Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Doha. Négociations climat : la traversée du désert continue

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Benjamin Denis

février 2013

La dix-hui­­tième confé­rence des par­ties à la conven­tion cadre des Nations unies sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques qui s’est tenue à Doha au Qatar a une fois de plus confir­mé le manque d’ambition qui carac­té­rise les négo­cia­tions cli­mat depuis l’échec de la confé­rence de Copen­hague en 2009 et ce, en dépit de l’accumulation de signaux inquié­tants. Les rap­ports indiquant […]

La dix-hui­tième confé­rence des par­ties à la conven­tion cadre des Nations unies sur les chan­ge­ments cli­ma­tiques qui s’est tenue à Doha au Qatar a une fois de plus confir­mé le manque d’ambition qui carac­té­rise les négo­cia­tions cli­mat depuis l’échec de la confé­rence de Copen­hague en 2009 et ce, en dépit de l’accumulation de signaux inquiétants.

Les rap­ports indi­quant que l’objectif de main­te­nir le réchauf­fe­ment glo­bal en deçà de deux degrés Cel­sius d’ici à l’an 2100 sera très dif­fi­cile à atteindre furent en effet légion ces der­niers mois. La Banque mon­diale, pour­tant peu sus­pecte de radi­ca­lisme éco­lo­giste, pré­voit un réchauf­fe­ment de l’ordre de quatre degrés Cel­sius sur la base des enga­ge­ments aux­quels les États ont pour le moment sous­crit. Les modèles de l’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie annoncent un réchauf­fe­ment qui pour­rait atteindre les six ou sept degrés si la consom­ma­tion glo­bale d’énergie fos­sile devait se sta­bi­li­ser aux niveaux actuels. Le pro­gramme des Nations unies pour l’environnement a, quant à lui, publié en novembre la ver­sion 2012 de son « Rap­port sur l’écart entre les besoins et les pers­pec­tives en matière de réduc­tion des émis­sions ». Le ver­dict est impla­cable. Pre­miè­re­ment, le niveau actuel des émis­sions est plus éle­vé que celui qui serait requis en 2020 pour res­ter dans une tra­jec­toire com­pa­tible avec l’objectif des deux degrés et, pire, les émis­sions conti­nuent à croitre. Deuxiè­me­ment, l’écart entre le néces­saire et l’existant tend à croitre lui aus­si puisque l’écart des émis­sions requises en 2020 pour res­ter sous la barre des deux degrés est de 8 à 13 GtCO2e1, alors qu’il était de 6 à 11 GtCO2e dans le rap­port de l’an der­nier. Troi­siè­me­ment, alors que dans les scé­na­rios com­pa­tibles avec l’objectif des deux degrés, les émis­sions glo­bales de gaz à effet de serre devraient être de maxi­mum 37 GtCO2e en 2030 et d’environ 21 GtCO2e en 2050, elles s’élèvent actuel­le­ment à envi­ron 50 GtCO2e. Rap­pe­lons qu’il s’agit de chiffres glo­baux et que les objec­tifs qui devraient être atteints par les pays déve­lop­pés sont plus impres­sion­nants encore puisque ceux-ci devront réduire leurs émis­sions de 80 à 90% d’ici à 2050.

On le voit, les objec­tifs à atteindre en une poi­gnée de décen­nies sont ver­ti­gi­neux. Or, les déci­sions prises au Qatar furent essen­tiel­le­ment tech­niques et pro­ces­suelles, et concernent prin­ci­pa­le­ment trois dyna­miques de négo­cia­tion distinctes.

Le pre­mier épi­logue fêté à Doha fut celui d’un pro­ces­sus de négo­cia­tion enta­mé en 2007 à Bali et qui devait abou­tir à la conclu­sion d’un accord glo­bal en 2009 à Copen­hague, accord qui aurait cou­vert l’atténuation des émis­sions tant dans les pays déve­lop­pés qu’en déve­lop­pe­ment, l’adaptation, les trans­ferts de tech­no­lo­gie, le finan­ce­ment de l’aide aux pays en déve­lop­pe­ment, le ren­for­ce­ment des capa­ci­tés ou encore la stan­dar­di­sa­tion des métho­do­lo­gies de rap­por­tage et de véri­fi­ca­tion. On sait ce qu’il est adve­nu de cette ambi­tion. Les rêves de grand accord mon­dial cou­vrant tous les cha­pitres du plan d’action de Bali esquis­sé dans la touf­feur indo­né­sienne n’ont pas résis­té aux fri­mas de la capi­tale danoise et le pro­ces­sus a conti­nué à caho­ter jusqu’à Doha. Qu’aura légué ce groupe de tra­vail, dési­gné par les ini­tiés par l’acronyme LCA (pour Long-term Coope­ra­tive Action under the Convention)?

