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En méditant sur le Nieuwsblad

Numéro 11 Novembre 2010 par Paul Géradin

novembre 2010

À la face du monde, nous, « Belges », sommes inca­pables de por­ter un pro­jet, qu’il soit con- ou fédé­ral pour l’avenir de notre mini-espace inter­cul­tu­rel. En proie à ce mal de la citoyen­ne­té, cher­­chez-vous aus­si votre drogue ? La mienne est quo­ti­dienne et, à tort ou à rai­son, de nature homéo­pa­thique. Elle est concoc­tée sur la base de ces tranches […]

À la face du monde, nous, « Belges », sommes inca­pables de por­ter un pro­jet, qu’il soit con- ou fédé­ral pour l’avenir de notre mini-espace inter­cul­tu­rel. En proie à ce mal de la citoyen­ne­té, cher­chez-vous aus­si votre drogue ? La mienne est quo­ti­dienne et, à tort ou à rai­son, de nature homéo­pa­thique. Elle est concoc­tée sur la base de ces tranches d’audition dont la Pre­mière jalonne la jour­née dès son « 7 – 9 », alias Mati­nale à l’instar des matines des offices monas­tiques. Il s’agit d’un cock­tail à base de tre­men­dum et fas­ci­no­sum Bye bye Bel­gium mis au gout des sai­sons, mais cou­pé d’interventions par­fois éclai­rantes et qui font heu­reu­se­ment de plus en plus place à des per­son­na­li­tés du Nord. Cette potion, je l’assaisonne par­fois d’un zeste de VRT, la dilue avec un gla­çon de Libre ou de Soir, voire l’enrichis d’une tranche de citron de Mor­gen ou de Stan­daard. Soit dit entre paren­thèses, en ce fati­dique lun­di 18 octobre, le pre­mier de ces quo­ti­diens n’a offert qu’un pâle résu­mé de la « note De Wever » sur une petite page (p. 6), tan­dis que le der­nier en don­nait une rela­tion com­men­tée en quatre pages… (p. 5 – 8).

Las, le mar­di 19 octobre, l’auteur de ces lignes, en état de manque, pose un geste de déses­poir, en fin de jour­née. Vu le vide des étals de la librai­rie, il se résigne à ache­ter, pour la pre­mière fois, le Nieuws­blad que ses pré­ju­gés l’amènent à consi­dé­rer comme un tor­chon du nord du pays. Il y est encou­ra­gé par la ven­deuse (« C’est vous qui le dites, Mon­sieur, mais il ne coute qu’un euro »), et sur­tout appâ­té par le fait que l’éditorial est de Lies­beth Van Impe, ren­con­trée à La Revue nou­velle lors de la pré­pa­ra­tion d’un dos­sier. Que dit-elle dans l’éditorial ? « Ces der­niers jours, le spec­tacle a atteint un som­met. Ou un gouffre, comme vous vou­lez. La pro­po­si­tion de Bart De Wever a été mise à la pou­belle par les par­tis fran­co­phones qui ont réagi de façon hys­té­rique dimanche et, à peine vingt-quatre heure plus tard, ont aus­si pré­pa­ré une cri­tique de conte­nu. […] Et où nous conduit ce drame ? Abso­lu­ment nulle part. Les fran­co­phones ne veulent pas se rendre compte que plus ils crient fort, plus ils donnent rai­son au Fla­mand De Wever par leur posi­tion­ne­ment déraisonnable. »

« Dérai­son­nable ? » Après tout, c’est le pré­sident de la N‑VA qui le pre­mier a sor­ti son colt en fai­sant vio­lence aux contours de sa mis­sion de ver­dui­de­lij­ker. Et en fait de « rai­son », on a lu et enten­du dans nos médias fran­co­phones que les trois par­tis fla­mands par­tie pre­nante de la négo­cia­tion défunte se ran­geaient main­te­nant comme un seul homme der­rière le vain­queur des der­nières élections.

Jus­te­ment, une grande page (p. 4) est consa­crée à leurs décla­ra­tions. Le pire est à craindre… Lisons.

Groen ! Les garan­ties pour le main­tien de la sécu­ri­té sociale sont insuf­fi­santes ; la scis­sion de la jus­tice est « désor­don­née» ; la situa­tion de Bruxelles n’est pas claire.

