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Du Niger au Nicaragua, difficile réforme de l’aide internationale

Numéro 1 Janvier 2011 par François Polet

janvier 2011

L’exa­men de la mise en œuvre de l’a­gen­da de l’ef­fi­ca­ci­té dans deux pays — le Niger et le Nica­ra­gua — met en évi­dence un cer­tain nombre de blo­cages, liés à la nature com­plexe et asy­mé­trique des rap­ports « aidants — aidés » dans les pays ayant reçu d’im­por­tants flux d’aide au cours des décen­nies pas­sées. Les revers de cet agen­da invitent aus­si à ques­tion­ner l’am­bigüi­té de la notion d’«appropriation », qui ren­voie tan­tôt à la capa­ci­té des auto­ri­tés locales à défi­nir « leurs » prio­ri­tés, tan­tôt à l’en­ga­ge­ment de ces der­nières à « faire leurs » les poli­tiques jugées bonnes par les bailleurs de fonds.

Dès le début des années nonante, les études visant à per­cer le mys­tère du manque d’efficacité de la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale ont mis en évi­dence les effets délé­tères des méca­nismes de l’aide (l’«aide pro­jet » essen­tiel­le­ment) sur les fonc­tions publiques des pays for­te­ment dépen­dants de la coopé­ra­tion. Le court-cir­cui­tage per­ma­nent des ins­ti­tu­tions natio­nales par des déve­lop­peurs convain­cus de savoir ce qui est bon pour le pays (et dotés d’arguments finan­ciers impa­rables) a objec­ti­ve­ment accé­lé­ré la déli­ques­cence d’États déjà pro­fon­dé­ment ébran­lés par la crise de leurs finances publiques (Oli­vier de Sar­dan, 2000). Il fau­dra cepen­dant attendre la fin des années nonante — moment où les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales recon­naissent les limites des poli­tiques néo­li­bé­rales ortho­doxes et consi­dèrent qu’une « bonne gou­ver­nance », donc une cer­taine dose d’un cer­tain État, est indis­pen­sable au bon fonc­tion­ne­ment des mar­chés et à la réduc­tion de la pau­vre­té — pour que les grands bailleurs prennent la mesure du problème.

Un chan­ge­ment d’orientation s’impose donc à la com­mu­nau­té des don­neurs. « Les pays et leur gou­ver­ne­ment doivent doré­na­vant être­pla­cés dans le siège du conduc­teur », déclare en 1998 le direc­teur de la Banque mon­diale d’alors, James Wol­fen­sohn. C’est la consé­cra­tion du prin­cipe d’«appropriation » : il revient aux auto­ri­tés poli­tiques, en asso­cia­tion étroite avec la socié­té civile et les acteurs pri­vés, de défi­nir le Docu­ment natio­nal de stra­té­gie de réduc­tion de la pau­vre­té (DSRP) sur lequel les bailleurs de fonds doivent ensuite ali­gner leur sou­tien. À Mon­ter­rey (2002) puis lors des forums de Rome (2003), Paris (2005) puis Accra (2008), les pays occi­den­taux s’engagent à réfor­mer la ges­tion de l’aide afin de ren­for­cer l’appropriation. Concrè­te­ment, l’agenda de l’efficacité de l’aide vise à « ali­gner » l’aide sur les prio­ri­tés locales, à uti­li­ser les sys­tèmes natio­naux (bud­get, pas­sa­tion des mar­chés) et à inten­si­fier la coor­di­na­tion entre bailleurs et bénéficiaires.

Qu’en est-il aujourd’hui de la tra­duc­tion de cet agen­da dans la réa­li­té des pra­tiques de l’aide ?

