Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Dix ans après le rapport Stern, où en est la Belgique ?
La lutte contre les bouleversements climatiques occupe chaque fin d’année l’actualité via les COP (Conference of Parties). Ce moment de retrouvailles au niveau mondial est la formalisation annuelle d’un processus continu de rencontres entre experts et délégations diplomatiques de l’ensemble des pays membres de l’ONU. Cette illusion médiatique ponctuelle laisse les politiques climatiques dans les limbes une bonne partie du restant de l’année. C’est le cas en Belgique aussi. D’aucuns déclareront que la Belgique a respecté ses engagements internationaux passés en la matière et qu’elle n’est pas une mauvaise élève. Si ce n’est pas (encore) faux, force est de constater que la situation n’est pas si bonne que cela.
Les rapports scientifiques sur l’intérêt à lutter efficacement contre les effets du réchauffement dans le sillage des travaux de Nicholas Stern n’ont jamais été plus nombreux ni plus clairs.
Premiers pas climatiques
La politique belge en matière de climat a vu le jour en 1994 : il s’agissait du Programme national pour la réduction des émissions de CO2. Il faisait suite à la décision du gouvernement fédéral de réduire les émissions de 5% à l’horizon 2000 par rapport aux émissions de 1990. Approuvé par les quatre gouvernements, seuls quelques-uns de ses éléments furent effectivement mis en œuvre. L’objectif de réduction d’émission ne fut pas atteint, au contraire, les émissions belges progressèrent durant la décennie 1990.
En 1997, la COP de Kyoto engendre le premier accord international sur le climat. S’il a fallu attendre la COP de Marrakech afin que soient réunies les conditions de l’entrée en vigueur survenue en février 2005, en Belgique aussi, on va prendre son temps. Car même si dès 1998, la Conférence interministérielle pour l’environnement (CIE) décida d’élaborer à l’horizon 1999 un plan national Climat en fonction des objectifs à atteindre, ce n’est qu’en novembre 2002 que sera conclu l’accord de coopération entre les autorités fédérales et régionales qui met en place une commission nationale Climat, chargée de proposer une répartition de l’objectif de 7,5% entre les parties et de coordonner et évaluer les mesures du plan national Climat. Depuis, plusieurs plans nationaux se sont succédé.
L’accord d’Ostende
Les objectifs à atteindre au titre du protocole de Kyoto ( – 7,5% en 2012 par rapport à 1990) devaient alors être répartis entre l’autorité fédérale et les autorités régionales. Cette répartition fut entérinée à la suite d’une discussion purement politique, lors d’une réunion à Ostende en 2004. L’État fédéral s’engageait entre autres à des politiques et mesures dans les domaines de la fiscalité (déductions fiscales pour isolation, etc.), des transports (intervention dans les abonnements de train pour les déplacements domicile-travail, sensibilisation, etc.) et des normes de produits1. Les autorités régionales avaient le pouvoir d’agir sur des leviers autrement plus importants : politique industrielle, mobilité, bâtiments, etc. La répartition fut pour le moins curieuse : la Région bruxelloise fut autorisée à augmenter ses émissions, tandis que la Flandre et la Wallonie allaient faire l’essentiel des réductions d’émissions.
L’accord n’a pas été doté d’outils d’évaluation des politiques (en particulier fédérales) ni de sanctions pour les parties qui ne respectaient pas leurs engagements. Cependant, les délocalisations ou fermetures des industries les plus émettrices de gaz à effet de serre (sidérurgie, essentiellement) aideront fortement la Belgique à respecter ses engagements (voir graphique de l’évolution des émissions en fin d’article).
L’horizon 2020
Au printemps 2008, les chefs d’États européens concluent un accord prévoyant trois objectifs pour l’Union européenne en 2020 : 20% d’énergie provenant de sources renouvelables pour la consommation finale, une amélioration de 20% d’efficacité énergétique par rapport à 2005 et une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20% par rapport à 1990. Rapporté au niveau belge, cela signifie une réduction des émissions de 15% par rapport à 2005 pour les secteurs non ETS, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas couverts par le système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2, comme le transport ou le bâtiment.