SP.A. La situa­tion de l’autorité fédé­rale est pré­oc­cu­pante. « Selon nos cal­culs, la Wal­lo­nie ne perd pas 90, mais 498 mil­liards d’euros avec cette forme d’autonomie fis­cale. […] Dans l’état actuel, les pro­po­si­tions com­portent clai­re­ment un recul pour la Wal­lo­nie ou pour la caisse de l’État fédé­ral. Au nom du ciel, asseyons-nous à table pour appor­ter une solu­tion. […] Ce que je ne peux com­prendre, c’est que les par­tis fran­co­phones ne veulent pas cor­ri­ger ce dés­équi­libre par des négociations. »

Et le CD&V ? La loi de finan­ce­ment est for­te­ment mar­quée par l’empreinte de la N‑VA. De plus, en ce qui concerne BHV, « De Wever a réduit les com­pen­sa­tions pour les fran­co­phones au strict mini­mum. Pas de pro­blème pour nous, mais il ne faut pas s’étonner si les fran­co­phones ont le sen­ti­ment qu’on se moque d’eux ».

Chez tous, ce constat d’une iro­nie de l’histoire : en réagis­sant comme ils l’ont fait, les fran­co­phones ont sim­ple­ment réus­si à mettre Bart De Wever sur un pié­des­tal en Flandre.

Non, le pire n’est pré­sent ni dans ces prises de posi­tion de ces par­tis ni dans l’organe de presse popu­laire qui livre en quelques pages une infor­ma­tion de qua­li­té. Ils sont loin de hur­ler avec les loups.

De cette rumeur agres­sive, c’est dans le cour­rier des lec­teurs (p. 20) qu’on trou­ve­ra les échos una­nimes. Voi­ci quelques échantillons.

« Depuis des décen­nies, les Fla­mands sont accou­tu­més au “non” du Sud, mais cette fois, on sent par trop qu’il s’agit plus de cal­cul que de res­pon­sa­bi­li­té politique. […].

Ils veulent seule­ment conser­ver ce qu’ils ont obte­nu mal­hon­nê­te­ment ou par la force. […].

Il est clair que, main­te­nant, la Flandre doit appro­fon­dir les scé­na­rios alter­na­tifs. Les fran­co­phones ont mon­tré leur peu de res­pect pour la Flandre et la constel­la­tion fédé­rale, et main­te­nant c’est plus qu’assez. […].

Dans la pers­pec­tive uto­pique où un accord inter­vien­drait, les fran­co­phones n’en res­pec­te­raient pas les clauses parce qu’ils n’ont qu’un but : l’argent. » Enzo­voort.

Le pire, le voi­là, alors que la com­pa­rai­son avec les décla­ra­tions poli­tiques et la part rédac­tion­nelle du quo­ti­dien contre­disent les cari­ca­tures et les omis­sions à tra­vers les­quelles, de ce côté de la fron­tière lin­guis­tique, on a sou­vent oppo­sé le « bon peuple » aux poli­tiques et à la presse qui l’exciteraient.

Le jour­nal refer­mé, voi­ci sur la page de cou­ver­ture un Bart replet, mais ten­du. On sait qu’il affec­tionne les cita­tions latines. Dédions lui celle-ci : « In medio vir­tus ». En face, un Elio élé­gant, l’œil en éveil : « Fratres, sobrii estote et vigi­late. » (Frères, soyez sobres et vigi­lants). En l’occurrence, est-ce un excès de vigi­lance ou un manque de stra­té­gie consé­quente et cohé­rente qui a inhi­bé la sobrié­té des par­tis fran­co­phones et dic­té une réac­tion aus­si pré­ci­pi­tée que contre­pro­duc­tive ? Tant qu’on en est aux dédi­caces éru­dites, en voi­ci une, à des­ti­na­tion des fai­seurs d’opinion avides d’une infor­ma­tion rapide et exci­tante : « Pierre qui roule n’amasse pas mousse ».

Et que dire à Jozef, Dirk, Filip, qui ont déver­sé leur mépris dans « De brief van de dag ? » Latin et La Fon­taine, ils ne connaissent peut-être pas. Mais bien cette dési­gna­tion d’une fleur : « Ver­geet mij niet» ; non, les fran­co­phones, les Wal­lons, ne sont pas sim­ple­ment ce que vous pensez.

Le « mur de la honte » s’est effon­dré en 1990. On connait aus­si celui qui a été édi­fié entre Israël et la Pales­tine occu­pée. Mais les pires sont les murs d’ignorance qui en viennent à étouf­fer toute capa­ci­té de cette « rede­lij­kheid » à laquelle Lies­beth Van Impe fait appel à la fin de son édi­to­rial. À cha­cun, s’il est encore temps, de déblayer de son côté du mur.

Le 21 octobre 2010

Paul Géradin


Auteur

Professeur émérite en sciences sociales de l'ICHEC