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Élections communales, coalitions et démocratie

Numéro 11 Novembre 2012 par Michel Molitor

novembre 2012

Les élec­tions com­mu­nales ne concernent pas seule­ment les pro­jets poli­tiques des par­tis en pré­sence ou la dési­gna­tion des équipes char­gées du gou­ver­ne­ment des com­munes, elles sont aus­si l’oc­ca­sion d’é­prou­ver les règles ou les pro­cé­dures qui les orga­nisent. Ain­si, le scru­tin d’oc­tobre  2012 a été une nou­velle occa­sion d’in­ter­ro­ger le carac­tère démo­cra­tique des pro­cé­dures de consti­tu­tion des […]

Les élec­tions com­mu­nales ne concernent pas seule­ment les pro­jets poli­tiques des par­tis en pré­sence ou la dési­gna­tion des équipes char­gées du gou­ver­ne­ment des com­munes, elles sont aus­si l’oc­ca­sion d’é­prou­ver les règles ou les pro­cé­dures qui les orga­nisent. Ain­si, le scru­tin d’oc­tobre  2012 a été une nou­velle occa­sion d’in­ter­ro­ger le carac­tère démo­cra­tique des pro­cé­dures de consti­tu­tion des coa­li­tions. La ques­tion a été posée à Bruxelles (Molen­beek, Bruxelles-Ville, Water­mael-Bois­fort) et en Wal­lo­nie (Ver­viers, Namur), mais on retien­dra ici les cas bruxel­lois pour leur valeur illus­tra­tive, mais aus­si leur diversité.

La cru­di­té de la vie politique

À Water­mael-Bois­fort, la bourg­mestre sor­tante, Mar­tine Pay­fa, tête de liste du par­ti domi­nant, a été ren­ver­sée par une coa­li­tion conduite par le can­di­dat bourg­mestre Éco­lo, Oli­vier Deleuze. M. Pay­fa a pro­tes­té en exci­pant d’une sorte de droit du par­ti domi­nant à qui revien­drait l’i­ni­tia­tive de ten­ter de construire une coa­li­tion. En la matière un autre argu­ment a pré­va­lu : la capa­ci­té de construire une coa­li­tion autour d’une dyna­mique ou d’un pro­jet. La liste de la bourg­mestre Pay­fa arri­vait en tête avec 33,1 % des voix et 10 sièges (en 2006 : 5 108 voix et 11 siè- ges). Éco­lo-Groen pas­sait de 2 981 voix et 6 sièges à 3 246 voix et 7 sièges. La logique du pre­mier par­ti aurait don­né la main à la for­ma­tion de la bourg­mestre ; la logique de la dyna­mique à la liste Éco­lo-Groen. En outre, Éco­lo avait annon­cé son ambi­tion d’ob­te­nir le poste de bourg­mestre et la coa­li­tion nou­velle (un « pacte de majo­ri­té ») ren­dait pos­sible cet objec­tif. La pro­cé­dure n’est pas contraire à la démo­cra­tie ; l’ap­pli­ca­tion à cette com­mune des règles pré­va­lant en Wal­lo­nie aurait abou­ti aux mêmes résul­tats 1.

À Bruxelles-Ville, le cas est dif­fé­rent et concerne les alliances et leur ren­ver­se­ment : une coa­li­tion PS-MR suc­cède à une alliance PS-CDH. Il n’est évi­dem­ment pas pos­sible de démon­trer qu’un accord exis­tait entre PS et MR (l’al­liance « laïque ») même si, les langues se déliant, il semble qu’aient exis­té deux accords offi­cieux (PS-MR et PS-CDH), mais la chose est impos­sible à éta­blir for­mel­le­ment, les ver­sions étant contra­dic­toires entre elles. Le vote donne une prio­ri­té au PS-SP.A (31,3 %), sui­vi du CDH (21,4) et du MR-Open VLD (17,9). Le PS-SP.A dis­pose de 18 sièges, CDH et MRVLD cha­cun de 10. L’ar­gu­ment avan­cé par le PS pour choi­sir l’al­liance avec le MR-VLD est que, même si le CDH res­tait le second par­ti en nombre de voix, il recu­lait (en voix et en siège) par rap­port à 2006. Les don­nées se contre­disent : le clas­se­ment en nombre de voix (et notam­ment les indi­ca­tions des voix de pré­fé­rence) pou­vait indi­quer l’op­por­tu­ni­té d’une coa­li­tion PS-SP.A‑CDH. Les ten­dances du scru­tin pou­vaient indi­quer autre chose : une décrois­sance du CDH (de 13 793 voix en 2006 à 11 390 en 2012), mais le PS per­dait aus­si des voix (de 20 160 en 2006 à 18 240 en 2012). Ce qui indique que d’autres consi­dé­ra­tions avaient pu inter­ve­nir ; avant les élec­tions, cer­tains au PS avaient cri­ti­qué la ges­tion d’é­che­vins CDH, ce qui pou­vait être consi­dé­ré comme une manière de pré­pa­rer des argu­ments en vue d’un chan­ge­ment d’al­liance. Ce reproche, vive­ment contes­té par les per­sonnes objets de ces cri­tiques, avait été jugé par d’autres comme une fort médiocre justification.

