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Directive Bolkestein. L’assourdissant silence
Rien ne laissait penser qu’en ce 5 février 2010, la loi fédérale transposant la fameuse directive Bolkestein serait adoptée dans une indifférence quasi générale. Très remontés contre la proposition jusqu’à son adoption formelle fin 2006, les syndicats ont d’autres chats à fouetter dans ce climat de destruction nette de cent emplois par jour, de crispation du dialogue […]
Rien ne laissait penser qu’en ce 5 février 2010, la loi fédérale transposant la fameuse directive Bolkestein1 serait adoptée dans une indifférence quasi générale. Très remontés contre la proposition jusqu’à son adoption formelle fin 2006, les syndicats ont d’autres chats à fouetter dans ce climat de destruction nette de cent emplois par jour, de crispation du dialogue social et de questionnement de la soutenabilité de notre modèle social (voir les pensions en particulier). Les parlementaires sous le coup d’une procédure d’urgence évoquée par le gouvernement étaient censés rattraper le retard accumulé par ce dernier, le délai de transposition ayant expiré le 28 décembre 2009. Nonobstant cela, l’apathie dans les travées parlementaires (en particulier, celles de la majorité) s’expliquait plutôt par l’aversion à faire des vagues qui auraient secoué la majorité.
Le plombier polonais
Faut-il rappeler que cette directive libéralisant le marché des services (comme cela avait été fait pour le marché des marchandises par le biais de quelque trois-cents (!) directives européennes à partir du milieu des années quatre-vingt) en levant les obstacles (administratifs, législatifs et autres) à la libre prestation des services et au libre établissement des prestataires avait suscité l’ire des mouvements sociaux si bien que deux euromanifestations rassemblant chacune près de septante-mille personnes furent organisées l’une en marge d’un Conseil européen, l’autre devant le Parlement européen à Strasbourg. Cette directive porta une lourde part de responsabilité dans le raté français du référendum sur le projet de Traité constitutionnel européen. Publiée quelques mois avant le grand élargissement de l’UE de 2004, elle a aussi créé un sentiment d’opposition artificielle entre les vieux pays européens qualifiés de protectionnistes et les nouveaux États membres perçus comme étant à la source d’un dumping social et règlementaire.
Tandis que le gros morceau2 de la transposition (la loi dite « horizontale » parce qu’elle couvre des dispositions de nature transversale) serait examiné, vote y compris, en trois heures de temps montre en main en commission Économie de la Chambre, elle avait requis trois années de travail au niveau européen. 1.154 amendements avaient été déposés lors du premier passage en commission parlementaire « Marché intérieur » du Parlement européen, 424 à nouveau lors du premier vote en session plénière et encore 42 amendements lors de l’examen en seconde lecture.
L’essentiel du travail législatif au niveau européen avait visé à empêcher une concurrence vers le bas entre les États membres. L’image du « plombier polonais » a souvent été évoquée à ce moment ; l’idée étant que des prestataires de services originaires de pays moins avancés sur le plan des droits sociaux et des normes salariales n’évincent les travailleurs nationaux, plus chers du fait de l’arsenal règlementaire et des pratiques belges (cotisations sociales, conventions collectives de travail, etc.).
En définitive, de l’aveu de la ministre Laruelle, « La directive vise principalement les services de nature commerciale, comme les entreprises d’informatique, l’Horeca, les bureaux de consultance, la construction3…»
Un double discours
En Belgique, seuls les écologistes ont joué les trouble-fêtes en déposant des amendements (finalement tous rejetés) afin de réduire au maximum les zones d’ombre qui pourraient donner lieu à des interprétations restrictives marquant un recul du point de vue de la cohésion sociale notamment. Le SP.A a émis toute une série de réserves lors de la discussion avec la ministre Laruelle (copilote de la transposition avec le ministre Van Quickenborne), mais n’a pas déposé d’amendements en tant que tels. L’attitude du PS est symptomatique de la duplicité du discours sur l’UE. Les socialistes belges au Parlement européen, qui avaient été parmi les plus critiques de la directive, défièrent le compromis défendu par leur propre groupe et votèrent contre la directive (y compris Philippe Busquin qui, en tant que commissaire lors de la publication de la proposition de directive, rata l’opportunité d’amener Frits Bolkestein à revoir sa copie).
On peut comprendre que le PS n’ait pas attaqué frontalement la loi fédérale étant donné que la directive avait évolué depuis son sponsoring du site au nom très explicite stopbolkestein.org et sa participation au gouvernement. Mais, on s’étonne néanmoins de la timidité de ses interventions (limitées à quelques questions d’éclaircissement ; aucun amendement et aucun soutien aux amendements discutés) alors que son président et les eurodéputés PS déclaraient le jour de l’adoption de ladite directive que « c’est une directive qui reste ultralibérale et dangereuse », qu’il s’agit d’«une machine à déréguler, une véritable menace qui s’introduira insidieusement dans notre modèle social » et que « la directive favorise indiscutablement le “moins disant règlementaire”»4. Et à l’époque, le PS concluait héroïquement : « Le combat continue. » Au bilan, on ne peut s’empêcher de penser que certains représentants qui se disent de gauche n’ont pas peur de crier sur tous les toits qu’ils sont prêts à se battre quand les débats restent loin de la sphère nationale, mais qu’ils se rallient au courant libéral dominant dès lors qu’ils ne peuvent renvoyer la patate chaude ailleurs. Ne s’agit-il pas de ce qu’on appelle de la duplicité ?
