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Écolo, une défaite exemplaire

Numéro 3 - 2015 par Pol Zimmer

mai 2015

La par­ti­ci­pa­tion au pou­voir du par­ti Éco­lo ne lui a garan­ti jusqu’ici aucun len­de­main vic­to­rieux : tant en 2003 que tout récem­ment, en mai 2014, le retour aux urnes a débou­ché sur de réelles défaites. Certes, chaque par­ti connait des varia­tions, par­fois signi­fi­ca­tives, dans ses scores lors des échéances élec­to­rales, mais il faut consta­ter qu’aucun ne semble, ces vingt der­nières années, y être aus­si sen­sible qu’Écolo dans la sphère fran­co­phone des par­tis poli­tiques belges.

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La vola­ti­li­té des voix y est plus impor­tante qu’ailleurs1. « La dif­fé­rence donne à voir, la répé­ti­tion donne à pen­ser », disait le phi­lo­sophe fran­çais Gilles Deleuze. Au moment où ce par­ti achève une longue démarche interne d’analyse et de refon­da­tion, il est inté­res­sant de ten­ter de rele­ver plus par­ti­cu­liè­re­ment quelles pour­raient être cer­taines de ses carac­té­ris­tiques en tant que par­ti qui font que ses oscil­la­tions élec­to­rales ne seraient pas conjonc­tu­relles, mais induites par cer­taines de ses logiques orga­ni­sa­tion­nelles. Le pro­pos tenu ici gagne­rait à être nuan­cé selon les périodes et les pré­si­dences. Et d’autres thèmes, qui par­ti­cipent à l’environnement de la ques­tion, auraient pu être évo­qués : la désaf­fi­lia­tion citoyenne ou la pré­gnance des médias sur le champ poli­tique entre autres. Ce sont deux des limites assu­mées de ce texte.

Une base culturelle, mais pas de réelle base sociale

Le pro­jet poli­tique por­té par Éco­lo tente d’articuler deux radi­ca­li­tés : la cri­tique de notre modèle capi­ta­liste de déve­lop­pe­ment, trop cen­tré sur la crois­sance éco­no­mique et qui mène à un épui­se­ment des res­sources qu’il mobi­lise et la cri­tique des formes orga­ni­sa­tion­nelles « tra­di­tion­nelles » que sont les par­tis poli­tiques clas­siques où le pou­voir semble confis­qué par une petite mino­ri­té2. Et au-delà de la cri­tique de ceux-ci, c’est, pour cer­tains, la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive qui est visée.

Conve­nons que, grâce, notam­ment, à l’action des mili­tants et par­tis éco­lo­gistes depuis plus de trente ans, mais aus­si à des drames sociaux réels et à des catas­trophes natu­relles, la conscience des enjeux envi­ron­ne­men­taux et la néces­si­té de réponses adap­tées ont fait pro­gres­si­ve­ment l’objet d’un consen­sus inter­na­tio­nal. Le thème de la dura­bi­li­té s’est impo­sé dans le débat public3 même si on peut regret­ter la len­teur et la fri­lo­si­té des réac­tions de dif­fé­rentes auto­ri­tés à cet égard.

La seconde cri­tique, qui s’appuie notam­ment sur les théo­ries de la démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive et déli­bé­ra­tive, valo­rise, en prin­cipe, l’échange argu­men­té comme source de légi­ti­mi­té d’une posi­tion ou pro­po­si­tion poli­tique et se carac­té­rise par une méfiance vis-à-vis de toute forme trop ins­ti­tuée de pou­voir, voire de res­pon­sa­bi­li­té et de déci­sion. Cette « culture », spé­ci­fique pour un par­ti poli­tique, mais dans l’air du temps d’une époque mar­quée par un effri­te­ment des auto­ri­tés et des légi­ti­mi­tés, appa­rait comme une des carac­té­ris­tiques essen­tielles du par­ti comme orga­ni­sa­tion : nour­rie d’anti-autoritarisme et de méfiance, elle explique en par­tie impor­tante son fonctionnement.

