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Du laisser-faire au pilotage stratégique ?

Numéro 3 Mars 2012 par Catherine Fallon

février 2012

Pré­sen­tée comme un ins­tru­ment clé de la com­pé­ti­ti­vi­té régio­nale depuis la fin des années nonante, la recherche est l’ob­jet de nom­breuses ini­tia­tives poli­tiques natio­nales et euro­péennes. Notam­ment pro­duite au sein des uni­ver­si­tés, elle est cen­sée contri­buer à la com­pé­ti­ti­vi­té de l’Eu­rope sur la scène mon­diale et libé­rer le poten­tiel d’in­no­va­tion euro­péen. La note Mar­court pro­pose un renou­veau par­tiel des formes de gou­ver­nance des poli­tiques de recherche en Com­mu­nau­té fran­çaise qui s’ins­crit dans les réformes pré­co­ni­sées par les auto­ri­tés euro­péennes pour créer l’es­pace euro­péen de la recherche avec le risque d’un décou­plage entre recherche et ensei­gne­ment. Sans comp­ter que ce pro­jet ne dit rien sur le par­tage des res­sources entre équipes universitaires.

Phé­no­mène remar­quable au sein de l’Union euro­péenne, la poli­tique scien­ti­fique en Bel­gique est com­po­sée d’un ensemble de poli­tiques déci­dées et mises en œuvre par plu­sieurs gou­ver­ne­ments béné­fi­ciant de res­pon­sa­bi­li­tés auto­nomes (Bels­po, 2005). Le sys­tème belge est aujourd’hui tout à fait décen­tra­li­sé. Il n’existe pas « une » poli­tique de sou­tien à la « science-tech­no­lo­gie-inno­va­tion » en Bel­gique, mais un ensemble diver­si­fié de poli­tiques qui coexistent sur le ter­ri­toire natio­nal. Du côté fran­co­phone, la poli­tique scien­ti­fique est du res­sort du ministre de l’Enseignement supé­rieur en Com­mu­nau­té fran­çaise, actuel­le­ment le ministre Mar­court (PS), éga­le­ment en charge des Tech­no­lo­gies nou­velles au sein du gou­ver­ne­ment wal­lon, du ministre de la Recherche scien­ti­fique aux gou­ver­ne­ments de la Région wal­lonne et de la Com­mu­nau­té fran­çaise, le ministre Nol­let (Éco­lo), sans oublier le ministre Magnette (PS) en charge de la Poli­tique scien­ti­fique au gou­ver­ne­ment fédéral.

Histoire des politiques de recherche en Communauté française

Une des agences emblé­ma­tiques en matière de recherche est cer­tai­ne­ment le FRS-FNRS, Fonds (natio­nal) de la recherche scien­ti­fique, qui depuis 1929 sou­tient les cher­cheurs dans les uni­ver­si­tés et éta­blis­se­ments scien­ti­fiques. Depuis les années soixante, les res­pon­sables poli­tiques ont finan­cé des pro­grammes stra­té­giques de recherche dans des domaines consi­dé­rés comme prio­ri­taires, tout en pré­ser­vant les fonds des­ti­nés à finan­cer la recherche à la seule ini­tia­tive des cher­cheurs. À la suite de la décen­tra­li­sa­tion poli­tique, les enti­tés fédé­rées ont pro­gres­si­ve­ment reçu davan­tage de moyens et de res­pon­sa­bi­li­té en matière de recherche. C’est la loi spé­ciale du 8 aout 1988 qui a dépla­cé le centre de gra­vi­té de la poli­tique scien­ti­fique de l’État vers les Com­mu­nau­tés et les Régions.

Les Régions se sont vu attri­buer d’abord des com­pé­tences en matière de poli­tique indus­trielle, en sou­tien à la poli­tique éco­no­mique, au déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique et à la pro­mo­tion de l’innovation.

Depuis la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de l’enseignement supé­rieur, la Communau­té fran­çaise est res­pon­sable du sou­tien public direct à la recherche dans les éta­blis­se­ments d’enseignement supé­rieur. À côté du finan­ce­ment du FRS-FNRS, elle sub­ven­tionne la recherche dans les uni­ver­si­tés par plu­sieurs canaux : les allo­ca­tions de fonc­tion­ne­ment des uni­ver­si­tés, dont on admet que 25% sont attri­bués à la recherche ; les fonds spé­ciaux pour la recherche (FSR), ain­si que les actions de recherche concer­tée (ARC), qui sont des sub­ven­tions de recherche addi­tion­nelles que les uni­ver­si­tés peuvent affec­ter à la recherche de façon auto­nome, voire stra­té­gique. Le décret de finan­ce­ment actuel défi­nit jusqu’en 2015 la clé de répar­ti­tion des moyens entre les uni­ver­si­tés : une par­tie est fixe tan­dis qu’une autre dépend du nombre d’étudiants léga­le­ment inscrits.

