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Élections 2004 : quelques ombres aux tableaux

Numéro 8 Août 2004 par Théo Hachez

août 2004

Tout le monde peut se trom­per. Les élec­teurs aus­si ? Oui, cela arrive qu’ils se four­voient objec­ti­ve­ment et il faut avoir le cou­rage de le dire. Car même si l’er­reur fait par­tie des droits démo­cra­tiques, comme la non­cha­lance, elle est sou­vent le pro­duit d’un sys­tème orga­ni­sé. Moins d’un Euro­péen sur deux a expri­mé un vote le 13 […]

Tout le monde peut se trom­per. Les élec­teurs aus­si ? Oui, cela arrive qu’ils se four­voient objec­ti­ve­ment et il faut avoir le cou­rage de le dire. Car même si l’er­reur fait par­tie des droits démo­cra­tiques, comme la non­cha­lance, elle est sou­vent le pro­duit d’un sys­tème organisé.

Moins d’un Euro­péen sur deux a expri­mé un vote le 13 juin der­nier. Et ceux qui ont dai­gné se dépla­cer jus­qu’à l’urne l’ont géné­ra­le­ment fait, semble-t-il, pour régler son compte à une majo­ri­té natio­nale pré­ma­tu­ré­ment usée par l’exer­cice du pou­voir ou par une conjonc­ture éco­no­mique cha­grine. Il est vrai que toutes les condi­tions sem­blaient réunies pour un tel échec. Car faute d’un texte consti­tu­tion­nel ache­vé, faute d’une posi­tion claire des groupes poli­tiques sur celui-ci, faute tout sim­ple­ment de pro­grammes lisibles au niveau conti­nen­tal et faute encore d’a­voir consul­té les opi­nions sur l’é­lar­gis­se­ment de l’U­nion (sauf celle des pays adhé­rents où un réfé­ren­dum avait eu lieu), ce déca­lage démo­cra­tique était en effet comme pro­gram­mé. Comme on le lira dans l’a­na­lyse de Chris­tophe Degryse, le résul­tat final de cette élec­tion est mor­ce­lé et indé­cis : aucun man­dat, aucune orien­ta­tion claire n’en res­sort pour l’Eu­rope à venir. Et il fau­dra toutes ses lumières pour com­prendre quel usage les groupes poli­tiques euro­péens, qui sont sou­vent des constel­la­tions instables et incon­sis­tantes, feront de cette lati­tude qui leur est don­née de gérer leur rap­port de force au sein du nou­veau Par­le­ment européen.

En Bel­gique, et par­ti­cu­liè­re­ment en Flandre, une autre imper­ti­nence élec­to­rale de même nature a pris un tour patho­lo­gique : la cam­pagne des élec­tions régio­nales y a été domi­née par des reven­di­ca­tions aux­quelles seul peut faire droit un Par­le­ment fédé­ral que l’on a renou­ve­lé voi­ci un an à peine, sans trop se sou­cier de tout cela appa­rem­ment… Le débat des élec­tions régio­nales aurait dû tour­ner autour d’un thème cen­tral : le bon (le meilleur ?) usage que la Flandre fera de son auto­no­mie. Au lieu de cela, les par­tis fla­mands se sont lan­cés dans une sur­en­chère dans la demande de com­pé­tences nou­velles pour la Flandre, ce qui a l’in­con­vé­nient de recon­naitre au Blok une lon­gueur d’a­vance. En 1999 déjà, ce sont les réso­lu­tions auto­no­mistes du Par­le­ment fla­mand qui avaient éga­le­ment mono­po­li­sé l’in­té­rêt des élec­tions régio­nales, au détri­ment de leur affi­chage au calen­drier fédé­ral. Quand il s’a­git de se qua­li­fier comme par­te­naire d’une majo­ri­té fédé­rale, les par­tis fla­mands aiment en effet à se mon­trer sous un jour moins intran­si­geant… Sommes-nous condam­nés à revivre éter­nel­le­ment les séquelles d’un conflit com­mu­nau­taire dont l’é­mer­gence aurait mou­lé dans le béton les repré­sen­ta­tions réci­proques des uns et des autres ? C’est le point de départ du com­men­taire ori­gi­nal d’un des­sin de Kroll que pro­pose Benoît Lechat.

