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Dynamiques de la concertation sociale, d’É. Arcq, M. Capron, É. Léonard et P. Reman
Le mot « concertation » appartient au vocabulaire politique de la Belgique où, au fil du temps, il a acquis diverses significations. On l’emploie parfois dans un sens étendu pour désigner l’ensemble des pratiques de gestion des relations collectives de travail. Ce qu’expriment des syndicalistes quand ils disent leur souci, dans une conjoncture difficile, de voir maintenir envers […]
Le mot « concertation » appartient au vocabulaire politique de la Belgique où, au fil du temps, il a acquis diverses significations. On l’emploie parfois dans un sens étendu pour désigner l’ensemble des pratiques de gestion des relations collectives de travail. Ce qu’expriment des syndicalistes quand ils disent leur souci, dans une conjoncture difficile, de voir maintenir envers et contre toute la concertation. Le terme peut avoir une acception plus précise quand il désigne une des modalités originales de gestion des relations collectives de travail, à côté de la consultation et de la négociation, visant à produire des accords aux contenus programmatiques variés et engageant fermement les parties à la concertation. La concertation entendue de cette manière implique nécessairement l’existence d’acteurs sociaux forts, préférant produire eux-mêmes, éventuellement avec l’appui du gouvernement (sous des formes diverses), le cadre et le contenu de leurs accommodements sans qu’il soit nécessaire de recourir exclusivement ou préalablement à la loi. Durant la brève période pendant laquelle il assuma la fonction de Premier ministre, Michel Rocard déplora l’absence, en France, d’acteurs sociaux forts et du système de négociation que cette puissance autorisait. La situation est très différente en Belgique où la force des acteurs sociaux compense, en partie, la faiblesse des autorités politiques et constitue un élément central du régime de démocratie sociale, complétant la représentation parlementaire par d’autres canaux de représentation et de décision dans les matières économiques et sociales, assurant de ce fait une fonction de régulation essentielle.
Si la concertation sociale a de lointaines origines qui remontent aux Conférences nationales du travail de la fin des années trente, elle ne démarrera, dans ses formes contemporaines, qu’au lendemain de la guerre, au moment où le rapport de force entre groupes sociaux était plus favorable au monde du travail. Elle trouvera une première consécration dans les Accords nationaux de productivité de 1952 et 1954 qui organiseront les relations sociales de travail pour de longues années. Fin des années soixante, début des années septante, elle sera vivement critiquée par une partie de la base syndicale qui lui reprochera un encadrement trop étroit de la revendication sociale. Elle passera par diverses phases dans les années qui suivirent, confrontée notamment à des gouvernements qui décideront de réorganiser les finances publiques et de limiter les mécanismes de redistribution sans négociation avec les partenaires sociaux. Depuis le début des années 2000, la concertation sociale a retrouvé une certaine dynamique, mais dans un environnement profondément transformé. Ces changements et les questions qui les accompagnent justifiaient que l’on ouvre à nouveau le dossier de la concertation sociale et qu’on l’interroge sous divers angles : son rôle et ses missions, sa production (aboutit-elle à produire ce qu’on attend d’elle?), ses adaptations à un environnement inédit (internationalisation), sa contribution au régime démocratique. Enfin, de manière plus générale, la concertation sociale est-elle toujours enracinée dans un conflit portant sur l’organisation de la production et la répartition de son produit, ou s’est-elle muée en un outil de gestion d’intérêts dans une société largement réconciliée ?
Le Centre de recherche et d’informations sociopolitiques (Crisp) vient de publier un ouvrage important sur ce sujet1, s’assurant le concours d’une équipe d’analystes et d’observateurs divers qui abordent l’ensemble de ces questions. Le livre a l’ambition de constituer une sorte d’ouvrage de référence sur le sujet en Belgique. L’objectif est certainement atteint. Si plusieurs chapitres n’apportent pas de données ou de commentaires réellement nouveaux sur le fond de la question, il en est d’autres qui sont vraiment originaux. Cependant, l’intérêt et l’utilité de l’ouvrage, et par là son caractère innovant, résident principalement dans le rassemblement et la mise en convergence des analyses portant sur une variété de thèmes et d’approches concourant à une meilleure compréhension du système de concertation sociale en Belgique.
