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Devenez scandaleusement chiches

Numéro 4 Avril 2012 par Anathème

décembre 2014

Nous vivons, cha­cun le sait, dans un pays de cocagne où les filles ont la peau rose, où l’herbe est verte, où la pro­duc­ti­vi­té des tra­vailleurs est légen­daire et où nous ne trou­vons pas plus grave, pour nous dis­pu­ter, que l’attribution à l’une ou l’autre com­mu­nau­té de la-fleur-qui-sent-le-cadavre du jar­din bota­nique de Meise. Nous sommes heureux, […]

Nous vivons, cha­cun le sait, dans un pays de cocagne où les filles ont la peau rose, où l’herbe est verte, où la pro­duc­ti­vi­té des tra­vailleurs est légen­daire et où nous ne trou­vons pas plus grave, pour nous dis­pu­ter, que l’attribution à l’une ou l’autre com­mu­nau­té de la-fleur-qui-sent-le-cadavre du jar­din bota­nique de Meise. Nous sommes heu­reux, ce que ne manquent pas de nous confir­mer de très sérieux sondages.

Cepen­dant, de noirs nuages s’amoncèlent au-des­sus de notre ilot de bon­heur. La concur­rence inter­na­tio­nale, la crise mon­diale — ou de l’euro, je ne sais trop —, le déve­lop­pe­ment de la Chine, celui de l’Inde, l’inflation, la dette publique, l’argent — tou­jours plus cher —, nos pro­duits — tou­jours moins com­pé­ti­tifs —, les Grecs, les ban­quiers, tout nous menace. Le péril est de taille.

Quand une voie d’eau se déclare sous la ligne de flot­tai­son, on allège l’embarcation et on écope.

L’heure dou­lou­reuse du choix des biens les plus pré­cieux a son­né. Cha­cun fait ses choix. La Grèce hésite à se défaire de son arme­ment, mais rati­boise le salaire mini­mum. L’Allemagne sabre dans les condi­tions de tra­vail pour inon­der l’Europe de ses pro­duc­tions. La France… la France… d’accord, par­lons d’autre chose.

On n’en est pas encore à tirer à la courte-paille celui qui sera man­gé, on ne prend pas déjà la pose pour Théo­dore Géri­cault, mais l’heure est grave.

Chez nous, un consen­sus semble se faire jour : il faut sau­ver notre modèle social. Puisque notre sécu­ri­té sociale est notre chef‑d’œuvre, puisque sans elle la vie en socié­té n’aurait pas de sens, elle est notre priorité.

Fort bien.

Com­ment, donc, sau­ver la sécu­ri­té sociale ? Il semble bien que l’une des options les plus pri­sées, actuel­le­ment, soit de tra­quer les abus. En effet, quoi de plus cri­mi­nel que de « pro­fi­ter du sys­tème » ? Cumu­ler les grasses allo­ca­tions sociales avec un tra­vail au noir, cacher son sta­tut de coha­bi­tant pour empo­cher l’euromillion de la sécu, c’est mal. Très mal.

Aus­si ne lésine-t-on pas sur les contrôles, acti­va­tions, sanc­tions, sus­pen­sions et autres rétor­sions. Ain­si, récem­ment, appre­nait-on que, grâce à une ini­tia­tive de Mag­gie De Block, près de 1.000 Euro­péens repré­sen­tant « un poids dérai­son­nable pour la sécu­ri­té sociale » avaient été expul­sés de notre coin de para­dis. Le socia­liste Gui­do De Padt a décla­ré que c’était, pour lui, « un signal por­teur d’espoir1 ».

Ce défen­seur de la sur­vie de la sécu a rai­son. Ce qui leste dérai­son­na­ble­ment notre modèle social, ce sont bien les pauvres ; on ne pour­ra, cette fois, sor­tir le cou­plet popu­liste sur « la faute aux riches ». Les fos­soyeurs du sys­tème sont bien ces cohortes de misé­reux qui lui sucent le sang comme autant de puces affa­mées. Une fois qu’on en a pris conscience, la solu­tion appa­rait clai­re­ment : si l’on débar­ras­sait la sécu­ri­té sociale de tous ces pauvres qui en menacent l’existence, elle serait pres­te­ment sauvée.

Il est en effet temps de faire le ménage, en com­men­çant par les pires : les plus néces­si­teux. Une fois tous les pauvres ren­dus à la mer­veilleuse liber­té dont les avait pri­vés l’assistanat, la sécu­ri­té sociale pour­ra voguer libre­ment, voire même, faire la preuve de ses qua­li­tés éco­no­miques en deve­nant une affaire rentable.

L’embarcation s’en trou­ve­ra radi­ca­le­ment allé­gée, les pauvres ayant écopé.

Il suf­fi­sait d’y penser.

  1. www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-belgique-a-expulse-965-europeens-profitant-de-la-securite-sociale?id=7597703

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.