« Nous pro­gres­sons len­te­ment dans la plu­part des pays et dans la plu­part des domaines […]», recon­nait l’OCDE (2008). Sept ans après Mon­ter­rey, force est de consta­ter que le sys­tème de l’aide ren­contre les plus grandes dif­fi­cul­tés à tra­duire les prin­cipes du nou­veau para­digme (auquel tout le monde adhère offi­ciel­le­ment) dans de nou­velles manières de tra­vailler sur le ter­rain. En témoignent les revers de l’agenda de l’efficacité dans des pays aus­si dif­fé­rents que le Niger et le Nicaragua.

Une dynamique en trompe‑l’œil

Si l’administration du pré­sident Tand­ja Mama­dou et les bailleurs de fonds pré­sents à Nia­mey sont offi­ciel­le­ment enga­gés depuis plu­sieurs années dans laré­forme de la ges­tion de l’aide, celle-ci semble bien davan­tage pré­sente dans les dis­cours (une quan­ti­té impres­sion­nante de sémi­naires et d’ateliers lui sont consa­crés) et sur le papier que dans les pra­tiques de l’aide au quo­ti­dien. De fait, la pro­li­fé­ra­tion des pro­jets n’a pas vrai­ment ces­sé au Niger. La majo­ri­té d’entre eux sont fai­ble­ment arti­cu­lés à la stra­té­gie natio­nale de déve­lop­pe­ment du pays et conti­nuent à être gérés paral­lè­le­ment aux struc­tures de l’État.

Des approches sec­to­rielles ont bien été mises sur pied dans cer­tains domaines (san­té, édu­ca­tion) afin d’améliorer la coor­di­na­tion, mais celles-ci sont por­tées à bout de bras par les agences d’aide les plus moti­vées… et leurs assis­tants tech­niques logés au sein des minis­tères. Quant au recours aux « sys­tèmes natio­naux », cen­sés rendre au pays réci­pien­daire la mai­trise des ins­tru­ments de ges­tion des pro­jets et des pro­grammes finan­cés, il est en régres­sion à la suite de l’affaire MEBA 1. Seule une petite mino­ri­té de bailleurs ont choi­si d’allouer leur aide sous la forme d’un appui bud­gé­taire direct au gou­ver­ne­ment, et pour des motifs de type géos­tra­té­gique (lutte contre la mon­tée de l’extrémisme isla­miste, exploi­ta­tion de l’uranium) davan­tage que d’efficacité pour la plupart.

Sans sur­prise, bailleurs et auto­ri­tés natio­nales se rejettent la res­pon­sa­bi­li­té du peu de pro­grès de l’agenda de l’efficacité. Pour les pre­miers, les len­teurs sont avant tout le reflet du double manque de volon­té poli­tique et de capa­ci­té admi­nis­tra­tive des res­pon­sables nigé­riens. Ces der­niers « font preuve de la plus grande pas­si­vi­té », « rechignent à exé­cu­ter les réfor­me­saux­quelles il se sont enga­gés » et se sou­cient bien davan­tage du décais­se­ment des fonds que de la reprise en main des poli­tiques natio­nales : « Nous, on veut bien s’aligner, mais sur quoi ? À la coopé­ra­tion de le défi­nir ? Mais alors où est l’appropriation ?»

Aux yeux de l’administration Tand­ja, l’origine des len­teurs dans l’adoption de nou­velles moda­li­tés doit plu­tôt être cher­chée dans l’intransigeance des don­neurs. Ceux-ci ne res­pectent pas l’«esprit » de la décla­ra­tion de Paris. « Ils plombent l’administration sous les indi­ca­teurs de réfor­me­tout en pre­nant pré­texte de ses fai­blesses pour mener des négo­cia­tions sépa­rées avec les minis­tères. » Ce qui revient à tra­vailler contre l’apparition d’une coor­di­na­tion natio­nale auto­nome de l’aide.Dans le fond, pour beau­coup de res­pon­sables nigé­riens, la tac­tique des bailleurs n’a pas chan­gé : ils jouent sur les besoins pres­sants de finan­ce­ment pour conti­nuer à impo­ser leurs vues et pour­suivre leurs agen­das propres.