Tout d’abord, un maquis d’institutions nou­velles et de pro­grammes de tra­vail cen­sés contri­buer à l’effectivité et à l’efficience du régime cli­mat. « Comi­té exé­cu­tif de la tech­no­lo­gie », « Comi­té pour l’adaptation », « Comi­té per­ma­nent du finan­ce­ment » sont les prin­ci­paux élé­ments d’une bureau­cra­tie inter­na­tio­nale du cli­mat qui a connu un essor remar­quable ces der­nières années. Ensuite, le pro­ces­sus LCA a accou­ché de nou­veaux enga­ge­ments en matière de finan­ce­ment. À court terme, les pays déve­lop­pés s’étaient enga­gés en 2009 à four­nir un finan­ce­ment rapide pour la période de 2010 à 2012 équi­va­lant à 30 mil­liards de dol­lars nou­veaux et addi­tion­nels pour répondre aux besoins des pays en déve­lop­pe­ment. À plus long terme, les pays déve­lop­pés ont pro­mis de mobi­li­ser pour 2020, 100 mil­liards de dol­lars par an pro­ve­nant de sources tant publiques que pri­vées. Le pro­ces­sus LCA a éga­le­ment pour­vu le méca­nisme finan­cier de la Conven­tion d’une nou­velle ins­ti­tu­tion : le Fonds vert pour le cli­mat. Ces déci­sions rela­tives au finan­ce­ment datent cepen­dant de Copen­hague (2009) et de Cancún (2010) et Doha n’a pas appor­té de réponse satis­fai­sante à de nom­breuses ques­tions fon­da­men­tales qui res­tent déses­pé­ré­ment en suspens.

Quid du finan­ce­ment entre2013 et 2020 ? Com­ment le Fonds vert sera-t-il ali­men­té ? Quelle sera la part du finan­ce­ment public dans les 100 mil­liards et com­ment défi­ni­ra-t-on les inves­tis­se­ments pri­vés sus­cep­tibles de contri­buer à cet objec­tif ? Notons que, eu égard au finan­ce­ment 2013 – 2020, Doha a abou­ti à un appel à la bonne volon­té des pays dona­teurs bien éloi­gné de la pré­dic­ta­bi­li­té recher­chée par les pays béné­fi­ciaires. En défi­ni­tive, si Doha a pla­cé un point final à cinq années de négo­cia­tion au sein du groupe de tra­vail LCA, celui-ci res­semble en réa­li­té à de bien déce­vants points de sus­pen­sion aux len­de­mains incertains.

Doha a éga­le­ment mar­qué le terme de sept années de négo­cia­tion visant à orga­ni­ser la seconde période d’engagement du pro­to­cole de Kyo­to. La pre­mière période qui cou­rait de 2008 à 2012 sera sui­vie d’une deuxième période d’engagement de 2013 à 2020. Certes, une telle déci­sion per­met de conser­ver le seul cadre mul­ti­la­té­ral orga­ni­sant une réduc­tion des émis­sions des gaz à effet de serre basée sur des objec­tifs chif­frés à atteindre dans un calen­drier pré­cis. Certes, Doha a appor­té — au grand dam de la Rus­sie, de l’Ukraine et de la Bié­lo­rus­sie — une réponse à la pro­blé­ma­tique de l’«air chaud » et cette réponse per­met­tra de limi­ter consi­dé­ra­ble­ment l’utilisation des sur­plus de quo­tas d’émission dont furent géné­reu­se­ment pour­vus les pays issus de la dis­lo­ca­tion de ce qui fut jadis le bloc de l’Est à l’aube de la pre­mière période d’engagement.