L’administration fédé­rale orga­nise le finan­ce­ment de la recherche spé­ci­fique liée à l’exercice de ses propres com­pé­tences, ain­si que la poli­tique spa­tiale menée dans un cadre inter­na­tio­nal et les éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux. En accord avec les enti­tés fédé­rées, elle assure aus­si d’autres actions néces­si­tant une mise en œuvre coor­don­née au niveau inter­na­tio­nal, euro­péen ou natio­nal, par exemple les pôles d’attraction inter­uni­ver­si­taires (PAI) qui asso­cient des cher­cheurs des uni­ver­si­tés fla­mandes et fran­co­phones. Les der­niers accords ins­ti­tu­tion­nels devraient trans­fé­rer ces pro­grammes au niveau com­mu­nau­taire ou régio­nal, ne lais­sant au niveau fédé­ral que le pro­gramme spa­tial et ceux qui relèvent de ses mis­sions spécifiques.

Les moyens alloués à la recherche en Wal­lo­nie ont connu une aug­men­ta­tion appré­ciable depuis 2001. Les accords du Lam­ber­mont ont dimi­nué le sous-finan­ce­ment chro­nique de la Com­mu­nau­té fran­çaise et ont aug­men­té les res­sources affec­tées à la recherche de 34% entre 2001 et 2007 (Schmitz et Des­champs, 2008). Par ailleurs, la Région wal­lonne finance le Fonds pour la for­ma­tion à la recherche dans l’industrie et dans l’agriculture (FRIA) et les pro­grammes d’excellence, et ren­force les moyens mis à la dis­po­si­tion des cher­cheurs uni­ver­si­taires, à tra­vers le plan Mar­shall et ses pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, les pro­grammes thé­ma­tiques de recherche ou les par­te­na­riats public-pri­vé. On peut esti­mer que les cré­dits de recherche mis à la dis­po­si­tion des uni­ver­si­tés fran­co­phones par les auto­ri­tés belges le sont à parts équi­va­lentes par la Com­mu­nau­té, la Région et les auto­ri­tés fédé­rales (Vincent, 2009).

Les res­pon­sables poli­tiques ont ain­si peu à peu com­plé­té le finan­ce­ment linéaire de la recherche (lié au bud­get de fonc­tion­ne­ment des uni­ver­si­tés) par des méca­nismes de finan­ce­ment par com­pé­ti­tion (comme le FNRS) ou par l’ouverture de pro­grammes stra­té­giques défi­nis en termes d’utilité socioé­co­no­mique. La mise en place de nou­veaux ins­tru­ments de finan­ce­ment par les enti­tés fédé­rées et la trans­for­ma­tion des anciens se sont faites sans stra­té­gie glo­bale. Déjà en 2006, Truf­fin (2006) dénon­çait l’absence de coor­di­na­tion des approches des com­man­di­taires publics des uni­ver­si­tés du côté fran­co­phone. Les cher­cheurs qui tra­vaillent dans les uni­ver­si­tés peuvent faire appel à plu­sieurs sources de finan­ce­ment public : État fédé­ral, Régions, Com­mu­nau­té, Union euro­péenne. Chaque enti­té, chaque minis­tère, chaque admi­nis­tra­tion pra­tique sa propre poli­tique avec des règles spé­ci­fiques. Cette évo­lu­tion ren­force le rôle des cher­cheurs-pro­mo­teurs de recherche et de leurs ini­tia­tives stra­té­giques, et rend plus déli­cate la mise en place d’une stra­té­gie ins­ti­tu­tion­nelle géné­rale au sein des uni­ver­si­tés. Le cher­cheur occupe une posi­tion nodale : c’est dans son labo­ra­toire que convergent tous ces réseaux, et il doit pou­voir modu­ler les réper­toires (pour les pro­jets, les rap­ports, les publi­ca­tions, les éva­lua­tions) en fonc­tion des attentes de ses par­te­naires, tout en pré­ser­vant la cohé­rence indis­pen­sable à la qua­li­té de la recherche de son équipe.

La politique de la recherche vue par la note Marcourt : quel impact potentiel ?

