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« Créatifs et solidaires »

Numéro 05/6 Mai-Juin 2003 par La rédaction

mai 2003

L’é­co­no­mie libé­rale et la socia­li­sa­tion de ses pro­fits cherchent leur point d’é­qui­libre dans une répar­ti­tion des rôles qui appa­rait désor­mais acquise. La créa­ti­vi­té de l’é­co­no­mie engendre spon­ta­né­ment les condi­tions du bien-être ; l’É­tat social assume la charge sup­plé­tive de la soli­da­ri­té en pré­le­vant des res­sources sur la pre­mière. Com­mu­niant dans les ver­tus de la per­for­mance gestionnaire, […]

L’é­co­no­mie libé­rale et la socia­li­sa­tion de ses pro­fits cherchent leur point d’é­qui­libre dans une répar­ti­tion des rôles qui appa­rait désor­mais acquise. La créa­ti­vi­té de l’é­co­no­mie engendre spon­ta­né­ment les condi­tions du bien-être ; l’É­tat social assume la charge sup­plé­tive de la soli­da­ri­té en pré­le­vant des res­sources sur la pre­mière. Com­mu­niant dans les ver­tus de la per­for­mance ges­tion­naire, socia­listes et libé­raux limitent leur conflit à des arbi­trages chif­frés dans le cadre de cette ver­sion réelle de la social-démo­cra­tie, telle qu’elle avait déjà été défi­nie dans la décla­ra­tion gou­ver­ne­men­tale de 1999.
Ain­si, tant la cam­pagne que les négo­cia­tions de for­ma­tion du gou­ver­ne­ment fédé­ral ont tour­né autour de quelques thèmes : volume et formes de la dis­tri­bu­tion (pres­ta­tions sociales ou réduc­tions d’im­pôts), ordre de prio­ri­té des ayants droit et de leurs mérites. Ain­si, tout ce qui rele­vait des ser­vices publics dépé­rit, en dif­fi­cul­té d’être : une fois déles­té des tra­vailleurs sur­nu­mé­raires par des pré­re­traites finan­cées par les pou­voirs publics, et de l’ac­ces­si­bi­li­té uni­ver­selle, le mar­ché s’en char­ge­ra, comme des choix concer­nant le mode de déve­lop­pe­ment. Le rôle du pou­voir poli­tique est alors limi­té à quelques amen­de­ments péri­phé­riques limi­tant les effets per­vers, encore doivent-ils être inof­fen­sifs pour les seuls inté­rêts consi­dé­rés comme légitimes.

La majo­ri­té des élec­teurs a plé­bis­ci­té cette approche : ils en rede­mandent mani­fes­te­ment. Est-ce seule­ment parce que cette légis­la­ture avait plus de marges que de sacri­fices à répar­tir ? Ce qui est cer­tain, c’est l’ab­sence de pro­grès de tout posi­tion­ne­ment qui ne soit réduc­tible à cette donne res­treinte, uni­di­men­sion­nelle. La défaite magis­trale des éco­lo­gistes et le recul de l’op­po­si­tion démo­crate-chré­tienne en témoignent à l’é­vi­dence ; quant aux gains de l’ex­trême droite, ne ren­voient-ils pas pour par­tie à l’ex­pres­sion d’une frus­tra­tion face à un par­tage qui ne prend pas en compte le cri­tère eth­nique ou natio­nal ? Ce qui est dur à entendre n’est pas for­cé­ment tou­jours dif­fi­cile à comprendre.

Fon­dée sur une concur­rence à la bonne ges­tion, l’op­po­si­tion de la démo­cra­tie chré­tienne a en quelque sorte rati­fié cette « social-démo­cra­tie réelle » (dont, du reste, elle a lar­ge­ment contri­bué à fon­der les bases) et le par­tage des rôles qu’elle opère entre l’é­co­no­mie et le social, le pri­vé et le public. Qu’elle se réclame de valeurs plus conser­va­trices au plan moral (C.D.&V.), ou tout sim­ple­ment « huma­nistes » (C.D.H.), elle n’est pas par­ve­nue à faire entrer cette réfé­rence comme un élé­ment per­tur­ba­teur de la donne. De même, l’é­chec des verts est avant tout cultu­rel. Inca­pables qu’ils ont été de com­bler le fos­sé entre leurs nou­veaux élec­teurs et leur approche dif­fé­rente de cer­tains enjeux de socié­té, ils sont à la fois appa­rus comme de nui­sibles gêneurs quand ils ont tenu bon ou comme d’in­si­pides clones lors­qu’ils se sont confor­més à la posi­tion de gauche telle qu’elle est défi­nie sur l’é­chi­quier poli­tique par le P.S. (les fameuses conver­gences). L’i­nex­pé­rience et la fra­gi­li­té des par­tis éco­lo­gistes boos­tés par la crise de 1999 ne leur ont pas per­mis de se faire recon­naitre les ver­tus ges­tion­naires de par­tis à voca­tion gouvernementale.

La Bel­gique est-elle ain­si mieux équi­pée pour faire face aux défis des socié­tés euro­péennes ? On serait à pre­mière vue ten­té de le croire, si l’on com­pare sa situa­tion avec ses trois voi­sins prin­ci­paux qui se débattent dans des crises sociales et éco­no­miques. Est-ce dû à une conjonc­ture ou à une méthode de gou­ver­ne­ment asso­ciant « gauche » et « droite » qui a fati­gué les Néer­lan­dais et qui doit encore faire ses preuves en période de vaches maigres ? Ce qui est cer­tain, c’est que cette eupho­rie se paie par une cer­taine myo­pie et par le refou­le­ment des hori­zons poli­tiques dans des pro­fes­sions de foi inopé­rantes. Envo­lées sur le déve­lop­pe­ment durable, « un autre monde est pos­sible »… Nos lea­ders poli­tiques de tous bords (Michel, Verhosf­stadt, Di Rupo) ont pris pour modèle le pré­sident Chi­rac qui leur a four­ni le for­mat d’une déma­go­gie planétaire.

En atten­dant, comme on le ver­ra dans ce dos­sier, le poli­tique va son che­min dans le jeu ins­ti­tu­tion­nel d’une socié­té com­plexe et fra­gile, avec ses chancres, ses défi­cits et ses replis iden­ti­taires, son aveu­gle­ment sur le deve­nir de la pla­nète et sur son propre deve­nir. Au-delà d’une pro­jec­tion comp­table sur le paie­ment des pen­sions dans les vingt pro­chaines années s’ar­rête la per­cep­tion poli­ti­que­ment par­ta­gée du futur. Com­ment fera-t-on pour vivre ensemble, ici et ailleurs ? Si c’est encore un tant soit peu du res­sort du poli­tique, cela n’entre pas dans le champ de l’é­lec­tion. Aus­si, le vote comme le sens à lui don­ner sont vola­tils : les visages recueillis ou sou­riants qui s’of­fraient à nous sur les affiches, que nous disent-ils de nous ? Le sym­bo­lique qui fonde la repré­sen­ta­tion y erre comme une âme en peine, affleu­rant seule­ment dans les lignes de fuite de la com­mu­ni­ca­tion par laquelle se construit aujourd’­hui pro­fes­sion­nel­le­ment la per­cep­tion du politique.

La rédaction


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