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Dématérialisation des services bancaires
Avec la dématérialisation des banques, les personnes en difficulté avec l’écrit ont de plus en plus de difficultés à gérer leur compte de façon autonome et à bénéficier des services bancaires. Sans guichet auquel s’adresser, sans extraits de compte en papier, ni bornes automatiques où réaliser les opérations, des milliers de nos concitoyens et concitoyennes sont aujourd’hui en exclusion financière.
Un adulte sur dix en Wallonie et à Bruxelles a des difficultés avec l’écrit. C’est l’estimation de l’asbl Lire et Écrire à partir des résultats des enquêtes réalisées dans des régions ou des pays proches1, faute de sondage dans la communauté francophone belge. Ces milliers de citoyens et citoyennes ont des difficultés pour accéder aux droits et aux services d’intérêt général, notamment quand les guichets ferment, les services téléphoniques sont défaillants et les repères matériels disparaissent (lettres, bornes, emplacements). Si la seule façon d’accéder à ces services est la voie numérique, les personnes en difficulté avec l’écrit deviennent dépendantes de la bonne volonté de leurs proches ou des travailleurs et travailleuses de première ligne pour les aider à y accéder.
Telles sont certaines des conclusions de l’étude que Lire et Écrire Bruxelles vient de publier : « Les personnes analphabètes à l’épreuve de la dématérialisation des services d’intérêt général ».
L’accès aux services bancaires numérisés est une question particulièrement importante et difficile pour les personnes analphabètes (et pour beaucoup d’autres personnes en difficulté avec le numérique). Depuis des années, nous assistons à la dématérialisation des services financiers. Mais, la crise sanitaire a été l’opportunité pour accomplir ce processus : les agences bancaires ferment, les bornes automatiques disparaissent, les lettres deviennent de plus en plus rares. Or, l’accès aux services financiers est une question fondamentale pour s’intégrer dans notre société. En effet, il est presque obligatoire d’avoir un compte bancaire pour percevoir un salaire ou pour payer un loyer. Certes, les banques sont pour la plupart des entreprises privées (Belfius reste la seule grande banque publique en Belgique). Mais, en tant que détentrices du monopole des dépôts, elles ont (ou devraient avoir) des obligations propres aux services publics2.
Moins de personnel, moins d’agences, moins de bornes automatiques : les banques se dématérialisent
Selon Febelfin, porte-parole du secteur financier en Belgique, 85 banques étaient établies dans notre pays en 2019. Ces banques sont en train de réduire leurs agences, leurs bornes automatiques et leurs distributeurs de billets, ainsi que le personnel qui y travaille.
En 2010, la Belgique comptait 3.973 agences bancaires ; en 2020, il n’en restait plus que 2.430. En 2010, la Belgique comptait 8.312 bornes automatiques avec fonction de retrait d’argent ; en 2020, il n’y en avait plus que 6.411. Le nombre de personnes qui travaillaient dans le secteur bancaire a aussi diminué. En 2010, le secteur bancaire employait 61.297 personnes ; neuf ans plus tard, le secteur ne comptait plus que 49.629 employés et employées.
En même temps, l’accès aux services bancaires via les nouvelles technologies est en train de se généraliser en Belgique. Selon les données de la Febelfin, le nombre d’abonnements à la banque digitale n’a cessé d’augmenter depuis des années. Les paiements par virement montrent une évolution très forte vers la numérisation des opérations bancaires. En 2019, 95 % des virements étaient faits de façon digitale (46 % via la banque en ligne, 49 % via la banque mobile). Seulement 5 % des virements ont été faits via les bornes automatiques. L’option papier n’est presque plus utilisée et est, de plus en plus, une option payante.
La crise sanitaire due à la Covid-19 a induit une accélération de la dématérialisation des services bancaires. Les agences bancaires ont été fermées pendant des mois. Aujourd’hui, seules certaines sont rouvertes. Mais elles sont accessibles pour la plupart exclusivement par rendez-vous. Les agences ont fermé leurs guichets, mais aussi beaucoup d’espaces où il y avait des terminaux non cash. Ces bornes automatiques permettent de réaliser des virements et d’imprimer les extraits de compte sans passer par la voie numérique. L’utilisation des services téléphoniques et les visioconférences comme canaux de communication a explosé. La crise du coronavirus a clairement été un déclencheur des paiements sans contact par carte, et ce, pour toutes les tranches d’âge.
