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École et diversité ethnoculturelle

Numéro 8 – 2018 par Stéphane Leyens Tatiana Willems

décembre 2018

La diver­si­té eth­no­cul­tu­relle — enten­dons par là la diver­si­té quant aux régions géo­gra­phiques d’origine des familles, aux langues mater­nelles, aux confes­sions reli­gieuses ou encore aux habi­tudes ali­men­taires et ves­ti­men­taires liées à ces régions et confes­sions — du public sco­laire en Fédé­ra­tion Wal­­lo­­nie-Bruxelles (comme ailleurs en Europe occi­den­tale) n’a ces­sé de s’accentuer ces der­nières décen­nies. Elle est prin­ci­pa­le­ment le fait de […]

Dossier

La diver­si­té eth­no­cul­tu­relle — enten­dons par là la diver­si­té quant aux régions géo­gra­phiques d’origine des familles, aux langues mater­nelles, aux confes­sions reli­gieuses ou encore aux habi­tudes ali­men­taires et ves­ti­men­taires liées à ces régions et confes­sions — du public sco­laire en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles (comme ailleurs en Europe occi­den­tale) n’a ces­sé de s’accentuer ces der­nières décen­nies. Elle est prin­ci­pa­le­ment le fait de flux migra­toires qui ont débu­té au len­de­main du second conflit mon­dial pour des rai­sons éco­no­miques et ont connu des moda­li­tés dif­fé­rentes en fonc­tion de la conjonc­ture éco­no­mique et des rela­tions géo­po­li­tiques de la seconde moi­tié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Les crises migra­toires de la der­nière décen­nie ont ren­for­cé signi­fi­ca­ti­ve­ment le phé­no­mène. Alors que long­temps la diver­si­té du public sco­laire était confi­née à une classe d’écoles (les « écoles ghet­tos » des grandes villes), les décrets Ins­crip­tion qui se sont suc­cé­dé depuis 2007, visant à empê­cher la dis­cri­mi­na­tion à l’inscription par les éta­blis­se­ments sco­laires, auront pour consé­quence de voir leur public se diver­si­fier, les ame­nant à faire l’expérience de la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle. Le fait de la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle des publics sco­laires s’est lar­ge­ment répan­du ces der­nières années.

Afin de réflé­chir à cette diver­si­té des publics sco­laires et de pro­po­ser des outils per­met­tant de l’accueillir, ou du moins d’y répondre, plu­sieurs « modèles » ont été avan­cés au cours des der­nières décen­nies : modèles de l’assimilation, de l’intégration, du mul­ti­cul­tu­ra­lisme, ou encore de l’approche inter­cul­tu­relle1, cha­cun de ces modèles défen­dant une concep­tion par­ti­cu­lière du rap­port entre la socié­té majo­ri­taire et l’Autre eth­no­cul­tu­rel afin que ce rap­port se passe au mieux. Ces modèles ont ins­pi­ré les poli­tiques de l’éducation et ont don­né lieu à des décrets, lois et direc­tives, tant au niveau euro­péen qu’aux niveaux natio­nal et com­mu­nau­taire. La diver­si­té eth­no­cul­tu­relle est réflé­chie, et pro­blé­ma­ti­sée au niveau politique.