À Molen­beek-Saint-Jean, la liste du bourg­mestre (PS + CDH-CD&V) avait obte­nu en 2006, 13 663 voix (39,5 %) et 19 sièges. Une for­ma­tion équi­va­lente, mais sans le CDH-CD&V, tou­jours autour du bourg­mestre Mou­reaux, fait en 2012 10 647 voix (29,2 %) et 16 sièges. Le MR, pré­ten­dant au poste de bourg­mestre, perd aus­si des voix (de 11 142 à 9 804) et un siège (de 16 à 15). Les deux listes ont une voca­tion de lea­deur­ship, mais, mal­gré leur posi­tion domi­nante, elles sont éga­le­ment fra­giles. Qui a la main ? La liste la plus impor­tante, même si elle décline en termes rela­tifs ? Qu’en pensent les autres listes sus­cep­tibles de jouer un rôle pivot ? Éco­lo gagne des voix et un siège (pas­sant de 3 à 4). Le CDH-CD&V fait 6 sièges. Ensemble, MR (pré­ten­dant affi­ché au mayo­rat), CDH-CD&V et Éco­lo-Groen sont en mesure de consti­tuer une majo­ri­té solide, ce qui suf­fit en soi comme argu­ment sans qu’il soit néces­saire de recou­rir à une autre jus­ti­fi­ca­tion (le « pacte de majorité »).

La poli­tique est un jeu par­fois très bru­tal. La consti­tu­tion d’une coa­li­tion s’ac­com­pagne sou­vent de bles­sures d’a­mour-propre, de mal­adresses inévi­tables, par­fois de véri­tables déloyau­tés d’au­tant plus dif­fi­ciles à vivre qu’elles ont pour ori­gine des per­sonnes ré- putées proches. Il est peu de situa­tion où domi­ne­rait l’é­lé­gance, à moins qu’elles soient igno­rées parce que, par défi­ni­tion, peu spec­ta­cu­laires. La force des inté­rêts fait dou­ter cepen­dant de la pos­si­bi­li­té réelle de civi­li­ser la poli­tique par des codes de conduite qui s’im­po­se­raient à tous.

Les effets inattendus

Dans la consti­tu­tion des coa­li­tions à Bruxelles, il est dif­fi­cile de déga­ger des fils conduc­teurs géné­raux. La pers­pec­tive des alliances à consti­tuer pour gou­ver­ner la Région bruxel­loise en 2014 ne semble pas avoir joué. Ain­si, on a dit qu’en 2006, les états-majors des par­tis (PS, CDH et Éco­lo) avaient recom­man­dé de consti­tuer là où c’é­tait pos­sible des alliances de type Oli­vier. La volon­té de main­tien de l’O­li­vier aurait impli­qué plus de cir­cons­pec­tion de la part du PS là où il avait la main. Il eût fal­lu éga­le­ment que les direc­tions des par­tis inter­viennent de manière beau­coup plus direc­tive, ce qui n’a mani­fes­te­ment pas été le cas, ni du côté du PS (volon­té ou capa­ci­té ?), du CDH ou d’É­co­lo (dési­reux de lais­ser le jeu ouvert?). Cette recom­man­da­tion n’a mani­fes­te­ment pas été pro­po­sée en 2012 sans qu’on en connaisse les rai­sons : chan­ge­ment de direc­tion à la tête des par­tis (PS et CDH), chan­ge­ment de stra­té- gie (l’hy­po­thèse d’un rap­pro­che­ment MR-CDH, ou, au contraire la moti­va­tion de cer­tains au PS de tra­vailler avec le MR). Cha­cune de ces hypo­thèses trouve des démen­tis locaux. Mais toutes sont loca­le­ment plau­sibles. La seule chose qui semble claire, c’est que l’O­li­vier n’a plus consti­tué une ligne poli­tique forte.