Les acteurs de la recherche ras­sem­blés autour des tables rondes orga­ni­sées en 2010 n’ont pas man­qué de sou­li­gner les effets contre­pro­duc­tifs du mor­cè­le­ment de la recherche, et ont deman­dé une meilleure coor­di­na­tion entre la Région et la Com­mu­nau­té et une révi­sion des ins­tru­ments de finan­ce­ment trop com­plexes1. Ils appellent de leurs vœux un dis­po­si­tif confé­dé­ra­teur qui per­met­trait une meilleure coor­di­na­tion entre les acteurs de la recherche, mais aus­si avec les ins­tances de finan­ce­ment comme le FNRS ou les organes de coopé­ra­tion tels que le conseil inter­uni­ver­si­taire de la Com­mu­nau­té fran­çaise (CIUF).

Les débats et réformes qui ont conduit au projet Marcourt

Le pro­jet Mar­court pro­pose une nou­velle forme de gou­ver­nance de la recherche pour l’ensemble du ter­ri­toire de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. L’académie de recherche et d’enseignement supé­rieur (ARES) qui est envi­sa­gée héri­te­rait à la fois de com­pé­tences en matière de recherche, qui étaient jusque-là par­tiel­le­ment lais­sées aux uni­ver­si­tés, et des écoles doc­to­rales. Le modèle pro­po­sé vise une sim­pli­fi­ca­tion du sys­tème de recherche en Com­mu­nau­té fran­çaise, par l’attribution de cer­taines com­pé­tences à ce dis­po­si­tif confé­dé­ra­teur, sorte de cou­pole, tout en lais­sant aux pôles aca­dé­miques d’enseignement supé­rieur (PAES) et à leurs éta­blis­se­ments des mis­sions « cen­trées sur les étu­diants » (l’enseignement, l’aide à la réus­site, l’orientation, etc.). L’objectif visé par l’installation d’un orga­nisme qui joui­ra d’une cer­taine auto­no­mie déci­sion­nelle en matière de recherche, et d’écoles doc­to­rales notam­ment, est de « garan­tir l’excellence de notre recherche et assu­rer la visi­bi­li­té inter­na­tio­nale de nos ins­ti­tu­tions et centres de recherche2 » (Mar­court, 2011).

Cette ini­tia­tive n’est pas sans lien avec des pro­po­si­tions plus anciennes. Depuis le décret Bologne qui régit l’enseignement supé­rieur depuis 2004, les écoles doc­to­rales sont déjà struc­tu­rées sous une forme inter­uni­ver­si­taire : il n’y a qu’une école par domaine scien­ti­fique, et la coor­di­na­tion et l’évaluation des écoles doc­to­rales sont confiées au FNRS. Dans son mémo­ran­dum aux nou­veaux exé­cu­tifs, publié en 2009, le Conseil wal­lon de la poli­tique scien­ti­fique fus­ti­geait lui aus­si la frag­men­ta­tion de la recherche et appe­lait à de nou­velles struc­tures de coor­di­na­tion3. Il pro­po­sait une sim­pli­fi­ca­tion du régime d’aide par la mise en place d’une agence fran­co­phone de la recherche, cou­pole qui garan­ti­rait une coor­di­na­tion du finan­ce­ment de la recherche fon­da­men­tale et appli­quée, y com­pris celle du FNRS, et la défi­ni­tion d’une stra­té­gie globale.

Depuis plu­sieurs années, de nou­veaux modes de coopé­ra­tion entre uni­ver­si­tés se déve­loppent, sou­te­nus par des dis­po­si­tifs mis au point avec les auto­ri­tés régio­nales, notam­ment en matière de pro­prié­té intel­lec­tuelle, de valo­ri­sa­tion, de sti­mu­la­tion tech­no­lo­gique. La mise en place des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té a été l’occasion de ren­for­cer la coopé­ra­tion entre les uni­ver­si­tés qui se sont par­ta­gé les postes ins­ti­tu­tion­nels de ges­tion des pôles.