Évi­dem­ment, quand on pense erreur des élec­teurs, on pense extrême droite. Pour s’en tenir à la Bel­gique, ses pro­grès sont évi­dents, sauf à Bruxelles. En Flandre, un seuil a été fran­chi, puis­qu’à défaut de l’im­po­ser comme par­te­naire incon­tour­nable d’une majo­ri­té gou­ver­ne­men­tale (ce sera pour la pro­chaine fois ?), le suc­cès du Vlaams Blok lui assure d’en déter­mi­ner de l’ex­té­rieur la com­po­si­tion, comme c’é­tait déjà pré­cé­dem­ment le cas à Anvers. La vitesse acquise par le mou­ve­ment fla­mand, l’am­pleur de ses suc­cès, inter­dit-elle tout dis­cer­ne­ment his­to­rique de la part des concur­rents du Blok ? Explique-t-elle la mol­lesse des répliques qu’on lui donne et la bana­li­sa­tion dont il est l’objet ?

Contrai­re­ment à ce qui est géné­ra­le­ment sup­po­sé, les étin­celles qui sur­gi­raient spon­ta­né­ment du débat ne suf­fisent mani­fes­te­ment pas à l’é­clai­rer. Iner­tie intel­lec­tuelle, com­plexi­té des choix et des ins­ti­tu­tions, com­pli­ci­tés des poli­tiques pour élu­der des débats gênants ou pré­ma­tu­rés, tout peut contri­buer à éga­rer l’é­lec­teur : le dit et, le plus sou­vent, le non-dit. Mais une fois l’er­reur faite, qui la leur dira ? Le monde poli­tique se trouve en défaut de cré­di­bi­li­té pour dénon­cer le com­por­te­ment des citoyens si mal­adroits dans leur vote. Ce n’est pas seule­ment que les uns et les autres appa­rai­traient comme inté­res­sés, c’est aus­si qu’un cer­tain dis­cré­dit affecte indis­tinc­te­ment tous ceux qui ont fait choix de ne plus fâcher per­sonne. Selon une récente enquête, la même désaf­fec­tion frappe en effet les jour­na­listes éga­le­ment, sans doute parce que les deux pro­fes­sions se sont déli­bé­ré­ment sou­mises au mar­ke­ting, la « science » qui leur fait dire ce qu’on veut entendre. D’où la néces­si­té de gar­der un champ poli­tique où cer­tains ne se rendent pas à de telles normes.

Dire oui de façon floue à tout, rha­biller à la fois Paul et Jacques, tel est le noyau uni­ver­sel de la rhé­to­rique contem­po­raine qui fait dire aux poli­tiques et aux médias d’in­for­ma­tion (ce sera le sujet du pro­chain dos­sier de La R.N.), aux jour­na­listes comme aux publi­ci­taires qu’on peut rou­ler dans une voi­ture petite à l’ex­té­rieur et grande à l’in­té­rieur. Le para­doxe n’en est pas un : ne déplaire à per­sonne implique qu’on mente à tous et cela finit par se savoir. La Bel­gique dis­pose d’une pres­ti­gieuse carte sup­plé­men­taire dans son jeu : le roi qui théo­ri­que­ment pour­rait inter­ve­nir dis­crè­te­ment et péda­go­gi­que­ment auprès de l’é­lec­teur four­voyé sans être l’ob­jet des pro­cès d’in­ten­tion qu’on adresse aux poli­tiques. Le 21 juillet a‑t-il été une occa­sion man­quée pour une ins­ti­tu­tion dont seules les ver­tus prag­ma­tiques rachètent une légi­ti­mi­té de prin­cipe problématique ?

Théo Hachez


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