Il aura fallu près de sept ans de discussions pour parvenir à un accord. Pourquoi tant de temps ? Une seule raison ne suffirait pour expliquer une telle lenteur dans les négociations.
La complexité d’un accord prévoyant la répartition des efforts dans les secteurs cités, mais aussi une redistribution des recettes générées par la mise aux enchères des quotas attribués aux entreprises par les autorités européennes (ETS) ainsi qu’une contribution au financement de la lutte internationale contre le changement climatique, le tout entre quatre parties assez différentes dans leurs forces et faiblesses dans ces domaines était évidente.
Le précédent accord ne prévoyant aucune mesure d’évaluation, ni de contrôle ou encore de sanctions, la discussion a longtemps buté sur les clés de répartition : fallait-il utiliser les potentiels existants, les capacités contributives, les leviers les plus puissants ? Le tout dans un pays ou l’équipollence des compétences a engendré divers systèmes de soutien au développement des énergies renouvelables, systèmes pas toujours accordables. Enfin, les échéances électorales et la vacance de pouvoir à l’étage fédéral pendant la crise institutionnelle de 2010 – 2011 n’ont pas servi la cause climatique.
La dernière réforme de l’État a à la fois simplifié, mais aussi compliqué la gestion du climat en Belgique. L’introduction d’un droit de substitution au profit de l’État fédéral a simplifié la possibilité de respecter nos engagements au niveau international. Concrètement, l’État fédéral supplée les Régions dans leurs engagements et se retourne vers elles dans en cas de sanction internationale. Par contre, l’introduction d’un mécanisme de responsabilisation en matière climatique dans la loi spéciale de financement l’a légèrement complexifié et surtout a ouvert un champ de discussion supplémentaire dans le cadre du burden sharing. Suivant ce mécanisme, chaque Région s’engage à respecter une trajectoire de réduction d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des bâtiments. Si la Région va au-delà de son objectif assigné, elle reçoit un bonus financier. Si elle ne l’atteint pas, elle paie un malus. Ces bonus et malus sont proportionnels aux écarts par rapport à la trajectoire et fonction de l’enveloppe financière transférée. Les trajectoires de réduction d’émissions du secteur sont déterminées par la Commission nationale climat. Sans décision de cette dernière — ce qui est actuellement le cas — une trajectoire par défaut est d’application. Cette dernière est relativement ambitieuse.
Hélas, le mécanisme ne concerne qu’une petite partie du total des émissions, et l’enveloppe financière destinée au bonus est celle de l’autorité fédérale, soit la plus faible (environ une trentaine de millions d’euros annuellement). Par ailleurs, il a fallu attendre l’issue des négociations sur le burden sharing pour que ce dispositif de la loi spéciale de financement soit d’application.
La Belgique sur la voie du respect de ses engagements ?
Au niveau international, le consensus des climatologues réunis au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est clair : les pays tels que la Belgique devront réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 25 à 40% d’ici 2020 (par rapport à 1990) pour maintenir le réchauffement climatique global en dessous du seuil dangereux de 2 °C.
C’est donc davantage que les 20% qui nous sont assignés et que nous ne sommes pas du tout certains de respecter selon le rapport 2014 de l’Agence européenne pour l’environnement. De nouvelles mesures additionnelles aux actuelles, qui seront insuffisantes, sont donc nécessaires. Sans politiques nouvelles, seul l’achat de crédits à l’étranger permettra à la Belgique de respecter ses engagements.
C’est sur la base d’un raisonnement analogue qu’un tribunal néerlandais a donné raison à l’ONG Urgenda contre l’État néerlandais le 24 juin 2015 et lui a ordonné de réduire ses émissions de GES en 2020 de 25% par rapport à 1990. Par ailleurs, pour respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, il faudrait réduire nos émissions d’au moins 40%2 d’ici 2020 par rapport à 1990. Forte de ces constats, une action judiciaire a été entreprise en Belgique par l’association Klimaatzaak et ses milliers de coplaignants. Elle vise à forcer l’État belge à hausser ses engagements internationaux sur la base de l’obligation de l’État de protéger l’environnement et les citoyens.
