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Élections communales, coalitions et démocratie
Les élections communales ne concernent pas seulement les projets politiques des partis en présence ou la désignation des équipes chargées du gouvernement des communes, elles sont aussi l’occasion d’éprouver les règles ou les procédures qui les organisent. Ainsi, le scrutin d’octobre 2012 a été une nouvelle occasion d’interroger le caractère démocratique des procédures de constitution des […]
Les élections communales ne concernent pas seulement les projets politiques des partis en présence ou la désignation des équipes chargées du gouvernement des communes, elles sont aussi l’occasion d’éprouver les règles ou les procédures qui les organisent. Ainsi, le scrutin d’octobre 2012 a été une nouvelle occasion d’interroger le caractère démocratique des procédures de constitution des coalitions. La question a été posée à Bruxelles (Molenbeek, Bruxelles-Ville, Watermael-Boisfort) et en Wallonie (Verviers, Namur), mais on retiendra ici les cas bruxellois pour leur valeur illustrative, mais aussi leur diversité.
La crudité de la vie politique
À Watermael-Boisfort, la bourgmestre sortante, Martine Payfa, tête de liste du parti dominant, a été renversée par une coalition conduite par le candidat bourgmestre Écolo, Olivier Deleuze. M. Payfa a protesté en excipant d’une sorte de droit du parti dominant à qui reviendrait l’initiative de tenter de construire une coalition. En la matière un autre argument a prévalu : la capacité de construire une coalition autour d’une dynamique ou d’un projet. La liste de la bourgmestre Payfa arrivait en tête avec 33,1 % des voix et 10 sièges (en 2006 : 5 108 voix et 11 siè- ges). Écolo-Groen passait de 2 981 voix et 6 sièges à 3 246 voix et 7 sièges. La logique du premier parti aurait donné la main à la formation de la bourgmestre ; la logique de la dynamique à la liste Écolo-Groen. En outre, Écolo avait annoncé son ambition d’obtenir le poste de bourgmestre et la coalition nouvelle (un « pacte de majorité ») rendait possible cet objectif. La procédure n’est pas contraire à la démocratie ; l’application à cette commune des règles prévalant en Wallonie aurait abouti aux mêmes résultats 1.
À Bruxelles-Ville, le cas est différent et concerne les alliances et leur renversement : une coalition PS-MR succède à une alliance PS-CDH. Il n’est évidemment pas possible de démontrer qu’un accord existait entre PS et MR (l’alliance « laïque ») même si, les langues se déliant, il semble qu’aient existé deux accords officieux (PS-MR et PS-CDH), mais la chose est impossible à établir formellement, les versions étant contradictoires entre elles. Le vote donne une priorité au PS-SP.A (31,3 %), suivi du CDH (21,4) et du MR-Open VLD (17,9). Le PS-SP.A dispose de 18 sièges, CDH et MRVLD chacun de 10. L’argument avancé par le PS pour choisir l’alliance avec le MR-VLD est que, même si le CDH restait le second parti en nombre de voix, il reculait (en voix et en siège) par rapport à 2006. Les données se contredisent : le classement en nombre de voix (et notamment les indications des voix de préférence) pouvait indiquer l’opportunité d’une coalition PS-SP.A‑CDH. Les tendances du scrutin pouvaient indiquer autre chose : une décroissance du CDH (de 13 793 voix en 2006 à 11 390 en 2012), mais le PS perdait aussi des voix (de 20 160 en 2006 à 18 240 en 2012). Ce qui indique que d’autres considérations avaient pu intervenir ; avant les élections, certains au PS avaient critiqué la gestion d’échevins CDH, ce qui pouvait être considéré comme une manière de préparer des arguments en vue d’un changement d’alliance. Ce reproche, vivement contesté par les personnes objets de ces critiques, avait été jugé par d’autres comme une fort médiocre justification.
