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En Revue

Numéro 4 Avril 2007 par Hervé Cnudde

avril 2007

L’appel Men­suel, n° 295, mars 2007, 32 p. On pou­vait s’y attendre, des chré­tiens de toute appar­te­nance, mais encore trop peu nom­breux, prennent conscience d’a­voir à coopé­rer à ce titre au sau­ve­tage de la pla­nète. En tant que « maga­zine chré­tien de l’é­vè­ne­ment », L’ap­pel se devait de réper­cu­ter et d’en­cou­ra­ger cette ten­dance nais­sante, qui se heurte tou­te­fois à une difficulté […]

L’appel

Men­suel, n° 295, mars 2007, 32 p.

On pou­vait s’y attendre, des chré­tiens de toute appar­te­nance, mais encore trop peu nom­breux, prennent conscience d’a­voir à coopé­rer à ce titre au sau­ve­tage de la pla­nète. En tant que « maga­zine chré­tien de l’é­vè­ne­ment », L’ap­pel se devait de réper­cu­ter et d’en­cou­ra­ger cette ten­dance nais­sante, qui se heurte tou­te­fois à une dif­fi­cul­té préa­lable d’im­por­tance : les croyants ne peuvent contour­ner sans plus — parce qu’in­ter­pré­tée comme pré­da­trice — l’in­jonc­tion brute de décof­frage faite à l’homme par Dieu dans la Genèse : « Rem­plis­sez la terre et sou­met­tez-la ! » (cha­pitre I, ver­set 28).

Dans le dos­sier qu’elle pré­sente, la rédac­tion de L’ap­pel se montre consciente du pro­blème et met en dis­cus­sion ce que, pour faire clair, on appel­le­ra ici dans la suite le « prin­cipe anthro­po­cen­trique », au sens où ce der­nier fait de l’homme le centre du monde et du bien de l’hu­ma­ni­té la cause finale de toutes choses. En ce qui concerne les titres tou­te­fois, le maga­zine n’y va pas par quatre che­mins. En man­chette, « SOS Terre » devient « le onzième com­man­de­ment » s’a­jou­tant — excu­sez du peu — au Déca­logue de Moïse ! Quant à l’é­di­to­rial de Fré­dé­ric Antoine, il enrôle en ces termes le carême catho­lique comme sup­port pra­tique immé­diat d’ac­tions éco­lo­giques : « Consom­mer, se dépla­cer, se chauf­fer, s’é­clai­rer autre­ment est pos­sible… si l’on en fait l’ef­fort. Mettre en oeuvre ces petites actions peut être un autre moyen de “faire carême”. Au béné­fice de l’hu­ma­ni­té. » Reste pour fon­der un tel dis­cours à faire inter­ve­nir un scien­ti­fique et un théologien

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« Les éco­lo­gistes veulent sau­ver la nature. Les reli­gions veulent sau­ver l’homme. Est-ce com­pa­tible ? » C’est la quest ion qui sur­plombe l’in­té­res­sante inter­view par Gérald Hayois du bota­niste Jean-Marie Pelt, cofon­da­teur dès 1971 de l’Ins­ti­tut euro­péen d’é­co­lo­gie de Metz. L’in­té­res­sé y répond d’emblée exis­ten­tiel­le­ment : « L’a­mour de la nature et la foi furent les deux piliers essen­tiels de ma vie. »

Pour illus­trer sa convic­tion, l’au­teur de C’est vert et ça marche (Fayard 2007) va sur­tout se réfé­rer à l’É­van­gile, mais com­mence par se pro­non­cer briè­ve­ment sur l’An­cien Tes­ta­ment dans une affir­ma­tion qu’il ne démontre pas, ne fût-ce que par des réfé­rences (et qui risque fort de n’être qu’une pro­jec­tion éco­lo­gique de sa part) : « Je trouve dans la Bible cette idée que le sort de l’homme et de la nature est inti­me­ment lié et que les dérè­gle­ments que l’homme sus­cite entrainent des per­tur­ba­tions dont il est ensuite la vic­time. » Rien d’é­ton­nant dès lors à ce qu’il balaie d’un revers de la main le prin­cipe anthro­po­cen­trique en décla­rant « mal­heu­reuse » la phrase « rem­plis­sez la terre et sou­met­tez-la » et en uti­li­sant pour contour­ner l’obs­tacle la réponse toute faite et som­maire d’un cer­tain cler­gé : « L’in­ter­pré­ta­tion lit­té­rale doit être dépas­sée pour décou­vrir l’es­prit, le sens des textes. »