Les limites du système
La première partie de l’ouvrage, de nature plus historique, porte sur La construction et les mutations de la concertation sociale. Marie-Thérèse Coenen rappelle comment le conflit de travail a été progressivement canalisé par le développement d’institutions et de procédures dont l’objectif était d’ajuster les intérêts des uns et des autres autour de compromis toujours à refaire, mais qui produiront un système de gestion des rapports collectifs de travail efficace. Le produit de cette production institutionnelle, l’appareil belge de concertation sociale, est traité par Pierre Blaise qui insiste sur la dimension normative où l’autorité de la concertation sociale est devenue, à côté du pouvoir législatif, une source inédite de droit.
L’impact de la concertation sur les changements économiques et sociaux intervenus en Belgique depuis la Seconde Guerre mondiale est étudié par Isabelle Cassiers et Luc Denayer. La croissance pendant les « Trente glorieuses » (1945 – 1975) a certainement été facilitée par le développement et la consolidation de la concertation sociale. La liaison entre croissance et concertation a toutefois mis en évidence les limites de ce système dans la mesure où sa capacité de redistribution était fondée sur le postulat d’une croissance économique continue. Aux « Trente glorieuses », ont succédé les « Trente bouleversantes » marquées par de multiples changements : épuisement des technologies et des modes d’organisation du travail ayant porté la croissance après 1945, internationalisation de la production et des flux financiers, changements démographiques et culturels. En outre, les règles du jeu collectif vont changer à la suite de l’apparition d’un facteur (acteur?) inédit, difficile à désigner — le « marché », les « opérateurs financiers » ? — qui va produire des intérêts contradictoires. Pour les auteurs, anticipant sur les conclusions, « la pérennité du système de concertation sociale belge dépend de la capacité des interlocuteurs sociaux à prendre la mesure des changements en cours, à intégrer l’existence de nouvelles problématiques et de nouveaux groupes d’acteurs et à redéfinir activement une vision commune du progrès économique et social » (p. 92). On répond à cette question dans d’autres parties du volume.
Deux chapitres sont consacrés à l’analyse des acteurs sociaux traditionnels de la concertation sociale. Jean Faniel propose une synthèse historique fort complète du syndicalisme belge, insistant sur ses spécificités, sa puissance d’encadrement et de représentation du monde du travail, et soulignant certaines indéterminations induites par les multiples transformations de son environnement. De leur côté, les organisations du monde patronal sont analysées par Étienne Arcq. On observera cependant que la description approfondie de l’action patronale organisée sur divers axes, sectoriels, régionaux et autres, pour intéressante qu’elle soit, ne peut cependant se substituer à une analyse plus politique des « conduites » du monde patronal ou des dirigeants économiques qui est encore à faire. Le pragmatisme dont se targue souvent ce milieu ne peut dissimuler le fait que les choix ou les stratégies obéissent parfois à d’autres raisons que la simple rationalité économique. Des études de ce type ont été réalisées sur le patronat flamand, mais elles manquent ailleurs. Les études historiques comme celles que conduisent Ginette Kurgan et son groupe d’histoire du patronat à l’ULB devraient être doublées d’analyses plus sociologiques portant sur les systèmes d’idées dominant le monde patronal, les sources idéologiques qui les inspirent, les choix politiques, l’existence de fractions porteuses de projets singuliers, la manière dont le monde patronal intègre ou non ses idées et son action dans un contexte social plus large. Mais ceci est, sans doute, une autre histoire…
Les conflits de travail
Les conflits de travail sont abordés dans deux autres chapitres. Au terme d’une reconstitution précise des développements de la conflictualité en Wallonie depuis 1966, Michel Capron conteste l’image d’une Wallonie entretenant une culture de grève nuisible à son image. Le conflit de travail sous la forme de la grève concerne surtout les bassins de Liège et du Hainaut où se concentre une forte tradition du conflit industriel (et, pourrait-on ajouter, où se multiplient interminablement les épisodes successifs d’une reconversion industrielle jamais achevée). Pour le reste, il note que la conflictualité est, dans les faits, globalement moins importante qu’en Flandre. Il insiste également sur les transformations profondes de la conflictualité et son déplacement vers le secteur des services et le non-marchand. Kurt Vandaele observe les mêmes évolutions en Flandre (la « tertiarisation » de l’arme de la grève). Dans ses conclusions, il insiste sur le jeu des perceptions : une Flandre « docile » opposée à l’image d’une Wallonie caractérisée par un « syndicalisme du XIXe siècle ». Pour Kurt Vandaele, cette opposition a une fonction idéologique évidente de « renforcer un modèle d’action sociale auquel les Flamands peuvent s’identifier » et qui présente plus d’intérêt pour les employeurs que pour les travailleurs. « En soulignant l’unité culturelle, les tentatives de créer une identité de groupe n’estompent pas seulement les oppositions d’intérêt internes. Elles essaient aussi de légitimer le « changement d’échelle » institutionnel de la Belgique » (p. 187).
