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Ebola, une épidémie qui ne doit rien au hasard

Numéro 11/12 novembre/décembre 2014 - Afrique ebola ONU santé par Marius Gilbert

novembre 2014

Les mala­dies émer­gentes comme la grippe aviaire (H5N1, H7N9), le SRAS (syn­drome res­pi­ra­toire aigu sévère), le MERS (syn­drome res­pi­ra­toire du Moyen-Orient) et aujourd’hui Ebo­la ont toutes un point com­mun. Les agents de ces mala­dies sont des virus dont le réser­voir est d’origine ani­male, mais les causes de ces épi­dé­mies sont humaines, consé­quences de choix éco­no­miques, de déve­lop­pe­ment et de gouvernance.

Les mala­dies émer­gentes comme la grippe aviaire (H5N1, H7N9), le SRAS (syn­drome res­pi­ra­toire aigu sévère), le MERS (syn­drome res­pi­ra­toire du Moyen-Orient) et aujourd’hui Ebo­la ont toutes un point com­mun. Les agents de ces mala­dies sont des virus dont le réser­voir est d’origine ani­male, mais les causes de ces épi­dé­mies sont humaines, consé­quences de choix éco­no­miques, de déve­lop­pe­ment et de gouvernance.

À l’heure où l’on recons­ti­tue, chez nous, des organes avec des impri­mantes 3D, dans un autre monde social, éco­no­mique et géo­gra­phique, on a lais­sé s’étendre une épi­dé­mie que l’on aurait pu arrê­ter avec des moyens du début du siècle pas­sé : hygiène, iso­le­ment des malades et beau­coup, beau­coup de chlore. Comme le disait Brice de le Vingne, res­pon­sable logis­tique de MSF, à la com­mis­sion San­té de la chambre du Par­le­ment belge consa­crée à Ebo­la : « Mon­ter un centre d’isolement pour patients d’Ebola, cela n’a rien de compliqué ! »

Rien de com­pli­qué, et pour­tant l’épidémie est là, et elle frappe à nos portes. Ne com­met­tons pas l’erreur de pen­ser que la peur, la rumeur et les com­por­te­ments irra­tion­nels seraient des spé­ci­fi­ci­tés afri­caines. Les pre­miers cas aux États-Unis et en Espagne nous en donnent un pre­mier aper­çu : les uns appellent à la fer­me­ture des fron­tières et au scree­ning sys­té­ma­tique des pas­sa­gers alors que l’on sait que c’est par­fai­te­ment inef­fi­cace (en pro­ve­nance d’où ? « d’ailleurs ! »), le per­son­nel de net­toyage de l’aéroport de New York se met en grève alors que le risque n’est pas là, le chien d’une infir­mière infec­tée par Ebo­la en Espagne est tué « dans le doute », et les sites web qui ali­mentent les théo­ries du grand com­plot fleu­rissent sur le net [« le CDC (Cen­ters for Disease Control and Pre­ven­tion) d’Atlanta est plus dan­ge­reux qu’Ebola ! »]. Tout est en place en Europe pour que quelques cas sup­plé­men­taires d’Ebola se tra­duisent en une psy­chose et une vague de per­tur­ba­tions sociales qui ne feront que rendre la ges­tion de la crise plus dif­fi­cile, comme ce fut le cas en Gui­née, au Libe­ria et en Sier­ra Leone, là où cette épi­dé­mie a commencé.

Un enchainement de causes

Dans com­bien de pays au monde une mala­die qui tue 70 % des per­sonnes infec­tées aurait-elle pu se pro­pa­ger pen­dant trois mois et demi, entre décembre 2013 et mars 2014, avant d’être iden­ti­fiée ? Dans des pays où les méde­cins sont rares, sans aucun doute. Selon les chiffres de la Banque mon­diale, il y avait en Gui­née, au Libe­ria et en Sier­ra Leone res­pec­ti­ve­ment 10, 1.4 et 2,2 méde­cins pour 100 000 habi­tants en 2010. Ces chiffres sont par­mi les plus bas au monde. À titre de com­pa­rai­son, il y en a, en moyenne, 378 en Bel­gique. Et les rares méde­cins pré­sents ont eu bien du mal à diag­nos­ti­quer les pre­miers cas. Selon les Nations unies, ces pays comptent chaque année près de 12 000, 3 000 et 7 500 décès dus au palu­disme. Il faut éga­le­ment comp­ter avec l’épidémie trans­fron­ta­lière de cho­lé­ra qui fit quelque 30 000 cas et 500 morts entre la Gui­née et le Sier­ra Leone. C’était il y a peu, en 2012, qui s’en sou­vient ? Autant dire qu’une mala­die dont les symp­tômes prin­ci­paux sont la fièvre, des vomis­se­ments et des diar­rhées avait toutes les chances de pas­ser inaper­çue. D’autres pays d’Afrique cen­trale pré­sentent des condi­tions sem­blables, et Ebo­la y a déjà cau­sé des épi­dé­mies de plus petite ampleur dans le pas­sé et cette année encore en RDC. Les méde­cins et une par­tie de la popu­la­tion y sont mieux infor­més et réagissent donc plus vite, ce qui a per­mis de conte­nir ces foyers.

