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Écolo, une histoire

Numéro 5 - 2015 par La Revue nouvelle

juillet 2015

Sans mémoire on ne peut construire l’avenir. Telle était la convic­tion de Benoît Lechat lorsqu’il enta­ma la rédac­tion de son ouvrage consa­cré à l’histoire d’Écolo. L’œuvre est inache­vée ; à ce jour seul est paru le pre­mier tome. L’essentiel du conte­nu du second, qui doit racon­ter la suite de l’histoire, était dans les car­tons de l’auteur au moment […]

Dossier

Sans mémoire on ne peut construire l’avenir. Telle était la convic­tion de Benoît Lechat lorsqu’il enta­ma la rédac­tion de son ouvrage consa­cré à l’histoire d’Écolo. L’œuvre est inache­vée ; à ce jour seul est paru le pre­mier tome. L’essentiel du conte­nu du second, qui doit racon­ter la suite de l’histoire, était dans les car­tons de l’auteur au moment de son décès, en jan­vier der­nier. Les édi­tions Éto­pia ont pré­vu de faire abou­tir le pro­jet dans les pro­chains mois1. C’est sur la même convic­tion qu’est construit ce dos­sier : l’histoire de l’écologie poli­tique et du par­ti Éco­lo en Bel­gique, sa sub­stance et ses ensei­gne­ments, doivent en nour­rir l’avenir.

C’est Benoît Lechat lui-même, à qui le pro­jet de ce dos­sier avait été annon­cé, qui a sug­gé­ré qu’il s’ouvre par un rap­pel de la manière dont les thèmes cen­traux de l’écologie poli­tique ont été trai­tés par La Revue nou­velle à par­tir du milieu des années 1970. À tra­vers ce rap­pel, le contexte social, éco­no­mique, poli­tique et cultu­rel de la nais­sance d’Écolo est retra­cé et cer­tains de ses enjeux sont mis en évi­dence. Le point culmi­nant de cette réflexion fut le dos­sier d’octobre 1978 inti­tu­lé « L’écologie, des mou­ve­ments en mou­ve­ment ». Michel Moli­tor, qui y a étroi­te­ment col­la­bo­ré, résume ici les trois axes prin­ci­paux qui y étaient déve­lop­pés, avec un fort écho dans l’actualité : les luttes urbaines, pro­vo­quées sur­tout par la « réno­va­tion » du quar­tier Nord à Bruxelles ; la crise éner­gé­tique, entre le pre­mier et le second « chocs pétro­liers» ; la ques­tion de la crois­sance, qui connais­sait sa pre­mière grosse panne de l’après-guerre. Il montre que ces trois axes sont inti­me­ment liés en ce qu’ils inter­rogent notre modèle de déve­lop­pe­ment, mais aus­si les modes de déci­sion, et donc le pou­voir, dans nos socié­tés dites démo­cra­tiques. Y reve­nir aujourd’hui est néces­saire pour sai­sir les pro­blé­ma­tiques contem­po­raines et tou­jours per­ti­nentes sou­le­vées par l’écologie poli­tique, qui sont sus­cep­tibles de nour­rir une action poli­tique auto­nome. En effet, explique l’auteur, « l’écologie est bien autre chose qu’une cri­tique des atteintes à l’environnement ».