Pendant cette période, les citoyens et citoyennes ont privilégié les paiements par carte ainsi que les paiements électroniques. Le nombre de paiements en espèces a très fortement diminué.
Le Réseau Financité (asbl belge) dénonce le fait que les individus ne sont pas égaux face à ces changements puisque les communes les plus pauvres sont plus dépourvues d’agences bancaires et de distributeurs de billets que les communes plus aisées (voir son Rapport sur l’inclusion financière en Belgique 2021). Or, les habitants de ces quartiers sont justement les citoyens et citoyennes les moins formé·es et les plus pauvres et donc qui éprouvent plus souvent des difficultés avec l’écrit et le numérique.
Ainsi et selon le Baromètre de l’inclusion numérique 2020 réalisé par Périne Brotcorne et Ilse Mariën, seulement 67 % des adultes bruxellois et 77 % des adultes wallons utilisent la banque en ligne. Toutefois, les groupes socioéconomiquement et culturellement moins favorisés, ainsi que les personnes de plus de septante ans, utilisent encore moins que la moyenne les services financiers numérisés.
Dématérialisation des services bancaires et personnes analphabètes
Entre 2018 et 2019, nous avons réalisé un sondage auprès de cent-neuf personnes en formation en alphabétisation à Lire et Écrire Bruxelles à propos de leur accès aux technologies numériques et de l’usage qu’elles en font. Les résultats montrent que 66 % d’entre elles ne savent pas réaliser de virements électroniques et 21 % ne savent pas retirer de l’argent au distributeur.
Entre 2020 et 2021, nous avons interviewé en profondeur quatorze habitants et habitantes de Bruxelles en difficulté avec l’écrit. Huit personnes ne savaient pas faire un virement bancaire en ligne et deux personnes ne savaient pas non plus retirer de l’argent via une borne automatique. Nous avons parlé avec elles de la manière dont elles se débrouillent au quotidien et des conséquences de ces difficultés sur leurs vies.
Par exemple, Fariza est une apprenante d’une association d’alphabétisation du quartier de Cureghem, à Anderlecht. Elle est mariée et elle a des enfants en bas âge. Fariza et son mari ne savent pas utiliser l’application de la banque, ils ne peuvent pas réaliser de virements bancaires en ligne ni consulter leur solde. Leur compte bancaire est géré par un membre de leur famille.
Abdelali et sa compagne sont des réfugiés syriens. Ils ont deux enfants en bas âge. Nous avons interviewé Abdelali lors d’une formation en banque digitale qui se tenait dans un centre d’alphabétisation de Lire et Écrire Bruxelles. Il sait regarder ses extraits de compte sur l’application de son téléphone. Mais il ne sait pas faire de virements bancaires. Le frère d’Abdelali, qui habite à Charleroi, gère leur compte à leur place.
Pouvoir contrôler et gérer son argent est fondamental pour l’autonomie de tous les citoyens et citoyennes. Mais c’est encore plus vrai pour les personnes qui ont des revenus très modestes et qui ont des responsabilités vis-à-vis d’autres personnes (des enfants, par exemple). Comme le sociologue Richard Hoggart le remarque dans son ouvrage La culture du pauvre (1957): Si les personnes en situation de pauvreté veulent ne pas couler, elles doivent gérer leur argent comme des comptables. Rien n’a le droit de déborder, d’être desserré. Alors, quand les personnes ne sont pas capables de savoir combien d’argent il reste sur leur compte, quand elles ne peuvent pas faire elles-mêmes les paiements, comment gérer la situation ? Comment faire face aux responsabilités et ne pas couler dans le surendettement ou le dénument ?
Un autre exemple, Nour est apprenante de Lire et Écrire Bruxelles à Saint-Gilles. Elle habite seule, elle est veuve et elle n’a pas d’enfants. Elle sait consulter sur l’application mobile ses extraits de compte, mais elle ne sait pas faire de virements en ligne. Dès que c’est possible, elle domicilie les paiements. Quand elle reçoit une facture qui n’est pas domiciliée, elle remplit le formulaire papier du virement, le signe et elle le dépose à la banque pour que la facture soit payée. Les virements papier deviennent payants dans de plus en plus de banques. Nour paie ce service puisqu’elle n’a pas d’autres options.
