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Efficacité de l’aide ou efficacité du développement ?

Numéro 1 Janvier 2011 par Arnaud Zacharie

janvier 2011

L’a­gen­da de l’ef­fi­ca­ci­té de l’aide a émer­gé dans les années 2000 à la suite du constat du manque de coor­di­na­tion des bailleurs et de la faible appro­pria­tion par les pays béné­fi­ciaires. Bien que cet agen­da repose sur des prin­cipes inté­res­sants, leur concré­ti­sa­tion sur le ter­rain laisse à dési­rer. En outre, il ne peut élu­der la ques­tion fon­da­men­tale de la cohé­rence des poli­tiques inter­na­tio­nales qui ont un impact sou­vent plus impor­tant sur le déve­lop­pe­ment que les poli­tiques d’aide. C’est pour­quoi l’a­gen­da de l’ef­fi­ca­ci­té de l’aide ne peut repré­sen­ter qu’une par­tie de l’a­gen­da plus ambi­tieux de l’ef­fi­ca­ci­té du développement.

Dossier

L’agenda de l’efficacité de l’aide a émer­gé en réponse à plu­sieurs cri­tiques adres­sées aux poli­tiques d’aide des décen­nies précédentes.

D’une part, elles ont été mar­quées par une pro­li­fé­ra­tion de pro­jets dis­pa­rates répon­dant à des objec­tifs et à des pro­cé­dures dis­tincts. Cette frag­men­ta­tion, notam­ment pro­duite par la volon­té des bailleurs de garan­tir une visi­bi­li­té propre aux pro­jets qu’ils financent, a engen­dré une perte d’énergie et d’efficacité impor­tante. Ain­si, selon la Cnu­ced : « La mul­ti­pli­ci­té de dona­teurs ayant des vues, des pro­cé­dures comp­tables et des prio­ri­tés dif­fé­rentes a, par elle-même, créé une situa­tion qui peut au mieux être qua­li­fiée de chao­tique » (Cnu­ced, 2006a).

D’autre part, les poli­tiques d’aide ont géné­ra­le­ment reflé­té davan­tage les inté­rêts des bailleurs que des pays en déve­lop­pe­ment. Au cours de la guerre froide, elles ont repré­sen­té un ins­tru­ment géos­tra­té­gique pour atti­rer ou conser­ver les pays du tiers monde dans le giron des deux pre­miers mondes. Après la guerre froide, elle a essen­tiel­le­ment ser­vi à refi­nan­cer les dettes insou­te­nables des pays en développement.

Enfin, l’aide a été liée à des condi­tions macroé­co­no­miques impo­sées par les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales dans le cadre des pro­grammes d’ajustement struc­tu­rel. De ce fait, elle impli­quait notam­ment pour les pays béné­fi­ciaires de mettre en œuvre des poli­tiques de libé­ra­li­sa­tion et de pri­va­ti­sa­tion qui se révé­lèrent néfastes pour les stra­té­gies de développement.

C’est pour répondre à ces cri­tiques que la décla­ra­tion de Paris et les cinq prin­cipes de l’efficacité de l’aide furent adop­tés en 2005, en vue de mieux coor­don­ner l’aide et de l’aligner sur des stra­té­gies de déve­lop­pe­ment appro­priées par les pays béné­fi­ciaires. Mais mal­gré cer­taines avan­cées, la concré­ti­sa­tion sur le ter­rain de ces prin­cipes se révèle défi­ciente à plus d’un titre.

Bilan critique de l’efficacité de l’aide

Non seule­ment la coor­di­na­tion conti­nue de faire défaut, du fait que les bailleurs res­tent lar­ge­ment atta­chés à leur visi­bi­li­té et à leurs inté­rêts spé­ci­fiques (OCDE, 2009), mais lorsque la coor­di­na­tion a lieu, c’est sou­vent pour don­ner plus de poids à des condi­tions que les pays béné­fi­ciaires sont dès lors contraints d’accepter. En outre, l’appropriation est géné­ra­le­ment réduite à la mise en œuvre d’un pro­gramme avec le FMI et la Banque mon­diale, ce qui empêche un véri­table ali­gne­ment de l’aide sur les stra­té­gies de déve­lop­pe­ment défi­nies par les pays du Sud.