Ces deux foyers actifs de cri­tique, soli­daires dans leurs prin­cipes4 et leur ques­tion­ne­ment de nos modèles domi­nants, mais dont rien ne garan­tit l’articulation har­mo­nieuse dans l’opérationnalité de l’action d’un par­ti, génèrent une culture de contre­pou­voir, qui semble lar­ge­ment par­ta­gée à l’interne. Cette double radi­ca­li­té per­met à Éco­lo de drai­ner des publics diver­si­fiés, mais bien peu d’origine popu­laire : sans doute pour remettre en ques­tion les modes de vie domi­nants, consu­mé­ristes ou orga­ni­sa­tion­nels, faut-il y avoir gou­té de manière suf­fi­sante, si ce n’est à satiété.

En contre­point de l’affirmation de cette culture arti­cu­lée autour de deux pôles, il est impor­tant de rele­ver que le lien entre Éco­lo et la socié­té est moins orga­nique que celui des autres par­tis : certes le monde asso­cia­tif, sur­tout, et le mou­ve­ment étu­diant, qui en sont deux des four­nis­seurs impor­tants, sont des acteurs de plain-pied de notre socié­té depuis de nom­breuses années. Mais ils ne consti­tuent qu’une part de la socié­té civile et ce n’est pas leur faire injure que de consi­dé­rer que leur ancrage dans la socié­té reste moins pré­gnant que celui d’autres acteurs de la socié­té civile comme les mutuelles, les syn­di­cats ou cer­taines asso­cia­tions pro­fes­sion­nelles, qua­si insé­rés dans la ges­tion du pays, et qui consti­tuent des sas très fré­quen­tés vers les postes à res­pon­sa­bi­li­té dans les par­tis consi­dé­rés comme « tra­di­tion­nels ». Outre le rôle de for­ma­tion et de trans­mis­sion que ces inter­mé­diaires garan­tissent, ils consti­tuent un lien fort entre cer­tains seg­ments de la socié­té et les par­tis notam­ment par les col­lec­tifs qu’ils consti­tuent et les ser­vices qu’ils dis­pensent. Ils fondent, conso­lident et péren­nisent les liens des par­tis avec des parts de leur élec­to­rat. Ils consti­tuent, aus­si, des sources de légi­ti­mi­té, exté­rieures et prag­ma­tiques, aux posi­tions que les par­tis défendent et ten­te­ront, le cas échéant, de concré­ti­ser à l’occasion de leur accès au pouvoir.

Ce constat de défi­cit de lien orga­nique avec la socié­té est d’autant plus per­ti­nent qu’Écolo souffre, aus­si, d’un ancrage com­mu­nal très inégal et qua­si inexis­tant dans l’administration publique, géné­ra­le­ment appré­ciée à par­tir de son his­toire poli­tique récente.

D’un tout autre point de vue5, mais aus­si en lien avec le défi­cit de rap­port orga­nique avec la socié­té, il faut rele­ver qu’Écolo déve­loppe par rap­port à ses mili­tants ou membres une poli­tique de très faibles rétri­bu­tions sym­bo­liques ou maté­rielles, au-delà d’une éven­tuelle plus-value de sens, contrai­re­ment à cer­tains des par­tis tra­di­tion­nels : certes, cela peut s’expliquer par un faible accès aux « res­sources » que donne le pou­voir et paraitre appré­ciable à un niveau éthique puisque reven­di­qué. Mais d’un point de vue orga­ni­sa­tion­nel, c’est une res­source non uti­li­sée : alors que d’autres par­tis font de l’échange un de leurs points forts en termes de stra­té­gie d’organisation et que, pour cer­tains publics, notam­ment issus des milieux « popu­laires », le monde poli­tique est iden­ti­fié comme un four­nis­seur d’emplois et un ascen­seur social.

En syn­thèse, et d’autres exemples pour­raient venir en appui, on peut rele­ver que, mal­gré les avan­cées évi­dentes dans le débat public d’une série de thèmes por­tés par la cri­tique éco­lo­gique de notre modèle de déve­lop­pe­ment, le par­ti Éco­lo comme orga­ni­sa­tion ne semble pas avoir for­ti­fié struc­tu­rel­le­ment son lien orga­nique avec la socié­té, mal­gré ses expé­riences de par­ti­ci­pa­tion au pou­voir fédé­ral et régio­nal qui pou­vaient en consti­tuer aus­si l’occasion.