À Molenbeek-Saint-Jean, la liste du bourgmestre (PS + CDH-CD&V) avait obtenu en 2006, 13 663 voix (39,5 %) et 19 sièges. Une formation équivalente, mais sans le CDH-CD&V, toujours autour du bourgmestre Moureaux, fait en 2012 10 647 voix (29,2 %) et 16 sièges. Le MR, prétendant au poste de bourgmestre, perd aussi des voix (de 11 142 à 9 804) et un siège (de 16 à 15). Les deux listes ont une vocation de leadeurship, mais, malgré leur position dominante, elles sont également fragiles. Qui a la main ? La liste la plus importante, même si elle décline en termes relatifs ? Qu’en pensent les autres listes susceptibles de jouer un rôle pivot ? Écolo gagne des voix et un siège (passant de 3 à 4). Le CDH-CD&V fait 6 sièges. Ensemble, MR (prétendant affiché au mayorat), CDH-CD&V et Écolo-Groen sont en mesure de constituer une majorité solide, ce qui suffit en soi comme argument sans qu’il soit nécessaire de recourir à une autre justification (le « pacte de majorité »).
La politique est un jeu parfois très brutal. La constitution d’une coalition s’accompagne souvent de blessures d’amour-propre, de maladresses inévitables, parfois de véritables déloyautés d’autant plus difficiles à vivre qu’elles ont pour origine des personnes ré- putées proches. Il est peu de situation où dominerait l’élégance, à moins qu’elles soient ignorées parce que, par définition, peu spectaculaires. La force des intérêts fait douter cependant de la possibilité réelle de civiliser la politique par des codes de conduite qui s’imposeraient à tous.
Les effets inattendus
Dans la constitution des coalitions à Bruxelles, il est difficile de dégager des fils conducteurs généraux. La perspective des alliances à constituer pour gouverner la Région bruxelloise en 2014 ne semble pas avoir joué. Ainsi, on a dit qu’en 2006, les états-majors des partis (PS, CDH et Écolo) avaient recommandé de constituer là où c’était possible des alliances de type Olivier. La volonté de maintien de l’Olivier aurait impliqué plus de circonspection de la part du PS là où il avait la main. Il eût fallu également que les directions des partis interviennent de manière beaucoup plus directive, ce qui n’a manifestement pas été le cas, ni du côté du PS (volonté ou capacité ?), du CDH ou d’Écolo (désireux de laisser le jeu ouvert?). Cette recommandation n’a manifestement pas été proposée en 2012 sans qu’on en connaisse les raisons : changement de direction à la tête des partis (PS et CDH), changement de straté- gie (l’hypothèse d’un rapprochement MR-CDH, ou, au contraire la motivation de certains au PS de travailler avec le MR). Chacune de ces hypothèses trouve des démentis locaux. Mais toutes sont localement plausibles. La seule chose qui semble claire, c’est que l’Olivier n’a plus constitué une ligne politique forte.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les conséquences imprévues de choix locaux ou les effets papillons2. En l’absence apparente de mots d’ordre généraux, certains choix peuvent exprimer des problématiques très locales, voire des choix qui trouvent leur origine dans des préférences ou des équations individuelles. Ainsi certains ont expliqué le choix de l’alliance PS-MR à la ville de Bruxelles (vieux tropisme local qui s’éclairerait historiquement par des préférences laïques) par le ressentiment d’Yvan Mayeur (2 662 voix de préfé- rences) censé succéder à Freddy Thielemans à la fonction de bourgmestre dans trois ans, à l’égard de Joëlle Milquet (5 040 voix). Ce choix du PS à Bruxelles, a eu pour effet possible de rejeter dans l’opposition le PS de Molenbeek et son emblématique bourgmestre Philippe Moureaux. Peut-être aussi, au moment de la confection de la nouvelle coalition à Molenbeek, Écolo s’est-il souvenu de la manière dont Philippe Moureaux, alors président de la fédération bruxelloise du PS l’avait éjecté du gouvernement de BruxellesVille en rétorsion contre l’attitude des verts à Schaerbeek qui avait contribué à l’échec de Laurette Onkelinx ? Il n’empêche que des cascades d’évènements locaux de ce type peuvent aboutir à des configurations inédites et à l’émergence de lignes de force imprévues. Celles-ci auront-elles un effet à terme, lors des élections régionales de 2014, qui verra très probablement le MR prétendre à un leadeurship que lui interdit aujourd’hui sa relé- gation dans l’opposition ? Enfin, et sur un ton mineur, on se souviendra que pour la théorie du chaos, les effets papillons sont réputés être à l’origine de situations ingérables…
