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En revue

Numéro 3 Mars 2007 par Hervé Cnudde

mars 2007

Cour­rier heb­do­ma­daire du Crisp Heb­do­ma­daire, n° 1924 – 1925, 2006, 53 p. Quand on leur parle de Vers l’A­ve­nir, la plu­part des Lié­geois, des Caro­lo­ré­giens et des Bruxel­lois n’ont guère l’i­dée que de ses loin­taines ori­gines : c’est le quo­ti­dien de l’é­vê­ché de Namur. L’ex­pli­ca­tion est simple : ces trois grandes villes « fran­co­phones » sont les seules que la socié­té édi­trice du […]

Courrier hebdomadaire du Crisp

Heb­do­ma­daire, n° 1924 – 1925, 2006, 53 p.

Quand on leur parle de Vers l’A­ve­nir, la plu­part des Lié­geois, des Caro­lo­ré­giens et des Bruxel­lois n’ont guère l’i­dée que de ses loin­taines ori­gines : c’est le quo­ti­dien de l’é­vê­ché de Namur. L’ex­pli­ca­tion est simple : ces trois grandes villes « fran­co­phones » sont les seules que la socié­té édi­trice du jour­nal n’ait jamais pu conqué­rir dans le tra­vail d’ex­pan­sion qu’elle a mené à par­tir de 1948. Il n’empêche pour­tant que, selon les sta­tis­tiques de la dif­fu­sion payante de la presse écrite éta­blies en 2005, Les Édi­tions de l’A­ve­nir (98 939 exem­plaires) venaient alors au deuxième rang par rap­port à Sud-Presse (128 472 exem­plaires) et avant Le Soir (96 511 exem­plaires), La Der­nière Heure (86 342 exem­plaires), La Libre Bel­gique (47 133 exem­plaires) et L’É­cho (17 862 exemplaires).

Dans ce Cour­rier du Crisp, Hugues Van Peel, cher­cheur à l’ULB, spé­cia­liste notam­ment de l’his­toire des médias, met en lumière les étapes ins­ti­tu­tion­nelles et éco­no­miques par les­quelles le jour­nal puis le groupe de presse vont pas­ser pour en arri­ver, comme dans un « thril­ler », à la situa­tion sur­réa­liste de l’an­née 2006. En 1918, l’é­vê­ché de Namur et quelques familles aisées de son entou­rage fondent le quo­ti­dien Vers l’A­ve­nir en lui don­nant comme base deux cri­tères essen­tiels : le pre­mier — d’ordre géo­gra­phique — l’in­for­ma­tion régio­nale ; le second — d’ordre idéo­lo­gique — la défense des valeurs catho­liques. Les évêques suc­ces­sifs lais­sant jus­qu’en 1991 la bride sur le cou aux familles action­naires, le quo­ti­dien va pour suivre seul ses acti­vi­tés jus­qu’en 1948, année où il va com­men­cer une expan­sion aus­si remar­quable que pro­gres­si­ve­ment fré­né­tique en pre­nant le contrôle d’autres jour­naux régio­naux en très grande majo­ri­té d’o­bé­dience catho­lique : L’A­ve­nir du Luxem­bourg (Arlon), Le Cour­rier (Ver­viers), Le Cour­rier de l’Es­caut (Tour­nai), Le Jour (Ver­viers), Le Rap­pel (Char­le­roi). Désor­mais dénom­mée ici Les édi­tions de l’A­ve­nir ou la SA Vers l’A­ve­nir (et à par­tir de 1999 Médi@ bel), la socié­té crée­ra Le Cour­rier de Mous­cron et Le Jour Liège. Elle se cas­se­ra par contre les dents lors­qu’elle essaie­ra de prendre le contrôle de La Libre Bel­gique et de La Der­nière Heure.