Dans les uni­ver­si­tés, les modes de gou­ver­nance de la recherche évo­luent aus­si. Plu­sieurs aca­dé­mies mettent en place des conseils stra­té­giques de la recherche et des « ins­ti­tuts » qui devraient exclu­si­ve­ment s’occuper de la dis­tri­bu­tion des moyens dis­po­nibles pour la recherche, en fonc­tion de cri­tères de qua­li­té et de choix ins­ti­tu­tion­nels. Ces réformes ont pour objec­tif décla­ré de rendre plus visibles sur les scènes inter­na­tio­nale et régio­nale, les acti­vi­tés de recherche des uni­ver­si­tés fran­co­phones. Les uni­ver­si­tés sont appe­lées à défi­nir une ligne de conduite pour pré­ci­ser les acti­vi­tés de recherche qu’elles consi­dèrent légi­times face à leurs (mul­tiples) mis­sions, en accord aus­si bien avec les acteurs internes (le col­lège aca­dé­mique) qu’avec les acteurs externes (uti­li­sa­teurs, poli­tiques et socié­té). Ces nou­velles exi­gences en matière d’excellence et de com­pé­ti­tion inter­na­tio­nale favo­risent la spé­cia­li­sa­tion pro­fes­sion­nelle dans le domaine de la recherche, mais obligent aus­si l’université à se défi­nir une stra­té­gie : être un centre de recherche d’excellence inter­na­tio­nale ouvert sur le monde ou un centre de connais­sance ins­crit dans le ter­ri­toire et ouvert aux inter­ac­tions avec la socié­té qui la finance et lui confie ses enfants. Ou encore, opter pour un modèle hybride qui reste à défi­nir, comme le montrent les pro­jets de réformes aujourd’hui en dis­cus­sion dans nos uni­ver­si­tés, pro­jets qui tendent à décou­pler, d’un côté, l’enseignement et ses facul­tés et, de l’autre, la recherche et ses ins­ti­tuts pour rendre cette der­nière plus visible dans le pay­sage concur­ren­tiel mon­dial et rendre son pilo­tage plus efficace.

Les débats des der­nières années ont mon­tré que les res­pon­sables poli­tiques étaient prêts à dif­fé­ren­cier les formes de gou­ver­nance de la recherche de celles de l’enseignement supé­rieur : pour la pre­mière, une orga­ni­sa­tion de la com­pé­ti­tion à l’échelle du ter­ri­toire avait tout son sens, alors que la dis­tri­bu­tion ter­ri­to­riale des ins­ti­tu­tions d’enseignement res­tait indis­pen­sable pour réa­li­ser l’objectif de démo­cra­ti­sa­tion (Parotte, 2009).

Aujourd’hui, la plu­part des pays euro­péens aug­mentent la part des moyens de recherche attri­bués à tra­vers des méca­nismes de com­pé­ti­tion et dans une logique de pro­jet, non récur­rents et non per­ma­nents (Lepo­ri, 2009). En Bel­gique, près de deux tiers de la recherche uni­ver­si­taire sont attri­bués en fonc­tion d’un pro­jet et dans une logique de sélec­tion tan­tôt concur­ren­tielle, tan­tôt stra­té­gique, sui­vant une clé de répar­ti­tion tan­tôt expli­cite (FSR, ARC), tan­tôt impli­cite. En effet, la Bel­gique a la par­ti­cu­la­ri­té de cir­cons­crire la com­pé­ti­tion au sein de l’université pour cer­tains finan­ce­ments comme les PAI, les ARC ou les man­dats per­ma­nents FNRS. Ces moyens sont répar­tis entre les uni­ver­si­tés, sui­vant une clé pré­ci­sée par le décret de finan­ce­ment et la sélec­tion pour chaque uni­ver­si­té s’appuie sur les éva­lua­tions four­nies par les éva­lua­teurs invi­tés par des auto­ri­tés (PAI) ou par l’université (ARC), ou ceux des com­mis­sions scien­ti­fiques (FNRS). Ce méca­nisme limite la com­pé­ti­tion entre les uni­ver­si­tés tout en leur garan­tis­sant des moyens per­met­tant une auto­no­mie de finan­ce­ment en sou­tien à leur choix institutionnel.

Les propositions concrètes

Telle qu’elle est pro­po­sée dans la note, l’ARES sera une « ins­tance d’avis et de pro­po­si­tion notam­ment en matière de répar­ti­tion glo­bale […] des grands pro­jets et pro­grammes de recherche (exemple : PAI, ARC, […]) […]». Elle assu­re­ra la coor­di­na­tion des écoles doc­to­rales et des centres de recherche fédé­rés. Les déci­sions en matière de recherche ne seront donc plus prises au sein des cinq pôles pro­je­tés et de leurs éta­blis­se­ments qui, en matière de recherche, n’auront plus qu’une mis­sion de « ges­tion des acti­vi­tés coor­ga­ni­sées (au sein du pôle)». La recherche res­te­ra tou­te­fois réa­li­sée au sein des orga­nismes de recherche et des éta­blis­se­ments grou­pés au sein des pôles. L’affirmation de l’importance du lien entre recherche et ensei­gne­ment a été répé­tée : les acteurs réunis autour de la table ronde affirment que la recherche est indis­so­ciable de l’enseignement, mais qu’elle doit néan­moins gagner en visi­bi­li­té inter­na­tio­nale pour se déve­lop­per de façon opti­male. Il s’agit donc d’atteindre une taille cri­tique et d’éviter une mul­ti­pli­ca­tion des pôles d’excellence.

