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Dura logica, sed logica

Numéro 3 – 2021 - crise inégalité injustice sociale par John Common Jr.

mai 2021

Nous, économistes sérieux, avons depuis longtemps l’habitude de ne pas nous embarrasser des difficultés posées par ce que certains appellent « la complexité du social ». Le social est un concept bien trop flou pour être utilisable et, pire encore, il fait forcément appel à « l’esprit du collectif » (au travers notamment de ce que certains appellent « la […]

Billet d’humeur

Nous, économistes sérieux, avons depuis longtemps l’habitude de ne pas nous embarrasser des difficultés posées par ce que certains appellent « la complexité du social ». Le social est un concept bien trop flou pour être utilisable et, pire encore, il fait forcément appel à « l’esprit du collectif » (au travers notamment de ce que certains appellent « la socialisation »). Gary Stanley Becker, l’un de nos Nobel, s’amusait beaucoup des sociologues qui en appellent à cette « entité fantomatique » qu’est « l’esprit du collectif » : il leur répondait « moi, je ne crois pas aux esprits et aux fantômes ».

Regardons un humain, nous voyons combien il est simple de le réduire à quelques traits : la poursuite de l’intérêt propre, la recherche d’une certaine facilité, la jalousie des autres, la recherche d’une image positive de soi et toute une série de biais cognitifs qui empêchent la poursuite optimale de son intérêt. La question de ces biais cognitifs, justement, est très ennuyeuse, car ces travers faussent la concurrence entre les individus. Rien de dramatique cependant, puisque nous avons résolu la chose en mettant au point des dispositifs qui procèdent soit du dressage, soit de l’incitation. La prison, par exemple, est un dispositif de dressage, mais pour qu’elle soit vraiment efficace, il faut que les peines soient extrêmement dures en comparaison des crimes commis, afin qu’au-delà du calcul d’intérêt, il y ait un message clair envoyé à l’infracteur. Le concours d’employé du mois, quant à lui, est un dispositif d’incitation, qui n’apporte, on le sait, pas grand-chose à la productivité globale d’une entreprise, mais cultive un climat de concurrence, ce qui est l’essentiel.

Lorsqu’il considère une crise comme celle que nous vivons, l’économiste sérieux envisage d’emblée la chose de manière rationnelle. Rappelant avec Milton Friedman que toutes les vies ne se valent pas, qu’aucune ne peut avoir une valeur infinie et que l’on peut donc tout à fait attribuer une valeur à chacune, l’économiste sérieux réduit le problème à trois variables essentielles et se débarrasse ainsi de toute sophistication inutile. 

La première variable est la productivité immédiate : un producteur de richesse est forcément plus intéressant pour la société que tous ceux qui ne sont qu’une charge. 

La seconde, c’est la perspective de productivité future : il est plus intelligent de miser sur ceux qui produiront la richesse demain que sur ceux qui resteront improductifs parce qu’ils ont fait leur temps ou parce qu’ils ne sont bons à rien. 

La troisième, et elle est importante, c’est la capacité à redistribuer : un individu qui possède plus peut, potentiellement, assister plus de personnes qu’un pauvre qui éprouve déjà bien des difficultés à subvenir à ses propres besoins.

Ces principes permettent d’analyser la situation actuelle. Certains veulent que l’on protège nos vieux en mettant l’économie à l’arrêt et en investissant des quantités hallucinantes de moyens publics. Or sont-ils productifs ? Non. Seront-ils productifs demain ? Non. Sont-ils capables de redistribuer ? Pas tous, fort peu si l’on tient compte de l’épouvantable avarice des vieux. 

Bref, la chose est entendue : rationnellement, peut-on investir de larges moyens à sauver ces personnes ? Oui, si, et seulement si, leur richesse est nettement supérieure aux couts de leur sauvetage. En d’autres termes, il est parfaitement logique de soutenir financièrement les vieux les plus aisés, et d’abandonner les autres à leur destin. D’ailleurs, si l’on considère leur espérance de vie, les plus fortunés ont toujours potentiellement plus d’années à vivre que leurs équivalents moins aisés : pour répondre à une belle âme qui s’indignerait, nous soulignerions ainsi qu’il est bien moins cruel de laisser les pauvres exposés au virus que de lui abandonner les riches.