En réa­li­té, ce qui, à rai­son, inté­resse le plus Jean- Marie Pelt, c’est le com­por­te­ment et le mes­sage de Jésus : « Dans l’É­van­gile, tout l’en­vi­ron­ne­ment est plon­gé dans un milieu pas­to­ral, rural et j’aime beau­coup cette idée du pain quo­ti­dien, cette dépen­dance pour notre sur­vie au jour le jour des fruits de la terre… Si vous vou­lez pro­fi­ter de votre vie sur terre, vivez en rela­tion étroite ami­cale avec le monde des plantes qui vous nour­rit. Jésus a pris d’in­nom­brables exemples pas­to­raux. […] Dans l’u­ni­vers évan­gé­lique, on est dans une rela­tion constante avec l’u­ni­vers naturel. »

Certes l’in­ter­viewé ne nie pas que la vision (remon­tant aux pères de l’É­glise) de la nature consi­dé­rée comme un livre où on lit Dieu s’est per­due en Occi­dent, où l’homme s’est éloi­gné du milieu natu­rel sous l’im­pact de l’ur­ba­ni­sa­tion et du déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique [ce qu’a­vait déjà sou­li­gné naguère Fré­dé­ric Antoine dans son livre Le grand mal­en­ten­du. L’É­glise a‑t-elle per­du la culture et les médias ? (Des­clée De Brou­wer, 2003), tout en en tirant des conclu­sions sen­si­ble­ment dif­fé­rentes]. Mais, si Jean-Marie Pelt fait cette obser­va­tion, c’est pour pro­po­ser aux catho­liques d’in­ver­ser cette ten­dance et de se joindre ain­si aux actions éco­lo­giques entre­prises dès les années sep­tante par des pro­tes­tants tels Jacques Ellul ou Théo­dore Monod.

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Consi­dé­ra­ble­ment plus brève, l’in­ter­view par Jacques Briard d’An­dré Wénin, prêtre et exé­gète, pro­fes­seur à l’U­CL, porte pour une moi­tié sur l’in­jonc tion bibl ique « Rem­plis­sez la terre et sou­met­tez-la. » Et cela sans se déro­ber en rien à la dif­fi­cul­té qu’il pré­sente d’au­to­ri­ser par sa géné­ra­li­té la pré­da­tion humaine pla­né­taire à laquelle l’Oc­ci­dent en prin­cipe chré­tien s’est livré au moins depuis la fin du xvie siècle. Mal­heu­reu­se­ment, sa récolte de « cor­rec­tifs » appor­tés par la Bible elle- même à la très forte affir­ma­tion ori­gi­naire du règne de l’homme sur l’u­ni­vers ne parait pas suf­fire à ébran­ler celle-ci dans le champ de sens où elle reste mas­si­ve­ment inter­pré­tée aujourd’hui.

Le pre­mier cor­rec­tif men­tion­né par le bibliste revient à mettre en évi­dence le genre lit­té­raire spé­ci­fique à l’in­té­rieur duquel est énon­cé le prin­cipe anthro­po­cen­trique en y ajou­tant une simple ques­tion : « La parole divine qui ordonne cette mai­trise est, en effet, pré­cise-t-il, une béné­dic­tion invi­tant la vie à s’é­pa­nouir sous toutes ses formes : qua­li­té d’a­bord, quan­ti­té et exten­sion. Ensuite si qua­li­té et exten­sion nuisent à la quan­ti­té, est-on encore dans la bénédiction… ? »

Le deuxième cor­rec­tif est lui aus­si pré­sent dans le pre­mier récit de la créa­tion où Dieu pour­suit son inter­ven­tion en don­nant à tous les vivants une nour­ri­ture végé­tale. « Les humains — en déduit assez éton­nam­ment le com­men­ta­teur — ont donc la tâche de mai­tri­ser les ani­maux, mais le type de nour­ri­ture qui leur est don­né les invite à le faire avec dou­ceur, sans tuer la vie de l’a­ni­mal. Il y a donc là, impli­ci­te­ment, une limi­ta­tion de la maitrise… »

Le der­nier cor­rec­tif se réfère au second récit de la créa­tion (Genèse, cha­pitre II), qui décrit le para­dis ter­restre. Dans la tâche attri­buée à Adam et Ève de tra­vailler et gar­der le jar­din d’É­den, André Wénin iden­ti­fie la même thé­ma­tique du res­pect de la nature : « L’être humain a à tra­vailler le jar­din, lequel le nour­rit et le pro­tège. On a là une image d’une alliance entre l’être humain et la nature, une rela­tion har­mo­nieuse où le bien de l’un rejoint le bien de l’autre. »