Dans l’enchainement des causes qui vont mener à l’épidémie de grande ampleur que l’on connait aujourd’hui, il y aura donc eu dans un pre­mier temps la vul­né­ra­bi­li­té de cette région d’Afrique de l’Ouest qui n’a jamais connu cette mala­die et sa nature trans­fron­ta­lière qui va com­pli­quer l’organisation de la détec­tion et d’une réponse coor­don­nées. Mais ce ne sera mal­heu­reu­se­ment que la pre­mière étape.

En mars 2014, Michel Van Herp, méde­cin de MSF, pense à Ebo­la en lisant la des­crip­tion des symp­tômes de cette mala­die qui, depuis trois mois, tue plus que la nor­male en Afrique de l’Ouest. Ses soup­çons sont confir­més par un diag­nos­tic molé­cu­laire. MSF va sur le ter­rain et réa­lise que le virus est déjà pré­sent dans de nom­breuses loca­li­tés de trois pays jamais tou­chés aupa­ra­vant, c’est une situa­tion sérieuse et inédite.

L’organisation ouvre alors ses pre­miers centres de soin et d’isolement, démarre les opé­ra­tions de sui­vis des contacts et lance son pre­mier appel pour une mobi­li­sa­tion rapide et inter­na­tio­nale des res­sources. Mais les équipes de soin font peur, et il sem­ble­rait que méfiance et incom­pré­hen­sion écartent les patients des centres de soin. MSF et le CDC pensent que l’épidémie est en voie d’être mai­tri­sée alors qu’elle conti­nue à se pro­pa­ger silen­cieu­se­ment. En juin, les patients affluents à nou­veau, chaque jour plus nom­breux, et le doute n’est plus per­mis. Il s’agit d’une épi­dé­mie de grande ampleur, tota­le­ment incon­trô­lée, qui touche trois pays et dont l’étendue réelle dans la popu­la­tion est incon­nue. La situa­tion est d’autant plus grave que le peu de per­son­nel de san­té des ser­vices public est lui aus­si dure­ment tou­ché par l’épidémie, il ne reste vrai­ment plus beau­coup de méde­cins par tranche de 100 000 habi­tants, et ceux qui acceptent encore d’intervenir le font au péril de leur vie, en rai­son d’un manque d’équipement approprié.

Il fau­drait alors réagir, vite et à grande échelle. Il fau­drait envoyer des équipes d’information dans les zones les plus recu­lées, ouvrir des centres de soins et d’isolement décen­tra­li­sés, aller vers les patients, mieux infor­mer du fait que les chances de sur­vie sont plus éle­vées lors d’une prise en charge, mieux infor­mer du risque de conta­mi­na­tion des proches, inten­si­fier l’identification des contacts des malades et invi­ter ceux-ci à s’isoler de leurs proches pen­dant une période d’observation. Mais la logis­tique ne suit plus. Mais où sont les moyens sup­plé­men­taires ? L’alerte a été don­née en mars ! Où sont les avion­s, les équi­pe­ments d’urgence ? Et bien non, en juin, en juillet, rien ne se passe, le tar­mac des aéro­ports est tou­jours vide et il le res­te­ra encore plu­sieurs mois.

Les mauvais choix de l’OMS

C’est que l’OMS, l’organisation des Nations unies qui, en prin­cipe, doit jouer un rôle clé de relai dans la sen­si­bi­li­sa­tion et la coor­di­na­tion sur les ques­tions inter­na­tio­nales de san­té, a subi les consé­quences de la crise finan­cière. Son bud­get, qui dépend des dona­tions des pays membres, pla­fonne en 2010, et est réduit dans les années qui suivent. L’OMS est donc for­cée de faire des choix.