En réa­li­té, ces inter­pré­ta­tions appa­rem­ment contra­dic­toires sou­lignent des aspects dif­fé­rents d’un même pro­blème deve­nu struc­tu­rel : celui de la « dépen­dance dyna­mique 2 » du Niger à l’égard de l’aide étran­gère — les ini­tia­tives tous azi­muts de la coopé­ra­tion ont pro­gres­si­ve­ment déres­pon­sa­bi­li­sé les agents de l’État et sti­mu­lé les atti­tudes pré­da­trices (cap­ter les « rentes » de l’aide), ce qui a ame­né les bailleurs à s’engager davan­tage, et ain­si de suite. Dans ce contexte d’extraversion ins­ti­tu­tion­nelle extrême, la pour­suite de l’appropriation s’apparente à un jeu de miroirs. En effet, les diri­geants nigé­riens s’investissent dans la rédac­tion de leurs prio­ri­tés de déve­lop­pe­ment avec l’objectif de col­ler au plus près des pré­fé­rences des bailleurs de fonds, afin de maxi­mi­ser les chances de débour­se­ment. Quand ils ne demandent pas à ces der­niers, pas­sés maitres dans l’art de la ven­tri­lo­quie, de rédi­ger ou de « fina­li­ser » les docu­ments cen­sés expri­mer les prio­ri­tés natio­nales, les bailleurs étant les mieux pla­cés pour rédi­ger les textes qui per­met­tront le décais­se­ment des finan­ce­ments… des bailleurs.

Dépolitiser la coopération

En matière de ges­tion de l’aide, l’activisme du gou­ver­ne­ment nica­ra­guayen sous la pré­si­dence d’Enrique Bolaños (2002 – 2006) tranche avec l’attentisme des auto­ri­tés nigé­riennes. Dès l’année 2002, dans la fou­lée du som­met de Mon­ter­rey, le pré­sident Bolaños mul­ti­plie les ini­tia­tives (forum de coor­di­na­tion de la coopé­ra­tion, tables rondes sec­to­rielles, groupe d’appui bud­gé­taire, coopé­ra­tion délé­guée) afin d’intensifier la coopé­ra­tion entre État et bailleurs. Au-delà des inno­va­tions ins­ti­tu­tion­nelles, c’est la qua­li­té du dia­logue poli­tique, la dis­po­ni­bi­li­té des agents de l’État et la trans­pa­rence dans la ges­tion des fonds qui séduisent les agences d’aide. Fin 2006, le Nica­ra­gua est consi­dé­ré comme un « labo­ra­toire de l’efficacité de l’aide », un « bon élève » dont les pra­tiques doivent être dif­fu­sées internationalement.

Les nou­veaux méca­nismes ont sans conteste amé­lio­ré la coor­di­na­tion entre les pro­grammes finan­cés par les bailleurs et les stra­té­gies sec­to­rielles défi­nies par le gou­ver­ne­ment, en par­ti­cu­lier dans les sec­teurs de la san­té, de l’éducation et du déve­lop­pe­ment rural. De même, l’effort d’harmonisation des pro­cé­dures et condi­tion­na­li­tés des bailleurs a sim­pli­fié le tra­vail des négo­cia­teurs nica­ra­guayens. D’un autre côté, la mon­tée en puis­sance de l’aide bud­gé­taire aurait contri­bué à réduire les effets cen­tri­fuges de l’aide au niveau des minis­tères en ren­for­çant finan­ciè­re­ment le pro­ces­sus bud­gé­taire natio­nal, une dimen­sion impor­tante de l’appropriation.