Inté­res­sée à mettre réel­le­ment un pied à Liège et à Char­le­roi ain­si qu’à remé­dier à son manque d’au­dience auprès des jeunes cita­dins, la SA Vers l’A­ve­nir par­ti­cipe aus­si comme opé­ra­trice et accom­pa­gnante à l’a­ven­ture du Matin, qui s’ar­rê­te­ra avec la faillite de ce der­nier. Elle inves­tit aus­si dans la presse gra­tuite et les publi­ca­tions à des­ti­na­tion de la jeu­nesse. Elle vise éga­le­ment à prendre le contrôle de radios locales, qui réper­cu­te­ront les infor­ma­tions de ses jour­na­listes. Cela jus­qu’à deve­nir majo­ri­taire dans Radio Nos­tal­gie Bel­gique (vingt-neuf émet­teurs « fran­co­phones » et quatre « néerlandophones »).

En 1985, la SA Vers l’A­ve­nir inves­tit dans Audio-Presse créée par la majo­ri­té des quo­ti­diens fran­co­phones qui veulent se pro­té­ger du manque à gagner pour eux de l’ap­pa­ri­tion de la publi­ci­té à la télé­vi­sion, mais qui n’é­ta­blit avec RTL-TVI que des liens maté­riels de ris­tournes finan­cières sur la publi­ci­té. À l’heure actuelle, la SA pos­sède tou­jours 15 % des actions d’Audio-Presse.

En 1988 – 1989, pré­oc­cu­pées d’é­ta­blir un trait d’u­nion entre Le Cour­rier de l’Es­caut et La Voix du Nord — dif­fu­sés de part et d’autre de la fron­tière fran­co-belge -, Les édi­tions de l’A­ve­nir s’as­so­cient à la créa­tion par des jour­naux régio­naux fran­çais de la Socié­té Nord-Est Picar­die Télé­vi­sion (NEPTV), qui devait exer­cer ses acti­vi­tés dans le repor­tage d’in­for­ma­tion, le film d’en­tre­prise et l’or­ga­ni­sa­tion de conven­tions d’en­tre­prise, mais four­nis­sait aus­si notam­ment une cor­res­pon­dance régio­nale à TF 1. Du côté belge, elles consti­tuent avec Le Cour­rier de l’Es­caut, Cas­ter­man et une filiale de la SGB la socié­té symé­trique Bel­nep. Par manque de clients, cette double ini­tia­tive se sol­de­ra par un double échec.

Mais les len­de­mains de tout cela déchantent. En 1990, les finances de la SA Vers l’A­ve­nir sont au plus bas et les réserves sont épui­sées. En 1991, André Léo­nard devient évêque de Namur et inverse la poli­tique tra­di­tion­nel­le­ment bien­veillante et un peu naïve de l’é­vê­ché pour adop­ter une atti­tude inter­ven­tion­niste et occa­sion­nel­le­ment agres­sive. Les rela­tions se dété­riorent dès lors rapi­de­ment entre le pré­lat et les action­naires fami­liaux qui détiennent une mino­ri­té de blo­cage. Les conseils d’ad­mi­nis­tra­tion se limitent à des règle­ments de compte par avo­cats inter­po­sés. La crise culmine en 1998 et son issue sera désor­mais entre les mains de l’é­vêque, qui charge l’ad­mi­nis­tra­teur- délé­gué de trou­ver le can­di­dat idéal qui pour­rait injec­ter l’argent néces­saire à la sur­vie de la société.

