Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Droit ou… discrimination au vote ?

Numéro 11 Novembre 2003 par Donat Carlier

novembre 2003

Mal­gré une gué­rilla par­le­men­taire pathé­tique du V.L.D., du C.D.&V. et du Vlaams Blok, le débat sur l’oc­troi du droit de vote aux étran­gers lors des scru­tins com­mu­naux serait en passe de trou­ver l’is­sue posi­tive qu’il cherche depuis plus de trente ans. Il y a en effet de bonnes rai­sons de croire que cette ten­­ta­­tive-ci puisse enfin […]

Mal­gré une gué­rilla par­le­men­taire pathé­tique du V.L.D., du C.D.&V. et du Vlaams Blok, le débat sur l’oc­troi du droit de vote aux étran­gers lors des scru­tins com­mu­naux serait en passe de trou­ver l’is­sue posi­tive qu’il cherche depuis plus de trente ans. Il y a en effet de bonnes rai­sons de croire que cette ten­ta­tive-ci puisse enfin débou­cher sur le vote d’une loi qui accor­de­ra aux étran­gers rési­dant en Bel­gique depuis cinq ans au moins le droit de vote aux élec­tions com­mu­nales. Le seul par­ti du gou­ver­ne­ment qui refuse cet élar­gis­se­ment du droit de suf­frage local, le V.L.D. a, semble-t-il, déci­dé, contraint et for­cé, de lais­ser le Par­le­ment en déci­der libre­ment. Sous la légis­la­ture pré­cé­dente, il avait mena­cé de faire tom­ber le gou­ver­ne­ment face à des débats dont l’is­sue lui était déjà défa­vo­rable. Le M.R. avait alors cédé au chan­tage et s’é­tait déso­li­da­ri­sé de la majo­ri­té « alter­na­tive » qui s’é­tait dessinée.

Depuis les der­nières élec­tions, le rap­port des forces a chan­gé : la remon­tée en force d’un SP.A., qui a main­te­nu sa posi­tion favo­rable au droit de vote des étran­gers contre vents et marées, a, poli­ti­que­ment, plus que com­pen­sé l’é­crou­le­ment des éco­lo­gistes, défen­seurs « his­to­riques » de ce droit. De plus, les enga­ge­ments des par­ti­sans des pro­po­si­tions de loi sur la table, réité­rés durant la cam­pagne, pou­vaient dif­fi­ci­le­ment ne pas faire l’ob­jet d’une ten­ta­tive de vote par­le­men­taire. Une ten­ta­tive qu’il deve­nait un peu plus dif­fi­cile de regar­der s’é­chouer sans s’é­mou­voir outre mesure après avoir assu­ré les mou­ve­ments asso­cia­tifs et syn­di­caux de la pro­fon­deur de ses idéaux de gauche. Les béné­fices sym­bo­liques d’un simple dis­cours sans effets pra­tiques ont un temps : achop­per sans cesse sur la même pierre n’est pas fait pour ren­for­cer la cré­di­bi­li­té poli­tique… La soli­da­ri­té gou­ver­ne­men­tale a donc été neu­tra­li­sée, sans même devoir être échan­gée contre une modi­fi­ca­tion de la loi sur l’ac­qui­si­tion de la natio­na­li­té ou dans un troc ins­ti­tu­tion­nel plus large, comme on le crai­gnait avant les élections.

Mais le com­pro­mis à réa­li­ser s’est dépla­cé. En effet, il res­tait encore à se mettre d’ac­cord sur les moda­li­tés d’oc­troi de ce droit de vote. Par quel niveau de pou­voir la ques­tion serait-elle fina­le­ment réglée (le fédé­ral ou le régio­nal) ? Fal­lait inclure l’é­li­gi­bi­li­té ? Quelle durée de rési­dence exi­ger ? Et sur­tout, fal­lait-il condi­tion­ner cet octroi à une démarche par­ti­cu­lière ? Et, si oui, laquelle (cours d’in­té­gra­tion, notam­ment lin­guis­tique, ser­ment…) ? En dis­cu­ter à l’in­fi­ni avait un effet contre­pro­duc­tif rejoi­gnant les manœuvres pro­cé­du­rières du V.L.D. et du C.D.&V. : allon­ger des débats com­mu­nau­tai­re­ment déli­cats que l’ex­trême droite fla­mande ins­tru­men­ta­lise sur des pan­neaux de vingt mètres car­rés à Bruxelles… Le M.R., arith­mé­ti­que­ment indis­pen­sable (et plus récem­ment, voire super­fi­ciel­le­ment, acquis au bien-fon­dé de cette dis­po­si­tion), s’est natu­rel­le­ment retrou­vé au centre du jeu poli­tique et a pu y impo­ser ses condi­tions : les étran­gers qui vou­dront voter aux com­mu­nales ne pour­ront être élus et devront donc s’en­ga­ger à « res­pec­ter la Consti­tu­tion et les lois du peuple belge ain­si que la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme ». Le P.S. et le SP.A., tout en pro­cla­mant leur désac­cord sur le fond, ont accé­dé à ces exi­gences pour « rapi­de­ment avan­cer vers un consen­sus et ne pas rater une occa­sion his­to­rique ». Soit. Le bien-fon­dé de l’é­li­gi­bi­li­té peut se dis­cu­ter. Mais le ser­ment exi­gé des étran­gers qui vou­draient pou­voir par­ti­ci­per à la dési­gna­tion des édiles locaux est par contre ahu­ris­sant. Non que toute condi­tion soit à prio­ri illé­gi­time — il est encore de la res­pon­sa­bi­li­té des poli­tiques de défi­nir qui peut par­ti­ci­per à la vie publique et de quelle manière -, mais cette dis­po­si­tion est absurde, dis­cri­mi­nante et des­truc­trice sur le fond.