Or, bien que des outils réflexifs et légaux aient été conçus pour répondre à la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle crois­sante des écoles, il appa­rait avec évi­dence que celle-ci, dans cer­tains de ses aspects à tout le moins, est source de pro­fond malaise en milieu sco­laire. En effet, si la ques­tion de la ges­tion des diver­si­tés à et par l’école n’est pas neuve, nous devons consta­ter qu’elle reste au cœur des pré­oc­cu­pa­tions de nombre d’acteurs sco­laires, et en par­ti­cu­lier des membres des équipes édu­ca­tives. Pous­ser la porte d’établissements sco­laires avec cette ques­tion pro­voque ain­si une série de réac­tions contras­tées de la part des per­son­nels sco­laires qui montrent que ce sujet est loin de les lais­ser indif­fé­rents2. Les réac­tions récol­tées sont tan­tôt enthou­siastes, tan­tôt crain­tives ou défai­tistes. En effet, cer­tains, par peur de pro­vo­quer des remous et de créer plus de ten­sions qu’il n’en existe déjà à leurs yeux en la matière au sein de leur école, pré­fèrent ne pas abor­der cette ques­tion trop sen­sible pour eux et fer­mer les portes à toute inves­ti­ga­tion et à tout sui­vi à ce pro­pos. Alors que pour d’autres, plus nom­breux, il semble y avoir urgence à trai­ter ce point en équipe et avec les élèves. On peut obser­ver un sen­ti­ment d’impuissance et un malaise auprès du per­son­nel ensei­gnant face à cette ques­tion de la ges­tion des diver­si­tés qui le conduisent dans un cas, à se cou­per de toute inter­ven­tion exté­rieure pour trai­ter de la ques­tion et dans l’autre, à mani­fes­ter un besoin d’outils direc­te­ment mobi­li­sables pour faire face à des situa­tions qui sont sou­vent vécues comme pro­blé­ma­tiques en la matière. Il va sans dire que ce malaise entrave la dyna­mique sco­laire et est par­ta­gé par toute une popu­la­tion d’élèves et leurs parents. La ges­tion de la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle sus­cite un réel malaise dans le milieu sco­laire, au sein des équipes édu­ca­tives et auprès des élèves et des parents.

C’est pré­ci­sé­ment l’expérience de ce malaise faite par cha­cun des auteurs que nous allons lire qui a don­né nais­sance à ce dos­sier3. Les enjeux sont en effet d’une impor­tance cru­ciale : ils ont trait à des ques­tions fon­da­men­tales de jus­tice sociale au sens où ce qui est en jeu en der­nier res­sort dans ce malaise, c’est l’accès pour toutes et tous à une édu­ca­tion de qua­li­té per­met­tant un plein épa­nouis­se­ment, une recon­nais­sance de l’identité per­son­nelle et le déve­lop­pe­ment des com­pé­tences citoyennes. Com­ment gérer la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle en milieu sco­laire de telle sorte que la réelle oppor­tu­ni­té, et non seule­ment le droit for­mel, pour toutes et tous de jouir d’une édu­ca­tion sco­laire de qua­li­té et res­pec­tueuse de l’identité de cha­cune et cha­cun soit garan­tie ? Le sou­ci de jus­tice sociale ne peut faire l’économie d’une réponse à cette inter­ro­ga­tion. En outre, l’école est un lieu d’inclusion sociale de toute pre­mière impor­tance : lieu de l’apprentissage de l’altérité, de la diver­si­té et du vivre-ensemble. « L’École face à la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle » est une ques­tion essen­tielle de la jus­tice sociale aujourd’hui.

Par­mi l’ensemble des ques­tions que sou­lève cette pro­blé­ma­tique, nous pou­vons déga­ger quelques axes majeurs, qui, entre autres consi­dé­ra­tions, seront abor­dés dans les articles qui suivent. Pre­miè­re­ment, se pose la ques­tion de savoir com­ment conce­voir l’altérité, la dif­fé­rence ou la diver­si­té. Lorsque sur­git une dif­fi­cul­té met­tant en scène une dif­fé­rence, il est com­mode, et très com­mun, d’imputer la dif­fi­cul­té à la dif­fé­rence en ques­tion. De ce fait, la dif­fé­rence est essen­tia­li­sée et donne lieu à une caté­go­ri­sa­tion : « c’est parce que l’on est comme ceci que l’on agit comme cela (et cela est un pro­blème); tous ceux qui sont comme ceci, agissent comme cela ». Ce type de caté­go­ri­sa­tion stig­ma­ti­sante est assu­ré­ment une cause du malaise que nous évo­quions ; l’abandonner pour lui pré­fé­rer une approche rela­tion­nelle, de la sin­gu­la­ri­té irré­duc­tible ou de l’identité mul­tiple est reven­di­qué par les auteurs du dos­sier, qui pro­posent diverses alter­na­tives aux caté­go­ri­sa­tions « essentialisantes ».

