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Don’t look up !
Dans le film Don’t look up, une météorite fonce vers la Terre. Des scientifiques alertent les dirigeant·es et l’opinion, mais la société se détourne de cet enjeu. Le slogan « Don’t look up » (ne regarde pas en l’air) lancé par les populistes invite les citoyen·nes à ne pas se soucier de ce qui se passe dans le […]
Dans le film Don’t look up, une météorite fonce vers la Terre. Des scientifiques alertent les dirigeant·es et l’opinion, mais la société se détourne de cet enjeu. Le slogan « Don’t look up » (ne regarde pas en l’air) lancé par les populistes invite les citoyen·nes à ne pas se soucier de ce qui se passe dans le ciel. Et les spectateur·ices de s’étonner de la bêtise de cette société qui préfère le déni à une action ferme et efficace, qui préfère s’abrutir dans un consumérisme à courte vue plutôt que de prendre son destin en main.
Or, le 9 juin, nous aussi avons refusé de regarder le ciel pour faire collectivement le choix de dirigeant·es qui ne se soucient que rhétoriquement du salut de notre monde.
Une campagne désolante
Alors que le mois de mai 2024 était le douzième d’affilée à être le plus chaud de l’histoire des mesures (au niveau planétaire), notre triple campagne électorale continuait de se vautrer dans la bêtise et les diversions.
On ne peut pas dire que nous n’avions pas été prévenu·es. Peut-être que la couleur avait-elle déjà été annoncée par « participopposition » du MR. Au pouvoir partout, après un gouvernement « suédois » dans lequel il était le seul parti francophone, ses mandataires – et surtout son président – ont passé la législature à faire comme s’iels n’avaient pas été aux affaires depuis 20 ans et comme s’iels ne soutenaient qu’à contrecœur les gouvernements auxquels iels participaient. Parmi tant d’autres, le dossier du nucléaire fut un cas d’école : les écologistes se faisant mettre sur le dos la responsabilité de la mise en œuvre d’un plan de sortie du nucléaire qui avait été préparé et validé par… Marie-Christine Marghem, et sur lequel le MR avait fait campagne et qui faisait partie de l’accord de gouvernement.
Rien d’étonnant, vu le succès médiatique de ce holdup, à ce que d’autres se soient senti pousser des ailes, tel Ahmed Laaouej qui, après quelques tergiversations, se décida à emboiter le pas populiste des adversaires du plan Good Move bruxellois. Voilà qu’un parti qui fut l’artisan de ce plan – tandis qu’Écolo était dans l’opposition – proposait un retour en arrière, tout en refilant la patate chaude aux Verts. Vu la médiocrité proverbiale de celleux-ci lorsqu’il s’agit de défendre leurs positions et de remettre l’église au milieu du village, les socialistes bruxellois auraient eu tort de se priver.
Encore pourrait-on soutenir que ces dossiers étaient en lien avec les principaux défis du moment : ceux liés à la crise environnementale. Mais la campagne a surtout été marquée par le ressassement des obsessions de la droite conservatrice.
On n’a pu manquer les sorties du MR sur la limitation des allocations de chômage à deux ans, énième resucée des mesures antichômeurs qui, ni chez nous ni ailleurs n’ont jamais apporté le moindre début de solution au « problème du chômage » (et ce ne sont pas les socialistes, qui se sont prêté·es à ce jeu, qui nous contrediront). Taper sur les méchant·es chômeur·euses-profiteur·euses fait encore recette, même après plusieurs décennies de ratiocination à ce sujet. Ce n’est pas demain qu’il sera reconnu par tous·tes que la situation est structurelle, qu’elle va se dégrader considérablement dans les années à venir et qu’il ne peut plus être question de chasse aux chômeur·euses, mais d’organisation d’une société postsalariale.
Le MR en remit encore une couche en s’élevant contre la trop faible incitation à trouver un emploi, laquelle découlerait, bien entendu, de l’écart trop réduit entre les salaires et les allocations de remplacement. Entendez que ces dernières sont trop élevées, bien entendu… À l’heure où les 10 % des Belges les plus riches possèdent 55 % du patrimoine (chiffres de la Banque Nationale), où les transferts d’argent vers les paradis fiscaux sont passés de 82,9 milliards d’euros en 2015 à plus de 383 en 2021 et où la fraude et l’évasion fiscales privent chaque année la Belgique d’environ 30 milliards de recettes, il est évident que ce qui nous mine, c’est l’accaparement de nos ressources par les plus pauvres.
Bref, montrer les plus fragiles du doigt fait toujours recette. Dans le même ordre d’idée, on a assisté à une course à l’échalote laïciste autour de la neutralité des services publics et du port de signes convictionnels. De manière fort surprenante (ou pas), le financement des cultes n’était pas visé, pas davantage que l’enseignement confessionnel ni les hôpitaux catholiques… Peut-être l’enseignement n’est-il plus considéré comme un service public… ou bien le fait de se voir remettre sa carte d’identité par une femme voilée est-il moins neutre que d’inscrire ses enfants dans une école qui dispense des cours de religion catholique… ou encore s’agissait-il de flatter l’islamophobie ambiante et de courir après les voix de l’extrême droite. On peut faire la même réflexion à propos de la thématique du bienêtre animal qui semble ne concerner que l’abattage rituel du bétail, mais pas les porcheries industrielles, les élevages en batterie, pas davantage la castration des porcelets.
Peut-être n’est-ce d’ailleurs pas un hasard si les partis francophones champions de ces thématiques1 sont aussi ceux dont des membres se sont illustré·es par des sorties racistes. Nous nous souvenons toutes et tous de Pierre-Yves Jeholet (MR) sortant à un élu belge « d’origine étrangère » qu’il n’allait pas « venir » « nous » donner des leçons (à nous, les vrais Belges, bien entendu), ainsi que de l’indigne saillie de Michel Claise (Défi) faisant un lien direct entre port du voile et terrorisme.