Les cam­pagnes élec­to­rales per­mettent à chaque par­ti d’user d’une séman­tique rituelle, jouant fré­quem­ment sur la peur, remo­bi­li­sant dans la der­nière ligne droite de la cam­pagne élec­to­rale, l’escompté noyau large de son élec­to­rat : le bain de sang social pour le PS, la néces­saire réforme fis­cale pour le MR, ce qui sur­vit du C pour le CDH notam­ment dans l’enseignement, la volon­té hégé­mo­nique fla­mande pour le FDF, pour res­ter dans l’espace fran­co­phone. Chaque par­ti en joue, mais ce n’est pas un jeu : c’est un signe de ral­lie­ment sur des enjeux très concrets et qui touchent tous à l’emploi ou en tout cas au pou­voir d’achat.

C’est aus­si le rap­pel dans la der­nière ligne droite que les par­tis poli­tiques sont, avant tout, des orga­ni­sa­tions qui défendent l’intérêt de groupes sociaux dans le par­tage et l’accès aux dif­fé­rentes res­sources d’une socié­té. Et en écho que la poli­tique est une forme de ges­tion « paci­fique » de cette régu­la­tion de la dis­tri­bu­tion des res­sources6.

Par­ti de pro­po­si­tions davan­tage que de défense d’un groupe social, Éco­lo s’est auto­pro­cla­mé à sa nais­sance un par­ti pas comme les autres ; il faut prendre cette affir­ma­tion au sérieux au-delà du rituel de pré­sen­ta­tion qu’elle consti­tue. Mais n’est-ce pas aus­si dans ces dif­fé­rences reven­di­quées, ici la « volon­té », voire le refus, de construire et d’entretenir un rap­port plus orga­nique avec la socié­té ou la défense d’un groupe social que se trouve sa dif­fi­cul­té de sta­bi­li­ser un électorat ?

Pour Éco­lo, le clien­té­lisme7 n’est pas une option stra­té­gique ; ce qui ne veut pas dire qu’il est tout fait absent, mais à la marge. C’est un choix lié au modèle poli­tique pro­mu qui valo­rise l’autonomie des citoyens, loin des liens obli­gés que pro­duisent les pra­tiques clientélistes.

Ce qui pose une ques­tion essen­tielle, conve­nons-en, au fonc­tion­ne­ment du monde poli­tique actuel et qui excède le pro­pos de cet article : les pra­tiques de clien­tèle sont-elles néces­saires pour sta­bi­li­ser des électorats ?

Les impensés d’une gestion qui se dit plus « démocratique »

Si l’absence de lien plus orga­nique avec la socié­té et d’accrochage à une — ou des — base sociale clai­re­ment iden­ti­fiée, consti­tue une carac­té­ris­tique d’Écolo comme orga­ni­sa­tion, une autre essen­tielle, pour notre pro­pos, tient à la place accor­dée à ce qu’on appel­le­ra sa « démo­cra­tie interne » et à l’égalitarisme qu’elle promeut.

Davan­tage que ses moda­li­tés pro­cé­du­rales, c’est la pré­gnance cultu­relle de celle-ci que nous sou­hai­tons mettre en évi­dence. Car elle abou­tit, faute de struc­tures plus enca­drantes et/ou de temps mieux dif­fé­ren­ciés, d’une part, à pri­vi­lé­gier l’impératif déli­bé­ra­tif plu­tôt que les néces­si­tés déci­sion­nelles et opé­ra­tion­nelles propres aux par­tis et, d’autre part, dans le même mou­ve­ment, à pro­duire une réver­si­bi­li­té fré­quente des posi­tions, au gré des rap­ports de force ou alliances chan­geant à l’interne, qui frac­ture régu­liè­re­ment sa légi­ti­mi­té et paraît contre­pro­duc­tive, à for­tio­ri si le par­ti est impli­qué dans des majo­ri­tés politiques.

Cette double dyna­mique abou­tit éga­le­ment à fra­gi­li­ser, si ce n’est par­fois à rui­ner, l’émergence d’un lea­deur­ship bien néces­saire à cer­tains moments stratégiques.

Il convien­drait, certes, de mesu­rer, au-delà du dis­cours, la réa­li­té effec­tive de cette démo­cra­tie interne qui a pu évo­luer au fil du temps.

Il y a une sorte d’impensé des orga­ni­sa­tions qui ont la volon­té, posi­tive, de dépas­ser les fonc­tion­ne­ments hié­rar­chiques clas­siques : l’investissement dans l’interne de l’organisation y appa­rait dis­pro­por­tion­né par rap­port à celui inves­ti dans la for­mu­la­tion et la concré­ti­sa­tion de leur stra­té­gie : un peu comme si cette der­nière était la variable d’ajustement et que la régu­la­tion des rap­ports internes était pre­mière par rap­port à elle.