Une nou­veau­té réside dans la place plus grande dans le domaine de la recherche que le ministre semble vou­loir accor­der aux hautes écoles et aux écoles supé­rieures artis­tiques, qui ne se sont jusqu’ici inves­ties que de façon limi­tée dans cette mis­sion. Si la dua­li­sa­tion des éta­blis­se­ments entre hautes écoles et uni­ver­si­tés semble s’effacer pro­gres­si­ve­ment en matière d’enseignement, il pour­rait en être de même, à terme, pour la recherche.

La nou­velle concep­tion de la science mise en avant par Mar­court l’incite à s’organiser en réseau. L’ARES va aus­si regrou­per des modèles de science dif­fé­rents au sein d’une même cou­pole. Il est vrai­sem­blable que l’ARES va ren­for­cer la ten­dance déjà exis­tante qui pro­meut la recherche inter­uni­ver­si­taire inter­dis­ci­pli­naire. Se pose la ques­tion du type de recherche qui va être pri­vi­lé­gié, du type et du sta­tut du cher­cheur. Les domaines dans les­quels il fau­dra inves­tir ne seront-ils pas pré­dé­fi­nis par l’ARES, n’y aura-t-il pas orien­ta­tion en amont vers des recherches stra­té­giques ? Quel sera le sta­tut des gros centres de recherche loca­li­sés au sein des uni­ver­si­tés ? Seront-ils coor­don­nés par l’ARES ? Quel sera le sta­tut du FRS-FNRS ? La note Mar­court envi­sage de lui reti­rer une de ses mis­sions récentes, à savoir la ges­tion des écoles doc­to­rales et donc du troi­sième cycle d’études, pour la confier à l’ARES.

Avec l’ARES, l’objectif à long terme semble être d’aboutir à une meilleure coor­di­na­tion entre les poli­tiques de la Région wal­lonne et celles de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, notam­ment en matière de finan­ce­ment de la recherche, comme l’ont recom­man­dé les par­ti­ci­pants au groupe de tra­vail « ouver­ture à la socié­té » de la table ronde sur l’enseignement supé­rieur4. Il s’agit d’éviter l’émiettement des efforts de recherche et de favo­ri­ser la col­la­bo­ra­tion dans le domaine entre les divers acteurs (hautes écoles, uni­ver­si­tés, écoles supé­rieures artis­tiques, entre­prises). La volon­té d’intégrer les ini­tia­tives et de les cha­peau­ter s’ajoute au mou­ve­ment enta­mé par le ministre en charge de la Recherche, Jean-Marc Nol­let (2011), qui a dépo­sé le 31 mars 2011 une note cadre aux gou­ver­ne­ments inti­tu­lée Vers une poli­tique inté­grée de la recherche dans laquelle il défi­nit les objec­tifs stra­té­giques pour les cinq pro­chaines années et par laquelle il ambi­tionne d’intégrer les ini­tia­tives des divers gou­ver­ne­ments (Com­mu­nau­té fran­çaise et Région wal­lonne) en matière de recherche appli­quée (R&D), stra­té­gique et fon­da­men­tale. Fon­da­men­ta­le­ment, en matière de poli­tique de recherche, tout le monde s’applique à aller dans la même direc­tion et est prêt à coopé­rer au sein d’une sorte de cou­pole. Un consen­sus sur l’intérêt de coopé­rer entre éta­blis­se­ments et entre auto­ri­tés semble plus mar­qué dans ce domaine que pour l’enseignement des deux pre­miers cycles. Ain­si, le groupe de tra­vail sur le pay­sage de l’enseignement supé­rieur en Com­mu­nau­té fran­çaise de la table ronde sur l’enseignement supé­rieur a esti­mé que « l’existence d’un niveau trans­ver­sal à celui des pôles aca­dé­miques, qui aurait entre autres tout un pan du volet de la recherche et du déve­lop­pe­ment comme fil rouge sur l’ensemble du ter­ri­toire de la Com­mu­nau­té fran­çaise per­met­trait d’en assu­rer la qua­li­té et le rayon­ne­ment natio­nal et inter­na­tio­nal de manière opti­male5 ».

