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Doha. Négociations climat : la traversée du désert continue
La dix-huitième conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui s’est tenue à Doha au Qatar a une fois de plus confirmé le manque d’ambition qui caractérise les négociations climat depuis l’échec de la conférence de Copenhague en 2009 et ce, en dépit de l’accumulation de signaux inquiétants. Les rapports indiquant […]
La dix-huitième conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui s’est tenue à Doha au Qatar a une fois de plus confirmé le manque d’ambition qui caractérise les négociations climat depuis l’échec de la conférence de Copenhague en 2009 et ce, en dépit de l’accumulation de signaux inquiétants.
Les rapports indiquant que l’objectif de maintenir le réchauffement global en deçà de deux degrés Celsius d’ici à l’an 2100 sera très difficile à atteindre furent en effet légion ces derniers mois. La Banque mondiale, pourtant peu suspecte de radicalisme écologiste, prévoit un réchauffement de l’ordre de quatre degrés Celsius sur la base des engagements auxquels les États ont pour le moment souscrit. Les modèles de l’Agence internationale de l’énergie annoncent un réchauffement qui pourrait atteindre les six ou sept degrés si la consommation globale d’énergie fossile devait se stabiliser aux niveaux actuels. Le programme des Nations unies pour l’environnement a, quant à lui, publié en novembre la version 2012 de son « Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions ». Le verdict est implacable. Premièrement, le niveau actuel des émissions est plus élevé que celui qui serait requis en 2020 pour rester dans une trajectoire compatible avec l’objectif des deux degrés et, pire, les émissions continuent à croitre. Deuxièmement, l’écart entre le nécessaire et l’existant tend à croitre lui aussi puisque l’écart des émissions requises en 2020 pour rester sous la barre des deux degrés est de 8 à 13 GtCO2e1, alors qu’il était de 6 à 11 GtCO2e dans le rapport de l’an dernier. Troisièmement, alors que dans les scénarios compatibles avec l’objectif des deux degrés, les émissions globales de gaz à effet de serre devraient être de maximum 37 GtCO2e en 2030 et d’environ 21 GtCO2e en 2050, elles s’élèvent actuellement à environ 50 GtCO2e. Rappelons qu’il s’agit de chiffres globaux et que les objectifs qui devraient être atteints par les pays développés sont plus impressionnants encore puisque ceux-ci devront réduire leurs émissions de 80 à 90% d’ici à 2050.
On le voit, les objectifs à atteindre en une poignée de décennies sont vertigineux. Or, les décisions prises au Qatar furent essentiellement techniques et processuelles, et concernent principalement trois dynamiques de négociation distinctes.
Le premier épilogue fêté à Doha fut celui d’un processus de négociation entamé en 2007 à Bali et qui devait aboutir à la conclusion d’un accord global en 2009 à Copenhague, accord qui aurait couvert l’atténuation des émissions tant dans les pays développés qu’en développement, l’adaptation, les transferts de technologie, le financement de l’aide aux pays en développement, le renforcement des capacités ou encore la standardisation des méthodologies de rapportage et de vérification. On sait ce qu’il est advenu de cette ambition. Les rêves de grand accord mondial couvrant tous les chapitres du plan d’action de Bali esquissé dans la touffeur indonésienne n’ont pas résisté aux frimas de la capitale danoise et le processus a continué à cahoter jusqu’à Doha. Qu’aura légué ce groupe de travail, désigné par les initiés par l’acronyme LCA (pour Long-term Cooperative Action under the Convention)?
Tout d’abord, un maquis d’institutions nouvelles et de programmes de travail censés contribuer à l’effectivité et à l’efficience du régime climat. « Comité exécutif de la technologie », « Comité pour l’adaptation », « Comité permanent du financement » sont les principaux éléments d’une bureaucratie internationale du climat qui a connu un essor remarquable ces dernières années. Ensuite, le processus LCA a accouché de nouveaux engagements en matière de financement. À court terme, les pays développés s’étaient engagés en 2009 à fournir un financement rapide pour la période de 2010 à 2012 équivalant à 30 milliards de dollars nouveaux et additionnels pour répondre aux besoins des pays en développement. À plus long terme, les pays développés ont promis de mobiliser pour 2020, 100 milliards de dollars par an provenant de sources tant publiques que privées. Le processus LCA a également pourvu le mécanisme financier de la Convention d’une nouvelle institution : le Fonds vert pour le climat. Ces décisions relatives au financement datent cependant de Copenhague (2009) et de Cancún (2010) et Doha n’a pas apporté de réponse satisfaisante à de nombreuses questions fondamentales qui restent désespérément en suspens.