Des chan­ge­ments véri­tables donc, mais insuf­fi­sants, comme le sou­ligne l’ex-secrétaire à la coopé­ra­tion étran­gère. « Lorsque la coopé­ra­tion étran­gère compte pour 73% du plan d’investissement public et que seuls 20% de celle-ci cor­res­pondent à des res­sources de libre dis­po­ni­bi­li­té, alors que 80% cor­res­pondent à des pro­jets atta­chés, on reste confron­té aux mêmes pro­blèmes de limi­ta­tion de la liber­té et de la capa­ci­té ins­ti­tu­tion­nelles pour diri­ger son propre tra­vail de pla­ni­fi­ca­tion et de bud­gé­ti­sa­tion » (Gómez, 2007).

Plus grave, l’intensification et la ratio­na­li­sa­tion de la coopé­ra­tion entre bailleurs et gou­ver­ne­ment s’est réa­li­sée au prix d’une réduc­tion dras­tique du libre arbitre de ce der­nier. L’aide bud­gé­taire, en par­ti­cu­lier, était assor­tie d’une « matrice d’évaluation des per­for­mances » qui per­met­tait aux agences d’aide d’évaluer avec pré­ci­sion l’évolution glo­bale des poli­tiques dans dif­fé­rents domaines (ges­tion publique, macro-éco­no­mie, gou­ver­nance, poli­tiques sociales, etc.) et de relan­cer le gou­ver­ne­ment lors des dia­logues poli­tiques qui avaient lieu deux fois par an, en se ser­vant du poids de leur finan­ce­ment col­lec­tif dans le bud­get natio­nal comme d’un levier pour inci­ter le gou­ver­ne­ment à prendre les « bonnes » déci­sions. La menace de sus­pen­sion des ver­se­ments a d’ailleurs été mise à exé­cu­tion en juin2005, à la suite du retard dans l’approbation d’une série de lois pré­vues dans l’accord avec le FMI.

La doci­li­té éton­nante avec laquelle le gou­ver­ne­ment Bolaños a accep­té l’immixtion crois­sante des bailleurs au sein de pro­ces­sus rele­vant de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale n’est pas tant due à son adhé­sion aux nou­veaux prin­cipes de l’aide et à sa hâte de construire un nou­veau par­te­na­riat qu’au contexte poli­tique dif­fi­cile dans lequel il se trou­vait. Lâché par ses sou­tiens par­le­men­taires peu après son arri­vée au pou­voir, le pré­sident a cher­ché à com­pen­ser son iso­le­ment poli­tique par un rap­pro­che­ment avec la com­mu­nau­té des bailleurs de fonds. Cette confi­gu­ra­tion avan­ta­geuse pour les coopé­ra­tions a engen­dré un mode d’intervention tech­nique et dépo­li­ti­sé, idéal pour avan­cer dans le « reen­ge­nee­ring » des moda­li­tés et des pro­cé­dures de la ges­tion d’aide, mais non durable au-delà du man­dat de Bolaños.

Une appropriation souverainequi dérange

Et de fait, le suc­ces­seur d’Enrique Bolaños va d’emblée s’inscrire en faux contre la dyna­mique de coopé­ra­tion dont il hérite de son pré­dé­ces­seur. La rup­ture est d’autant plus radi­cale que le pré­sident frai­che­ment élu, Daniel Orte­ga, lea­deur du FSLN (Front san­di­niste de libé­ra­tion natio­nale), avance un dis­cours fran­che­ment natio­na­liste, qui s’accommode mal des dia­logues poli­tiques et accords en tout genre qui ins­ti­tu­tion­na­lisent un droit de regard des coopé­ra­tions sur une série de ques­tions jugées d’ordre pure­ment interne. Pour les nou­velles auto­ri­tés, le rôle de la coopé­ra­tion est d’accepter ou de refu­ser de finan­cer des pro­grammes que le gou­ver­ne­ment éla­bore en toute indé­pen­dance, le reste — à savoir le dia­logue poli­tique et les condi­tion­na­li­tés — s’apparente à de l’ingérence.