En juin 2013, soit moins de neuf mois avant la crise Ebo­la, elle annonce un chan­ge­ment de cap, vali­dé par l’assemblée mon­diale de la san­té où siègent tous les pays membres, dont la Bel­gique. Elle va réduire dras­ti­que­ment son bud­get consa­cré aux mala­dies infec­tieuses et réorien­ter ses efforts vers les mala­dies non trans­mis­sibles (mala­dies car­dio­vas­cu­laires et can­cers). Le bud­get qui traite les situa­tions d’urgence épi­dé­mique est divi­sé par deux, le nombre d’employés réduit, le dépar­te­ment de réponse épi­dé­mique et pan­dé­mique dis­sout, ses membres dis­tri­bués dans d’autres dépar­te­ments. Les experts et vété­rans d’anciennes luttes contre des épi­dé­mies d’Ebola et d’autres fièvres hémor­ra­giques employés par l’OMS au siège de Genève ou en Afrique ne se comptent plus que sur les doigts d’une main. Un autre dépar­te­ment, res­pon­sable des réponses d’urgence (guerres, catas­trophes, épi­dé­mie) voit son per­son­nel réduit de 94 à 34 per­sonnes. L’OMS tarde donc à prendre la mesure de l’épidémie, mais quel rôle auront joué ces restruc­tu­ra­tions dans ce retard ?

Au début de l’été, l’épidémie touche donc les zones urbaines et y entame sa crois­sance expo­nen­tielle. Au Libe­ria, 2 à 3 cas par jour en juin, 6 en juillet, 18 en aout, près de 60 en sep­tembre. En paral­lèle, MSF est le témoin impuis­sant de la dés­in­té­gra­tion totale des ser­vices publics de san­té. Dans de nom­breux centres de soins et d’isolement, on aban­donne l’idée de suivre les contacts, on refuse des malades tous les jours. Les hôpi­taux publics ferment, il n’est plus pos­sible d’être soi­gné. Les acci­den­tés de la route, les malades en situa­tions d’urgence, les femmes qui ont le mal­heur d’avoir un accou­che­ment dif­fi­cile ne savent plus où aller. Aujourd’hui encore, on ne mesure tou­jours pas l’étendue de cet effet indi­rect de l’épidémie.

L’OMS prend enfin la mesure de l’urgence, et, le 8 aout, décrète que l’épidémie Ebo­la est une urgence de san­té publique de por­tée mon­diale. Mais l’OMS n’est pas enten­due. C’est que l’institution a beau­coup per­du de sa cré­di­bi­li­té et de son poids poli­tique sur la scène inter­na­tio­nale lors de la pan­dé­mie cau­sée par la grippe H1N1. On se rap­pelle qu’en 2009, sur la base d’observations très inquié­tantes concer­nant l’émergence d’une nou­velle grippe au Mexique, elle avait décré­té la pan­dé­mie, son­né l’alarme et entrai­né une mobi­li­sa­tion inter­na­tio­nale sans pré­cé­dent. Tous les plans anti­pan­dé­mie pré­pa­rés par les pays en pré­vi­sion du virus H5N1 (un autre virus de grippe qui cir­cu­lait, et cir­cule tou­jours en Asie, main­te­nant en com­pa­gnie du H7N9) avaient été acti­vés, les stocks d’antiviraux renou­ve­lés et les vac­cins com­man­dés en masse. Il y a bien eu pan­dé­mie, et ceux qui souf­frirent de cette grippe H1N1 s’en sou­viennent encore, tant elle fut pénible à endu­rer. Mais, fort heu­reu­se­ment, la mor­ta­li­té asso­ciée n’a pas été aus­si éle­vée que ce qui avait été craint, et l’OMS fut confron­tée à la grogne des pays qu’elle avait aver­tis. Elle fut aus­si au centre d’une contro­verse sur les pos­sibles conflits d’intérêts des scien­ti­fiques de son comi­té d’experts.