Cette col­la­bo­ra­tion pren­drait appui sur les struc­tures déjà exis­tantes, telles que le FNRS, le réseau LIEU (liai­son entre­prises-uni­ver­si­tés), le CIUF, etc., dont les acti­vi­tés s’étendent à tout le ter­ri­toire de la Fédé­ra­tion : la cou­pole serait une confé­dé­ra­tion de ces orga­ni­sa­tions trans­ver­sales. Les res­pon­sables poli­tiques sou­lignent que l’autonomie des uni­ver­si­tés n’est pas remise en cause. Mais en même temps, le ministre Mar­court6 rap­pelle l’importance de déve­lop­per une struc­ture de ges­tion auto­nome des lieux de concer­ta­tion sur les­quels elle s’appuie pour garan­tir que la concer­ta­tion serve l’intérêt géné­ral et évi­ter que les par­ti­ci­pants se contentent de défendre l’intérêt d’établissements particuliers.

Même si Mar­court annonce que la réforme pro­po­sée dans son ensemble n’aura aucun impact bud­gé­taire, la ques­tion du finan­ce­ment de la recherche reste non tran­chée et se pose­ra. Ira-t-il à l’ARES ? L’ARES sera-t-elle char­gée d’assurer une répar­ti­tion entre pôles, y aura-t-il un quo­ta réser­vé aux dif­fé­rents éta­blis­se­ments ? En toute hypo­thèse, la mise en réseau des acti­vi­tés de recherche et leur coor­di­na­tion par l’ARES visent à ne pas dédou­bler les inves­tis­se­ments publics. Mais aucune réflexion d’ensemble ni de détail n’est pro­po­sée pour amé­lio­rer la col­la­bo­ra­tion entre recherche et admi­nis­tra­tion, que ce soit dans le cadre de la Région ou dans celui de la Fédé­ra­tion. Pour­tant, l’implication d’un ser­vice admi­nis­tra­tif de qua­li­té dont la légi­ti­mi­té et le pro­fes­sion­na­lisme seraient recon­nus par les cher­cheurs pour­rait contri­buer à sta­bi­li­ser une col­la­bo­ra­tion de qua­li­té entre les ins­tances de la confédération.

Rapprochement avec les politiques européennes et/ou d’autres pays voisins

Avec les orien­ta­tions qu’il veut don­ner à la recherche, le ministre Mar­court s’inscrit plei­ne­ment dans les réformes pré­co­ni­sées par les auto­ri­tés euro­péennes pour créer l’espace euro­péen de la recherche. Il semble éga­le­ment s’être ins­pi­ré des poli­tiques adop­tées dans d’autres pays d’Europe et notam­ment de ce qui a été mis en place en France.

Dans sa com­mu­ni­ca­tion du 18 jan­vier 2000, Vers un espace euro­péen de la recherche, la Com­mis­sion euro­péenne esti­mait qu’il fal­lait aller vers une exé­cu­tion plus cohé­rente des actions menées en matière de recherche par les États membres au plan natio­nal. Son pro­jet était expli­cite, elle sou­hai­tait coor­don­ner une poli­tique euro­péenne de recherche appe­lée à enca­drer les poli­tiques natio­nales, sus­ci­ter davan­tage de concur­rence entre les centres de recherche et mul­ti­plier les liens entre la recherche pri­vée et publique. Elle esti­mait qu’il était « néces­saire d’établir un sys­tème com­mun de réfé­rence à l’échelle de l’Union. ». Un espace euro­péen de recherche effi­cace sup­pose « de cla­ri­fier les rôles res­pec­tifs des sec­teurs public et pri­vé, ain­si que ce qu’il convient d’entreprendre aux niveaux régio­nal, natio­nal, euro­péen et inter­na­tio­nal. […] L’objectif ne sera atteint que par une com­bi­nai­son d’initiatives, de moyens et d’instruments aux dif­fé­rents niveaux ».

