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Des patients psychotiques sur le chemin de l’autonomie. Les communautés thérapeutiques

Numéro 3 - 2015 par Nicolas Marquis Robin Susswein

mai 2015

Le champ de la san­té men­tale est par excel­lence celui dans lequel cer­taines per­sonnes tra­vaillent sur l’autonomie d’autres. Selon le point de vue auquel on se place, l’autonomie y est tout à la fois un cri­tère mul­ti­forme pour éva­luer les patients, un for­mi­dable moteur éthique de pro­grès thé­ra­peu­tique, une norme que cer­tains patients peuvent subir, et une façon socia­le­ment consa­crée de mesu­rer l’efficacité des soins pro­di­gués. Dans les com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques, la défi­ni­tion et le tra­vail sur l’autonomie des patients sont des pré­oc­cu­pa­tions essen­tielles et quo­ti­diennes, mais ame­ner un patient vers plus d’autonomie est une ques­tion complexe.

Dossier

Le terme de « com­mu­nau­té thé­ra­peu­tique » (CT) a été asso­cié à un ensemble d’institutions psy­chia­triques qui se sont déployées à par­tir des années 1940 dans dif­fé­rents pays (Grande-Bre­tagne, États-Unis, France, Qué­bec, Bel­gique, Ita­lie…) selon des prin­cipes direc­teurs qui peuvent varier, mais contri­buent à un objec­tif com­mun : la « sau­ve­garde et la res­tau­ra­tion de la vie psy­chique1 » d’un petit nombre de patients (envi­ron une dizaine) qui jouissent d’une grande liber­té dans le cadre d’une vie com­mu­nau­taire régu­lée par une équipe de soi­gnants. His­to­ri­que­ment, les CT se sont consti­tuées par oppo­si­tion aux méthodes thé­ra­peu­tiques appli­quées dans les hôpi­taux psy­chia­triques asi­laires. Elles par­tagent l’idée fon­da­men­tale selon laquelle la vie quo­ti­dienne dans l’institution par­ti­cipe au tra­vail thé­ra­peu­tique — sou­vent au même titre que des entre­tiens cli­niques ou des pres­crip­tions de médications.

Un centre de psychothérapie institutionnelle

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’association sans but lucra­tif belge La Tra­ver­sière, qui regroupe une CT et un centre de jour. Un même direc­teur cha­peaute ces deux centres qui ont des prin­cipes très sem­blables se réfé­rant à la psy­cho­thé­ra­pie ins­ti­tu­tion­nelle. Ils accueillent cha­cun une bonne dizaine de patients, géné­ra­le­ment des psy­cho­tiques. Là où la CT per­met au résident de loger, le centre de jour accueille les rési­dents en moyenne trois jour­nées par semaine. Dans cha­cune des deux ins­ti­tu­tions, il y a le plus sou­vent quatre à six tra­vailleurs sur place simul­ta­né­ment : édu­ca­teurs, assis­tantes sociales, psy­cho­logues, psy­chiatres, ergo­thé­ra­peutes, la diver­si­té des pro­fes­sion­nels qui com­posent l’équipe de soi­gnants reflète la volon­té d’une prise en charge glo­bale des patients. Quand ils ne sont pas occu­pés par des entre­tiens indi­vi­duels ou des acti­vi­tés spé­ci­fiques avec les patients, les soi­gnants passent du temps dans l’espace com­mu­nau­taire ou orga­nisent des acti­vi­tés de loi­sir, de soins cos­mé­tiques ou d’expression artistique.

Lorsqu’on visite le centre de jour, on entre dans un lieu qui res­semble davan­tage à une grande habi­ta­tion qu’à un centre psy­chia­trique : tables et chaises, mobi­lier de cui­sine, cana­pés, baby­foot et jeux de socié­té par­sèment l’espace com­mu­nau­taire. Il est dif­fi­cile dans un pre­mier temps de dif­fé­ren­cier les tra­vailleurs des rési­dents : aucun des deux groupes ne porte d’uniforme, tous vaquent au même genre d’activités occu­pa­tion­nelles. Cepen­dant, cette pre­mière impres­sion ne recouvre que par­tiel­le­ment des dif­fé­rences de fond : la fonc­tion pro­fes­sion­nelle des pre­miers jus­ti­fie qu’ils soient là pour les seconds, et les réunions d’équipe à huis clos, les entre­tiens cli­niques indi­vi­duels ou cer­tains détails du dérou­le­ment de la vie com­mu­nau­taire le rap­pellent. Par ailleurs, si les patients y passent un cer­tain temps à s’«occuper », ce centre n’est pas à pro­pre­ment par­ler un centre occu­pa­tion­nel. La conven­tion Inami qui défi­nit léga­le­ment la fonc­tion pour laquelle l’institution est finan­cée par les pou­voirs publics sti­pule que celle-ci est un « centre de réadap­ta­tion fonc­tion­nelle » : les patients y font une « tra­ver­sée » d’une durée limi­tée à un an renou­ve­lable une fois et durant laquelle il est atten­du qu’ils pro­gressent vers plus d’autonomie.