L’indifférence occidentale

Pen­dant l’été, alors que l’OMS a décré­té l’urgence, en Europe et aux États-Unis, on regarde son nom­bril. En Europe, les com­pa­gnies aériennes ferment leurs lignes vers les pays tou­chés à l’exception de Brus­sels Air­lines. C’est une mesure inef­fi­cace, mais qui ras­sure le per­son­nel. Aux États-Unis, News­week met une pho­to de singe sur la cou­ver­ture de son numé­ro du 21 aout, titre « Smug­gled Bush­meat Is Ebola’s Back Door to Ame­ri­ca », repro­duit dans son article les pires cli­chés racistes et para­noïaques et se fait heu­reu­se­ment remettre à sa place par le Washing­ton Post. MSF crie tou­jours dans le désert, et il n’y pas la moindre sen­si­bi­li­sa­tion du grand public qui semble ne voir dans cette mala­die qu’un fléau de plus qui touche l’Afrique, après les guerres, les famines et le sida. Bref, on s’habitue… 2 000 morts dans une catas­trophe sou­daine, cela pour­rait encore s’accorder avec le temps média­tique. Mais qui porte atten­tion à quelques dizaines de décès heb­do­ma­daires dans des pays que l’on sait tou­chés par d’autres mala­dies ? Même si ces quelques dizaines de cas en annoncent d’autres, bien plus nombreux.

Fina­le­ment, les choses bougent, mais très len­te­ment, trop len­te­ment. L’OMS a chif­fré dans une feuille de route publiée à la fin aout le mon­tant d’une inter­ven­tion si elle com­men­çait immé­dia­te­ment : 500 mil­lions de dol­lars. Le 2 sep­tembre, Tom Frie­den, direc­teur des Cen­ters for Disease Control and Pre­ven­tion, revient d’une mis­sion en Afrique de l’Ouest et, visi­ble­ment cho­qué par ce qu’il a vu sur le ter­rain, déclare que « la fenêtre d’opportunité durant laquelle une action per­met­trait de mettre fin à cette épi­dé­mie est en train de se fer­mer ». Dans la fou­lée, des pays s’engagent par des pro­messes de don. Mais c’est déjà trop tard. Le temps néces­saire pour tra­duire ces dons en capa­ci­té opé­ra­tion­nelle sera trop long, on ne lutte pas faci­le­ment contre une épi­dé­mie dont les cas, à ce moment-là, doublent tous les vingt jours. MSF, pour la pre­mière fois de son his­toire, en appelle à l’intervention de forces civiles et mili­taires, seules à même, selon l’organisation, de déployer rapi­de­ment des équipes sur le ter­rain pour mettre en place des centres d’isolement. Mais cet appel, encore une fois, ne passe pas. Une inter­ven­tion sur le ter­rain n’est pas tota­le­ment sans dan­ger pour le per­son­nel de soin et pré­sente un risque poli­tique que peu de repré­sen­tants poli­tiques sont prêts à prendre, sur­tout dans un contexte de faible sen­si­bi­li­sa­tion de l’opinion publique.

Vers la fin du mois de sep­tembre, les pre­miers enga­ge­ments concrets sont enfin pris en termes de moyens humains par les États-Unis (4 000 mili­taires), le Royaume-Uni (750 mili­taires, 500 volon­taires), l’Allemagne (500 volon­taires), la Chine (170 pro­fes­sion­nels de la san­té), Cuba (165 pro­fes­sion­nels de la san­té) et récem­ment le Nige­ria (591 volon­taires). Les pre­miers devraient arri­ver en octobre, mais déjà, de nom­breuses ques­tions se posent sur leur enga­ge­ment réel, et il est encore trop tôt pour juger de leur impact sur l’épidémie.

Le virus Ebo­la se pro­page donc depuis plus de dix mois, et le 8 octobre, la Banque mon­diale fait ses comptes. Elle estime que si l’épidémie conti­nue à se pro­pa­ger en Afrique de l’Ouest, elle pour­rait cou­ter 32 mil­liards de dol­lars de perte à l’horizon 2015. Début octobre, les pre­miers cas sont signa­lés aux États-Unis et en Europe avec leur lot de psychoses.

Mobilisation internationale tardive

On peut lais­ser à cette mobi­li­sa­tion inter­na­tio­nale tar­dive le béné­fice du doute sur ses inten­tions huma­ni­taires. Mais la séquence des évè­ne­ments invite à une méfiance cri­tique. Tant que la crise Ebo­la n’a été per­çue que comme un drame huma­ni­taire, elle a été lar­ge­ment igno­rée. C’est quand il a été clair qu’elle frap­pe­rait à nos portes et pour­rait avoir un impact sur l’économie glo­bale — qui ne peut se per­mettre de nou­veaux chocs — qu’elle a enfin été prise au sérieux.