Ain­si, les condi­tion­na­li­tés liées aux finan­ce­ments exté­rieurs des pays en déve­lop­pe­ment ont un impact majeur sur l’efficacité des poli­tiques. Dès le début des années deux-mille, le FMI et la Banque mon­diale ont réfor­mé leurs condi­tion­na­li­tés à la suite des nom­breuses cri­tiques émises à leur sujet (FMI, 2002 ; Banque mon­diale, 2005). Le cadre macroé­co­no­mique pro­mu par ces condi­tion­na­li­tés avait en effet débou­ché sur un enra­ci­ne­ment de la pau­vre­té et des crises finan­cières à répé­ti­tion. Comme l’a résu­mé Joseph Sti­glitz : « La libé­ra­li­sa­tion du com­merce asso­ciée à des taux d’intérêt éle­vés consti­tue une méthode presque infaillible pour détruire les emplois et répandre le chô­mage — aux dépens des pauvres. La libé­ra­li­sa­tion des mar­chés finan­ciers non asso­ciée à une règle­men­ta­tion appro­priée est un moyen à peu près sûr de créer l’instabilité éco­no­mique […]. La pri­va­ti­sa­tion sans sti­mu­la­tion de la concur­rence et sans sur­veillance des abus du pou­voir du mono­pole peut abou­tir à une hausse et non à une baisse des prix pour les consom­ma­teurs. L’austérité bud­gé­taire appli­quée aveu­glé­ment dans une situa­tion inadap­tée peut faire mon­ter le chô­mage et rompre le contrat social » (2002).

Les prin­ci­paux prin­cipes des réformes des condi­tion­na­li­tés ont été l’appropriation des condi­tion­na­li­tés par les pays en déve­lop­pe­ment, l’harmonisation des bailleurs pour assu­rer une meilleure divi­sion des tâches et la réduc­tion du nombre de condi­tion­na­li­tés pour se limi­ter à celles jugées essen­tielles pour la réus­site des pro­grammes. Mais mal­gré ces réformes, les condi­tion­na­li­tés sont deve­nues avec le temps plus com­plexes et intru­sives, dans des domaines de plus en plus larges. Selon la Cnu­ced, le nombre de condi­tion­na­li­tés dépend du degré de sou­plesse que l’on donne à leur défi­ni­tion et une défi­ni­tion large per­met­tait de décomp­ter au milieu des années 2000 jusqu’à cent-soixante-cinq condi­tion­na­li­tés en Afrique sub­sa­ha­rienne et jusqu’à cent-trente dans les autres pays en déve­lop­pe­ment, incluant des mesures de libé­ra­li­sa­tion et de pri­va­ti­sa­tion (Cnu­ced, 2006b).

À la suite de la crise finan­cière de 2008 et de ses réper­cus­sions dans les pays en déve­lop­pe­ment, le FMI a créé une série de nou­velles lignes de finan­ce­ment plus flexibles. Ain­si, selon le FMI, les nou­velles lignes de finan­ce­ment garan­tissent davan­tage d’autonomie aux pays en déve­lop­pe­ment : « La défi­ni­tion des récents pro­grammes dans les pays à faible reve­nu ont mon­tré une flexi­bi­li­té consi­dé­rable, octroyant davan­tage de marges de manœuvre poli­tiques dans le contexte de la crise » (2009). Le FMI relève ain­si que le nombre de condi­tion­na­li­tés a en moyenne dimi­nué de neuf condi­tions par pro­gramme en 2001 – 2004 à six condi­tions en 2008 – 2009 et que, dans cer­tains cas, les condi­tion­na­li­tés ont per­mis de rele­ver les cibles d’inflation, de défi­cits bud­gé­taires et de défi­cits cou­rants pour per­mettre des poli­tiques contra-cycliques et un ren­for­ce­ment de la pro­tec­tion sociale pour les popu­la­tions les plus vul­né­rables. Tou­te­fois, plu­sieurs études concluent, au contraire, que mal­gré leur dimi­nu­tion, les condi­tion­na­li­tés du FMI ont conti­nué d’intégrer des poli­tiques bud­gé­taires et moné­taires res­tric­tives de type pro-cyclique (Third World Net­work, 2009 ; Euro­dad, 2009 ; Cen­ter for Eco­no­mic and Poli­cy Research, 2009).