Guy, agent d’accueil dans une association d’alphabétisation, nous explique les problèmes qu’a une apprenante à cause des erreurs commises en faisant les paiements de ses factures en ligne : « J’ai une personne qui vient fréquemment ici. […] Son problème est qu’elle ne mettait jamais les bonnes informations pour la communication du virement. Du coup, ses virements étaient perdus dans la masse de virements. Si déjà c’est difficile à comprendre sur le papier, on imagine bien que sur le smartphone ou sur l’ordinateur, cela peut être une difficulté supplémentaire pour eux. »
Cette dame a parfois des problèmes de non-paiement (et donc risque des coupures du service), parfois des problèmes de double paiement. De plus, elle doit résoudre ces embarras par téléphone avec les services en question parce que les bureaux sont fermés. Avant d’appeler un service, elle doit trouver la facture en question et repérer les données principales (numéro de client, numéro de facture). Ces actions ne sont pas faciles pour une personne analphabète.
Les problèmes pour gérer les services bancaires en ligne sont divers et variés. Bien évidemment, ne pas savoir lire et écrire provoque des difficultés et des malentendus. Les personnes analphabètes ont besoin d’un guichet où pouvoir poser des questions, amener un document financier qu’elles ne comprennent pas ou faire un virement bancaire. Bref, les citoyens en difficulté avec l’écrit ont besoin d’un espace sécurisé et calme et d’une personne de confiance prête à les aider.
Les services téléphoniques ne pourront jamais remplacer les accueils physiques, le contact humain. Ceci s’explique par le fait que les personnes analphabètes (comme beaucoup d’autres citoyens) ont souvent des difficultés pour s’exprimer oralement sur une question administrative ou financière. D’abord, le vocabulaire utilisé par les services financiers est complexe. Ensuite, ces adultes ont souvent intériorisé (à force de subir le dédain de la société) qu’ils ne sont pas autorisés à questionner une personne qui est censée savoir plus qu’eux. De ce fait, pour beaucoup de citoyens confrontés à une institution bancaire, il est malaisé de poser une question, de comprendre la réponse de l’interlocuteur ou d’exprimer un désaccord. Ces actions sont difficiles à réaliser au guichet, mais beaucoup plus par téléphone.
Encore plus quand les banques installent des systèmes de répondeurs interactifs sur leurs numéros de téléphone. Ces systèmes obligent les appelants à sélectionner des options d’acheminement à l’aide du pavé numérique. À partir de nos entretiens, nous avons constaté que les systèmes de réponse vocale interactive effraient ou frustrent beaucoup d’usagers.
La dématérialisation des services bancaires rend incompétentes des personnes qui avant étaient capables de réaliser une partie — ou la totalité — des opérations financières. En effet, certaines personnes analphabètes étaient autonomes (ou partiellement autonomes): elles savaient débroussailler l’information des extraits bancaires en format papier, elles savaient faire un virement sur papier, elles retiraient de l’argent au guichet. Aujourd’hui, elles ne sont plus autonomes. Ces personnes sont « mises en incapacité » par la dématérialisation.
Par exemple, Fadela ne sait pas retirer de l’argent à un automate ni gérer son compte de façon numérique. Ses enfants le font pour elle. Mais avant, au moins, elle savait imprimer les extraits de compte sur les bornes et ainsi connaitre et contrôler sa situation financière. Maintenant, il faut payer pour imprimer les extraits et elle ne le fait plus.
Nelly est une des apprenantes qui sait faire un virement bancaire en ligne et retirer de l’argent au distributeur automatique. Pour prendre un rendez-vous avec la banque, elle doit envoyer un courriel. Mais cela, elle ne sait pas le faire. Elle n’a pas de courriel. Il est donc impossible pour elle de prendre un rendez-vous à la banque.
Toutes ces personnes doivent donc faire appel à un proche (enfant, frère, conjoint, travailleur d’une association) pour les aider à gérer leur compte bancaire. Ce rapport de dépendance n’est pas toujours bien vécu par les deux parties. La personne dépendante doit faire confiance à la bonne volonté et à la probité d’une autre personne ; elle doit aussi s’adapter à ses disponibilités. Pour la personne qui aide, il s’agit d’une grande responsabilité et d’une tâche supplémentaire dans sa vie.
