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Efficacité de l’aide ou efficacité du développement ?
L’agenda de l’efficacité de l’aide a émergé dans les années 2000 à la suite du constat du manque de coordination des bailleurs et de la faible appropriation par les pays bénéficiaires. Bien que cet agenda repose sur des principes intéressants, leur concrétisation sur le terrain laisse à désirer. En outre, il ne peut éluder la question fondamentale de la cohérence des politiques internationales qui ont un impact souvent plus important sur le développement que les politiques d’aide. C’est pourquoi l’agenda de l’efficacité de l’aide ne peut représenter qu’une partie de l’agenda plus ambitieux de l’efficacité du développement.
L’agenda de l’efficacité de l’aide a émergé en réponse à plusieurs critiques adressées aux politiques d’aide des décennies précédentes.
D’une part, elles ont été marquées par une prolifération de projets disparates répondant à des objectifs et à des procédures distincts. Cette fragmentation, notamment produite par la volonté des bailleurs de garantir une visibilité propre aux projets qu’ils financent, a engendré une perte d’énergie et d’efficacité importante. Ainsi, selon la Cnuced : « La multiplicité de donateurs ayant des vues, des procédures comptables et des priorités différentes a, par elle-même, créé une situation qui peut au mieux être qualifiée de chaotique » (Cnuced, 2006a).
D’autre part, les politiques d’aide ont généralement reflété davantage les intérêts des bailleurs que des pays en développement. Au cours de la guerre froide, elles ont représenté un instrument géostratégique pour attirer ou conserver les pays du tiers monde dans le giron des deux premiers mondes. Après la guerre froide, elle a essentiellement servi à refinancer les dettes insoutenables des pays en développement.
Enfin, l’aide a été liée à des conditions macroéconomiques imposées par les institutions financières internationales dans le cadre des programmes d’ajustement structurel. De ce fait, elle impliquait notamment pour les pays bénéficiaires de mettre en œuvre des politiques de libéralisation et de privatisation qui se révélèrent néfastes pour les stratégies de développement.
C’est pour répondre à ces critiques que la déclaration de Paris et les cinq principes de l’efficacité de l’aide furent adoptés en 2005, en vue de mieux coordonner l’aide et de l’aligner sur des stratégies de développement appropriées par les pays bénéficiaires. Mais malgré certaines avancées, la concrétisation sur le terrain de ces principes se révèle déficiente à plus d’un titre.
Bilan critique de l’efficacité de l’aide
Non seulement la coordination continue de faire défaut, du fait que les bailleurs restent largement attachés à leur visibilité et à leurs intérêts spécifiques (OCDE, 2009), mais lorsque la coordination a lieu, c’est souvent pour donner plus de poids à des conditions que les pays bénéficiaires sont dès lors contraints d’accepter. En outre, l’appropriation est généralement réduite à la mise en œuvre d’un programme avec le FMI et la Banque mondiale, ce qui empêche un véritable alignement de l’aide sur les stratégies de développement définies par les pays du Sud.
Ainsi, les conditionnalités liées aux financements extérieurs des pays en développement ont un impact majeur sur l’efficacité des politiques. Dès le début des années deux-mille, le FMI et la Banque mondiale ont réformé leurs conditionnalités à la suite des nombreuses critiques émises à leur sujet (FMI, 2002 ; Banque mondiale, 2005). Le cadre macroéconomique promu par ces conditionnalités avait en effet débouché sur un enracinement de la pauvreté et des crises financières à répétition. Comme l’a résumé Joseph Stiglitz : « La libéralisation du commerce associée à des taux d’intérêt élevés constitue une méthode presque infaillible pour détruire les emplois et répandre le chômage — aux dépens des pauvres. La libéralisation des marchés financiers non associée à une règlementation appropriée est un moyen à peu près sûr de créer l’instabilité économique […]. La privatisation sans stimulation de la concurrence et sans surveillance des abus du pouvoir du monopole peut aboutir à une hausse et non à une baisse des prix pour les consommateurs. L’austérité budgétaire appliquée aveuglément dans une situation inadaptée peut faire monter le chômage et rompre le contrat social » (2002).
Les principaux principes des réformes des conditionnalités ont été l’appropriation des conditionnalités par les pays en développement, l’harmonisation des bailleurs pour assurer une meilleure division des tâches et la réduction du nombre de conditionnalités pour se limiter à celles jugées essentielles pour la réussite des programmes. Mais malgré ces réformes, les conditionnalités sont devenues avec le temps plus complexes et intrusives, dans des domaines de plus en plus larges. Selon la Cnuced, le nombre de conditionnalités dépend du degré de souplesse que l’on donne à leur définition et une définition large permettait de décompter au milieu des années 2000 jusqu’à cent-soixante-cinq conditionnalités en Afrique subsaharienne et jusqu’à cent-trente dans les autres pays en développement, incluant des mesures de libéralisation et de privatisation (Cnuced, 2006b).
À la suite de la crise financière de 2008 et de ses répercussions dans les pays en développement, le FMI a créé une série de nouvelles lignes de financement plus flexibles. Ainsi, selon le FMI, les nouvelles lignes de financement garantissent davantage d’autonomie aux pays en développement : « La définition des récents programmes dans les pays à faible revenu ont montré une flexibilité considérable, octroyant davantage de marges de manœuvre politiques dans le contexte de la crise » (2009). Le FMI relève ainsi que le nombre de conditionnalités a en moyenne diminué de neuf conditions par programme en 2001 – 2004 à six conditions en 2008 – 2009 et que, dans certains cas, les conditionnalités ont permis de relever les cibles d’inflation, de déficits budgétaires et de déficits courants pour permettre des politiques contra-cycliques et un renforcement de la protection sociale pour les populations les plus vulnérables. Toutefois, plusieurs études concluent, au contraire, que malgré leur diminution, les conditionnalités du FMI ont continué d’intégrer des politiques budgétaires et monétaires restrictives de type pro-cyclique (Third World Network, 2009 ; Eurodad, 2009 ; Center for Economic and Policy Research, 2009).