L’autonomie dans la psychose

Les patients psy­cho­tiques vivent une forme de perte d’autonomie par­ti­cu­liè­re­ment mar­quante. Non seule­ment leur état, en période de crise notam­ment, les empêche de réa­li­ser une série de tâches quo­ti­diennes (prendre soin de soi-même, se faire à man­ger, se sou­ve­nir de son code ban­caire ou déter­mi­ner si réa­li­ser cette acti­vi­té leur fait du bien ou non) — ce qui ne les dif­fé­ren­cie pour­tant pas de per­sonnes souf­frant d’un han­di­cap phy­sique, par exemple. Sur­tout, cet état de « malade men­tal », une fois socia­le­ment et cli­ni­que­ment consa­cré, oblige les patients à par­ta­ger avec d’autres per­sonnes la capa­ci­té de dire ce qui est bon pour eux-mêmes, à juger de leur propre auto­no­mie (quand cet état ne les en dépos­sède pas pour une période plus ou moins longue).

Bien sûr, voir d’autres per­sonnes inter­ve­nir dans notre vie est une expé­rience que cha­cun peut ren­con­trer : nous rece­vons une série de conseils, voire d’injonctions de méde­cins, de coachs ou d’experts en tous genres sur ce que nous devrions faire ou ce qui serait per­ti­nent d’entreprendre, mais c’est sou­vent à un degré bien moindre, car lorsque nous sommes jugés sains d’esprit, per­sonne ne s’estime sérieu­se­ment légi­time à nous dis­pu­ter notre qua­li­té de déci­deur en der­nière ins­tance de ce qui est bon pour nous.

Le sta­tut de patient psy­cho­tique est donc par­ti­cu­lier en ce qu’il revient, même dans un contexte de dés­ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion et d’inscription des soins dans la cité, à octroyer à d’autres per­sonnes le droit de par­ler de sa capa­ci­té à agir de soi-même — et ce, y com­pris dans les ins­ti­tu­tions qui, à l’instar des com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques, se montrent extrê­me­ment atten­tives à la parole du patient. Non seule­ment ce que désire, pense, fait le patient « regarde » les membres de l’équipe soi­gnante ou l’administrateur de biens, mais qui plus est, ces der­niers sont sup­po­sés com­pé­tents, pal­liant les éven­tuelles inca­pa­ci­tés du patient à se conduire lui-même. Le patient lui-même aura ten­dance à subor­don­ner l’interprétation de ses envies et de ses capa­ci­tés à ce que disent ceux qui admi­nistrent l’un ou l’autre pan de sa vie. « J’aimerais habi­ter seule en appar­te­ment, mais l’équipe dit que je ne suis pas encore prête », dit une jeune femme, avant d’ajouter, non sans doute sans une pointe d’ironie : « Moi j’ai pas vrai­ment l’impression [que je ne suis pas prête], mais c’est sans doute qu’ils ont rai­son…» Cette per­sonne pour­rait quit­ter l’institution, rien ne l’entraverait phy­si­que­ment ou léga­le­ment, si ce n’est qu’elle-même convient du fait qu’elle ne peut pas, ou pas encore, déci­der seule de ce qui est bon pour elle — cette conscience sera d’ailleurs pro­ba­ble­ment consi­dé­rée comme un indice d’un réta­blis­se­ment en cours.

Il faut sou­li­gner que cette expé­rience d’une forme d’hétéronomie est loin d’être for­cé­ment mal vécue par les patients. Le temps pas­sé dans la CT est un temps où l’on peut, dans une cer­taine mesure, se lais­ser aller, comp­ter sur autrui pour prendre des déci­sions impor­tantes, ou en tout cas en par­ta­ger la res­pon­sa­bi­li­té, avant de se recons­ti­tuer pour conti­nuer son che­min ailleurs. Dans cer­tains cas, l’expectative d’un retour à une forme d’autonomie accrue com­porte d’ailleurs un poten­tiel anxio­gène impor­tant pour les patients, car elle risque de mettre un terme à un équi­libre par­fois chè­re­ment acquis par le résident, la com­mu­nau­té, et l’équipe.