Paradoxalement, à mesure que le volontarisme de certains se muait en pusillanimité, les chiffres mêmes qui avaient été présentés pour justifier du bienfondé de la directive se dégonflaient. En effet, en 2004 et 2005, une étude du Copenhagen Economics prédisait que la directive Bolkestein permettrait la création de 600.000 emplois dans l’UE, ce qui revenait pour la Belgique à une fourchette de 8.400 à 16.700 emplois. Une autre du Centraal Planbureau néerlandais estimait qu’elle ferait croitre le commerce et les investissements transfrontaliers de 15% à 35%. Mais, en décembre 2009, une étude de la Banque nationale et du Bureau fédéral du Plan concluait finalement que l’entrée en vigueur de la directive en Belgique créerait entre 6.000 à 9.000 postes de travail et que l’impact sur les exportations et les investissements seraient dérisoires…
Une absence de cohérence
Il serait certes mal venu de faire la fine bouche sur un tel pactole lorsque le taux de chômage a bondi de 7% avant la crise à près de 9% en 2011. Néanmoins, il faut bien reconnaitre que la directive pèche par manque de cohérence et que la loi fédérale qui en fait un quasi-copié-collé n’a pas arrangé les choses5. Il en va ainsi en particulier du strict encadrement des règlementations qui peuvent subsister eu égard aux différents critères de la directive. Ainsi, les exigences (de tout type et de n’importe quel niveau de pouvoir) et régimes d’autorisation existant dans notre pays pour régler la liberté d’établissement ne peuvent être maintenus que si, outre le fait qu’elles soient non discriminatoires et proportionnelles, elles répondent à une raison impérieuse d’intérêt général. Ce concept cardinal fait référence à l’ordre public, la protection des consommateurs, de l’environnement, des travailleurs, les objectifs de politique sociale, etc.
Mais, la liberté de prestation transfrontalière des services et le mécanisme d’alerte (qui peut être déclenché par un pays qui constate un problème dans le chef d’un prestataire) ne sont subordonnés qu’à un nombre beaucoup plus restreint de conditions qui, par ailleurs, diffèrent selon les cas : l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique ou la protection de l’environnement (dans le cas de prestation transfrontalière de services) ou à la santé, la sécurité des personnes ou l’environnement (dans le cas du mécanisme d’alerte). Un prestataire dont l’activité nuirait à la protection des travailleurs ne pourrait dès lors pas s’établir en Belgique, mais pourrait par contre offrir ses services depuis son pays d’origine (même si la protection des travailleurs n’y est pas garantie). Par ailleurs, la Belgique ne pourrait ordonner la cessation de l’activité pour ce motif ! Absurde.
De même, de nouvelles exigences et contrôles ne peuvent être imposés à un prestataire de services étranger désireux de s’établir en Belgique que dans la mesure où ces exigences et contrôles ne font pas double emploi avec ceux auxquels il est déjà soumis dans son pays d’origine. À priori, cela est logique (après tout, cette règle vaut pour les marchandises depuis des décennies), mais le problème tient dans le fait qu’on ignore tout des modalités mises en place pour vérifier que ces procédures sont « équivalentes ou essentiellement comparables » et qui procèdera à leur évaluation. Le flou artistique est presque complet…
Au total, une soixantaine de législations ont été examinées au niveau fédéral du point de vue de leur conformité avec la directive. Quarante ont fait l’objet d’une justification auprès de la Commission européenne qui rendra son avis dans le courant de cette année. Les autres ont été abrogées ou modifiées. Les autorités régionales et communautaires ont procédé au même exercice.
La transposition de la directive dans le droit belge aux niveaux fédéral et des entités fédérées ne signe pas l’aboutissement tumultueux de celle-ci. Déjà, sous la présidence belge, la Belgique et les autres États membres devront présenter un rapport expliquant les diverses règlementations qui auront été maintenues, les autres pays et la Commission pouvant communiquer leurs remarques à ce sujet. Tous ces éléments ainsi que d’autres comme la jurisprudence de la Cour européenne de Justice seront pris en compte par la Commission lorsqu’elle présentera une évaluation synthétique des effets de la directive et si elle le juge pertinent, de nouvelles propositions.
Ainsi, les soins de santé transfrontaliers initialement couverts dans la proposition de directive Bolkestein en avaient été retirés. La Commission leur avait alors consacré une proposition législative spécifique en juillet 2008. Or, le Conseil du 1er décembre 2009 n’a pu que constater la persistance des divergences de vues entre les États membres sur la mobilité des patients, l’équité entre eux et un meilleur accès aux soins dans l’UE. La Commission Barroso II envisage désormais de retirer sa proposition. Et rien n’exclut que lors de la révision de la directive « services », elle ne profite pas d’un ancrage du paysage politique encore plus marqué à droite pour les réintégrer dans celle-ci, faute d’avoir pu dégager un accord politique en la matière.
[*Indice de « droitisation » en Europe*]
(présence de représentants de la droite conservatrice, libérale, voire populiste et europhobe dans les trois institutions européennes, moyenne non pondérée)
- Cet article est le premier d’un diptyque consacré à la directive
sur les services. Le second épisode abordera les relations problématiques avec la nouvelle loi sur les pratiques du marché et mettra en lumière l’incohérence de l’action gouvernementale en matière de protection des consommateurs. - Loi sur le guichet unique et loi verticale qui met en conformité certaines législations existantes avec le prescrit de la directive (loi sur les implantations commerciales, loi sur le courtage matrimonial ou le time-sharing, etc.).
- Ibidem
- Bulletin d’information du PS, 20 novembre 2006, n° 28.
- Et nous verrons prochainement que l’on est encore loin du compte !