Lors du sondage que nous avons fait en 2018 – 2019, une dame nous a expliqué que sa fille de dix ans connaissait le code PIN de sa carte et que c’était sa fille qui retirait l’argent au distributeur pour elle. Une autre dame nous a raconté que son fils, déjà adulte et qui ne vit plus avec elle, gère son argent. Il s’occupe de lui donner de l’argent en liquide pour ses frais. Quand il part en vacances, il lui laisse un montant plus important et elle doit se débrouiller. Difficile donc pour elle de faire face à un imprévu pendant les absences de son fils.
Ces personnes sont en train de vivre des situations de perte d’autonomie, de dépossession, de prise de risque (quand les personnes donnent le code de leur carte à un proche), de responsabilités mal assignées (quand les enfants doivent gérer le compte bancaire de leurs parents). Ces tracas quotidiens autour de la gestion de l’argent induisent des sentiments d’insécurité, d’humiliation et d’impuissance pour ces adultes.
Dans son Rapport sur l’inclusion financier en Belgique 2019, le Réseau Financité critique le fait que les exigences pour accéder aux services bancaires et pour les utiliser sont toujours plus strictes, notamment d’un point de vue géographique, technique, culturel et éducationnel. Nous ne pouvons que leur donner raison. La banque digitale exige des dispositifs numériques et des compétences que beaucoup de personnes analphabètes n’ont pas. Les personnes analphabètes, comme tant d’autres citoyens et citoyennes, subissent une « mise en incapacité » à cause de la dématérialisation des services bancaires. Ceci engendre, dans les faits, leur exclusion financière.
Les droits des citoyens et citoyennes remis en question
Selon le rapport Offre de services financiers et prévention de l’exclusion financière commandité par la Commission européenne en 2008 : « L’exclusion financière fait référence à un processus par lequel une personne rencontre des difficultés pour accéder à et/ou utiliser des services et produits financiers proposés par les prestataires “classiques”, adaptés à ses besoins et lui permettant de mener une vie sociale normale dans la société à laquelle elle appartient ».
Pour éviter cette situation, en 2003, le Code de droit économique belge impose aux banques un service bancaire de base. Ce service permet d’avoir un compte bancaire à un cout limité à des personnes qui autrement ne seraient pas acceptées dans une banque. Le service bancaire de base permet un nombre d’opérations manuelles par année. En 2018, il y avait moins de 9500 services bancaires de base ouverts en Belgique selon le Réseau Financité. Cette asbl dénonce dans son Rapport de 2019 le fait que les banques ne remplissent pas leurs obligations légales de promotion de ce service.
En 2021, le gouvernement fédéral et une partie du secteur bancaire se sont accordés sur l’introduction d’un service bancaire universel pour lutter contre l’exclusion financière produite par la dématérialisation des services financiers.
Dans ce tableau, nous comparons ces deux services :
Service bancaire de base | Service bancaire universel | |
Statut | Loi | Accord avec 13 banques (trois ans de durée) |
Nbre d’op. manuelles | 36 (transactions et retraits d’espèces inclus) | 60 transactions manuelles/an et 24 retraits d’espèces/an |
Cartes | Pas possible d’avoir une carte visa | |
Extraits de compte |
À disposition manuellement 2 fois/mois dans l’agence de domiciliation ou en agence | Impression 1 fois/mois dans l’agence bancaire Envoi non inclus dans le forfait et un « tarif raisonnable » sera facturé pour leur envoi |
Couts | 16,26 euros/an | Max. 60 euros/an + éventuellement un cout mensuel de l’envoi des extraits de compte |
Le service bancaire universel pose plusieurs questions. D’abord, le fait qu’il s’agisse d’un accord entre certaines banques et le gouvernement, et ce, seulement pour une durée de trois ans, alors que le service bancaire de base est une obligation légale. Ensuite, nous nous demandons pourquoi l’envoi des relevés de compte par la poste n’a pas été inclus dans le pack (et donc dans le prix maximum), puisqu’il y a de moins en moins de bornes disponibles pour les imprimer. Finalement, nous pensons que la question principale est de savoir si les banques vont laisser des agences et des distributeurs automatiques en fonctionnement pour que les clients et clientes puissent effectuer les opérations manuelles que ces services proposent. Cette question n’a pas été traitée dans l’accord sur le service bancaire universel, alors que sans agences et sans distributeurs automatiques disponibles pour les usagers en difficulté avec le numérique, cet accord restera lettre morte.