Et pour­tant, per­sonne ne songe au sta­tu­quo, car au-delà des contraintes admi­nis­tra­tives impo­sant une durée de séjour, il semble tout sim­ple­ment impen­sable qu’une pareille forme de vie, admi­nis­trée sur de nom­breux plans, soit une vie dont on peut se satis­faire, et d’autant plus si des pos­si­bi­li­tés d’être plus auto­nome existent, au moins par hypo­thèse. Les rési­dents, qui doivent mon­ter dès leur arri­vée des « pro­jets de sor­tie » sont donc « de pas­sage », en balance entre ce qui sera consi­dé­ré comme une issue posi­tive (une forme de vie plus auto­nome, dans une habi­ta­tion pro­té­gée, par exemple), ou une issue néga­tive (un retour en arrière qui se mani­feste par une hos­pi­ta­li­sa­tion en fin de séjour, par exemple). Le résident y joue son ave­nir, et l’équipe la recon­nais­sance de son travail.

Des urgences psy­chia­triques aux com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques ou aux mai­sons de soins psy­chia­triques, puis aux ini­tia­tives d’habitations pro­té­gées, voire à l’appartement occu­pé seul, la dimi­nu­tion du nombre d’intervenants et la rétro­ces­sion de domaines d’action à la per­sonne (prendre ses médi­ca­ments, faire son ménage, pro­fi­ter de loi­sirs, etc.) consti­tuent les deux cur­seurs du che­mi­ne­ment vers l’autonomie, moteur de la pra­tique contem­po­raine des soins de san­té mentale.

L’autonomie comme critère : d’une notion éclatée à sa mise en pratique

De quoi parle-t-on quand on parle d’autonomie du patient ? Avant d’interroger le lien que cette notion entre­tient avec des pra­tiques concrètes en milieu psy­chia­trique, il convient de décrire briè­ve­ment l’éclatement séman­tique de ce terme et les dif­fé­rentes conno­ta­tions qu’il peut emprun­ter. En effet, la réfé­rence à l’autonomie dans les dis­cours des soi­gnants s’inscrit dans une varié­té de registres rela­tifs à l’évolution du patient vers un mieux-être.

Le registre « éco­no­mique » de l’autonomie comme « remise au tra­vail » ou « réac­ti­va­tion » des rési­dents en tant que per­sonnes exclues du mar­ché de l’emploi n’est per­çu posi­ti­ve­ment par l’équipe soi­gnante que lorsqu’il per­met de consta­ter à pos­te­rio­ri une réus­site thé­ra­peu­tique qui pré­sente, par ailleurs, d’autres facettes d’une réins­crip­tion satis­fai­sante dans le monde du point de vue du patient ou de l’ancien patient. De toute évi­dence, la « remise au tra­vail » n’est pas le leit­mo­tiv du centre. En effet, ce registre dis­cur­sif est per­çu comme inadé­quat lorsqu’il prend la forme d’une attente de résul­tat vis-à-vis des patients. On le remarque à tra­vers les pro­pos de cet édu­ca­teur qui explique ce que les soi­gnants attendent des per­sonnes qui se portent can­di­dates pour inté­grer l’institution en tant que patient : « On demande à la per­sonne ses objec­tifs à elle, clai­re­ment on ne va pas lui dire “voi­là, si tu veux venir ici, il faut qu’après autant de temps tu sois capable de retrou­ver un tra­vail” ou… ça c’est un peu lui qui défi­nit l’objectif de sa thé­ra­pie » (Marc, éducateur).

En revanche, à tra­vers ces mêmes pro­pos, c’est un glis­se­ment vers un autre registre de dis­cours rela­tif à l’autonomie qui trans­pa­rait : celui de la « citoyen­ne­té ». Ici, l’autonomie fait réfé­rence à la capa­ci­té de faire des choix, de prendre des déci­sions pour soi-même, de « se gou­ver­ner » et, ain­si, de réin­té­grer la socié­té en tant que citoyen.