Sur la liste pré­sen­tée, la pré­fé­rence d’An­dré- Mutien Léo­nard va en pre­mier lieu vers Ste­phan Jour­dain, arrière-petit­fils du cofon­da­teur de La Libre Bel­gique, qui lui avait pro­mis, dit-on, de muse­ler à droite le catho­li­cisme du quo­ti­dien. Mais la confé­rence épis­co­pale de Bel­gique y oppose son véto consi­dé­rant sem­blet- il le can­di­dat comme un affai­riste doué, mais inquié­tant. Res­tent en résu­mé le jour­nal Le Monde, qui cherche à jeter les bases d’un réseau euro­péen de presse (pro­jet par lequel le même évêque dira avoir été séduit), Axe­me­dia regrou­pant des indus­triels wal­lons, la famille Le Hodey (LLB) et le groupe suisse Édi­presse, plus la Socié­té belge d’é­di­tion (SBE) dans laquelle appa­rait pour la pre­mière fois et mas­si­ve­ment le groupe de presse fla­mand VUM, édi­teur en Bra­bant fla­mand des jour­naux catho­liques De Stan­daard et Het Nieuws­blad. Cette der­nière offre l’emporte au grand dam de ses concur­rents, qui mettent notam­ment en cause le dan­ger cou­ru par l’i­den­ti­té fran­co­phone et wal­lonne du second groupe de presse en Com­mu­nau­té fran­çaise ou encore l’axe « vati­ca­no- fla­mand ». La VUM quant à elle déclare venir avec « un pro­jet éco­no­mique et non idéo­lo­gique et communautaire ».

En bref, à l’é­poque, une opi­nion pré­vaut lar­ge­ment quant au fond : la sen­si­bi­li­té phi­lo­so­phique chré­tienne du pro­jet de la SBE semble avoir été déter­mi­nante au détri­ment de l’autre axe fon­da­teur du Vers l’A­ve­nir des ori­gines : sa dimen­sion régio­nale wal­lonne et francophone.

À l’au­tomne 2004, usant d’une conjonc­ture favo­rable, la VUM rachète les parts de ses par­te­naires au sein de la SBE En mars 2005, elle récu­père aus­si les parts de l’im­pri­me­rie Saint-Paul et devient avec 74,9 % des actions le plus grand action­naire de la socié­té édi­trice Média@bel face aux 25,1 % conser­vés par l’é­vê­ché de Namur et qui per­mettent, rap­pe­lons-le, à celui-ci de contrô­ler les déci­sions du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion. Le 21 juin 2005, le CA décide — appa­rem­ment sans contes­ta­tion des action­naires [!] — de trans­fé­rer la fabri­ca­tion de ses jour­naux sur les presses de la VUM à Groot-Bij­gaar­den et de fer­mer l’im­pri­me­rie de Rhisnes. Ce même jour, l’é­vêque réaf­firme para­doxa­le­ment sa volon­té de res­ter action­naire du groupe à hau­teur de 25,1 % afin d’ac­com­pa­gner son déve­lop­pe­ment futur [!]. Et pour finir ou presque, le 29 juin 2006… l’é­vê­ché de Namur annon­ce­ra son inten­tion de vendre dans le cou­rant d’oc­tobre de la même année les 21,1 % d’ac­tions qu’il détient…

Ven­dra pas ? Ven­dra ? À qui ? À la VUM ? C’est sur cette « énigme » que diplo­ma­ti­que­ment Hugues Van Peel ter­mine par la men­tion « À suivre » le « thril­ler » qu’il a choi­si de publier peu de temps avant octobre 2006 (comme les vins, les Cour­riers du Crisp sont mil­lé­si­més mais jamais datés).

Post­scrip­tum : en octobre 2006, l’é­vê­ché de Namur a effec­ti­ve­ment ven­du ses 25,1 % d’ac­tions à la VUM, celle-ci deve­nant unique action­naire de Médi@bel qu’elle rebap­tise Core­lio. Cette fois vrai­ment la chose est poli­ti­que­ment à suivre !

Her­vé Cnudde

Revue générale

Men­suel, n° 10, octobre 2006, 108 p.

Les amis d’A­lexis Cur­vers (1906 – 1992) ont eu l’heu­reuse idée de se réunir à Liège ce 25 février pour dédier une jour­née d’hom­mage à l’au­teur de l’i­nou­bliable Tem­po di Roma. La séance aca­dé­mique don­na lieu à une série de com­mu­ni­ca­tions, dont six ont été rete­nues pour publi­ca­tion par la Revue géné­rale.

