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Didier Reynders s’excuse

Numéro 6/7 juin-juillet 2014 par

juin 2014

L’on pourrait croire que la campagne fut sans enjeux nationaux, régionaux ou européens tant il fallut tendre l’oreille pour entendre ne serait-ce que l’amorce d’un débat de fond… On en viendrait à considérer que la plus honnête fut cette candidate MR, Alexia Bertrand, qui promettait qu’avec elle, on toucherait le fond. Au-delà de la maladresse de […]

L’on pourrait croire que la campagne fut sans enjeux nationaux, régionaux ou européens tant il fallut tendre l’oreille pour entendre ne serait-ce que l’amorce d’un débat de fond… On en viendrait à considérer que la plus honnête fut cette candidate MR, Alexia Bertrand, qui promettait qu’avec elle, on toucherait le fond. Au-delà de la maladresse de la forme, un lapsus révélateur ?

Ne faisons pas pour autant semblant d’être étonnés tant sont devenues la norme, les campagnes livrées par stratégies de communication interposées. Sans doute, en la matière, la mésaventure de Didier Reynders est-elle la plus emblématique de la campagne passée. On se rappellera qu’il avait terminé son « duel » avec Elio Di Rupo, sur La Première (radio-RTBF), par une petite phrase dont il a le secret. Tout le talent est là : glisser une phrase choc, avant que n’intervienne ce qui, en radio, a une priorité absolue, l’ode à la consommation et à la débilité mentale qu’est la plage de publicités. Petite phrase plus jingle publicité égale adversaire déconfit et privé du droit de s’insurger, de s’indigner, de s’étonner ; enfin, privé de toutes ces choses que font les adversaires quand l’affirmation est tellement énorme qu’ils se demandent si elle est le sommet du ridicule ou un danger mortel.

Didier Reynders fit donc observer que, sans les libéraux au gouvernement, des enfants furent enlevés en Belgique. [publicité]

Les petites phrases sont faites pour être reprises dans les médias sociaux (ou asociaux), pour être répercutées à l’infini dans tous les dispositifs où les longs textes sont indésirables, où les piques valent mieux que les idées… De ce point de vue, le succès fut total. En un instant, le hashtag (mot clé marqué par un dièse) #sansleslibéraux déferla sur Twitter en une avalanche de tweets ironiques. Les uns soutenaient que #sansleslibéraux, Superman avait mis son slip au-dessus de son pantalon, tandis que les autres faisaient remarquer que, sans eux, l’Empire romain s’était effondré. La twittosphère se tordait de rire avec l’humour noir qui la caractérise si souvent.
Au-delà de cette trainée de poudre, nombreux furent ceux qui s’offusquèrent d’une si flagrante instrumentalisation d’un fait divers resté fort douloureux dans la mémoire belge. Il est chez nous peu de chose sacrées, celle-là en est.

M. Reynders, après plusieurs heures d’attente, fut contraint de s’excuser. Soit on considère que le temps mis à réagir — outre qu’il démontre une synchronisation perfectible avec les médias modernes dont l’instrumentalisation était pourtant visée — indique une surprise totale et la recherche d’une manière de rattraper la sauce. La phrase dite était bien celle qui avait été préparée, mais sa réception fut imprévue ; il faut alors reconnaitre la dangerosité des petites phrases. On cherche à faire fort, à frapper l’imagination, à susciter l’étonnement. Tels les publicitaires qui rivalisent d’accents idiots et de voix hystériques pour tirer l’auditeur de sa torpeur matinale, on doit sortir du lot. Certes, mais le risque est grand de déraper. L’auditeur matinal fut bien tiré de sa léthargie, mais pour entrer en colère… Dans ce cadre, les excuses sonnent faux : la parole aurait dépassé la pensée alors qu’il serait plus juste de dire qu’elle a dépassé la pensée stratégique de Didier Reynders.

Soit on prend au sérieux l’affirmation de l’intéressé selon laquelle la phrase était plus longue qu’il n’y paraît, mais qu’elle a été coupée par la publicité. On s’interroge alors sur le temps de réaction : pourquoi attendre des heures pour dire que l’on a été interrompu mal à propos ? Dans cette hypothèse, il faudrait voir dans l’épisode un pari raté : placer un bon mot juste avant l’interruption ne vaut que si l’on n’est pas soi-même coupé. Didier Reynders serait alors tombé dans le piège qu’il tendait à son interlocuteur.

Dans un cas comme dans l’autre, force est de reconnaitre que ce petit jeu des phrases chocs a littéralement pourri la campagne. La preuve ? Cet article décode l’épisode que l’on sait alors qu’il aurait pu être consacré à la chronique de la pensée de l’un ou l’autre candidat. Faute de grives…