Actuellement, deux projets émanant directement des banques visent à modifier l’offre de distributeurs de billets en Belgique. Il s’agit du projet Batopin et de l’entreprise Jofico. Batopin est le nom donné à l’accord conclu entre Belfius, BNP Paribas, ING et KBC pour installer un réseau de nouveaux distributeurs automatiques de billets neutres. Ce réseau supposera une diminution substantielle du nombre de distributeurs. Mais, selon ces banques, les distributeurs seront mieux repartis sur le territoire belge. En effet, Batopin assure que 95 % de la population belge disposera d’un distributeur dans un rayon de cinq kilomètres alors que pour l’instant, 82 % de la population belge a accès à un distributeur à moins de deux kilomètres.
Jofico est une entreprise belge composée des banques Crelan, AXA Banque, Argenta, VDK et de Bpost. Cette entreprise a pour but de prester des services d’installation, d’exploitation et de maintenance des distributeurs automatiques de billets. Chaque membre de Jofico reste pourtant libre de proposer des distributeurs sous son enseigne. La réduction du nombre de distributeurs de billets n’est pas un objectif en soi de cette entreprise. Néanmoins, le Réseau Financité a déjà constaté une diminution de quarante-quatre appareils du parc depuis la création de Jofico en 20193.
En même temps, Bpost a, dans le cadre de son septième contrat de gestion avec l’État, l’obligation de mettre à disposition des citoyens et citoyennes au moins trois-cent-cinquante distributeurs de billets et au moins un distributeur dans les communes où aucun dispositif n’est disponible. Les opérations financières de base, telles que les virements, devraient aussi être disponibles dans les bureaux de poste et les points poste. Les banques auront la possibilité de proposer leurs services dans les bureaux de poste. Il est nécessaire de pointer que cette solution pour accéder aux services financiers (pour la plupart privés) est payée par les contribuables.
Bref, à ce jour, le Réseau Financité estime dans son Rapport sur l’inclusion financière en Belgique 2021 que la Belgique comptera probablement un tiers de distributeurs en moins d’ici 2024. Aucune initiative n’est prévue par rapport au maintien d’un accueil humain dans les agences bancaires. Or, nous savons que beaucoup de personnes en difficulté avec l’écrit et/ou le numérique ont besoin de l’aide d’une personne pour réaliser leurs transactions bancaires et pour poser des questions. Les bornes automatiques ne suffisent pas pour donner réponse aux besoins et aux compétences de beaucoup de citoyens et citoyennes.
Différentes associations et institutions ont dénoncé les conséquences de la dématérialisation des services financiers sur une partie de la population depuis des années ; parmi elles, des associations de consommateurs, des associations de défense des personnes en situation de handicap, des groupements de personnes âgées…
Les conséquences de la dématérialisation des services bancaires ont fait l’objet de plusieurs auditions au sein de différentes instances publiques. En 2019, une audition à la « Commission de l’Économie, de la protection des consommateurs et de l’agenda numérique » de la Chambre des représentants de Belgique a eu lieu4. Lors de cette audition, les représentants de l’association de consommateurs Test-Achats et de l’asbl Financité ont dénoncé les conséquences néfastes de la dématérialisation des services bancaires sur les citoyennes et citoyens les plus fragilisés de la société. Voilà un extrait de l’intervention du représentant de Test-Achat :
[(« Tout citoyen doit pouvoir disposer d’un compte à vue et être en mesure de le gérer de manière autonome : c’est un élément essentiel à l’intégration dans notre société et tout simplement à la dignité humaine. […] Il est cependant évident qu’un nombre considérable de personnes n’est pas en mesure ou ne souhaite pas fonctionner de la sorte. Il est de notre responsabilité collective de veiller à ce qu’elles ne soient pas exclues de la vie économique et sociale. »)]
Trois ans plus tard, la dématérialisation continue et une partie importante de la population belge poursuit sa galère pour gérer de manière autonome son compte bancaire. Les projets Batopin et Jofico ont été présentés au Parlement wallon et au Parlement fédéral. Différentes personnalités politiques ont exprimé leur préoccupation par rapport à la diminution des distributeurs de billets pendant ces auditions. Toutefois, pour le moment, aucune initiative législative (soit une obligation ou une recommandation légale) n’a été prise pour obliger les banques à maintenir une offre physique suffisante pour que toutes les citoyennes et tous les citoyens aient accès aux services financiers.