Cela dit, il nous semble nécessaire de cesser de penser la chose en termes de classes d’âge. Voyez, par exemple, tous ces étudiants qui, aujourd’hui, s’engagent dans des disciplines qui garantissent leur chômage à vie, comme la philosophie, la psychologie clinique ou l’anthropologie. Sont-ils productifs ? Non. Le seront-ils ? Peut-être, pendant de très brèves périodes et considérés dans leur ensemble, ils finiront par couter potentiellement au moins autant à la société qu’ils n’auront produit de richesses. Peuvent-ils redistribuer ? On le sait, généralement, les étudiants de ces filières qui sortent diplômés et disposent d’un capital ont tendance à bien vite le dilapider en tentant vainement de poursuivre leurs aspirations à éclairer le monde. Quant aux autres, n’étant pas héritiers et vu leur diplôme, ils pourront au mieux constituer un petit capital, généralement réduit à une habitation — si tant il est qu’ils arrivent à rembourser leur crédit. Nous devrions, là aussi, arrêter d’investir des moyens pour les protéger, c’est la logique qui le veut.

J’ai récemment pris connaissance d’un article qui s’indignait de ce que des bébés mouraient au Brésil, faute d’une gestion adéquate de la Covid-19 par le gouvernement. Le journaliste était révolté par cette situation, n’hésitant pas à tancer les autorités. Mais il ne faisait pas état de certains faits dont on peut heureusement trouver la trace dans les sources gouvernementales : ces bébés sont issus en grande partie de la population des favelas, laquelle est notoirement improductive et est créditée d’une espérance de vie bien moindre que celle des populations plus aisées. Mieux encore, la mobilité sociale au Brésil étant très faible, on peut considérer qu’effectivement, protéger ces bébés aurait représenté un cout collectif bien trop important pour un résultat bien trop faible. Ils sont morts, c’est sans doute tragique, mais, pour la société, n’est-ce pas dans la logique des choses ?

La gestion rationnelle de la crise est donc évidente : arrêtons de dilapider nos moyens et d’en saupoudrer la société. Concentrons-les plutôt sur les populations les plus aisées, singulièrement les grands créateurs de richesse et détenteurs de capitaux importants. Et laissons les autres à leur sort : fin des mesures collectives de gestion de crise, mais aussi, arrêt définitif des soins médicaux gratuits pour ceux qui échouent au test des trois critères. Cela permettra de préserver l’économie et, plus encore, de ne pas handicaper les productifs d’aujourd’hui et le potentiel de demain.

Bien sûr, certains argüeront que cette mesure manque d’empathie, que la protection des faibles est au cœur de l’ADN démocratique, etc. Eh bien, ces belles âmes n’ont qu’à prendre en charge la chose. D’ailleurs, cela pourrait constituer un excellent moteur pour les pousser à l’excellence : rappelons qu’Andrew Carnegie, l’une des plus grandes fortunes de l’histoire, était un capitaliste redoutable précisément pour financer ses œuvres de charité et ses activités de mécénat via des fondations qui ont hérité de la quasi-intégralité de sa fortune. Finalement, si ceux-là qui disent se soucier des autres étaient cohérents, ils se dépêcheraient de construire leur fortune, au besoin en exploitant ces autres, pour mieux pouvoir les aider ensuite, ou leurs enfants s’ils venaient à mourir entretemps.

Il est évident qu’aujourd’hui, nous aspirons tous à un retour à la normale, c’est-à-dire à une société gouvernée par la production de richesses et les inégalités génératrices de concurrence, clé de l’harmonie des individus. Il est donc temps d’en revenir aux critères de logique simples qui nous guident dans l’ensemble des politiques publiques depuis des décennies et d’abandonner les mesures économiquement ineptes décidées sous l’emprise de la panique. Laissons vivre les individus : profitons de l’énergie printanière et relançons-nous tous, libérés de ces brides, dans la lutte joyeuse pour les privilèges et l’accumulation !

John Common Jr.


Auteur

John Common Jr. est Docteur en Sociologie. Auteur de nombreux articles à haut impact factor, il a donné de nombreux cours en tant que professeur invité dans les plus grandes universités globales. Ses recherches portent essentiellement sur les méthodes de sociologie économique quantitative, la sociométrologie et la psychosociologie numérique