Par ailleurs, il ne faut pas sous-esti­mer les consé­quences impré­vues de choix locaux ou les effets papillons2. En l’ab­sence appa­rente de mots d’ordre géné­raux, cer­tains choix peuvent expri­mer des pro­blé­ma­tiques très locales, voire des choix qui trouvent leur ori­gine dans des pré­fé­rences ou des équa­tions indi­vi­duelles. Ain­si cer­tains ont expli­qué le choix de l’al­liance PS-MR à la ville de Bruxelles (vieux tro­pisme local qui s’é­clai­re­rait his­to­ri­que­ment par des pré­fé­rences laïques) par le res­sen­ti­ment d’Y­van Mayeur (2 662 voix de pré­fé- rences) cen­sé suc­cé­der à Fred­dy Thie­le­mans à la fonc­tion de bourg­mestre dans trois ans, à l’é­gard de Joëlle Mil­quet (5 040 voix). Ce choix du PS à Bruxelles, a eu pour effet pos­sible de reje­ter dans l’op­po­si­tion le PS de Molen­beek et son emblé­ma­tique bourg­mestre Phi­lippe Mou­reaux. Peut-être aus­si, au moment de la confec­tion de la nou­velle coa­li­tion à Molen­beek, Éco­lo s’est-il sou­ve­nu de la manière dont Phi­lippe Mou­reaux, alors pré­sident de la fédé­ra­tion bruxel­loise du PS l’a­vait éjec­té du gou­ver­ne­ment de Bruxel­les­Ville en rétor­sion contre l’at­ti­tude des verts à Schaer­beek qui avait contri­bué à l’é­chec de Lau­rette Onke­linx ? Il n’empêche que des cas­cades d’é­vè­ne­ments locaux de ce type peuvent abou­tir à des confi­gu­ra­tions inédites et à l’é­mer­gence de lignes de force impré­vues. Celles-ci auront-elles un effet à terme, lors des élec­tions régio­nales de 2014, qui ver­ra très pro­ba­ble­ment le MR pré­tendre à un lea­deur­ship que lui inter­dit aujourd’­hui sa relé- gation dans l’op­po­si­tion ? Enfin, et sur un ton mineur, on se sou­vien­dra que pour la théo­rie du chaos, les effets papillons sont répu­tés être à l’o­ri­gine de situa­tions ingérables…

Démo­cra­tie et transparence

Peut-être fau­drait-il ten­ter de dis­tin­guer les moti­va­tions expli­cites des consé­quences pra­tiques ? Les consé­quences, c’est-à-dire les choix réel­le­ment réa­li­sés, les coa­li­tions, les alliances pré­si­dant à la consti­tu­tion des col­lèges com­mu­naux ne per­mettent pas tou­jours de remon­ter aux moti­va­tions ou aux pro­jets parce que les jeux ne sont pas trans­pa­rents ou sont brouillés. Il est donc fort dif­fi­cile de cher­cher de l’u­ni­té dans ce qui est mul­tiple et com­plexe. Ain­si, les seules situa­tions vrai­ment claires sont celles où des coa­li­tions s’é­taient pré­sen­tées comme telles à l’é­lec­teur. À Schaer­beek, un pro­jet de coa­li­tion asso­ciant spé­ci­fi­que­ment autour du bourg­mestre Ber­nard Cler­fayt le FDF, le CDH et Éco­lo-Groen s’é­tait pré­sen­té devant les élec­teurs, les met­tant ain­si devant un choix clair. De manière géné­rale, la consti­tu­tion des coa­li­tions au len­de­main des élec­tions com­mu­nales de 2012 indique une nou­velle fois l’u­ti­li­té de rendre publics les pro­jets d’al­liance. Les prin­cipes démo­cra­tiques seraient hono­rés par cette publi­ci­té de manière à ce que l’é­lec­teur sache le choix que son vote engage. Un accord secret fausse le jeu. Le reproche de ne pas res­pec­ter un accord n’a d’ailleurs de sens que si celui-ci était public.

