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« Créatifs et solidaires »
L’économie libérale et la socialisation de ses profits cherchent leur point d’équilibre dans une répartition des rôles qui apparait désormais acquise. La créativité de l’économie engendre spontanément les conditions du bien-être ; l’État social assume la charge supplétive de la solidarité en prélevant des ressources sur la première. Communiant dans les vertus de la performance gestionnaire, […]
L’économie libérale et la socialisation de ses profits cherchent leur point d’équilibre dans une répartition des rôles qui apparait désormais acquise. La créativité de l’économie engendre spontanément les conditions du bien-être ; l’État social assume la charge supplétive de la solidarité en prélevant des ressources sur la première. Communiant dans les vertus de la performance gestionnaire, socialistes et libéraux limitent leur conflit à des arbitrages chiffrés dans le cadre de cette version réelle de la social-démocratie, telle qu’elle avait déjà été définie dans la déclaration gouvernementale de 1999.
Ainsi, tant la campagne que les négociations de formation du gouvernement fédéral ont tourné autour de quelques thèmes : volume et formes de la distribution (prestations sociales ou réductions d’impôts), ordre de priorité des ayants droit et de leurs mérites. Ainsi, tout ce qui relevait des services publics dépérit, en difficulté d’être : une fois délesté des travailleurs surnuméraires par des préretraites financées par les pouvoirs publics, et de l’accessibilité universelle, le marché s’en chargera, comme des choix concernant le mode de développement. Le rôle du pouvoir politique est alors limité à quelques amendements périphériques limitant les effets pervers, encore doivent-ils être inoffensifs pour les seuls intérêts considérés comme légitimes.
La majorité des électeurs a plébiscité cette approche : ils en redemandent manifestement. Est-ce seulement parce que cette législature avait plus de marges que de sacrifices à répartir ? Ce qui est certain, c’est l’absence de progrès de tout positionnement qui ne soit réductible à cette donne restreinte, unidimensionnelle. La défaite magistrale des écologistes et le recul de l’opposition démocrate-chrétienne en témoignent à l’évidence ; quant aux gains de l’extrême droite, ne renvoient-ils pas pour partie à l’expression d’une frustration face à un partage qui ne prend pas en compte le critère ethnique ou national ? Ce qui est dur à entendre n’est pas forcément toujours difficile à comprendre.
Fondée sur une concurrence à la bonne gestion, l’opposition de la démocratie chrétienne a en quelque sorte ratifié cette « social-démocratie réelle » (dont, du reste, elle a largement contribué à fonder les bases) et le partage des rôles qu’elle opère entre l’économie et le social, le privé et le public. Qu’elle se réclame de valeurs plus conservatrices au plan moral (C.D.&V.), ou tout simplement « humanistes » (C.D.H.), elle n’est pas parvenue à faire entrer cette référence comme un élément perturbateur de la donne. De même, l’échec des verts est avant tout culturel. Incapables qu’ils ont été de combler le fossé entre leurs nouveaux électeurs et leur approche différente de certains enjeux de société, ils sont à la fois apparus comme de nuisibles gêneurs quand ils ont tenu bon ou comme d’insipides clones lorsqu’ils se sont conformés à la position de gauche telle qu’elle est définie sur l’échiquier politique par le P.S. (les fameuses convergences). L’inexpérience et la fragilité des partis écologistes boostés par la crise de 1999 ne leur ont pas permis de se faire reconnaitre les vertus gestionnaires de partis à vocation gouvernementale.
La Belgique est-elle ainsi mieux équipée pour faire face aux défis des sociétés européennes ? On serait à première vue tenté de le croire, si l’on compare sa situation avec ses trois voisins principaux qui se débattent dans des crises sociales et économiques. Est-ce dû à une conjoncture ou à une méthode de gouvernement associant « gauche » et « droite » qui a fatigué les Néerlandais et qui doit encore faire ses preuves en période de vaches maigres ? Ce qui est certain, c’est que cette euphorie se paie par une certaine myopie et par le refoulement des horizons politiques dans des professions de foi inopérantes. Envolées sur le développement durable, « un autre monde est possible »… Nos leaders politiques de tous bords (Michel, Verhosfstadt, Di Rupo) ont pris pour modèle le président Chirac qui leur a fourni le format d’une démagogie planétaire.
En attendant, comme on le verra dans ce dossier, le politique va son chemin dans le jeu institutionnel d’une société complexe et fragile, avec ses chancres, ses déficits et ses replis identitaires, son aveuglement sur le devenir de la planète et sur son propre devenir. Au-delà d’une projection comptable sur le paiement des pensions dans les vingt prochaines années s’arrête la perception politiquement partagée du futur. Comment fera-t-on pour vivre ensemble, ici et ailleurs ? Si c’est encore un tant soit peu du ressort du politique, cela n’entre pas dans le champ de l’élection. Aussi, le vote comme le sens à lui donner sont volatils : les visages recueillis ou souriants qui s’offraient à nous sur les affiches, que nous disent-ils de nous ? Le symbolique qui fonde la représentation y erre comme une âme en peine, affleurant seulement dans les lignes de fuite de la communication par laquelle se construit aujourd’hui professionnellement la perception du politique.