison, intéresse le plus Jean- Marie Pelt, c’est le comportement et le message de Jésus : « Dans l’Évangile, tout l’environnement est plongé dans un milieu pastoral, rural et j’aime beaucoup cette idée du pain quotidien, cette dépendance pour notre survie au jour le jour des fruits de la terre… Si vous voulez profiter de votre vie sur terre, vivez en relation étroite amicale avec le monde des plantes qui vous nourrit. Jésus a pris d’innombrables exemples pastoraux. […] Dans l’univers évangélique, on est dans une relation constante avec l’univers naturel. »
Certes l’interviewé ne nie pas que la vision (remontant aux pères de l’Église) de la nature considérée comme un livre où on lit Dieu s’est perdue en Occident, où l’homme s’est éloigné du milieu naturel sous l’impact de l’urbanisation et du développement technologique [ce qu’avait déjà souligné naguère Frédéric Antoine dans son livre Le grand malentendu. L’Église a‑t-elle perdu la culture et les médias ? (Desclée De Brouwer, 2003), tout en en tirant des conclusions sensiblement différentes]. Mais, si Jean-Marie Pelt fait cette observation, c’est pour proposer aux catholiques d’inverser cette tendance et de se joindre ainsi aux actions écologiques entreprises dès les années septante par des protestants tels Jacques Ellul ou Théodore Monod.
Considérablement plus brève, l’interview par Jacques Briard d’André Wénin, prêtre et exégète, professeur à l’UCL, porte pour une moitié sur l’injonc tion bibl ique « Remplissez la terre et soumettez-la. » Et cela sans se dérober en rien à la difficulté qu’il présente d’autoriser par sa généralité la prédation humaine planétaire à laquelle l’Occident en principe chrétien s’est livré au moins depuis la fin du xvie siècle. Malheureusement, sa récolte de « correctifs » apportés par la Bible elle- même à la très forte affirmation originaire du règne de l’homme sur l’univers ne parait pas suffire à ébranler celle-ci dans le champ de sens où elle reste massivement interprétée aujourd’hui.
Le premier correctif mentionné par le bibliste revient à mettre en évidence le genre littéraire spécifique à l’intérieur duquel est énoncé le principe anthropocentrique en y ajoutant une simple question : « La parole divine qui ordonne cette maitrise est, en effet, précise-t-il, une bénédiction invitant la vie à s’épanouir sous toutes ses formes : qualité d’abord, quantité et extension. Ensuite si qualité et extension nuisent à la quantité, est-on encore dans la bénédiction… ? »
Le deuxième correctif est lui aussi présent dans le premier récit de la création où Dieu poursuit son intervention en donnant à tous les vivants une nourriture végétale. « Les humains — en déduit assez étonnamment le commentateur — ont donc la tâche de maitriser les animaux, mais le type de nourriture qui leur est donné les invite à le faire avec douceur, sans tuer la vie de l’animal. Il y a donc là, implicitement, une limitation de la maitrise… »
Le dernier correctif se réfère au second récit de la création (Genèse, chapitre II), qui décrit le paradis terrestre. Dans la tâche attribuée à Adam et Ève de travailler et garder le jardin d’Éden, André Wénin identifie la même thématique du respect de la nature : « L’être humain a à travailler le jardin, lequel le nourrit et le protège. On a là une image d’une alliance entre l’être humain et la nature, une relation harmonieuse où le bien de l’un rejoint le bien de l’autre. »
En conclusion pour l’exégète : « Le texte mythique de la Genèse indique là une voie qui me semble n’avoir rien perdu de sa pertinence aujourd’hui… » Et le dossier se serait arrêté de cette manière si Jacques Briard n’avait très opportunément eu l’idée de relancer son invité sur une question découlant de l’évocation du jardin d’Éden et qui va permettre au lecteur d’identifier le chainon manquant entre les injonctions éditoriales au « carême écolo », l’intervention du botaniste et celle du théologien : « L’être humain n’a-t-il pas aussi le devoir de partager les fruits de la terre qui lui sont donnés ? »
Dans sa réponse, l’exégète évoque, en effet, à raison le chapitre XXV I de ce Deutéronome où Moïse donne des règles de vie aux Israélites qui se préparent à vivre dans la Terre promise. Le passage met en avant des pratiques significatives : l’offrande au Temple des prémices agricoles et la dime à donner aux déshérités. Par la première, le Juif pieux reconnaitra que ce qu’il a pour vivre est un don de Dieu. Par la seconde, il prolongera le don vers ceux qui injustement n’en bénéficient pas. Limité par l’espace rédactionnel qui lui est concédé, l’exégète ne poursuit malheureusement pas ses investigations jusqu’aux Évangiles, où le partage devient une valeur encore plus centrale et fondatrice que dans le plus altruiste des livres de l’Ancien Testament puisqu’il ne se limite plus seulement aux Israélites entre eux, mais s’ouvre à tout être humain. Ce qui — quasi à la manière d’un dissolvant — réinterprète radicalement le principe anthropocentrique que, sauf erreur, Jésus ne cite jamais.
Que conclure, sinon que « SOS Terre » n’est pas « le onzième commandement » du Décalogue et que, si carême il doit y avoir, il y a un intérêt capital à ce qu’il reste « carême de partage », quitte à connaitre un aménagement très simple pour s’enrichir explicitement d’une nouvelle dimension de fraternité. Il suffit d’en parcourir les textes pour se trouver devant l’évidence aveuglante que l’Évangile est fondamentalement « partageur ». Ce qui signifie au moins pour ceux qui s’y réfèrent que la planète ne pourra être sauvée sans que cette valeur de partage soit énergiquement mise en oeuvre.
xxe siècle a vu repenser, hors de la perspective mortificatrice qui l’a longtemps marquée, cette précieuse période de travail sur soi et de réflexion approfondie en vue de l’action, que les catholiques s’imposent en référence aux quarante jours passés par Jésus au désert pour préparer son message, en assumer les conséquences et choisir les voies et moyens pour le diffuser. Avec la première esquisse du « carême de partage », ils ont entrepris d’ouvrir le champ de cette valeur à la préoccupation active de la population en détresse du monde dont ils sont contemporains. En réponse au cri si justifié de « SOS Terre », c’est à une seconde ouverture de ce champ qu’ils sont appelés, car il s’agit aussi désormais de partager notre commun vaisseau spatial réhabilité avec les générations futures. C’est donc désormais à cette double préoccupation que le mécanisme réévangélisant du carême peut et doit faire une place prioritaire. Dans cette perspective, rien n’interdit d’inclure les mille et un petits gestes dont parle Frédéric Antoine dans son éditorial. Mais quiconque se réclame de l’Évangile doit voir plus loin et donner plus. Jusqu’à décider peutêtre, s’il a encore des années devant soi et s’il s’en croit les compétences, de consacrer sa vie à préserver au nom du partage le sort de l’humanité encore à naitre.