Démocratie et transparence
Peut-être faudrait-il tenter de distinguer les motivations explicites des conséquences pratiques ? Les conséquences, c’est-à-dire les choix réellement réalisés, les coalitions, les alliances présidant à la constitution des collèges communaux ne permettent pas toujours de remonter aux motivations ou aux projets parce que les jeux ne sont pas transparents ou sont brouillés. Il est donc fort difficile de chercher de l’unité dans ce qui est multiple et complexe. Ainsi, les seules situations vraiment claires sont celles où des coalitions s’étaient présentées comme telles à l’électeur. À Schaerbeek, un projet de coalition associant spécifiquement autour du bourgmestre Bernard Clerfayt le FDF, le CDH et Écolo-Groen s’était présenté devant les électeurs, les mettant ainsi devant un choix clair. De manière générale, la constitution des coalitions au lendemain des élections communales de 2012 indique une nouvelle fois l’utilité de rendre publics les projets d’alliance. Les principes démocratiques seraient honorés par cette publicité de manière à ce que l’électeur sache le choix que son vote engage. Un accord secret fausse le jeu. Le reproche de ne pas respecter un accord n’a d’ailleurs de sens que si celui-ci était public.
Cette proposition générale a une limite. L’exercice de la démocratie implique-t-il une transparence générale ? Sans doute pour un certain nombre de règles. Ainsi, les choix sont mieux informés et plus clairs lorsqu’un projet de coalition et ses conditions sont formellement annoncés avant les élections. Mais, pour le reste, ne faut-il pas laisser une zone de latitude afin que les acteurs puissent y exercer leur responsabilité, quitte à soumettre le produit de leur choix à la sanction des électeurs lors d’une autre consultation ? Certains, notamment au MR, estiment que le scrutin majoritaire à deux tours faciliterait le choix par la publicité donnée au projet de coalition soumis à l’appréciation des électeurs au deuxiè- me tour de scrutin. Mais c’est oublier que ce mode de scrutin a pour inconvénient d’écraser les listes minoritaires et les exclure de la représentation. Le PS compte aujourd’hui 93 bourgmestres dont 84 (soit 90,3 %) disposent d’une majorité absolue ! Le MR compte 101 bourgmestres et 54 d’entre eux (soit 53,4 %) sont dans la même situation. Un examen des données du scrutin de 2012 indiquerait sans doute que, dans la majorité des cas, le scrutin majoritaire à deux tours multiplierait les situations de majorité absolue, affaiblissant la représentation et, paradoxalement, diminuerait les coalitions. L’exemple de communes dominées par une majorité absolue n’indique pas que le gain éventuel en termes de facilité de gouvernance s’accompagne nécessairement d’une qualité démocratique.
Les élections communales d’octobre 2012 ont une nouvelle fois indiqué que les règles régissant la détermination du gouvernement des communes — le cadre politique le plus ancien et le plus proche de chaque citoyen — étaient toujours perfectibles. La démocratie politique doit être vérifiée et vérifiable au plus près des gens pour être crédible. Ici, plus qu’ailleurs encore, la politique et les choix qu’elle organise doivent êtres clairs et lisibles sous peine de se résumer à une boite noire ou, à l’inverse, à un spectacle qui laissera bientôt indifférents les citoyens que n’intéressent plus les bals des bourgmestre
- le bourgmestre est le conseiller ayant obtenu le plus de voix de la liste la plus importante du pacte de majorité.
- rien à voir avec l’attribut vestimentaire favori du Premier ministre. l’effet papillon, dans la théorie du chaos, indique comment une cause infime peut avoir des conséquences redoutables. inversement, cette expression vise l’état de fragilité d’un système qui peut être mis en déséquilibre par une cause minime : le battement d’aile d’un papillon déclenchant une tornade dans une zone géographique très éloignée.