Deuxiè­me­ment, au sein même des pro­jets d’école et des direc­tives minis­té­rielles qui tentent de rele­ver le défi de la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle, se loge ce qui pour­rait bien être une sérieuse contra­dic­tion : à savoir, d’un côté, la volon­té de neu­tra­li­té équi­dis­tante par rap­port à toute dif­fé­rence eth­no­cul­tu­relle afin d’accueillir au mieux la diver­si­té et, de l’autre, le sou­ci de trans­mettre et ren­for­cer des valeurs citoyennes com­munes à toutes et tous, trans­cen­dant en cela la diver­si­té — le décret Neu­tra­li­té de 2003 en est une belle illus­tra­tion. Com­ment, dès lors, conci­lier, au sein des pro­jets péda­go­giques, accueil de la diver­si­té et défense de valeurs citoyennes fondamentales ?

Troi­siè­me­ment, face aux dif­fi­cul­tés ren­con­trées et asso­ciées à la diver­si­té du public sco­laire, la charge de la dif­fi­cul­té, et dès lors de la solu­tion, est le plus sou­vent ciblée, au sens où elle incombe aux com­por­te­ments indi­vi­duels et aux per­sonnes. Il appa­rait cepen­dant que ce qui pour­rait être en cause est avant tout struc­tu­rel, de l’ordre de l’institution — on parle de « dis­cri­mi­na­tion ins­ti­tu­tion­nelle ». Com­ment pen­ser les ins­ti­tu­tions édu­ca­tives pour qu’elles ne soient pas géné­ra­trices de dif­fé­rences stig­ma­ti­santes, mais contri­buent au contraire à la recon­nais­sance de l’altérité ?

Enfin, qua­triè­me­ment, il est contra­riant de consta­ter que, bien que l’idéal d’un vivre-ensemble plu­ri­cul­tu­rel soit expli­ci­te­ment expri­mé par de nom­breux acteurs et que la volon­té poli­tique qui s’exprime dans les direc­tives et décrets en faveur de ce même idéal soit bien réelle, la réa­li­té du ter­rain semble y résis­ter : les outils d’implémentation de cet idéal — outils concep­tuels, ins­ti­tu­tion­nels, péda­go­giques — semblent encore lar­ge­ment faire défaut. Quels outils mettre à la dis­po­si­tion des acteurs, et com­ment les rendre effec­tifs : voi­là une ques­tion pour laquelle cha­cun des articles du dos­sier s’est atte­lé à pro­po­ser des pistes de réponse.

Notre objec­tif, en publiant ce dos­sier, est de contri­buer à la réflexion plus que jamais néces­saire pour rele­ver le défi de la diver­si­té eth­no­cul­tu­relle en milieu scolaire.

  1. Meu­nier O., Approches inter­cul­tu­relles en édu­ca­tion. Étude com­pa­ra­tive inter­na­tio­nale, Les Dos­siers de la Veille, INRP, 2007.
  2. Comme nous en avons fait l’expérience lors de la phase de prise de contacts d’une recherche inti­tu­lée « Dyna­miques inter­cul­tu­relles et recon­nais­sance dans l’enseignement secon­daire », Interfaces-UNamur.
  3. Ce dos­sier fait suite à une jour­née d’étude orga­ni­sée à l’université de Namur en novembre 2017 sur le thème « École et socié­té : com­ment faire vivre les diversités ? ».

Stéphane Leyens


Auteur

professeur de philosophie, à l’université de Namur

Tatiana Willems


Auteur

socio-anthropologue, assistante au Département de sciences, philosophies et sociétés, Université de Namur