Cette réa­li­té illustre la dif­fi­cul­té pour les bailleurs de fonds de « mettre les pays en déve­lop­pe­ment sur le siège du conduc­teur », comme l’avait ambi­tion­né la Banque mon­diale à la fin des années nonante. Bien qu’il soit désor­mais admis que les condi­tion­na­li­tés du pas­sé ont empê­ché l’appropriation des stra­té­gies de déve­lop­pe­ment et réduit les marges de manœuvre des pays béné­fi­ciaires de l’aide, les bailleurs ne semblent pas prêts à les aban­don­ner tota­le­ment. Au contraire, l’appropriation prô­née par l’agenda de l’efficacité de l’aide semble se limi­ter à la mise en œuvre effi­cace des pro­grammes des ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales. Cela réduit la marge d’action des pays dépen­dants de l’aide pour mettre en œuvre des stra­té­gies de déve­lop­pe­ment véri­ta­ble­ment appro­priées. Comme le résume la Cnu­ced : « Il existe une ten­sion constante entre l’appropriation natio­nale et le besoin qu’ont les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales et les dona­teurs bila­té­raux d’avoir l’assurance que l’aide qu’ils apportent sera uti­li­sée pour appuyer les stra­té­gies qui leur paraissent cré­dibles » (2008).

Enfin, le débat sur l’efficacité de l’aide ne peut élu­der celui sur sa quan­ti­té. En effet, si les années deux-mille ont enre­gis­tré une aug­men­ta­tion de la quan­ti­té de l’aide, après une décen­nie de forte baisse, il n’en reste pas moins que les niveaux res­tent infé­rieurs à ce qu’ils étaient dans les années sep­tante et quatre-vingt en termes de parts du PNB des pays dona­teurs : l’aide totale est ain­si res­tée lar­ge­ment sous la barre des 0,35% du PNB, alors que les pays de l’OCDE se sont enga­gés à atteindre 0,7%. Tou­te­fois, ces mon­tants ne pèsent guère lourd en com­pa­rai­son avec les flux com­mer­ciaux et finan­ciers inter­na­tio­naux, dont l’impact sur les stra­té­gies de déve­lop­pe­ment est plus déci­sif. C’est pour­quoi l’agenda de l’efficacité de l’aide ne doit pas non plus mas­quer celui de l’efficacité du développement.

[*Évo­lu­tion de l’APD en % du PNB des pays dona­teurs (1970 – 2008)*]

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La cohérence des politiques

L’amélioration de l’efficacité de l’aide est en soi posi­tive. Tou­te­fois, l’aide ne repré­sente qu’une petite par­tie des flux inter­na­tio­naux de finan­ce­ment du déve­lop­pe­ment. En ce sens, l’impact posi­tif de l’aide peut être anni­hi­lé par des poli­tiques com­mer­ciales, finan­cières, migra­toires ou envi­ron­ne­men­tales qui ne res­pectent pas les objec­tifs de déve­lop­pe­ment. En d’autres termes, au sein d’un gou­ver­ne­ment, les objec­tifs du minis­tère de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment sont sus­cep­tibles d’être contre­dits par les poli­tiques menées par ses col­lègues des Finances, du Com­merce exté­rieur ou de l’Intérieur. C’est pour­quoi la cohé­rence des poli­tiques inter­na­tio­nales est un enjeu fon­da­men­tal en termes de développement.