Quid du financement entre2013 et 2020 ? Comment le Fonds vert sera-t-il alimenté ? Quelle sera la part du financement public dans les 100 milliards et comment définira-t-on les investissements privés susceptibles de contribuer à cet objectif ? Notons que, eu égard au financement 2013 – 2020, Doha a abouti à un appel à la bonne volonté des pays donateurs bien éloigné de la prédictabilité recherchée par les pays bénéficiaires. En définitive, si Doha a placé un point final à cinq années de négociation au sein du groupe de travail LCA, celui-ci ressemble en réalité à de bien décevants points de suspension aux lendemains incertains.
Doha a également marqué le terme de sept années de négociation visant à organiser la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto. La première période qui courait de 2008 à 2012 sera suivie d’une deuxième période d’engagement de 2013 à 2020. Certes, une telle décision permet de conserver le seul cadre multilatéral organisant une réduction des émissions des gaz à effet de serre basée sur des objectifs chiffrés à atteindre dans un calendrier précis. Certes, Doha a apporté — au grand dam de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie — une réponse à la problématique de l’«air chaud » et cette réponse permettra de limiter considérablement l’utilisation des surplus de quotas d’émission dont furent généreusement pourvus les pays issus de la dislocation de ce qui fut jadis le bloc de l’Est à l’aube de la première période d’engagement.
Cela étant, le protocole de Kyoto issu de ces sept années de maquignonnage ne fera tomber personne en pâmoison. La faiblesse majeure du protocole réside dans le fait que le fleuron de la lutte internationale contre le réchauffement ne couvre plus désormais que 15% des émissions mondiales de gaz à effet serre. En effet, s’alignant sur la position bien connue des États-Unis, Japon, Russie, Canada et Nouvelle-Zélande se sont retirés d’un système qui n’impose aucune obligation de maitrise des émissions aux pays en développement. En d’autres mots, l’impact de la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto sur les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre sera marginal. L’impact le plus significatif du protocole relève de la symbolique politique. L’héritage de Kyoto est sauvé et ses principaux défenseurs peuvent continuer à se prévaloir d’un leadeurship devenu en réalité bien falot.
Mais l’intérêt de cette décision de prolongation de Kyoto réside peut-être ailleurs, dans un avenir pas si lointain qui se joue au sein d’un troisième processus qui a lui aussi fait l’objet de négociations à Doha. Rappelons qu’en 2011 à Durban, la décision a été prise de négocier pour 2015 un accord international — dont la forme juridique exacte reste à déterminer — devant entrer en vigueur en 2020. Dans le jargon d’un microcosme qui a dû faire la démonstration d’une grande inventivité sémantique pour désigner tous les programmes de travail qui ont été lancés récemment, ce processus est appelé la « plateforme de Durban ». Tant le contenu que la portée de cet accord restent à négocier, mais un tel texte n’aura de pertinence que s’il tente d’organiser une réduction collective et effective des émissions de gaz à effet de serre. Dans cette perspective, Kyoto et son arsenal méthodologique d’une complexité inouïe pourraient en quelque sorte servir de matrice, ou de boite à outils, pour développer le grand accord global que l’on annonce pour 2015.
La conférence de Doha restera dans les annales des négociations sur le climat comme la conférence organisée sur le territoire d’un des États qui s’éloignent sans doute le plus de la définition du développement durable. Consumérisme ostentatoire, fascination mortifère pour les grosses cylindrées, inégalités sociales qui confinent à l’esclavagisme, rapports de genre moyenâgeux sont en effet quelques-uns des traits qui frappent le visiteur de passage sur cet appendice de la Péninsule arabique. Mais Doha restera aussi dans les mémoires comme une conférence intermédiaire sans grand relief qui aura permis de poursuivre la mise en œuvre des accords adoptés en 2010 à Cancún et de clarifier le paysage institutionnel qui abrite les négociations. Désormais, en dehors des organes de la convention et du protocole de Kyoto, ne subsiste qu’un seul groupe de travail — la plateforme de Durban — qui devrait aboutir en 2015 à la conclusion d’un accord dont l’architecture serait davantage adaptée aux réalités géoéconomiques de notre époque. En l’absence d’un accord ambitieux en 2015, les négociations climat abritées par les Nations unies sombreraient définitivement dans une caricature d’action publique postmoderne où la création de procédures et d’organes divers, la célébration du marché, l’énonciation d’exhortations absconses et la fixation d’objectifs financiers aussi grandiloquents qu’invérifiables tiennent lieu de politique.
- Ggigatonnes d’équivalent CO2. C’est une unité qui permet de regrouper la contribution au réchauffement de l’ensemble des gaz à effet de serre.