Le pro­jet d’un espace euro­péen de la recherche, déci­dé en 2000 d’un com­mun accord par les pays membres de l’UE, a eu un impact sur les poli­tiques natio­nales de recherche. Plus encore, depuis que la réflexion sur les acti­vi­tés de recherche et les doc­to­rats a été inté­grée dans le pro­ces­sus de Bologne dès le som­met minis­té­riel bis­an­nuel de Ber­lin en 2003, le pro­jet de la Com­mis­sion de créer un espace euro­péen de la recherche (EER) est deve­nu le second pilier du pro­ces­sus de Bologne et les uni­ver­si­tés ont été affec­tées dans leurs poli­tiques de recherche. Un EER sup­pose une cer­taine cohé­rence entre les poli­tiques natio­nales de recherche, voire une coor­di­na­tion entre les acti­vi­tés des dif­fé­rents États, ce qui com­mence à se concré­ti­ser par des appels conjoints. Il n’est pas éton­nant que, dans la limite de ses com­pé­tences, le ministre Mar­court ait vou­lu rendre lisibles les acti­vi­tés de recherches menées par les uni­ver­si­tés dont il sou­haite coor­don­ner les actions. Sa volon­té d’intégrer les ini­tia­tives et de les cha­peau­ter s’ajoute au mou­ve­ment lan­cé par le ministre Nol­let (2012), en charge de la Recherche au gou­ver­ne­ment wal­lon et au gou­ver­ne­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, qui vise une poli­tique inté­grée de la recherche. Une coor­di­na­tion des deux ini­tia­tives semble indis­pen­sable pour faire abou­tir un tel pro­jet. En effet, si le ministre Mar­court a les clés du finan­ce­ment des uni­ver­si­tés, le ministre Nol­let coor­donne quant à lui les fonds direc­te­ment affec­tés à la recherche (hors des pro­jets de pôles). Mais les déve­lop­pe­ments actuels ne montrent pas encore une forte inté­gra­tion entre ces deux dyna­miques au niveau poli­tique : le Plan 2011 – 2015 publié en 2012 ne men­tionne encore aucun déve­lop­pe­ment d’une quel­conque « ARES ».

La note Mar­court paraît éga­le­ment influen­cée par l’observation des poli­tiques fran­çaises. Le pro­jet de créa­tion d’une ARES (aca­dé­mie de recherche et d’enseignement supé­rieur) res­semble à la poli­tique menée en France à tra­vers la créa­tion des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supé­rieur). Mar­court ne s’en cache pas lorsqu’il annonce dans sa note que les rôles prin­ci­paux de l’ARES seront « la repré­sen­ta­tion de notre sys­tème d’enseignement supé­rieur comme une seule enti­té com­pa­rable aux autres struc­tures étran­gères (grandes uni­ver­si­tés, pôles de recherche et d’enseignement supé­rieur, etc.) et la coor­di­na­tion des acti­vi­tés ». Les PRES sont des regrou­pe­ments d’établissements d’enseignement supé­rieur et de recherche fran­çais (uni­ver­si­tés, grandes écoles, écoles d’ingénieurs, ins­ti­tuts d’études poli­tiques, écoles de com­merce, ins­ti­tuts natio­naux poly­tech­niques, grands éta­blis­se­ments, etc.) proches géo­gra­phi­que­ment qui visent à créer des enti­tés plus visibles. Ils relèvent donc, comme le pro­jet Mar­court, d’une poli­tique ter­ri­to­riale. Créés par la loi de pro­gramme pour la recherche du 18 avril 2006 (Cyter­mann, 2007), les vingt-et-un pres qui existent à ce jour en France cha­peautent des éta­blis­se­ments indé­pen­dants pri­vés ou publics, les entre­prises peuvent en faire par­tie en tant que membres asso­ciés. Les PRE délivrent des diplômes. Ils sont vus comme un ins­tru­ment de pro­mo­tion des éta­blis­se­ments membres et comme un moyen de prendre place dans la com­pé­ti­tion scien­ti­fique inter­na­tio­nale. Les éta­blis­se­ments délèguent aux PRES leurs com­pé­tences sur des champs signi­fi­ca­tifs, en par­ti­cu­lier en matière de recherche, de for­ma­tion doc­to­rale et de rela­tions inter­na­tio­nales. Le pro­jet de consti­tu­tion de cinq pôles et de l’ARES en Com­mu­nau­té fran­çaise n’est tou­te­fois pas un calque des poli­tiques fran­çaises, même s’il s’en rap­proche à bien des égards. En effet, il est pré­vu que les pôles s’occupent prio­ri­tai­re­ment d’enseignement et que leur rôle dans la recherche se borne à exé­cu­ter les pro­jets coor­don­nés par l’ARES, alors qu’en France, les PRES conservent leurs deux mis­sions de recherche et d’enseignement. Les poli­tiques des deux pays voi­sins semblent donc se dis­tan­cier sur ce point au moins : la France tend à rap­pro­cher la ges­tion des acti­vi­tés d’enseignement et de recherche, alors que la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles semble s’engager dans une direc­tion inverse.