Pourtant la Belgique ne manque pas d’outils intéressants. En Wallonie, un décret climat a été voté en janvier 2014. Il prévoit un budget d’émissions par période de cinq ans. Le budget 2018 – 2022 prévoit une diminution de 30% en 2020 ; celui de 2048 – 2052, une diminution de 90 à 95% en 2050.
Le décret prévoit également un échéancier pour définir les budgets intermédiaires, un plan climat pour définir les mesures pour atteindre les objectifs du décret et un comité d’experts qui évalue les projets de budgets futurs.
L’outil n’a pas encore été complètement utilisé par le gouvernement, qui n’a à l’heure actuelle pas encore déposé de plan climat.
De tels plans existent également en Flandre et à Bruxelles. Avec les politiques et mesures fédérales, il forme le plan national climat. On comprend tout de suite que ce patchwork d’outils aux ambitions différentes ne garantit pas la maximisation du potentiel ou une orientation claire des politiques de réduction des émissions de GES en Belgique.
Concrètement (voir graphique) les émissions de gaz à effet de serre ont suivi des trajectoires contrastées. Le secteur industriel, pour partie soumis au système européen d’échanges de quotas d’émissions (le fameux ETS) et pour partie aux accords de branche, a fortement réduit ses émissions, mais une part non négligeable de ce résultat provient de fermetures d’usines3. La production d’électricité a, elle, fortement bénéficié du développement des sources d’énergie renouvelable aux dépens du charbon et du gaz. Cependant, la prolongation du nucléaire — source de production non flexible et massive — va contraindre le développement des renouvelables, par ailleurs déjà freinés par la création de rente de situation (photovoltaïque wallon et flamand)4. La conclusion d’un pacte énergétique dont les contours exacts restent encore à définir permettra peut-être d’engager la Belgique dans une voie durable, mais tous les doutes sont permis. En matière de transport, si les sociétés de transport en commun ont vu leur fréquentation fortement augmentée ces quinze dernières années, la demande de mobilité en général a explosé, et les Belges n’ont jamais parcouru autant de kilomètres en voiture individuelle. Presque toutes les tentatives de réforme en matière de fiscalité automobile se sont chaque fois heurtées à des réticences fortes. On se rappellera le nombre de signataires de la pétition relative au test du prélèvement kilométrique pour les voitures en février 2014. Et si le transport par camions devait être soumis au prélèvement kilométrique à partir du 1er avril 2016, l’objectif est avant tout financier, et l’usage de paramètres climatiques peu développé dans la définition des tarifs.
Le secteur des bâtiments a vu ses émissions lentement diminuer malgré l’accroissement du parc de logement et de bureaux. Le secteur tertiaire a diminué ses émissions beaucoup plus rapidement que le secteur résidentiel. La difficulté tant pour le secteur bancaire que pour les particuliers à inclure les couts de chauffage dans le calcul de leur investissement, la variabilité des prix de ce dernier et les aléas dans les politiques publiques relatives aux primes à l’isolation ou aux performances des appareils de chauffage ont induit une certaine difficulté de lisibilité. Acheter ou rénover un immeuble en basse énergie ou passif n’est pas encore la norme.
Une transition aux bénéfices assurés
Une étude menée au niveau fédéral montre qu’il est possible de « décarboner » la Belgique en 2050. L’adoption d’une stratégie claire et des actions précoces donneront confiance aux investisseurs et rendront possible une transition en douceur vers une société sobre en carbone. Ce choix est également rentable car les couts d’investissement supplémentaires seront finalement plus que compensés par des économies sur les couts de combustibles et de carburants (les importations de coke, de combustible nucléaire et de pétrole raffiné étaient en 2013 de l’ordre de 18 milliards d’euros). En outre, ils offrent beaucoup d’avantages : la forte innovation crée des emplois, les factures d’énergie diminuent et la santé s’améliore grâce à la réduction de la pollution de l’air et enfin, les inégalités peuvent être réduites5. Cette étude a fortement inspiré la feuille de route fédérale qui propose une réduction des émissions de 45% d’ici 2020 et 85% d’ici 2050.