Absurde : la loi s’im­pose à tous, qu’on le veuille ou non, qu’on le pro­clame ou non, qu’on soit belge ou non. Face à une telle inep­tie, on a envie de pou­voir récla­mer aus­si, en tant que Belge, le droit de res­pec­ter ou non la loi. Cette exi­gence est sur­tout dis­cri­mi­nante. Pen­se­rait-on faire signer le règle­ment de l’é­cole à une par­tie seule­ment des élèves sous pré­texte qu’ils ne sont pas de natio­na­li­té belge ? Pen­se­rait-on obli­ger cer­tains tra­vailleurs ou cer­tains élèves à se fendre d’un ser­ment avant de pou­voir élire leurs délé­gués ? La citoyen­ne­té ne se limite pas à la sphère poli­tique : elle s’ex­pé­ri­mente au quo­ti­dien dans la socié­té sans qu’on ait son­gé à y impo­ser de tels pas de porte.

Ensuite, il ne faut pas par­ti­ci­per régu­liè­re­ment à des conver­sa­tions de bis­trot pour com­prendre que cette exi­gence donne des gages à une cer­taine xéno­pho­bie ordi­naire en fai­sant écho à une sus­pi­cion : celle qui vise l’é­tran­ger qui « res­pecte moins la loi que nous » ou « qui ne par­tage pas notre vision éga­li­taire des rap­ports hommes-femmes ». Ce ser­ment vient enfin détruire le bien-fon­dé même de l’é­lar­gis­se­ment du droit de vote. En légi­ti­mant une méfiance à prio­ri, il vient ren­for­cer les fan­tasmes que l’ex­trême droite nour­rit sur les per­sonnes concer­nées par la loi : même si ce ne sont pas « les jeunes des quar­tiers » qu’elle vise, Belges pour la plu­part, cette loi voit donc irré­mé­dia­ble­ment sa por­tée mêlée au dis­cours sécuritaire.

Pour le moins, le ser­ment d’adhé­sion exi­gé doit être refor­mu­lé. Mais il conti­nue­rait à miner la phi­lo­so­phie qui sous-tend le droit de vote. En exi­geant une pres­ta­tion de ser­ment de l’é­tran­ger qui vit dans une com­mune belge, on lui offre aus­si… la pos­si­bi­li­té de ne pas uti­li­ser ce nou­veau droit. On com­met­trait ain­si la même erreur que pour les res­sor­tis­sants de l’U­nion qui peuvent voter aux com­mu­nales à condi­tion de s’ins­crire à la com­mune. Pour les natio­naux belges, le vote est, à la fois, un droit et une obli­ga­tion. Il aurait été plus cohé­rent qu’il en soit ain­si pour tous. Plus logique aus­si au regard des rai­sons pour les­quelles il faut accor­der cette mesure. En réa­li­té, les étran­gers ne la réclament pas à cor et à cri : la plu­part ont bien d’autres sou­cis, plus vitaux. Mais s’il faut octroyer ce droit de vote aux étran­gers, c’est parce que ce droit par­ti­cipe d’une poli­tique d’in­clu­sion de tous les citoyens dans la vie locale. C’est autant un droit qu’une obli­ga­tion à s’in­té­res­ser aux enjeux com­mu­naux : il contri­bue à ouvrir la poli­tique locale à des popu­la­tions trop long­temps négli­gées et, paral­lè­le­ment, à ouvrir des per­sonnes qui sont arri­vées ici plus ou moins récem­ment à la socié­té dans laquelle ils vivent. Ce droit de vote s’en­ra­cine d’a­bord dans la volon­té du pays d’ac­cueil d’or­ga­ni­ser le vivre ensemble dans un nou­veau contexte, non dans l’adhé­sion des per­sonnes visées.

Le droit de vote aux étran­gers se jus­ti­fie aus­si par la néces­si­té de gérer des situa­tions tran­si­toires qui seront ame­nées à se mul­ti­plier parce que l’Eu­rope aura bien­tôt besoin d’aug­men­ter les flux migra­toires vers nos pays. Abor­der cet enjeu de fond sous le signe de l’in­co­hé­rence et de la sus­pi­cion, que sous-tend désor­mais la loi pro­je­tée, n’au­gure rien de bon quant à la péda­go­gie dont nos déci­deurs seront capables de faire preuve à l’a­ve­nir sur ces ques­tions. Ce ser­ment consti­tue en fait la marque d’un défi­cit d’ex­pli­ca­tion et de réflexion sur le décou­plage entre citoyen­ne­té et natio­na­li­té. On tente par là de don­ner corps à un patrio­tisme consti­tu­tion­nel ban­cal pour rat­tra­per une sorte d’adhé­sion à une natio­na­li­té belge dont on ne sait plus ce qu’elle signifie.

Pour la droite et l’ex­trême droite fla­mandes, la natio­na­li­té belge a encore une fonc­tion à défaut d’a­voir un sens : celle de confor­ter la fer­me­ture de l’es­pace fla­mand sur lui-même en excluant l’Autre. On aurait aimé que les par­ti­sans du droit de vote se montrent capables de le rac­cro­cher à un pro­jet qui ne légi­time pas indi­rec­te­ment ces pos­tures réac­tion­naires et qu’ils nous disent ce que sera l’a­ve­nir du lien poli­tique dans des socié­tés mul­ti­cul­tu­relles au sein de la mondialisation.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.