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la présentation et à l’analyse des instances de la concertation. Les divers auteurs y adoptent une perspective plus institutionnelle, même si les dynamiques historiques sont fréquemment utilisées pour rendre compte des transformations et des orientations nouvelles de l’appareil de concertation. C’est ainsi que les deux grandes instances de la concertation — le Conseil national du travail et le Conseil central de l’économie — qui ont eu un rôle régulateur important lors de leur création il y a un demi-siècle gardent aujourd’hui une fonction importante. C’est ce que démontre également Michel Capron dans le chapitre détaillé qu’il consacre à l’évolution de la concertation sociale interprofessionnelle et au rôle du gouvernement fédéral dans la négociation entre acteurs sociaux. Dans la même section de l’ouvrage, on étudie de manière également détaillée la négociation sectorielle, la négociation d’entreprise ainsi que le développement d’outils ou d’instances de concertation au sein des Régions et des Communautés.
La troisième partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse de quelques cas ou situations qui permettront de vérifier les limites et les effets de la concertation abordés jusque-là dans leurs dimensions plus strictement institutionnelles. François Pichault et Virginie Xhauflair étudient les difficultés de la concertation sociale dans le secteur de la construction, confronté à de nouvelles formes d’organisation du travail caractérisées par un recours systématique à la sous-traitance qui « prolifère […] en marge des cadres légaux » (p. 345). L’analyse est d’autant plus intéressante qu’elle situe son objet dans le contexte de trois types de transformations caractérisant ce début de XXIe siècle : les nouvelles modalités d’organisation du travail et de la production, la sortie des cadres nationaux, les transformations du droit et des régulations collectives. Le secteur de la grande distribution est abordé dans une perspective comparable par Nicolas Coupain. Enfin, Étienne Arcq et Estelle Krzeslo abordent un nouveau venu dans le champ de la concertation sociale : le secteur non marchand qui occupe aujourd’hui un poids très important dans la société belge. Les auteurs mettent en évidence un effet inattendu de la négociation professionnelle qui a contribué à faire exister ce secteur en facilitant l’homogénéisation des statuts de travail et en l’intégrant dans les structures des relations collectives de travail.
Les défis de l’internationalisation
Les défis de l’internationalisation font l’objet d’une quatrième section. La confrontation du modèle belge de concertation sociale au mouvement de l’intégration européenne est abordée par Évelyne Léonard. Comme dans toute situation où se recherchent des articulations entre un système national de relations collectives de travail et un niveau supranational, divers scénarios sont possibles. Elle conclut que si l’architecture globale du système belge n’a pas formellement changé, par contre les paramètres mêmes de la négociation ont évolué sensiblement en raison de l’introduction de normes et de régulations directement issues de l’intégration européenne. Le poids du dialogue social européen aux plans professionnel et interprofessionnel est étudié par Pierre-Paul Van Gehuchten et Philippe Pochet qui interrogent les effets de ces dialogues et décrivent les multiples coordinations qui les soutiennent. Ils estiment qu’à l’inverse des attentes des organisations syndicales soucieuses d’accords plus contraignants, le dialogue social garde essentiellement une fonction d’exploration. « Les résultats ressemblent plus à de la soft law avec des instruments aux implications légales et morales incertaines qu’à l’émergence d’un nouveau niveau de relations industrielles » (p. 431). Enfin, la question de la coordination transnationale des négociations collectives est abordée dans un autre chapitre par Valeria Polignano.