L’en­semble étant de bonne tenue, l’u­sa­ger pas­se­ra sur le léger cafouillage de la rédac­tion dans le trai­te­ment du dos­sier (titre en man­chette incor­rect : « Tem­po Alexis Cur­vers » sans « di » ou « d’ » inter­mé­diaire, clas­se­ment du dos­sier sous la rubrique « Réflexions », omis­sion dans la publi­ca­tion même de l’« Hom­mage à Alexis Cur­vers » de Marie Ber­nard-Cur­vers men­tion­né au sommaire).

Au lec­teur pres­sé d’al­ler à l’es­sen­tiel et qui n’est ni roma­niste ni en passe de le deve­nir, on conseille­ra de remettre à plus tard les articles les plus aca­dé­miques — mais nul­le­ment sans valeur pour autant — du dos­sier, que sont l’é­tude de Fran­çoise Til­kin sur Prin­temps chez des ombres (l’un des pre­miers romans publié par l’é­cri­vain lié­geois), et celle de Béren­gère Deprez sur L’op­ti­misme tra­gique d’A­lexis Cur­vers, où l’au­teure éta­blit point par point un paral­lèle entre Tem­po di Roma et un roman de Mar­gue­rite Your­ce­nar inti­tu­lé Denier du rêve publié en 1934, dont l’ac­tion se déroule éga­le­ment en Ita­lie, mais qui ne par­le­ra qu’à ceux — pas néces­sai­re­ment nom­breux — qui auront lu préa­la­ble­ment ce livre.

L’ar­ticle phare des com­mu­ni­ca­tions publiées est par contre sans conteste celui de la roma­niste Cathe­rine Gra­vet, qui ter­mine actuel­le­ment à l’ULB une thèse sur Alexis Cur­vers et ses rela­tions lit­té­raires, et qui a pris pour titre de son expo­sé « Pas­sions et com­pas­sion ». L’au­teure y met, en effet, sur la table les deux ques­tions fon­da­men­tales que l’é­cou­le­ment du temps et — chose inat­ten­due pour beau­coup — la publi­ca­tion des pre­mières dis­po­si­tions offi­cielles du concile Vati­can II, ont conduit à poser à pro­pos de Marie Del­court. D’une part, le suc­cès de son Tem­po di Roma dans toute la culture occi­den­tale de l’é­poque, joint à l’i­gno­rance qua­si géné­rale du reste de son oeuvre, ont réduit dans l’es­prit de beau­coup la per­son­na­li­té de l’é­cri­vain à l’i­ta­lo­phi­lie de sa jeu­nesse. D’autre part, lors­qu’en 1964, il atta­qua fron­ta­le­ment et publi­que­ment les pre­mières déci­sions du concile Vati­can II intro­dui­sant la pra­tique des langues vivantes en litur­gie et par voie de consé­quence l’a­ban­don qua­si géné­ral du latin, bon nombre des membres de son entou­rage et même au-delà en ont méca­ni­que­ment déduit que le pro­gres­siste deve­nu réac­tion­naire par rap­port à son Église l’é­tait deve­nu éga­le­ment sur tous les autres plans, y com­pris politique.