On peut relire, à par­tir de ce « prisme », le pro­ces­sus d’analyse de l’échec élec­to­ral et de refon­da­tion qui a abou­ti tout récem­ment à une série de déci­sions du par­ti Éco­lo : un an qua­si après les élec­tions. On peut appré­cier à cette aune, éga­le­ment, la qua­li­té mais, disons-le aus­si, la lon­gueur et la très rela­tive lisi­bi­li­té des pro­grammes élec­to­raux d’Écolo pour le citoyen.

Certes, le temps a vécu de ces exer­cices qui, tous les mois ou deux, voyaient une assem­blée géné­rale confir­mer la par­ti­ci­pa­tion d’Écolo aux gou­ver­ne­ments dans les­quels il était impli­qué, les ven­dre­dis soirs, à l’issue de soi­rées qui devaient réjouir autant les démo­crates internes que les bras­seurs wal­lons. Et qui a dû sur­prendre, au début, les par­te­naires gou­ver­ne­men­taux et les a sans doute assez rapi­de­ment las­sés et exaspérés.

Sans par­ler de l’effet sur les mili­tants et l’électorat d’Écolo qui sou­hai­taient voir le par­ti assu­mer les res­pon­sa­bi­li­tés qui lui avaient été conférées.

Une démocratie interne qui génère la rivalité des égaux

Il y a peu de réflexions à ce jour qui tentent de sys­té­ma­ti­ser les effets induits dans une orga­ni­sa­tion par une approche plus col­lec­tive du pou­voir ; les textes exis­tants se contentent d’en valo­ri­ser les prin­cipes et d’en célé­brer les expé­riences. Les faits étant réduits ou peu rap­por­tés et ana­ly­sés, nous ten­tons ici d’élaborer l’une ou l’autre hypo­thèse davan­tage que de consa­crer des certitudes.

Que libère-t-on dans une orga­ni­sa­tion en vou­lant échap­per au côté pesant, voire enfer­mant, mais aus­si struc­tu­rant, des hié­rar­chies ? Sans doute des tas d’idées, de pro­jets, de coa­li­tions, voire des formes d’organisation et de vie : sur­ement de la créa­ti­vi­té et des pro­po­si­tions. Mais on peut pen­ser aus­si que la valo­ri­sa­tion de la démo­cra­tie interne dans une orga­ni­sa­tion libère la riva­li­té des « égaux » davan­tage qu’elle ne la sus­pend si le lea­deur­ship et le cadrage ne sont pas suf­fi­sam­ment assu­més ou légi­ti­més : plus d’égalité ne signi­fie pas auto­ma­ti­que­ment moins de riva­li­té, cela peut être le contraire8 : la répar­ti­tion des rôles est moins rigide ou moins sta­bi­li­sée : ce qui mul­ti­plie, à la fois, les moments et objets de négociation.

Plus de démo­cra­tie interne peut aus­si signi­fier plus de concur­rence interne : dans une orga­ni­sa­tion, les lea­deurs clai­re­ment légi­ti­més sont à la fois les régu­la­teurs du mode de fonc­tion­ne­ment et les boucs émis­saires dési­gnés en cas de pro­blème. L’effritement de la légi­ti­mi­té de cette posi­tion de lea­deur­ship induit une éco­no­mie du fonc­tion­ne­ment de l’organisation qui « démo­cra­tise » en quelque sorte ces deux fonc­tions et les redis­tri­bue sur le plus grand nombre : sur­tout la pre­mière serait-on ten­té de dire, car la ten­dance humaine, trop humaine, est sans doute de pré­fé­rer exer­cer des droits plu­tôt que d’assumer des responsabilités.

L’écart réel et sym­bo­lique entre les diri­geants et les membres devient qua­si inexis­tant : même si cela peut être lu posi­ti­ve­ment, cela pro­duit beau­coup d’effets impré­vi­sibles sur le fonc­tion­ne­ment de l’organisation qui se foca­lise alors sur l’interne et pas sur sa stra­té­gie et sa concrétisation.