Les compétences en lecture et écriture (et numériques) comme source de discrimination
Dans son rapport de 2020 sur l’inclusion financière, le Réseau Financité cite comme causes d’exclusion financière l’analphabétisme, la non-connaissance de la langue ou les difficultés avec les nouvelles technologies.
Comme le montre l’étude, « les personnes analphabètes à l’épreuve de la dématérialisation des services d’intérêt général », les personnes analphabètes ne jouissent pas des mêmes droits et des mêmes opportunités de participer à la société que le reste de la population à cause de leur manque de compétences en lecture et en écriture, ainsi qu’en technologies numériques.
En effet, on observe que les personnes analphabètes sont issues des milieux socioéconomiques les plus défavorisés. Et que, malheureusement, elles restent souvent dans des statuts socioprofessionnels précaires, voire très précaires. Aujourd’hui, beaucoup de ces personnes fragilisées doivent se confronter à une difficulté nouvelle et pas mineure : leur exclusion financière. Trop souvent, les personnes analphabètes n’ont pas accès à des services financiers adaptés à leurs besoins et leur permettant de mener une vie sociale normale dans la société à laquelle elles appartiennent. Nous sommes face à un public qui se retrouve fréquemment en exclusion financière alors que dans la société actuelle, accéder à et utiliser les services financiers est une question cruciale pour s’y intégrer.
Dans ce contexte, les autorités publiques et les banques promeuvent la formation des citoyens et citoyennes comme principale solution pour leur faciliter l’accès aux services bancaires. Or, cette solution est problématique par plusieurs raisons. D’abord, les adultes en difficulté avec l’écrit et/ou le numérique ont besoin de temps pour se former. Le temps nécessaire est difficile à estimer ; premièrement, parce que les points de départ sont différents selon les personnes et, deuxièmement, parce que les technologies numériques évoluent très rapidement, parfois plus rapidement que le rythme d’apprentissage des adultes. Le temps nécessaire pour se former peut être très long, voire occuper le reste de la vie de certaines personnes. Pendant ce temps, tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir accéder aux services bancaires. Ensuite, il ne faut pas oublier que la formation tout au long de la vie est un droit, pas une obligation. Les adultes peuvent ne pas être disponibles ou intéressées de se former au numérique.
En résumé, les citoyens et les citoyennes doivent pouvoir accéder aux services financiers indépendamment de leur niveau de formation. Garantir cet accès est une obligation de l’État et non une responsabilité personnelle des individus ni une faveur prodiguée par les banques. Il est temps d’enjoindre aux banques de maintenir une offre physique suffisante (agences et distributeurs) pour permettre un accès de qualité à tous les usagers. C’est de l’ordre de la responsabilité collective, et donc de la responsabilité politique, de veiller à ce que les personnes en difficulté avec l’écrit ou avec le numérique ne soient pas exclues de la vie économique et sociale. La vie et l’autonomie d’un pourcentage non négligeable de la population belge sont actuellement remises en question, une population que les transformations numériques laissent sur le carreau.
- Par exemple l’enquête PIAAC de l’OCDE en Flandre ou l’étude française « Information et Vie quotidienne ».
- Réseau Financité, 2021, Rapport sur l’état de l’inclusion financière en Belgique en 2021, p. 7.
- Réseau Financité, 2021, op cit., p. 31 – 32.
- Commission de l’Économie, de la protection des consommateurs et de l’agenda numérique, 9 décembre 2019. L’impact de la digitalisation dans le secteur bancaire, notamment sur les consommateurs et les entreprises, DOC 55 0861/001, Chambre des représentants de Belgique.