En outre, les trois pays tou­chés par Ebo­la n’ont pas échap­pé aux ajus­te­ments struc­tu­rels qui ont contri­bué à la fois à la décom­po­si­tion des ser­vices publics, dont la san­té, et à l’ouverture des mar­chés aux biens et capi­taux étran­gers. Cette der­nière s’est tra­duite par la pri­va­ti­sa­tion de larges sur­faces de terres au pro­fit d’activités minières et du déve­lop­pe­ment de l’agriculture inten­sive (pal­mier à huile, maïs, soja, riz, café). Ces inves­tis­se­ments qui peuvent avoir contri­bué à l’émergence de la mala­die elle-même, repré­sentent éga­le­ment des inté­rêts com­mer­ciaux impor­tants à pro­té­ger pour les pays étrangers.

Quel sera le futur de cette mala­die en Europe, aux États-Unis, en Asie ? Les mou­ve­ments anti­vac­ci­na­tion qui donnent lieu à la résur­gence de nom­breuses mala­dies infec­tieuses rap­pellent qu’en matière de san­té publique, nous n’avons dans les pays occi­den­taux aucune leçon à don­ner à d’autres en termes de ratio­na­li­té et de croyances. Com­ment nos socié­tés du risque zéro vont-elles pou­voir s’adapter à une mala­die dont le trai­te­ment implique inévi­ta­ble­ment un risque d’infection qu’on ne peut tota­le­ment exclure ?

En Bel­gique, les pre­miers cas sus­pects d’Ebola ont ser­vi, disons… d’exercice. Ils ont mis en lumière le manque d’équipement appro­prié et les défauts des locaux et pro­cé­dures exis­tants. Heu­reu­se­ment pour le per­son­nel de soin, il s’agissait de cas qui se sont révé­lés néga­tifs. D’autres ont fait les frais de cette impro­vi­sa­tion. Aux États-Unis et en Espagne, deux infir­miers ont été infec­tés en trai­tant cha­cun un seul patient. Sommes-nous si surs que notre sys­tème de san­té pour­rait gérer ne fût-ce qu’une quin­zaine de cas d’Ebola intro­duits sans voir son fonc­tion­ne­ment gra­ve­ment per­tur­bé ? Com­ment notre éco­no­mie qui fonc­tionne à flux ten­du pour­rait-elle absor­ber des res­tric­tions de trans­port aérien ? Si en Bel­gique, en Europe, on sou­haite évi­ter de ten­ter ce test gran­deur nature de nos propres vul­né­ra­bi­li­tés, il n’y a pas d’autre choix que de tout mettre en œuvre pour stop­per cette épi­dé­mie-là où elle se trouve.

Pour un monde plus solidaire

L’épidémie d’Ebola ne doit donc rien au hasard. Elle a pu se pro­pa­ger car elle a trou­vé des pays dans un état de misère abso­lue, des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales de san­té publique fra­gi­li­sées et un sys­tème éco­no­mique qui auto­rise une par­tie de l’humanité à vivre avec indif­fé­rence aux dépens de l’autre. Avec les crises éco­no­miques, avec la crise des réfu­giés, l’épidémie d’Ebola fait par­tie de ces drames qui lient le monde. En Bel­gique, en Europe, nous pou­vons conti­nuer de pen­ser que notre éco­no­mie, notre déve­lop­pe­ment, nos choix de gou­ver­nance ne concernent que nous, mais ce serait nier la réa­li­té éco­no­mique, éco­lo­gique et épi­dé­mio­lo­gique. Tant que le des­tin d’un gamin de Melian­dou mort en Gui­née un jour de décembre 2013 nous res­te­ra étran­ger, tant que notre huma­ni­té ne sera pas plus inter­pe­lée par les réfu­giés qui viennent mou­rir sur les plages d’Europe, tant que nous n’intègrerons pas l’impératif d’un monde plus soli­daire et moins dés­équi­li­bré, nous res­te­rons expo­sés aux crises éco­lo­giques, éco­no­miques, sociales, épi­dé­mio­lo­giques et sys­té­miques qui ne vont pas man­quer de se succéder.

Marius Gilbert


Auteur

Chercheur en épidémiologie à l'université libre de Bruxelles. Il y dirige le laboratoire d'épidémiologie spatiale (SpELL) et est Senior Research Associate au FNRS.