En conclu­sion pour l’exé­gète : « Le texte mythique de la Genèse indique là une voie qui me semble n’a­voir rien per­du de sa per­ti­nence aujourd’­hui… » Et le dos­sier se serait arrê­té de cette manière si Jacques Briard n’a­vait très oppor­tu­né­ment eu l’i­dée de relan­cer son invi­té sur une ques­tion décou­lant de l’é­vo­ca­tion du jar­din d’É­den et qui va per­mettre au lec­teur d’i­den­ti­fier le chai­non man­quant entre les injonc­tions édi­to­riales au « carême éco­lo », l’in­ter­ven­tion du bota­niste et celle du théo­lo­gien : « L’être humain n’a-t-il pas aus­si le devoir de par­ta­ger les fruits de la terre qui lui sont donnés ? »

Dans sa réponse, l’exé­gète évoque, en effet, à rai­son le cha­pitre XXV I de ce Deu­té­ro­nome où Moïse donne des règles de vie aux Israé­lites qui se pré­parent à vivre dans la Terre pro­mise. Le pas­sage met en avant des pra­tiques signi­fi­ca­tives : l’of­frande au Temple des pré­mices agri­coles et la dime à don­ner aux déshé­ri­tés. Par la pre­mière, le Juif pieux recon­nai­tra que ce qu’il a pour vivre est un don de Dieu. Par la seconde, il pro­lon­ge­ra le don vers ceux qui injus­te­ment n’en béné­fi­cient pas. Limi­té par l’es­pace rédac­tion­nel qui lui est concé­dé, l’exé­gète ne pour­suit mal­heu­reu­se­ment pas ses inves­ti­ga­tions jus­qu’aux Évan­giles, où le par­tage devient une valeur encore plus cen­trale et fon­da­trice que dans le plus altruiste des livres de l’An­cien Tes­ta­ment puis­qu’il ne se limite plus seule­ment aux Israé­lites entre eux, mais s’ouvre à tout être humain. Ce qui — qua­si à la manière d’un dis­sol­vant — réin­ter­prète radi­ca­le­ment le prin­cipe anthro­po­cen­trique que, sauf erreur, Jésus ne cite jamais.

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Que conclure, sinon que « SOS Terre » n’est pas « le onzième com­man­de­ment » du Déca­logue et que, si carême il doit y avoir, il y a un inté­rêt capi­tal à ce qu’il reste « carême de par­tage », quitte à connaitre un amé­na­ge­ment très simple pour s’en­ri­chir expli­ci­te­ment d’une nou­velle dimen­sion de fra­ter­ni­té. Il suf­fit d’en par­cou­rir les textes pour se trou­ver devant l’é­vi­dence aveu­glante que l’É­van­gile est fon­da­men­ta­le­ment « par­ta­geur ». Ce qui signi­fie au moins pour ceux qui s’y réfèrent que la pla­nète ne pour­ra être sau­vée sans que cette valeur de par­tage soit éner­gi­que­ment mise en oeuvre.

xxe siècle a vu repen­ser, hors de la pers­pec­tive mor­ti­fi­ca­trice qui l’a long­temps mar­quée, cette pré­cieuse période de tra­vail sur soi et de réflexion appro­fon­die en vue de l’ac­tion, que les catho­liques s’im­posent en réfé­rence aux qua­rante jours pas­sés par Jésus au désert pour pré­pa­rer son mes­sage, en assu­mer les consé­quences et choi­sir les voies et moyens pour le dif­fu­ser. Avec la pre­mière esquisse du « carême de par­tage », ils ont entre­pris d’ou­vrir le champ de cette valeur à la pré­oc­cu­pa­tion active de la popu­la­tion en détresse du monde dont ils sont contem­po­rains. En réponse au cri si jus­ti­fié de « SOS Terre », c’est à une seconde ouver­ture de ce champ qu’ils sont appe­lés, car il s’a­git aus­si désor­mais de par­ta­ger notre com­mun vais­seau spa­tial réha­bi­li­té avec les géné­ra­tions futures. C’est donc désor­mais à cette double pré­oc­cu­pa­tion que le méca­nisme réévan­gé­li­sant du carême peut et doit faire une place prio­ri­taire. Dans cette pers­pec­tive, rien n’in­ter­dit d’in­clure les mille et un petits gestes dont parle Fré­dé­ric Antoine dans son édi­to­rial. Mais qui­conque se réclame de l’É­van­gile doit voir plus loin et don­ner plus. Jus­qu’à déci­der peu­têtre, s’il a encore des années devant soi et s’il s’en croit les com­pé­tences, de consa­crer sa vie à pré­ser­ver au nom du par­tage le sort de l’hu­ma­ni­té encore à naitre.

Hervé Cnudde


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