Refus d’endosser le Plan natio­nal de déve­lop­pe­ment (2005 – 2009) lan­cé par son pré­dé­ces­seur, poli­ti­sa­tion de la fonc­tion publique, secret autour de l’utilisation des mon­tants trans­fé­rés par l’aide véné­zué­lienne — le gou­ver­ne­ment san­di­niste enchaine les déci­sions jugées « contre­pro­duc­tives » par les agences d’aide. Pour autant, et c’est impor­tant, l’attitude volon­ta­riste de la nou­velle admi­nis­tra­tion, qui mul­ti­plie les pro­po­si­tions et les contre­pro­po­si­tions dans divers domaines (édu­ca­tion, aide bud­gé­taire, assis­tance tech­nique, etc.) n’est pas vue d’un si mau­vais œil par tous les coopé­rants, cer­tains esti­mant que si celles-ci sont brouillonnes et ne res­pectent pas les canons de la « ges­tion axée sur les résul­tats », elles rompent avec la doci­li­té du gou­ver­ne­ment pré­cé­dent. « Ce qui nous arrive est bon, parce que sous le gou­ver­ne­ment anté­rieur nous fai­sions et nous défai­sions tout à notre guise, tan­dis que main­te­nant nous avons un véri­table inter­lo­cu­teur. Cet inter­lo­cu­teur, le gou­ver­ne­ment, se trompe peut-être, mais au moins c’est un inter­lo­cu­teur réel », recon­nait l’un d’entre eux.

Si la démarche affir­ma­tive de l’exécutif san­di­niste est des­ser­vie par la rhé­to­rique intem­pes­tive — tour à tour agres­sive (voire inju­rieuse) et ami­cale — de son lea­deur vis-à-vis de la coopé­ra­tion, l’objectif pour­sui­vi n’est pas tant l’exclusion des par­te­naires inter­na­tio­naux que leur subor­di­na­tion au pro­jet et à la pra­tique de la nou­velle équipe au pou­voir. Celle-ci ne rejette d’ailleurs pas les moda­li­tés de finan­ce­ment (approche sec­to­rielle et aide bud­gé­taire) mises en place sous l’ère Bolaños, mais veut les réamé­na­ger pour qu’elles soient davan­tage com­pa­tibles avec sa vision… et ses inté­rêts. La dégra­da­tion, au cours de l’année 2008, dela rela­tion avec les coopé­ra­tions (qui débou­che­ra sur la sus­pen­sion ou l’annulation de plu­sieurs finan­ce­ments) n’est pas tant liée à la ges­tion de l’aide qu’à ce que les ambas­sades consi­dèrent comme une dérive auto­ri­taire du pou­voir san­di­niste (har­cè­le­ment de la socié­té civile, sus­pen­sion de deux par­tis d’opposition, fraudes lors des muni­ci­pales de novembre2008).

Si les tra­vers de l’administration Orte­ga (opa­ci­té dans la ges­tion de l’aide véné­zué­lienne et pen­chants auto­ri­taires) sont bien réels, il n’en demeure pas moins qu’en vou­lant impo­ser ses prio­ri­tés et sa méthode, aus­si peu au gout des bailleurs soient-elles, elle rompt avec l’extraversion et l’absence de pro­jets propres qui carac­té­risent tra­di­tion­nel­le­ment les pays for­te­ment dépen­dants de l’aide. Cette exi­gence de sou­ve­rai­ne­té a cepen­dant été dis­qua­li­fiée par la majo­ri­té des bailleurs, qui ont esti­mé que le gou­ver­ne­ment san­di­niste remet­tait du rap­port de for­ceet de la confu­sion dans une rela­tion qui se déve­lop­pait sur un registre coopé­ra­tif et effi­cace. Il serait plus juste de dire qu’Ortega a refu­sé de demeu­rer sur un registre tech­nique qui mas­quait un rap­port de force défa­vo­rable au gou­ver­ne­ment nica­ra­guayen et enté­ri­nait l’influence des bailleurs sur les poli­tiques nationales.