«[…] pour moi la fina­li­té de cette ins­ti­tu­tion, c’est de per­mettre à toutes les per­sonnes — y com­pris évi­dem­ment à celles qui sont ici — d’avoir plei­ne­ment une place dans la socié­té. […] C’est peut-être ça [notre bou­lot]: […] redon­ner la capa­ci­té de poser des choix pour soi-même. Sur sa propre vie. Des choix de vie » (Die­go, direc­teur général).

« Défi­nir soi-même l’objectif de sa thé­ra­pie », avoir la « capa­ci­té de poser des choix pour soi-même », dans les pro­pos de l’éducateur comme dans ceux du direc­teur, la pos­si­bi­li­té de déci­der par soi-même com­ment on veut mener sa propre vie semble être une qua­li­té atten­due des patients au terme de leur séjour.

Mais com­ment pas­ser du dis­cours sur l’autonomie aux pra­tiques concrètes ? Quelle action thé­ra­peu­tique mettre en place, entre le « faire à la place du patient », le « faire avec le patient » et le « faire faire au patient » ? Et puis sur­tout, com­ment éva­luer l’augmentation, jamais linéaire et rare­ment défi­ni­tive, de l’autonomie du résident ?

Force est de consta­ter que l’évaluation de l’autonomie d’un patient psy­cho­tique par l’équipe soi­gnante, loin de consti­tuer un test stan­dar­di­sé et réuti­li­sable — les dif­fé­rentes échelles, comme celle du Glo­bal Assess­ment Func­tio­ning du DSM se révèlent aux yeux de l’équipe, peu convain­cantes —, est un exer­cice qui requiert une atten­tion cli­nique consi­dé­rable, consti­tuant en indices signi­fi­ca­tifs des micro­chan­ge­ments de com­por­te­ments appa­rem­ment ano­dins et invi­sibles aux yeux du pro­fane. En bref, cette éva­lua­tion est essen­tiel­le­ment un exer­cice qua­li­ta­tif, voire arti­sa­nal. Pour­tant, celui-ci est lourd de sens et de consé­quence, d’une part parce que les ins­ti­tu­tions comme les com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques reçoivent comme mis­sion de leurs bailleurs de fonds d’amener les per­sonnes qu’ils traitent vers une plus grande auto­no­mie et qu’ils doivent d’une façon ou d’une autre pou­voir rendre compte des pro­grès pro­duits par le tra­vail thé­ra­peu­tique réa­li­sé. D’autre part, l’évaluation de l’autonomie du patient est bien sûr déter­mi­nante pour la suite de son par­cours, en psy­chia­trie et au-delà.

À dis­tance des registres éco­no­mique et de la citoyen­ne­té dans les­quels s’exprime l’autonomie au sens fort du terme, les pra­tiques concrètes de l’autonomie au sein de l’institution ain­si que les dis­cours des soi­gnants qui s’inscrivent dans un registre pro­pre­ment « thé­ra­peu­tique » font miroi­ter une concep­tion de l’autonomie adap­tée à la posi­tion du patient dans son che­mi­ne­ment thérapeutique.

«[…] ce n’est pas simple [pour cer­tains patients] de retrou­ver un rythme de vie, réap­prendre les gestes du quo­ti­dien, se faire à bouf­fer, faire sa les­sive, ses trucs… y’a des gens qui sont inca­pables de le faire en arri­vant ici, ils ne savent pas éplu­cher un ognon quoi ! Ça arrive ! Et donc quand ils ont éplu­ché un ognon pour la pre­mière fois tout seuls, eh bien on est content. […] Quand un mec sort de l’hôpital et qu’il a fait qua­torze ans d’hôpital psy­chia­trique, « maqué » par les médi­ca­ments, et qu’il n’a plus jamais rien fait d’autre de sa vie que se bala­der et fumer des clopes, qu’est-ce que tu veux qu’il sache faire ? Tu perds tout » (Ugo, psychiatre).

Dans ce registre thé­ra­peu­tique, il n’est pas ques­tion de réin­té­gra­tion sociale par la remise au tra­vail ou par la mai­trise de sa tra­jec­toire de vie. Plus modes­te­ment, l’autonomie cor­res­pond ici aux com­pé­tences pra­tiques et sociales mini­males pour pou­voir vivre en com­mu­nau­té. C’est en tant que telle que la quête d’autonomie est l’objet du « tra­vail » que doit faire le patient au sein de la CT.