Conclusion

La note Mar­court ne livre aujourd’hui qu’une esquisse de ce que pour­rait deve­nir la poli­tique de recherche dans nos uni­ver­si­tés. Des ques­tions, dont cer­taines ont déjà été évo­quées, res­tent en sus­pens, notam­ment en ce qui concerne le rap­port entre la recherche et l’enseignement et le financement.

Le lien indis­so­ciable entre la recherche et l’enseignement a été éri­gé en norme impé­ra­tive par les uni­ver­si­tés euro­péennes qui ont signé en 1988 la Magna Char­ta Uni­ver­si­ta­tum7, un texte qui célèbre les valeurs tra­di­tion­nelles des uni­ver­si­tés et les adapte aux exi­gences contem­po­raines. Ce lien a été rap­pe­lé à de nom­breuses reprises dans le cadre du pro­ces­sus de Bologne (Cro­ché, 2010), mais aus­si dans la note ana­ly­sée dans cet article. Pour­tant, avec la note Mar­court, nous pou­vons nous deman­der si la nou­velle orga­ni­sa­tion n’aurait pas pour effet de décou­pler davan­tage recherche et ensei­gne­ment, d’une part parce que ces deux acti­vi­tés seraient for­mel­le­ment enga­gées dans des sys­tèmes de gou­ver­nance for­te­ment dif­fé­ren­ciés, d’autre part parce que les acti­vi­tés répon­draient à des logiques dif­fé­rentes (ten­dance à la démo­cra­ti­sa­tion pour les pôles, ten­dance à cher­cher l’excellence de la recherche pour l’ARES)? Quel sera l’impact d’une telle scis­sion pour l’enseignant cher­cheur déchi­ré entre ces deux missions ?

De façon col­la­té­rale, la ques­tion de la dis­tri­bu­tion des moyens pour la recherche reste ouverte. Il s’agit là d’un des enjeux majeurs de la réforme, mais aucun docu­ment d’orientation n’aborde encore cette ques­tion cen­trale. En effet, le décret de 2004 défi­nit un cadre de finan­ce­ment jusqu’en 2015 et doit être revu à temps pour être opé­ra­tion­nel en 2016. La plu­part des acteurs admettent l’absence de fon­de­ment et de légi­ti­mi­té de la struc­ture actuelle de finan­ce­ment des acti­vi­tés de recherche des uni­ver­si­tés (telles que les ARC ou FSR) basée sur le nombre d’étudiants, mais hésitent à sou­te­nir la mise en place d’un sys­tème de pure com­pé­ti­tion entre les uni­ver­si­tés. Les notes minis­té­rielles évitent d’aborder ce thème, ô com­bien sen­sible, du par­tage des res­sources entre équipes universitaires.

  1. Table ronde de l’enseignement supé­rieur, syn­thèse finale, mai 2010, www.cgsp-enseignement.be/com/142-tr-sup/.
  2. Dans un sou­ci de conci­sion, nous n’aborderons pas dans cet article les effets que pour­rait avoir une telle réor­ga­ni­sa­tion sur les actions des auto­ri­tés régio­nales bruxelloises.
  3. Conseil wal­lon de la poli­tique scien­ti­fique, Mémo­ran­dum, mai 2009.
  4. Table ronde de l’enseignement supé­rieur, groupe de tra­vail 5 « Ouver­ture à la socié­té », rap­port final, 2010, www.cgsp-enseignement.be/com/142-tr-sup/.
  5. Table ronde de l’enseignement supé­rieur, groupe de tra­vail 2 « Pay­sage de l’enseignement supé­rieur en Com­mu­nau­té fran­çaise », rap­port final, 2010. www.cgsp-enseignement.be/com/142-tr-sup/.
  6. Par­le­ment wal­lon, ses­sion 2010 – 2011, compte ren­du de séance du 1/6/2011, cri, n° 16, p. 66.
  7. CRE, 1988, Magna Char­ta Uni­ver­si­ta­tum, Bologne, 18 septembre.

Catherine Fallon


Auteur

Professeure en science politique et administration publique (ULiège). Elle dirige le centre de recherche Spiral. Ses travaux personnels sont consacrés à la gestion des risques et des formes, les formes de gouvernance participative, et l’évaluation des politiques publiques.