Cette pro­po­si­tion géné­rale a une limite. L’exer­cice de la démo­cra­tie implique-t-il une trans­pa­rence géné­rale ? Sans doute pour un cer­tain nombre de règles. Ain­si, les choix sont mieux infor­més et plus clairs lors­qu’un pro­jet de coa­li­tion et ses condi­tions sont for­mel­le­ment annon­cés avant les élec­tions. Mais, pour le reste, ne faut-il pas lais­ser une zone de lati­tude afin que les acteurs puissent y exer­cer leur res­pon­sa­bi­li­té, quitte à sou­mettre le pro­duit de leur choix à la sanc­tion des élec­teurs lors d’une autre consul­ta­tion ? Cer­tains, notam­ment au MR, estiment que le scru­tin majo­ri­taire à deux tours faci­li­te­rait le choix par la publi­ci­té don­née au pro­jet de coa­li­tion sou­mis à l’ap­pré­cia­tion des élec­teurs au deuxiè- me tour de scru­tin. Mais c’est oublier que ce mode de scru­tin a pour incon­vé­nient d’é­cra­ser les listes mino­ri­taires et les exclure de la repré­sen­ta­tion. Le PS compte aujourd’­hui 93 bourg­mestres dont 84 (soit 90,3 %) dis­posent d’une majo­ri­té abso­lue ! Le MR compte 101 bourg­mestres et 54 d’entre eux (soit 53,4 %) sont dans la même situa­tion. Un exa­men des don­nées du scru­tin de 2012 indi­que­rait sans doute que, dans la majo­ri­té des cas, le scru­tin majo­ri­taire à deux tours mul­ti­plie­rait les situa­tions de majo­ri­té abso­lue, affai­blis­sant la repré­sen­ta­tion et, para­doxa­le­ment, dimi­nue­rait les coa­li­tions. L’exemple de com­munes domi­nées par une majo­ri­té abso­lue n’in­dique pas que le gain éven­tuel en termes de faci­li­té de gou­ver­nance s’ac­com­pagne néces­sai­re­ment d’une qua­li­té démocratique.


Les élec­tions com­mu­nales d’oc­tobre 2012 ont une nou­velle fois indi­qué que les règles régis­sant la déter­mi­na­tion du gou­ver­ne­ment des com­munes — le cadre poli­tique le plus ancien et le plus proche de chaque citoyen — étaient tou­jours per­fec­tibles. La démo­cra­tie poli­tique doit être véri­fiée et véri­fiable au plus près des gens pour être cré­dible. Ici, plus qu’ailleurs encore, la poli­tique et les choix qu’elle orga­nise doivent êtres clairs et lisibles sous peine de se résu­mer à une boite noire ou, à l’in­verse, à un spec­tacle qui lais­se­ra bien­tôt indif­fé­rents les citoyens que n’in­té­ressent plus les bals des bourgmestre

  1. le bourg­mestre est le conseiller ayant obte­nu le plus de voix de la liste la plus impor­tante du pacte de majorité.
  2. rien à voir avec l’at­tri­but ves­ti­men­taire favo­ri du Pre­mier ministre. l’ef­fet papillon, dans la théo­rie du chaos, indique com­ment une cause infime peut avoir des consé­quences redou­tables. inver­se­ment, cette expres­sion vise l’é­tat de fra­gi­li­té d’un sys­tème qui peut être mis en dés­équi­libre par une cause minime : le bat­te­ment d’aile d’un papillon déclen­chant une tor­nade dans une zone géo­gra­phique très éloignée.

Michel Molitor


Auteur

Sociologue. Michel Molitor est professeur émérite de l’UCLouvain. Il a été directeur de {La Revue nouvelle} de 1981 à 1993. Ses domaines d’enseignement et de recherches sont la sociologie des organisations, la sociologie des mouvements sociaux, les relations industrielles.