Cepen­dant, pour pou­voir amor­cer ce tra­vail, il est néces­saire pour l’équipe soi­gnante que le patient pré­sente une base mini­male d’autonomie afin que l’«accroche » aux dis­po­si­tifs que pro­pose l’institution soit pos­sible. Ain­si, dans le registre thé­ra­peu­tique, cette exi­gence mini­male d’autonomie implique, d’une part, que le patient ne doit pas pré­sen­ter de han­di­cap phy­sique ou men­tal sévère (ce qui est for­mel­le­ment cadré par la conven­tion) et, d’autre part, qu’il doit démon­trer sa volon­té de prendre part aux tâches de la vie com­mu­nau­taire, mais aus­si être capable de se faire accep­ter par les autres membres de la com­mu­nau­té2. Enfin, dans un registre mi-thé­ra­peu­tique mi-citoyen, il est atten­du d’une per­sonne qui veut inté­grer l’institution en tant que patient qu’elle puisse expri­mer ce qu’elle attend de son séjour, les pro­blèmes sur les­quels elle aime­rait tra­vailler et/ou le cadre de vie qu’elle aime­rait inté­grer. Si l’expression du « pro­jet » du patient et de l’objectif thé­ra­peu­tique de son séjour font eux-mêmes l’objet d’un tra­vail avec l’équipe soi­gnante, cette der­nière attend néan­moins de la part des patients la démons­tra­tion d’une volon­té de « se mettre au tra­vail », d’«essayer de se poser un [mini­mum] de ques­tions par rap­port à ça [à ce qui pose pro­blème dans leur mode de fonc­tion­ne­ment], de leur res­pon­sa­bi­li­té à eux » (Corine, assis­tante sociale).

Ain­si, l’autonomie du patient est non seule­ment un objet de tra­vail, mais elle est éga­le­ment une condi­tion d’accès à l’institution. Autre­ment dit, les membres de l’équipe attendent de la part des patients une forme d’autonomie mini­male que l’on pour­rait pré­sen­ter dans son para­doxe de la façon sui­vante : elle consiste jus­te­ment à conve­nir du fait que l’on n’est pas (suf­fi­sam­ment) auto­nome, et que la part de res­pon­sa­bi­li­té dévo­lue au patient consiste à accep­ter de jouer le jeu d’une inter­ven­tion col­lec­tive sur lui-même dans le but d’augmenter cette autonomie.

* * * *

Que faire quand la capa­ci­té à agir de soi-même est fon­da­men­ta­le­ment alté­rée ? Loin des slo­gans gran­di­lo­quents et creux sur le fait d’être soi-même, l’autonomie en san­té men­tale semble bien plu­tôt pas­ser par des vic­toires micro­sco­piques, résul­tat d’une tran­sac­tion à l’issue tou­jours incer­taine entre un patient, son pro­jet, une équipe soi­gnante. Dans cet envi­ron­ne­ment qui se veut bien­veillant, sui­vant l’expression du psy­cha­na­lyste Win­ni­cott, affec­tion­né par les théo­ri­ciens des com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques, l’idée n’est cer­tai­ne­ment pas de rendre les gens indé­pen­dants, mais de les accom­pa­gner vers un état de moindre dépen­dance, ou encore, plus hum­ble­ment, de main­te­nir un niveau de dépen­dance accep­table. En bref, ame­ner les patients à l’autonomie consiste à remettre en place les condi­tions d’une action pos­sible sur sa propre vie.

  1. Lecomte Yves, « Fon­de­ments théo­riques des com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques pour psy­cho­tiques », Fili­grane, 1995, n°4, p. 95 – 106.
  2. Dans de rares cas, il est déjà arri­vé qu’un can­di­dat ne soit pas accep­té à la suite de la désap­pro­ba­tion géné­rale des autres patients à l’issue de quelques jour­nées d’essai. Par ailleurs, l’institution a déjà connu des cas excep­tion­nels de ren­voi d’un patient vers une autre ins­ti­tu­tion « plus adap­tée » en rai­son, entre autres, d’un com­por­te­ment inadap­té vis-à-vis du per­son­nel qui ren­dait par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile le tra­vail de l’équipe au sein de l’institution.

Nicolas Marquis


Auteur

sociologue, chargé de cours en sociologie, méthodologie et méthodes quantitatives à l’université Saint-Louis Bruxelles, codirecteur du Casper, nicolas.marquis@usaintlouis.be

Robin Susswein


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