Entre individuel et collectif
Les systèmes de relations collectives de travail sont nés du conflit entre les deux grands acteurs de la société industrielle : les propriétaires des moyens de production et les travailleurs. Les conflits et les tensions ne se sont cependant pas construits exclusivement sur cet axe. Des diversités de stratégies patronales ou d’orientations syndicales, des situations régionales, des conceptions politiques libérales ou social-démocrates ont donné diverses couleurs à ces oppositions. Enfin le mouvement d’individualisation qui caractérise les sociétés contemporaines questionne évidemment le principe et la pratique des approches ou des gestions collectives des rapports de travail. Les études qui constituent la cinquième partie de l’ouvrage, Points de tension, sont traversées par une problématique commune ; l’évolution de l’articulation entre les dimensions individuelle et collective de l’action dans le champ du travail : les dimensions territoriale ou régionale de la négociation salariale, la « judiciarisation » des conflits sociaux ou l’usage du droit dans le règlement des conflits de travail, l’accompagnement des travailleurs licenciés, la concertation sociale dans les petites entreprises.
Enfin, dans les conclusions générales de l’ouvrage, Pierre Reman et Georges Liénard s’interrogent sur La place de la concertation sociale dans une démocratie approfondie. Ils développent une analyse fort argumentée sur la contribution de la concertation à la démocratie sociale et à la manière dont celle-ci s’ajuste et renforce la démocratie politique. On la résume fortement ici.
Approfondir la démocratie
Partant du constat que la social-démocratie, figure historique de cette articulation, est aujourd’hui contestée par la démocratie d’opinion qui met en cause la légitimité des acteurs de la démocratie politique, Pierre Reman et Georges Liénard s’interrogent sur la contribution effective de la concertation sociale à l’approfondissement démocratique. Pour ce faire, on commence par vérifier divers points de recoupement entre la concertation et la démocratie sociale. La concertation rééquilibre des rapports de force faussés à l’origine. Elle participe directement à la construction d’acteurs collectifs. Elle contribue à intégrer des procédures démocratiques dans les mécanismes de décision internes aux acteurs participant à la concertation. Enfin, elle contribue à une construction d’une culture de gestion des conflits et de la négociation.
Dans l’expérience historique de la concertation en Belgique, l’État a été amené à jouer un rôle inédit : être associé à la négociation tout en reconnaissant la primauté du rôle des acteurs sociaux et en leur déléguant une capacité normative forte. Pour Pierre Reman et Georges Liénard, le couple conflit-négociation est constitutif de la démocratie sociale dans la mesure où il crée des capacités d’action originales pour des acteurs sociaux au départ dépourvus de capacités d’initiative. « Cette culture de partenariat conflictuel crée en permanence de nouvelles équivalences et de nouvelles solutions conjoncturelles et parfois structurelles à propos des enjeux qui animent les acteurs sociaux » (p. 574). La création de ce processus implique un investissement important des acteurs sociaux dans une culture politique renouvelée qui efface l’opposition classique entre conflit et coopération (reconnaitre que le conflit peut avoir comme motivation le désir de participation), qui s’écarte du mythe de la disparition de l’autre (ou de l’effacement des références ou des motivations propres de l’autre), qui accepte l’idée et la pratique de la responsabilité partagée (ce qui passe par des compétences délibératives).
Les paradoxes contemporains
« Dynamiques de la concertation sociale » est donc un ouvrage qui répond à de nombreuses exigences. Le premier intérêt de ce livre réside dans la mise en perspective historique qui actualise nombre de données et d’informations. Il présente également un tableau fort complet des institutions et des « régulations » organisées par le système belge de concertation sociale. Enfin, et peut-être surtout, la prise en compte de données nouvelles liées aux évolutions contemporaines est un autre intérêt majeur de l’ouvrage. L’exercice est conduit avec un certain degré de probabilisme puisque l’on travaille sur des processus non achevés et à l’issue, par définition, incertaine. Néanmoins, on apprécie l’effort de réflexion que se sont imposé tous les auteurs, comme la mise en évidence des enjeux essentiels dans chaque domaine traité.