Don’t look up !
Au milieu de ce barnum, le grand absent fut l’environnement. Bien entendu, de-ci de-là, il en fut question… le plus souvent pour fustiger « l’écologie punitive » ou pour résumer l’enjeu à ceux de la prolongation du nucléaire et de l’électrification du parc automobile. La magie des raccourcis technosolutionnistes fait toujours son petit effet et permet d’évacuer cette question aussi gênante que complexe. L’invocation des miracles technologiques semble bien avoir remplacé les processions et messes en tant que recours contre l’angoisse suscitée par les catastrophes naturelles.
Qui fit campagne sur la modification – inévitable – de nos modes de vie ? Sur la nécessité d’une adaptation profonde de notre économie ? Sur les mesures d’aménagement, d’équipement et d’organisation susceptibles de nous permettre de faire face aux inondations, sècheresses, canicules et autres catastrophes à venir ? Personne. Pas même Ecolo, toujours hésitant à s’appuyer sur les perspectives angoissantes en matière environnementale et à assumer son projet de transformation de nos sociétés. Entre les tartuffes et les timoré·es, le débat public a fait du surplace.
Le PS a certes tenté de développer la proposition d’un écosocialisme articulant les défis environnementaux aux questions de justice sociale, mais sans grand succès. Entre la peur de la défaite des socialistes bruxellois·es – qui se sont empressé·es d’abandonner leurs ambitions de réforme de la ville – et les coups de boutoir d’une gauche radicale qui s’imagine pouvoir faire le bonheur du prolétariat en redistribuant plus radicalement les bénéfices d’un système productif largement inchangé, les rêves de Paul Magnette ont vite pris l’eau.
Il n’est pas ici question de regretter la catastrophe électorale vécue par Écolo, mais de se désoler de l’incapacité de notre système politique à se préoccuper des urgences vitales auxquelles nous sommes confronté·es. Alors que la survie de nos systèmes sociaux et économiques – et, dans la foulée, de celle de nos mécanismes de solidarité et de soutien au bienêtre des populations – est menacée par les crises environnementales en cours, force est de constater qu’il reste possible de mener une triple campagne électorale sans en faire une thématique centrale.
Bref, c’est le fait qu’il reste possible, à gauche comme à droite, de se cacher la tête dans le sable qui est proprement désespérant. Car le jeu de la démocratie voudrait que chaque formation propose ses solutions – développées, argumentées, articulées – pour faire face à ces défis, et que les citoyen·nes puissent faire leur choix. En lieu et place de quoi, se sont essentiellement données à voir les diversions d’une droite cherchant une fois de plus des boucs émissaires et les hésitations d’une gauche partagée entre lâcheté et passéisme.
L’extrême droite au centre du jeu
Ce qui redouble la préoccupation des démocrates, c’est bien entendu la centralité des thématiques et des types de discours originellement propres à l’extrême droite. Les saillies racistes rappelées ci-dessus, les affirmations à l’emporte-pièce, le refus de l’argumentation, le mépris pour le savoir scientifique, l’utilisation systématique du ressort de la peur (et avant tout de la peur de l’Autre), tout ça fut au centre de la campagne.
Certes, ce fut essentiellement le cas à droite et au centre (dont on peine à percevoir ce qu’il a de centriste), mais on aurait beau jeu de ne montrer du doigt que les outrances du président du MR et son rapprochement tous azimuts des thèses de l’extrême droite. Il n’est au fond pas si important qu’il en a l’air, et qu’il le pense. En fin de compte, il ne fait que touiller dans le même vieux fond de marmite que la plupart des autres partis. Tout au plus fait-il preuve d’un enthousiasme particulier. On a en effet déjà dit à quel point les thèses de l’extrême droite avaient été adoptées par la majorité des partis dits « démocratiques ». Nous voyons par ailleurs toutes et tous dégringoler le souci de l’argumentation au profit de l’émotion et de l’éructation, ce qui témoigne d’une reprise des vieilles recettes des extrémistes.
Il faut encore, de surcroit, pointer l’ignoble – il n’y a pas d’autre mot – compromission des partis dits « de gauche », Écolo et le PS, qui, au sein du gouvernement fédéral, ont laissé se poursuivre une politique d’accueil des migrant·es qui nous fait trahir tous les jours nos idéaux humanistes.
Il est à cet égard proprement lamentable de constater que le seul parti qui ne tombe pas dans ce jeu, le PTB, se compromet d’autre – et aussi lamentable – façon sur les dossiers syrien, ukrainien et ouïgour, et produit ses propres discours populistes à base de recettes miracles. Par ailleurs, il se positionne en tant qu’opposant radical de la droite… mais sur ses terrains. Ce faisant, il confirme qu’à ses yeux, l’enjeu est bien de gérer le système économique et productif en place, mais au profit du prolétariat, plutôt que du patronat. Dès lors, il ne propose qu’une alternative dans le système, plutôt qu’une alternative au système, lequel s’apprête à sombrer avec ses passagers : le patronat et le prolétariat.
Le contexte est donc désolant, non parce que la gauche a perdu, mais parce que nous avons tous·tes perdu. Nous avons perdu un temps précieux, que nous ne pourrons jamais regagner, et nous fonçons à pleine vitesse vers un mur dont nous connaissons parfaitement l’existence. Notre seule ambition n’est-elle donc que de prendre un dernier vol Ryanair avant de crever d’un coup de chaleur, abandonnant nos enfants sur une planète invivable ?
- Notons cependant le remarquable effort de certain·es membres du Parti socialiste pour rejoindre le peloton.