La méfiance, voire la néga­tion du lea­deur­ship nour­rit la riva­li­té des pairs, coa­li­sés à l’occasion en géné­ra­tions, d’autant que les élé­ments externes de régu­la­tion — le défi­cit d’ancrage social — paraissent faibles. Com­ment garan­tir alors que les res­sources « libé­rées » soient pro­duc­trices eu égard à la stra­té­gie de l’organisation ? Quels sont les effets de ce type d’approche ?

Toute une autre éco­no­mie du pou­voir se met en place avec un effri­te­ment de la fron­tière entre les rap­ports for­mels et infor­mels, une aug­men­ta­tion des zones d’incertitude car les foyers d’impulsions sont en quelque sorte démul­ti­pliés et le risque de recom­po­si­tion d’une oli­gar­chie plus infor­melle car à prio­ri incom­pa­tible avec les valeurs prô­nées. Dans le même mou­ve­ment, ce sont aus­si des régimes dif­fé­rents de légi­ti­mi­té qui s’affirment : l’autorité clas­sique dans un par­ti s’appuie sur et pro­duit une légi­ti­mi­té à la croi­sée de l’idéologie — les valeurs au fon­de­ment du par­ti — et de la bureau­cra­tie — ses pro­cé­dures ins­ti­tu­tion­na­li­sées. Une ges­tion qui se dit plus col­lec­tive laisse, en prin­cipe, davan­tage la place à l’argumentation sans exclure les for­ma­lismes : le débat démo­cra­tique y est avant tout un échange de rai­sons, et l’argumentation nous éloigne des formes agré­ga­tives de la légi­ti­mi­té. Mais le pro­blème de la démo­cra­tie déli­bé­ra­tive est aus­si que le débat y est poten­tiel­le­ment infini.

Cette dyna­mique qui est clai­re­ment du côté de l’instituant9 est davan­tage garante de capa­ci­tés réflexives et d’innovation que de capa­ci­tés déci­sion­nelles et opé­ra­tion­nelles propres aux logiques stra­té­giques d’un par­ti. Si le moment de la syn­thèse n’est pas bien défi­ni ou le lea­deur­ship mal assu­mé, la dyna­mique pro­duc­tive de la démo­cra­tie interne peut bas­cu­ler dans une logique contre­pro­duc­tive pour l’organisation qui passe son temps à cou­rir après sa propre régulation.

On rap­pel­le­ra que la socio­lo­gie des orga­ni­sa­tions enseigne que quand le dys­fonc­tion­ne­ment vaut mode de fonc­tion­ne­ment et per­dure dans une orga­ni­sa­tion, c’est sou­vent que les vrais déten­teurs du pou­voir s’y retrouvent.

Comme par­ti, Éco­lo ne tire jusqu’ici aucune ren­ta­bi­li­té élec­to­rale des capa­ci­tés que sa dyna­mique orga­ni­sa­tion­nelle sem­ble­rait pou­voir « libé­rer ». Au contraire, celle-ci l’empêche de mieux jouer, le temps venu, avec la séman­tique élec­to­rale là où d’autres par­tis semblent des pro­fes­sion­nels de la chose. On abou­tit alors, comme lors de la cam­pagne élec­to­rale de 2014, à une offre poli­tique plus brouillée que la radi­ca­li­té du pro­jet, ini­tial ou actua­li­sé, ne le suppose.

Non seule­ment, il n’est pas simple de rendre cette dyna­mique pro­duc­tive par rap­port à une logique de par­ti, mais on peut se deman­der, avec John Pit­seys10 pour pro­lon­ger la réflexion, dans quelle mesure la démo­cra­tie comme thème ne joue pas chez Éco­lo un rôle de « deus ex machi­na » ou de point aveugle qui vient com­pen­ser sa faible inser­tion dans la socié­té. Il faut rele­ver, en tout cas, que posi­tion­née, à la fois, comme un mode de gou­ver­nance interne garan­tis­sant l’égalité et une moda­li­té de légi­ti­ma­tion des déci­sions, elle vient faire sens, tout à la fois, sur le fonc­tion­ne­ment et le conte­nu et sur­co­der les « pro­duc­tions » du par­ti d’une plus-value sym­bo­lique qui serait inac­ces­sible pour les autres par­tis qui ont d’autres régimes de légi­ti­mi­té, certes tout aus­si ques­tion­nables bien sûr.

Une offre organisationnelle à modifier pour maintenir l’offre politique ?