Si, au cours des der­nières décen­nies, les pro­blé­ma­tiques n’ont pas fon­da­men­ta­le­ment chan­gé2, elles se sont affi­nées et appro­fon­dies. C’est notam­ment la façon de les for­mu­ler et de les abor­der qui est pas­sée par l’épreuve du temps, au fil des expé­riences mili­tantes et poli­tiques, des vic­toires et des défaites, et, sur­tout, de cette dif­fi­cul­té per­sis­tante à inté­res­ser et à faire adhé­rer à large échelle. La réflexion cri­tique et réflexive a fait son che­min. Ulrich Beck est, à cet égard, un auteur majeur. C’est pour­quoi, Benoît Lechat a éga­le­ment sou­hai­té que figure dans ce dos­sier un des textes récents du socio­logue alle­mand, qui porte sur l’approche même des pro­blèmes trai­tés par l’écologie poli­tique. Face au dés­in­té­rêt et à l’ignorance des peuples vis-à-vis des ques­tions éco­lo­giques, Beck sou­ligne l’importance d’une pers­pec­tive socio­lo­gique, il montre en quoi les concepts de crise et sur­tout d’environnement sont plus qu’inadéquats, car­ré­ment sui­ci­daires, il invite à théo­ri­ser la ques­tion des inéga­li­tés en rap­port avec le cli­mat et, enfin, à pen­ser en termes cos­mo­po­lites et non natio­naux. À ses yeux, les chan­ge­ments actuels sont autant une oppor­tu­ni­té qu’un pro­blème, parce qu’ils obligent à réin­ven­ter notre manière de voir les choses en nous tour­nant vers l’avenir. C’est sans doute ce qui plai­sait le plus à Benoît Lechat dans ce texte de Beck qui, par un funeste concours de cir­cons­tances, devait mou­rir trois jours avant lui.

La grande hon­nê­te­té intel­lec­tuelle et la consis­tance empi­rique du livre — rien de dicible n’est caché — incitent le lec­teur à se poser un cer­tain nombre de ques­tions quelque peu déran­geantes, mais néces­saires, et pro­posent déjà, au stade de ce pre­mier tome, des élé­ments de réponse. En s’appuyant direc­te­ment sur le livre de Lechat, Luc Van Cam­pen­houdt pose deux ques­tions. La pre­mière pour­suit, en l’inversant et en la radi­ca­li­sant, la réflexion de Beck sur le pro­blème socio­lo­gique de la dif­fi­cul­té des Verts de sus­ci­ter l’adhésion à leurs pré­oc­cu­pa­tions et à leur pro­jet : pour­quoi tant de haine à l’égard des éco­lo­gistes de la part, sur­tout, de cer­taines frac­tions de la classe moyenne plu­tôt aisée ? La seconde com­plète la pre­mière : com­ment faire de la poli­tique — ce qui néces­site de convaincre et de séduire — lorsque, soi-même, on déteste la poli­tique, du moins en ce qu’elle heurte cer­taines valeurs éthiques décla­rées par les Verts ? Par ces deux ques­tions non com­plai­santes, le texte de Luc Van Cam­pen­houdt aborde de manière laté­rale cer­taines ambigüi­tés du rap­port entre fina­li­tés et moyens.

En son pre­mier tome déjà, le livre de Benoît Lechat s’impose comme la réfé­rence majeure pour qui veut com­prendre la nais­sance, le fonc­tion­ne­ment et le déve­lop­pe­ment du par­ti éco­lo­giste belge fran­co­phone. Il consti­tue, comme l’explique Ber­nard De Backer dans la pré­sen­ta­tion de l’ouvrage rédi­gée pour ce dos­sier, un « guide de tout pre­mier plan ». Loin de se réduire à un résu­mé tech­nique, cette pré­sen­ta­tion pénètre au cœur même de la pen­sée de Lechat en déga­geant et expo­sant les prin­cipes d’intelligibilité qui tra­versent et donnent sens à la recons­ti­tu­tion his­to­rique expo­sée dans l’ouvrage, en par­ti­cu­lier la ten­sion entre la démo­cra­tie radi­cale et le res­pect des équi­libres éco­sys­té­miques qui consti­tue la prin­ci­pale clé de lec­ture de l’histoire du par­ti vert. Au fil des para­graphes, Ber­nard De Backer nous convainc com­bien la pro­blé­ma­tique du livre « nous concerne tous, éco­lo­gistes ou non, dans la mesure où c’est in fine notre moder­ni­té poli­tique et éco­sys­té­mique qui en forme le cœur ».

  1. Éco­lo. La démo­cra­tie comme pro­jet, tome I : 1970 – 1986. Du fédé­ra­lisme à l’écologie, édi­tions Éto­pia, 2014, 369 p.
  2. Voir par exemple les débats des mois de mai et juin 2015 au Par­le­ment sur la pro­lon­ga­tion des cen­trales nucléaires.

La Revue nouvelle


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