Une des fonctions historiques de la concertation sociale a été de consolider des acteurs collectifs et de créer des règles du jeu, autrement dit des régulations qui stabilisent les relations entre les parties et contribuent à une plus grande prévisibilité des conduites des uns et des autres. Les accords relatifs à la productivité ont été l’illustration emblématique d’un deal profitable aux uns et aux autres : investissement dans une productivité élevée en échange d’une politique salariale avantageuse. Les stratégies d’investissement des acteurs économiques s’accommodaient fort bien d’un système de relations sociales qui réduisait les incertitudes et faisait des organisations syndicales les garants d’une discipline de travail. Plusieurs articles de cet ouvrage insistent sur une double transformation : changement des espaces économiques (internationalisation) et mutation des acteurs ou des opérateurs économiques. Le monde patronal organisé, tel qu’il intervient dans le champ des relations collectives de travail, ne représente plus qu’une des composantes de l’initiative économique. Il en est d’autres, beaucoup plus difficilement identifiables (opérateurs financiers?). La mobilité accrue de certains opérateurs économiques est à la base de paradoxes considérables. Aujourd’hui apparaissent des mouvements et des intérêts contradictoires : les opérateurs industriels ont besoin d’une gestion stricte de l’incertitude là ou certains opérateurs financiers semblent en créer en multipliant les stratégies de mobilité propices aux gains rapides. Ces mouvements ont évidemment des effets sur les systèmes de relations sociales et les nécessités d’introduire une plus grande prévisibilité dans le jeu économique seront peut-être à l’origine d’alliances inédites autour d’un système de concertation renouvelé.
À l’instar de ce qui s’est passé dans d’autres pays d’Europe, le système de concertation sociale belge s’est développé sur l’espace national. Si l’on peine à trouver les voies d’une politique économique de l’Union européenne qui soit l’instrument d’une intégration plus poussée, il en va de même des régulations sociales qui les complèteraient et les contrôleraient. Historiquement on a expliqué cette difficulté par la concurrence des marchés du travail. Cette explication est-elle encore valide aujourd’hui ? L’espace d’action pertinent du syndicalisme n’est-il pas, par définition, l’espace national (voire, pour certains, l’espace régional)? Quelles sont les conditions de construction d’un syndicalisme fort au plan européen ? Il existe des différences importantes entre les syndicalismes en Europe, comme d’ailleurs entre les patronats. Nicolas Sarkozy fait de la référence à l’Allemagne un point cardinal de sa stratégie de gouvernement en oubliant un facteur central : les différences considérables, pratiques et idéologiques entre patronat et syndicats en France et en Allemagne. Dans le chapitre qu’elle consacre à l’impact de l’Union européenne sur le modèle belge, Évelyne Léonard enregistre un certain nombre d’effets liés à l’intégration progressive de l’Europe, mais il n’est pas possible aujourd’hui de prévoir dans quelle mesure un modèle peu ou prou comparable à la concertation sociale belge est susceptible de se diffuser dans ce nouvel espace. S’il existe des proximités avec l’Allemagne, les Pays-Bas, et d’autres pays du nord de l’Europe, il existe par ailleurs des différences substantielles avec de nombreux autres pays.
On notera, enfin, les conclusions générales de l’ouvrage. Si les promoteurs du modèle belge de concertation sociale n’avaient sans doute pas le projet explicite de renforcer la démocratie, néanmoins, les circonstances historiques qui entouraient la naissance de ce système lui assignaient très clairement des objectifs de « reconstruction » de l’économie et de redéfinition des rapports collectifs de travail. Le système de concertation sociale belge a construit très empiriquement ses bases entre deux modèles qui dominaient le monde à l’époque, le modèle américain et le modèle de l’économie socialiste soviétique. La concertation a progressivement construit des modèles de participation et de décision politique, enracinés dans le champ du travail qui ont contribué à l’approfondissement du modèle démocratique belge. À cet égard, l’analyse proposée par Pierre Reman et Georges Liénard, alliant observation historique et réflexion théorique, est prometteuse ; elle mérite d’être largement débattue et approfondie.
- Dynamiques de la concertation sociale, sous la direction d’Étienne Arcq, Michel Capron, Évelyne Léonard et Pierre Reman, éditions du Crisp, 2010, 609 p.