Dans ce trop bref article, nous met­tons en évi­dence deux carac­té­ris­tiques qui, à nos yeux, par­ti­cipent à l’instabilité de l’électorat d’Écolo : un défi­cit de base sociale et un mode de fonc­tion­ne­ment orga­ni­sa­tion­nel qui fra­gi­lise le lea­deur­ship et la capa­ci­té du par­ti de for­mu­ler et d’affirmer sa stratégie.

C’est en tout cas, selon nous, en se lisant et en s’aménageant davan­tage comme orga­ni­sa­tion qu’Écolo est sus­cep­tible de tirer les leçons de sa défaite de mai 2014 dans ce qu’elle répète. Para­doxe : la culture de l’époque intègre de plus en plus la dura­bi­li­té, mais Éco­lo reste très fra­gile aux moments des échéances élec­to­rales. Certes tous les che­mins démo­cra­tiques ont leur valeur, mais si la volon­té est de peser plus poli­ti­que­ment, il convient d’amender sa culture et son offre organisationnelles.

Cela sup­pose, entre autres, de mieux dis­tin­guer, pour les arti­cu­ler plus effi­ca­ce­ment, les temps de l’instituant des temps de la défi­ni­tion et de l’opérationnalisation de la stra­té­gie du parti.

Cela sug­gère une « démo­cra­tie interne » atten­tive à coa­li­ser les indi­vi­dus, les res­sources humaines et les connais­sances, à orga­ni­ser la trans­mis­sion, à mutua­li­ser davan­tage les acquis et à limi­ter les effets de la méfiance.

Cela signi­fie enfin irri­guer la socié­té car, faute d’accrochage plus orga­nique, le risque est de res­ter dans l’entre-soi : « Faire socié­té plu­tôt que faire com­mu­nau­té » : cette maxime, qui entend pro­mou­voir la ren­contre entre les cultures et les popu­la­tions dif­fé­rentes, concerne aus­si, à bien des égards, la stra­té­gie de déve­lop­pe­ment des par­tis poli­tiques comme organisation.

  1. Sous : la direc­tion de K. Des­chou­wer : « Atti­tudes et com­por­te­ments des élec­teurs lors du scru­tin du 25 mai 2014 », dos­sier du Crisp n°2225, 2014.
  2. Une oli­gar­chie selon les termes de Michels Robert.
  3. La Revue nou­velle, « Les cli­vages struc­turent-ils encore la socié­té ? », octobre 2009.
  4. Ain­si Benoît Lechat, Éco­lo : la démo­cra­tie comme pro­jet, Eto­pia 2014 et Pierre-Etienne Sco­rier, Démo­cra­tie mana­gé­riale, démo­cra­tie déli­bé­ra­tive et éco­lo­gie poli­tique, mémoire Fopes 2012.
  5. Daniel Gaxie : « Éco­no­mie des par­tis et rétri­bu­tions du mili­tan­tisme », Revue fran­çaise de science poli­tique, n°1, 1977 ; Guillaume Sain­te­ny : « La rétri­bu­tion du mili­tan­tisme éco­lo­gique », Revue fran­çaise de socio­lo­gie, 36 – 3, 1995.
  6. Ce qui fait appa­raitre la poli­tique comme une forme de ges­tion paci­fique de la violence.
  7. J.-Fr. Medard, « Le rap­port de clien­tèle : du phé­no­mène social à l’analyse poli­tique », Revue fran­çaise de science poli­tique, n°1, 1976, p.103 – 131.
  8. Jean-Marc Bour­din : « La riva­li­té des égaux : une anthro­po­lo­gie poli­tique girar­dienne », Cités n°53, « René Girard poli­tique », p.33 et suivantes.
  9. Chaque orga­ni­sa­tion est un com­pro­mis spé­ci­fique entre l’«institué » et l’«instituant ». L’institué, c’est le déjà là : l’ordre en place de l’organisation. C’est son volet péren­ni­té. L’instituant, c’est davan­tage la force créa­trice, voire le ques­tion­ne­ment de l’ordre des choses sous la pous­sée des acteurs indi­vi­duels ou col­lec­tifs au sein de l’organisation. Pour vivre, une orga­ni­sa­tion a besoin des deux.
  10. John Pit­seys, « Éco­lo et l’idéologie », Les ana­lyses du Crisp en ligne.

Pol Zimmer


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