Pour Cathe­rine Gra­vet, la réa­li­té est heu­reu­se­ment bien éloi­gnée de cela. Certes, et c’est on ne peut plus évident, l’au­teur de Tem­po di Roma fut ita­lo­phile et res­ta pro­ba­ble­ment toute sa vie atta­ché à l’I­ta­lie pro­fonde, mais cette dimen­sion n’é­tait qu’un élé­ment d’un tem­pé­ra­ment aux mul­tiples facettes. Bien que son roman le plus célèbre n’ait été publié qu’en 1957, dès 1933, Cur­vers — à vingt-sept ans — fut l’un des fers de lance du com­bat pour la recon­nais­sance légale de l’ob­jec­tion de conscience et un mili­tant paci­fiste. Lors­qu’en 1936 écla­ta la guerre civile d’Es­pagne, il s’af­fir­ma cou­ra­geu­se­ment et réso­lu­ment anti­fas­ciste et, en tant que catho­lique pra­ti­quant, par­ti­san réso­lu de la légi­ti­mi­té poli­tique des répu­bli­cains espa­gnols. Comme intel­lec­tuel, il ne pen­sait pas que son rôle le plus per­ti­nent était de prendre à leur côté une part directe aux com­bats, mais de main­te­nir la conscience du pro­blème de l’i­ni­qui­té fran­quiste dans la popu­la­tion belge et de don­ner, via des jour­naux et des revues, une lec­ture des évè­ne­ments poli­ti­que­ment plus exacte que celle d’une cer­taine presse ou de divers gouvernements.

C’est ain­si qu’il dénon­ça notam­ment dans les médias la for­fai­ture de la Bel­gique lorsque celle-ci annu­la une vente d’a­vions à l’Es­pagne répu­bli­caine en ne res­ti­tuant pas l’argent préa­la­ble­ment ver­sé par cette der­nière. Mieux encore, ce catho­lique fervent n’hé­si­ta pas à railler publi­que­ment l’hy­po­cri­sie du cler­gé espa­gnol ral­lié à Fran­co se scan­da­li­sant bruyam­ment parce que le peuple livré à lui-même avait bru­lé quelques palais et détruit quelques églises, en écri­vant à leur sujet : « Il eût mieux valu s’in­di­gner à temps contre cet état de choses qui a per­mis au peuple d’Es­pagne de confondre Dieu et César dans une même ran­cune. » Et dans le même registre, il ne craint pas davan­tage de s’at­ta­quer au Vati­can lui-même qui, après avoir été sol­li­ci­té nombre de fois à réagir contre le fas­cisme espa­gnol, finit par n’in­ter­ve­nir que mol­le­ment et avec deux ans de retard en se conten­tant de regret­ter les effets (nul­le­ment les prin­cipes) des bom­bar­de­ments qui déciment la popu­la­tion civile.

Il ne faut pas en dire plus pour conclure que le Cur­vers ita­lo­phile fut tout autant sinon davan­tage his­pa­no­phile et qui plus est, un homme auquel les évè­ne­ments d’Es­pagne firent adop­ter l’i­déal répu­bli­cain et témoi­gner des sym­pa­thies com­mu­nistes (si les choses l’a­vaient per­mis, il avait même envi­sa­gé — lui qui fut orphe­lin très jeune — d’a­dop­ter avec Marie Del­court un jeune Espa­gnol pro­vi­soi­re­ment réfu­gié à Liège). Mais, tout en lui appor­tant un éclai­rage indis­pen­sable sur la riche per­son­na­li­té poli­tique du jeune Cur­vers, l’ar­ticle ne contri­bue qu’im­par­fai­te­ment à résoudre l’autre ques­tion fon­da­men­tale posée par Cathe­rine Gra­vet concer­nant le sup­po­sé « retour­ne­ment de veste » de l’é­cri­vain en 1964, et cela du fait que, pour une rai­son incon­nue, celle-ci ne dit rien du com­por­te­ment de son per­son­nage durant la Seconde Guerre mon­diale, pas plus d’ailleurs qu’au cours du reste de sa vie.