Une influence de moins en moins tolé­rée à l’heure où de nou­veaux dona­teurs (le Vene­zue­la dans ce cas) avancent une aide moins intru­sive. Au Nica­ra­gua comme ailleurs en Amé­rique latine, en Afrique, en Asie, la mon­tée en puis­sance des « dona­teurs émer­gents » (Chine, Inde, Bré­sil, pays du Golfe) donne de nou­velles marges de manœuvre aux gou­ver­ne­ments dans leurs négo­cia­tions avec les bailleurs occi­den­taux. Pour le meilleur et pour le pire…

Pour la reconstruction de capacités politiques et institutionnelles autonomes

Les écueils et impasses ren­con­trés par l’agenda de l’efficacité de l’aide viennent pour une bonne part de l’interprétation contra­dic­toire que les coopé­ra­tions font du concept d’«appropriation ». Celui-ci ren­voie tan­tôt à la capa­ci­té des ins­ti­tu­tions locales à défi­nir sur un mode sou­ve­rain les poli­tiques publiques et à orches­trer leur mise en œuvre, tan­tôt à l’engagementdes gou­ver­ne­ments aidés à appli­quer les réformes et les poli­tiques jugées effi­caces par les bailleurs de fonds. Qu’ils soient moti­vés par la volon­té de faire pas­ser « leur » idée des bonnes poli­tiques à suivre, de conser­ver un contrôle ser­ré sur l’usage de leurs fonds ou de maxi­mi­ser l’impact des poli­tiques qu’ils financent, les bailleurs ne cessent de glis­ser de la pre­mière à la deuxième signification.

Or pour­tant l’amélioration durable de la qua­li­té des poli­tiques publiques dans les pays aidés dépend en der­nière ins­tance de la recons­truc­tion de capa­ci­tés ins­ti­tu­tion­nelles et poli­tiques auto­nomes. L’ensemble des pro­grammes de la coopé­ra­tion devrait inté­grer cet objec­tif prio­ri­taire. Il implique tout à la fois de redon­ner des moyens dignes de ce nom à l’administration, et donc de mettre en cause les direc­tives du FMI en matière bud­gé­taire, et d’accepter que la rela­tion d’aide soit struc­tu­rée par les pré­fé­rences, le rythme et les ins­tru­ments des États aidés, quand bien même ceux-ci ne cor­res­pondent pas à l’idée que les bailleurs se font de l’optimum d’efficacité. Un ren­ver­se­ment des rôles incom­pa­tible avec l’architecture actuelle du sys­tème de l’aide.

Biblio­gra­phie

  • Gómez L.M. (2007), « Una visión de la pla­ni­fi­ca­ción y de los nue­vos ins­tru­men­tos desde los países recep­tores », Revis­ta Españo­la de Desa­rol­lo y Coope­ra­ción, n°20.
     — * Nau­det J.-D. (2000), « Le dilemme entre soli­da­ri­té et dépen­dance », Autre­part n°13, Édi­tions de l’aube, IRD.
     — * OCDE (2008), Enquête 2008 de sui­vi de la mise en œuvre de la Décla­ra­tion de Paris, OCDE, Paris, 2008.
     — * Oli­vier de Sar­dan J.-P. (2008), « Dra­ma­tique déli­ques­cence des États en Afrique », Le Monde diplo­ma­tique, février2000.
  1. En juin 2006, un audit (pour­tant pro­gram­mé) du fonds com­mun des bailleurs finan­çant le pro­gramme prin­ci­pal du minis­tère de l’Éducation de base et de l’alphabétisation (MEBA) a révé­lé l’existence d’un sys­tème orga­ni­sé ayant per­mis des fraudes de grande ampleur (4 mil­liards de FCFA, soit envi­ron 6 mil­lions d’euros).
  2. Pour reprendre une expres­sion de Jean-David Nau­det (2000).

François Polet


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