Hélas, l’analyse des débats relatifs aux objectifs climatiques dans les différentes assemblées du pays est éclairante sur au moins une dualité : plus l’effort est lointain, plus il semble facile d’être ambitieux, mais à l’inverse plus les efforts sont proches, plus il est difficile d’être ambitieux. Malgré un consensus sur la nécessité d’opérer une transition dans notre système, nos élus semblent incapables d’envisager les mesures pourtant nécessaires. Prolongation du nucléaire, faiblesse des objectifs en matière de renouvelables, poursuite de la priorité à la mobilité routière, réduction des moyens pour les transports en commun, prolongation de l’étalement urbain, amélioration à la marge du modèle agroalimentaire. La difficulté à réformer le système actuel semble insurmontable et les seules propositions sont des réformettes.
La lutte contre les bouleversements climatiques est le premier défi mondial à solidarité obligatoire. Son caractère globalisant effraie alors même qu’il devrait générer un certain enthousiaste vu les nombreuses crises que la « transition » entend régler. Ce qui implique une remise en question des rentes de situation et des bénéficiaires actuels du modèle énergético-économique dominant.
Publication
- Chr. Vandermotten et J. Vandenburie, Territorialités et politique, éditions de l’ULB, 2011.
- Notons qu’au niveau international, c’est l’échelon fédéral qui est responsable des engagements de la Belgique en matière de climat. Il y a donc toujours un ministre fédéral en charge du climat, doté d’une administration.
- |Il existe plusieurs méthodes pour calculer les efforts à fournir en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Néanmoins, le respect d’une limite de 2 °C nécessite de contenir les émissions dans une enveloppe : un budget carbone en quelque sorte. Les réductions d’émissions réalisées en début de période ont donc des effets plus durables. Pour atteindre l’objectif de –95% d’ici 2050, une trajectoire linéaire imposerait par exemple à la Belgique de faire –44% en 2020, une trajectoire à taux constant de réduction d’émissions imposerait –58% (taux annuel : –6,9%).
- On notera que les émissions sont cadastrées, c’est-à-dire mesurées sur le lieu de production des émissions et comptabilisées pour ce pays, sans aucun lien avec le pays de destination de la production. L’essentiel des réductions d’émissions des pays industrialisés provient de délocalisation des industries les plus émettrices. Leurs émissions de « consommation » sont à la hausse.
- Les systèmes de soutien au photovoltaïque en Belgique sont des systèmes d’aide à la production (certificats verts) complété au début par des primes à l’installation. Les textes législatifs adoptés lors de l’introduction du système prévoyaient des rendements annuels minimums de 7 à 8% en fonction des Régions. Hélas, les textes ne prévoyaient pas de mécanismes d’adaptation rapide des niveaux de soutien en fonction de l’évolution du cout des technologies. Seule la Région bruxelloise introduira ce type de régulation. Il n’est pas rare de rencontrer des installations bénéficiant d’un rendement annuel de plus de 20%, financé uniquement par les contribuables n’ayant pas de panneaux photovoltaïques. On peut décemment considérer que ces installations sont amorties ou le seront rapidement, qu’il n’y aucun risque d’investissement et que le surbénéfice se fait sur une base non équitable. Il y a donc génération d’une rente de situation, sur le même modèle que la rente nucléaire. On notera enfin que les capacités installées en solaire photovoltaïque attendues en 2020 étaient atteintes dès 2012.
- À cet égard, l’étude prospective de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique sur la transition énergétique suggère aussi que les scénarios climato-compatibles sont les plus à même d’assurer la justice sociale.