Force est de conjec­tu­rer, sous béné­fice d’in­ven­taire, qu’A­lexis Cur­vers lui-même a cir­cons­crit sa muta­tion réac­tion­naire à son seul uni­vers reli­gieux, et que pour le sur­plus, y com­pris en poli­tique, il est demeu­ré le pro­gres­siste qu’il fut durant la pre­mière par­tie de sa vie. Il n’est pas illé­gi­time, en effet, de sou­te­nir cette hypo­thèse plu­tôt que l’in­verse, si l’on met en rela­tion d’autres élé­ments de la per­son­na­li­té de l’é­cri­vain avec la socio­lo­gie du catho­li­cisme de son temps. Phi­lo­logue clas­sique, le roman­cier avait une connais­sance du latin qui fai­sait de lui au sein de son milieu reli­gieux un per­son­nage éli­taire, qui n’é­prou­vait aucun besoin de voir l’É­glise romaine ouvrir sa litur­gie aux langues vivantes, com­men­çant ain­si le déclin du latin. Aris­to­crate reli­gieux, il l’é­tait aus­si par la connais­sance supé­rieure qu’il avait dans les domaines de la com­pré­hen­sion des sym­boles et des rites ain­si que dans celui de l’exé­gèse, comme le sug­gèrent les brefs articles d’É­tienne Evrard (« Alexis Cur­vers et les fonts de Saint- Bar­thé­lé­my ») et de Chris­tian Libens (« Alexis Cur­vers en babouches »). On peut pro­ba­ble­ment déduire de cela qu’a­vec un brin de suf­fi­sance incons­ciente, ce croyant de grande sta­ture s’est, dans son attaque contre les déci­sions litur­giques de Vati­can II, pris pour l’ar­bitre qu’il ne pou­vait être d’un pro­blème qu’il posait exis­ten­tiel­le­ment mal. La néces­si­té de prendre en compte la mul­ti­pli­ci­té et la diver­si­té de par le monde des com­mu­nau­tés qui com­po­saient sa propre Église et atten­daient ces réformes pour s’a­dres­ser à Dieu dans une langue qu’ils com­pre­naient, lui était cachée comme par un angle mort.

Cela dit et pour ponc­tuer ce para­graphe d’un sou­rire, peut-être Cur­vers avait-il en reli­gion un côté « pape­figue » igno­ré (voir le compte ren­du de la revue Vivre dans le numé­ro de jan­vier-février 2007 de La Revue nou­velle, p. 25) et pour se don­ner du coeur dans l’ad­ver­si­té, chan­ton­nait-il de temps en temps ces paroles de Bras­sens : « Ils ne savent pas ce qu’ils perdent /tous ces fou­tus calo­tins / sans le latin, sans le latin / la messe nous emmerde… » Une chan­son qui, mal­gré l’i­nat­ten­du de son conte­nu, n’a jamais valu à l’a­mi Georges le reproche d’a­voir retour­né sa veste d’anarchiste.

La der­nière com­mu­ni­ca­tion rete­nue par la Revue géné­rale est pleine d’ad­mi­ra­tion et de ten­dresse. Il s’a­git de l’ar­ticle de la roman­cière Irène Ste­cyk inti­tu­lé « Un roman inache­vé ». Secré­taire de l’é­cri­vain, celle-ci raconte com­ment, durant les der­nières années de sa vie, il essaya encore d’é­crire deux livres : un essai sur la chute de l’empire romain, qu’il savait ne pou­voir rédi­ger, puis­qu’il y aurait fal­lu dix ou vingt volumes, et un roman inti­tu­lé Les détours obs­curs, qui devait s’ins­pi­rer de La prin­cesse de Clèves. Il en avait tiré l’in­trigue sui­vante : « Le héros a une soeur, une vieille spé­cia­liste de La prin­cesse de Clèves. Or, comme le frère et la soeur manquent d’argent, cette savante per­sonne décide de par­ti­ci­per à une émis­sion radio­pho­nique du genre Qui veut gagner des mil­lions ?, et elle emporte le pac­tole. Sa science a beau­coup frap­pé une sorte de mécène qui, appre­nant que le pas­se­temps favo­ri de la demoi­selle est la tapis­se­rie, lui com­mande quinze tapis­se­ries sur le thème de La prin­cesse de Clèves. Ces der­nières devront faire réfé­rence à quinze scènes du roman de Madame de Lafayette. Ain­si cha­cune illus­tre­ra un cha­pitre des Détours obscurs. »