Cela étant, le pro­to­cole de Kyo­to issu de ces sept années de maqui­gnon­nage ne fera tom­ber per­sonne en pâmoi­son. La fai­blesse majeure du pro­to­cole réside dans le fait que le fleu­ron de la lutte inter­na­tio­nale contre le réchauf­fe­ment ne couvre plus désor­mais que 15% des émis­sions mon­diales de gaz à effet serre. En effet, s’alignant sur la posi­tion bien connue des États-Unis, Japon, Rus­sie, Cana­da et Nou­velle-Zélande se sont reti­rés d’un sys­tème qui n’impose aucune obli­ga­tion de mai­trise des émis­sions aux pays en déve­lop­pe­ment. En d’autres mots, l’impact de la seconde période d’engagement du pro­to­cole de Kyo­to sur les concen­tra­tions atmo­sphé­riques de gaz à effet de serre sera mar­gi­nal. L’impact le plus signi­fi­ca­tif du pro­to­cole relève de la sym­bo­lique poli­tique. L’héritage de Kyo­to est sau­vé et ses prin­ci­paux défen­seurs peuvent conti­nuer à se pré­va­loir d’un lea­deur­ship deve­nu en réa­li­té bien falot.

Mais l’intérêt de cette déci­sion de pro­lon­ga­tion de Kyo­to réside peut-être ailleurs, dans un ave­nir pas si loin­tain qui se joue au sein d’un troi­sième pro­ces­sus qui a lui aus­si fait l’objet de négo­cia­tions à Doha. Rap­pe­lons qu’en 2011 à Dur­ban, la déci­sion a été prise de négo­cier pour 2015 un accord inter­na­tio­nal — dont la forme juri­dique exacte reste à déter­mi­ner — devant entrer en vigueur en 2020. Dans le jar­gon d’un micro­cosme qui a dû faire la démons­tra­tion d’une grande inven­ti­vi­té séman­tique pour dési­gner tous les pro­grammes de tra­vail qui ont été lan­cés récem­ment, ce pro­ces­sus est appe­lé la « pla­te­forme de Dur­ban ». Tant le conte­nu que la por­tée de cet accord res­tent à négo­cier, mais un tel texte n’aura de per­ti­nence que s’il tente d’organiser une réduc­tion col­lec­tive et effec­tive des émis­sions de gaz à effet de serre. Dans cette pers­pec­tive, Kyo­to et son arse­nal métho­do­lo­gique d’une com­plexi­té inouïe pour­raient en quelque sorte ser­vir de matrice, ou de boite à outils, pour déve­lop­per le grand accord glo­bal que l’on annonce pour 2015.

La confé­rence de Doha res­te­ra dans les annales des négo­cia­tions sur le cli­mat comme la confé­rence orga­ni­sée sur le ter­ri­toire d’un des États qui s’éloignent sans doute le plus de la défi­ni­tion du déve­lop­pe­ment durable. Consu­mé­risme osten­ta­toire, fas­ci­na­tion mor­ti­fère pour les grosses cylin­drées, inéga­li­tés sociales qui confinent à l’esclavagisme, rap­ports de genre moyen­âgeux sont en effet quelques-uns des traits qui frappent le visi­teur de pas­sage sur cet appen­dice de la Pénin­sule ara­bique. Mais Doha res­te­ra aus­si dans les mémoires comme une confé­rence inter­mé­diaire sans grand relief qui aura per­mis de pour­suivre la mise en œuvre des accords adop­tés en 2010 à Cancún et de cla­ri­fier le pay­sage ins­ti­tu­tion­nel qui abrite les négo­cia­tions. Désor­mais, en dehors des organes de la conven­tion et du pro­to­cole de Kyo­to, ne sub­siste qu’un seul groupe de tra­vail — la pla­te­forme de Dur­ban — qui devrait abou­tir en 2015 à la conclu­sion d’un accord dont l’architecture serait davan­tage adap­tée aux réa­li­tés géoé­co­no­miques de notre époque. En l’absence d’un accord ambi­tieux en 2015, les négo­cia­tions cli­mat abri­tées par les Nations unies som­bre­raient défi­ni­ti­ve­ment dans une cari­ca­ture d’action publique post­mo­derne où la créa­tion de pro­cé­dures et d’organes divers, la célé­bra­tion du mar­ché, l’énonciation d’exhortations abs­conses et la fixa­tion d’objectifs finan­ciers aus­si gran­di­lo­quents qu’invérifiables tiennent lieu de politique.

  1. Ggi­ga­tonnes d’équivalent CO2. C’est une uni­té qui per­met de regrou­per la contri­bu­tion au réchauf­fe­ment de l’ensemble des gaz à effet de serre.

Benjamin Denis


Auteur

Benjamin Denis est spécialiste de la politique internationale du climat.