Cette réalité illustre la difficulté pour les bailleurs de fonds de « mettre les pays en développement sur le siège du conducteur », comme l’avait ambitionné la Banque mondiale à la fin des années nonante. Bien qu’il soit désormais admis que les conditionnalités du passé ont empêché l’appropriation des stratégies de développement et réduit les marges de manœuvre des pays bénéficiaires de l’aide, les bailleurs ne semblent pas prêts à les abandonner totalement. Au contraire, l’appropriation prônée par l’agenda de l’efficacité de l’aide semble se limiter à la mise en œuvre efficace des programmes des institutions financières internationales. Cela réduit la marge d’action des pays dépendants de l’aide pour mettre en œuvre des stratégies de développement véritablement appropriées. Comme le résume la Cnuced : « Il existe une tension constante entre l’appropriation nationale et le besoin qu’ont les institutions financières internationales et les donateurs bilatéraux d’avoir l’assurance que l’aide qu’ils apportent sera utilisée pour appuyer les stratégies qui leur paraissent crédibles » (2008).
Enfin, le débat sur l’efficacité de l’aide ne peut éluder celui sur sa quantité. En effet, si les années deux-mille ont enregistré une augmentation de la quantité de l’aide, après une décennie de forte baisse, il n’en reste pas moins que les niveaux restent inférieurs à ce qu’ils étaient dans les années septante et quatre-vingt en termes de parts du PNB des pays donateurs : l’aide totale est ainsi restée largement sous la barre des 0,35% du PNB, alors que les pays de l’OCDE se sont engagés à atteindre 0,7%. Toutefois, ces montants ne pèsent guère lourd en comparaison avec les flux commerciaux et financiers internationaux, dont l’impact sur les stratégies de développement est plus décisif. C’est pourquoi l’agenda de l’efficacité de l’aide ne doit pas non plus masquer celui de l’efficacité du développement.
[*Évolution de l’APD en % du PNB des pays donateurs (1970 – 2008)*]
La cohérence des politiques
L’amélioration de l’efficacité de l’aide est en soi positive. Toutefois, l’aide ne représente qu’une petite partie des flux internationaux de financement du développement. En ce sens, l’impact positif de l’aide peut être annihilé par des politiques commerciales, financières, migratoires ou environnementales qui ne respectent pas les objectifs de développement. En d’autres termes, au sein d’un gouvernement, les objectifs du ministère de la Coopération au développement sont susceptibles d’être contredits par les politiques menées par ses collègues des Finances, du Commerce extérieur ou de l’Intérieur. C’est pourquoi la cohérence des politiques internationales est un enjeu fondamental en termes de développement.
Par exemple, l’absence de régulation du système financier international et la spéculation financière que cela provoque débouchent sur des crises à répétition dont les effets sur le développement sont catastrophiques. Ainsi, selon le FMI et la Banque mondiale, 64millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l’extrême pauvreté en 2010 à la suite de la crise financière (FMI – Banque mondiale, 2010), alors que la crise alimentaire avait déjà entrainé une augmentation de 147 millions de personnes supplémentaires qui souffrent de la faim entre2006 et2009 (Nations unies, 2010).
Un autre exemple éloquent concerne la fuite des capitaux dont sont victimes les pays en développement. Selon Raymond Baker, l’argent illicite en circulation dans le monde s’élève à 1000 milliards de dollars, dont la moitié en provenance des pays en développement (2005). Ces montants dépassent de loin les montants d’aide qui plafonnent à 120 milliards de dollars. Selon une étude de Global Financial Integrity, les flux illicites qui sont sortis d’Afrique entre1970 et 2008 ont représenté 29 milliards de dollars par an, alors que l’aide à l’Afrique n’a représenté que 18 milliards par an. Le pire est que le phénomène s’accroit avec le temps, puisque la fuite de capitaux a représenté 54 milliards de dollars par an entre 2001 et 2008, et même 90 milliards en 2007 et 2008. Finalement, le cumul des montants qui ont fui le continent africain depuis 2001 équivaut à deux fois le montant de la dette extérieure africaine (2010). Les auteurs de l’étude précisent par ailleurs qu’ils se sont limités aux données fournies par les balances des paiements et le commerce extérieur des pays en développement, ce qui n’inclut pas les fraudes liées à l’utilisation des paradis fiscaux et implique qu’il faudrait probablement multiplier par deux les chiffres de la fuite des capitaux africains (Alternatives économiques, 2010).
Enfin, la question de l’adaptation des pays pauvres aux changements climatiques et de la diminution des émissions de gaz à effet de serre est devenue un enjeu fondamental du développement, puisque les principales victimes des crises climatiques sont les pays en développement. Nicholas Stern estime que ce défi implique une aide financière aux pays en développement représentant 1% supplémentaire du PIB des pays industrialisés de l’OCDE (2009).
Ces quelques exemples de l’incohérence des politiques internationales et des objectifs de développement suffisent à illustrer pourquoi l’agenda de l’efficacité de l’aide n’est pas une fin en soi et ne doit représenter qu’un volet de l’efficacité du développement. L’agenda de l’efficacité du développement implique de prendre en compte l’ensemble des politiques internationales et de les aligner sur les objectifs internationaux de développement. Cela implique notamment de garantir la stabilité financière et climatique internationale, d’adopter des règles commerciales internationales équitables et de garantir aux pays en développement les marges de manœuvre politiques nécessaires à la mise en œuvre de stratégies de développement véritablement appropriées.