À la mort de Cur­vers, le texte rédi­gé se com­po­sait de cent-cin­quante pages dac­ty­lo­gra­phiées et, selon Irène Ste­cyk, il n’y man­quait que des cou­tures pour relier les scènes entre elles. Le jour vien­drat- il où quel­qu’un aura la bonne idée de l’a­che­ver et de le faire édi­ter ? La chose n’est pas impos­sible, mais, par ailleurs, elle n’est peut-être pas prio­ri­taire par rap­port à la néces­si­té de créer un site inter­net pour ce grand for­mat des lettres belges, alors qu’on ne dis­pose à ce jour, via les moteurs de recherche, que d’une notice très som­maire de l’en­cy­clo­pé­die Wiki­pé­dia.

Her­vé Cnudde

Zakouskis

Sup­plé­ment à La Revue nou­velle de mars 2007. Dieux mode(s) d’emploi

Une expo­si­tion sur les reli­gions ? L’i­dée était bonne, à plus d’un titre. L’an­nonce pro­cla­mée de la fin des reli­gions — y com­pris par cer­tains socio­logues — s’est avé­rée plu­tôt pré­ma­tu­rée. Quant à l’u­ti­li­sa­tion poli­tique de la reli­gion, elle n’a hélas pas fini de faire des ravages, de ren­for­cer les fana­tismes, de sus­ci­ter des mar­tyrs. Les mono­théismes, fac­teurs de vio­lences ? L’his­toire oblige à le recon­naitre. Et aus­si, que c’est la nais­sance de l’É­tat laïque qui a son­né en Europe la fin des guerres de reli­gion. C’est donc une bonne chose de pro­mou­voir la laï­ci­té du domaine politique.

Telle est sans aucun doute une idée mai­tresse de l’ex­po­si­tion qui se tenait à Tour & Taxis à Bruxelles. Elle nous est incul­quée par divers moyens, le plus impres­sion­nant étant la petite pièce de théâtre qui fait par­tie du par­cours, qui énu­mère les mas­sacres atroces jus­ti­fiés par les dif­fé­rentes reli­gions. Saluons aus­si au pas­sage la créa­ti­vi­té qui a ins­pi­ré les mises en scène des divers aspects des reli­gions : concep­tions de l’au-delà, rites de pas­sage, orga­ni­sa­tion du temps, rap­port au corps, dif­fi­cul­tés de coexis­tence, etc. Vidéos, objets, témoi­gnages enre­gis­trés, se suc­cèdent en réveillant sans cesse l’attention.

Cela dit, on peut se deman­der quelle image garde des reli­gions le visi­teur plon­gé dans un uni­vers plein de pra­tiques étranges et qui peuvent lui paraitre par­fois bar­bares. En effet, la dimen­sion d’in­té­rio­ri­té des com­por­te­ments reli­gieux n’ap­pa­rait pra­ti­que­ment nulle part, ni les consé­quences éthiques et, disons, phi­lan­thro­piques des adhé­sions reli­gieuses. Il est plus facile de mon­ter en épingle des phé­no­mènes bizarres que de par­ler de l’en­traide, du ser­vice des pauvres, de la prière contem­pla­tive, et plus radi­ca­le­ment de la recherche de sens qui sous-tend la quête reli­gieuse. Entre­prise dif­fi­cile ? Sans doute. Mais il faut le dire fran­che­ment : ici, l’oc­ca­sion a été man­quée. Ce qui nous est don­né à voir et à entendre par le futur Musée de l’Eu­rope à Bruxelles, c’est fina­le­ment un pêle­mêle des reli­gions où elles se res­semblent toutes par leur étran­ge­té, et qui passe à côté de l’in­trin­sèque, donc de l’essentiel.

P. Tihon et J. Ver­mey­len Théologiens

Hervé Cnudde


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