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Dernier minitrip avant la fin du monde
Qui n’a pas rêvé de retourner dans le passé pour assister à un évènement historique ? S’asseoir sur les rives du Rubicon pour voir César passer avec ses légions ; depuis la plage, observer une caravelle approcher des côtes d’une ile qui ne s’appelle pas encore Hispaniola ; donner un coup dans le tronc du pommier sous lequel Newton […]
Qui n’a pas rêvé de retourner dans le passé pour assister à un évènement historique ? S’asseoir sur les rives du Rubicon pour voir César passer avec ses légions ; depuis la plage, observer une caravelle approcher des côtes d’une ile qui ne s’appelle pas encore Hispaniola ; donner un coup dans le tronc du pommier sous lequel Newton fait la sieste ; ou encore, se promener dans la forêt de Compiègne le 11 novembre 1918.
Être témoin de ces moments décisifs, tout en se disant que les contemporains, eux, ignorent sans doute qu’ils assistent à l’Histoire en train de se faire. La bonne d’Archimède, l’entendant crier « eurêka ! » dans la salle de bain, a‑t-elle compris de quoi il retournait ? Le coutelier qui vendit à Charlotte Corday un couteau de cuisine à manche d’ébène eut-il quelque hésitation ? Le community manager qui, en 2010, publia « Alea jacta est » sur le compte Twitter d’Alexander De Croo avait-il conscience de la portée de son geste ?
Les choses sont telles que, bien souvent, la foule continue de vaquer à ses occupations quotidiennes tandis que la frôle le train de l’Histoire. Seul un regard rétrospectif rendra justice à ce moment, parfois des siècles plus tard.
Faut-il dès lors demeurer sur le qui-vive, à l’affut de tout ce qui pourrait annoncer un changement du cours de notre civilisation ? S’interroger sur les bouleversements que pourrait provoquer la énième rodomontade en ligne d’un politique en mal de publicité ? Se demander si cette magnétiseuse n’aurait pas enfin compris la nature quantique et vibratoire du monde et trouvé le moyen d’y faire régner une paix éternelle ? Soupçonner que cette application de détection de mensonge pour smartphone constitue bien une révolution qui changera la face de notre société ? Croire qu’envoyer des êtres humains sur Mars est le prélude de pérégrinations dans l’hyperespace en combinaison de Spandex® ?
Certes, on ne peut exclure qu’une des personnalités politiques, qui sollicite nos suffrages, puisse un jour avoir une idée de nature à changer le cours d’un ruisseau, ou le destin d’une rue, voire d’un quartier de sa commune… en attendre plus semble terriblement hasardeux. Du reste, à quoi bon prendre des risques ? La vie est courte et les moments historiques plutôt rares. Mieux vaut parier sur une valeur sûre… Nous nous bousculerons peut-être un peu sur les bords du Rubicon, mais nous pourrons dire « j’y étais ! » Peut-être même serons-nous en mesure de dire « J’en étais ! J’ai aidé César à traverser, j’ai donné à boire à un de ses hommes, j’ai tenu la bride du cheval d’un de ses centurions ! »
Mais, aujourd’hui, à quel évènement historique pouvons-nous participer à coup sûr ? Au réchauffement climatique, pardi ! Nous vivons un moment unique dans l’Histoire humaine, et même planétaire, excusez du peu ! Nous sommes prévenus de sa survenance depuis des décennies, des scientifiques toujours plus nombreux et toujours plus catégoriques nous annoncent, sinon la fin du monde, en tout cas la fin d’un monde, avec son lot de cataclysmes, de souffrances, puis de conflits, de terreur et, qui sait, de massacres, d’oppressions et d’obscurantisme. C’est une occasion unique et une affaire sans risque !
Oh, nous entendons bien les esprits chagrins qui nous disent qu’il est encore possible d’éviter la catastrophe… mais nous les voyons hésiter : ils se font plus rares, ils ne nous proposent plus que d’éviter le pire. Quelle erreur nous ferions en les écoutant ! Voulons-nous vraiment nous absorber dans une vaine agitation et rater le spectacle que l’on nous promet ? Certainement pas !
Au diable la frilosité ! Nous n’avons pas rejeté le principe de précaution, ignoré tous les avertissements, transgressé toutes les limites et interprété à contresens mille graphiques de températures pour renâcler au dernier moment. La seule chose qu’il nous faut craindre, c’est de rater le spectacle.
Je m’adresse surtout, ici, à celles et ceux qui sont aux commandes de la société, les hommes et femmes entre 40 et 65 ans qui occupent les postes de décision, qui ont le pouvoir économique, symbolique, médiatique et pourraient encore changer notre cap. Vous n’avez plus réellement de chance d’éviter la conflagration, tenez-vous vraiment à en ralentir la survenue, au risque de mourir à la veille du spectacle ? Avez-vous encore 30 ans devant vous ? Cette boule dans votre sein droit, cette sensation d’essoufflement quand vous montez l’escalier, cette raideur de vos membres au réveil vous laisseront-elles le temps de vivre les années cruciales qui viennent ?
Ne prenez pas de risques, hâtez les choses ! Certes, vu votre niveau de vie, vous contribuez très largement à la survenue de la catastrophe, mais vous pouvez faire mieux. Renoncez au vélo et au train, remplissez votre cuve de mazout, ouvrez les fenêtres, chauffez votre piscine à 25°C et visitez les capitales du monde entier. Précipitez-vous à New York, à Rio, à Venise, à Mumbai avant qu’elles ne soient sous eau. Visitez les glaciers du Népal avant qu’ils n’aient fondu. Traversez la Thaïlande en 4x4 avant que le climat n’y soit mortel ! Lâchez-vous !
Entre ces moments, profitez du spectacle ; écrivez des vers impérissables sur les affres d’un monde qui meurt ; prenez héroïquement la pose devant les charniers, au milieu des tempêtes, face au désert qui avance. Et surtout, surtout, n’oubliez jamais la chance que vous avez d’avoir pu passer l’essentiel de votre vie dans un confort insolent avant d’assister aux premières loges à la plus grande conflagration que l’humanité ait connue.
Quel dommage, nos petits-enfants ne seront pas là (et nous non plus) pour nous entendre raconter nos souvenirs de l’époque trépidante dans laquelle nous entrons