Par exemple, l’absence de régu­la­tion du sys­tème finan­cier inter­na­tio­nal et la spé­cu­la­tion finan­cière que cela pro­voque débouchent sur des crises à répé­ti­tion dont les effets sur le déve­lop­pe­ment sont catas­tro­phiques. Ain­si, selon le FMI et la Banque mon­diale, 64millions de per­sonnes sup­plé­men­taires sont tom­bées dans l’extrême pau­vre­té en 2010 à la suite de la crise finan­cière (FMI – Banque mon­diale, 2010), alors que la crise ali­men­taire avait déjà entrai­né une aug­men­ta­tion de 147 mil­lions de per­sonnes sup­plé­men­taires qui souffrent de la faim entre2006 et2009 (Nations unies, 2010).

Un autre exemple élo­quent concerne la fuite des capi­taux dont sont vic­times les pays en déve­lop­pe­ment. Selon Ray­mond Baker, l’argent illi­cite en cir­cu­la­tion dans le monde s’élève à 1000 mil­liards de dol­lars, dont la moi­tié en pro­ve­nance des pays en déve­lop­pe­ment (2005). Ces mon­tants dépassent de loin les mon­tants d’aide qui pla­fonnent à 120 mil­liards de dol­lars. Selon une étude de Glo­bal Finan­cial Inte­gri­ty, les flux illi­cites qui sont sor­tis d’Afrique entre1970 et 2008 ont repré­sen­té 29 mil­liards de dol­lars par an, alors que l’aide à l’Afrique n’a repré­sen­té que 18 mil­liards par an. Le pire est que le phé­no­mène s’accroit avec le temps, puisque la fuite de capi­taux a repré­sen­té 54 mil­liards de dol­lars par an entre 2001 et 2008, et même 90 mil­liards en 2007 et 2008. Fina­le­ment, le cumul des mon­tants qui ont fui le conti­nent afri­cain depuis 2001 équi­vaut à deux fois le mon­tant de la dette exté­rieure afri­caine (2010). Les auteurs de l’étude pré­cisent par ailleurs qu’ils se sont limi­tés aux don­nées four­nies par les balances des paie­ments et le com­merce exté­rieur des pays en déve­lop­pe­ment, ce qui n’inclut pas les fraudes liées à l’utilisation des para­dis fis­caux et implique qu’il fau­drait pro­ba­ble­ment mul­ti­plier par deux les chiffres de la fuite des capi­taux afri­cains (Alter­na­tives éco­no­miques, 2010).

Enfin, la ques­tion de l’adaptation des pays pauvres aux chan­ge­ments cli­ma­tiques et de la dimi­nu­tion des émis­sions de gaz à effet de serre est deve­nue un enjeu fon­da­men­tal du déve­lop­pe­ment, puisque les prin­ci­pales vic­times des crises cli­ma­tiques sont les pays en déve­lop­pe­ment. Nicho­las Stern estime que ce défi implique une aide finan­cière aux pays en déve­lop­pe­ment repré­sen­tant 1% sup­plé­men­taire du PIB des pays indus­tria­li­sés de l’OCDE (2009).

Ces quelques exemples de l’incohérence des poli­tiques inter­na­tio­nales et des objec­tifs de déve­lop­pe­ment suf­fisent à illus­trer pour­quoi l’agenda de l’efficacité de l’aide n’est pas une fin en soi et ne doit repré­sen­ter qu’un volet de l’efficacité du déve­lop­pe­ment. L’agenda de l’efficacité du déve­lop­pe­ment implique de prendre en compte l’ensemble des poli­tiques inter­na­tio­nales et de les ali­gner sur les objec­tifs inter­na­tio­naux de déve­lop­pe­ment. Cela implique notam­ment de garan­tir la sta­bi­li­té finan­cière et cli­ma­tique inter­na­tio­nale, d’adopter des règles com­mer­ciales inter­na­tio­nales équi­tables et de garan­tir aux pays en déve­lop­pe­ment les marges de manœuvre poli­tiques néces­saires à la mise en œuvre de stra­té­gies de déve­lop­pe­ment véri­ta­ble­ment appropriées.

Arnaud Zacharie


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