Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Défédéraliser : au nom de quoi ? Le cas du Jardin botanique national

Numéro 9 Septembre 2011 par Olivier Paye

septembre 2011

La réforme de l’É­tat de 2001 déci­da du prin­cipe de défé­dé­ra­li­sa­tion du Jar­din bota­nique natio­nal, l’une des rares ins­ti­tu­tions scien­ti­fiques belges appar­te­nant au top mon­dial. Dix ans plus tard, faute d’ac­cord entre les Com­mu­nau­tés, l’ins­ti­tu­tion demeure fédé­rale. Depuis lors, les par­tis fla­mands exigent une vague nou­velle de défé­dé­ra­li­sa­tion dans une mesure telle que se pose désor­mais la ques­tion de ce qui doit encore res­ter fédé­ral, et selon quels prin­cipes. Dans ce contexte, l’a­na­lyse du cas du Jar­din bota­nique est éclai­rante sur les dyna­miques de réformes ins­ti­tu­tion­nelles à l’œuvre en Belgique.

Conser­va­toire de réfé­rence et haut lieu de recherche, le Jar­din bota­nique natio­nal de Bel­gique (JBNB) se situe à trois kilo­mètres de l’Atomium, à Meise, en Région fla­mande. Éta­blis­se­ment scien­ti­fique fédé­ral figu­rant au top 10 mon­dial de sa caté­go­rie, il consti­tue un enjeu com­mu­nau­taire depuis que la réforme de l’État de 2001 entrai­na le déman­tè­le­ment du minis­tère fédé­ral de l’Agriculture auquel il était rat­ta­ché pour des rai­sons his­to­riques obso­lètes1.

Du point de vue fran­co­phone, le Jar­din bota­nique a voca­tion à demeu­rer fédé­ral pour des rai­sons d’équité et d’efficience. Sa valeur excep­tion­nelle est le pro­duit de deux siècles de contri­bu­tions issues de toutes les com­mu­nau­tés du pays, notam­ment de mul­tiples dons de col­lec­tions par­ti­cu­lières et uni­ver­si­taires. Ses acti­vi­tés pré­sentent un inté­rêt équi­valent pour toutes les par­ties du pays, qui devraient donc logi­que­ment en béné­fi­cier dans des condi­tions et mesures équi­va­lentes. Ses col­lec­tions et acti­vi­tés sont com­plé­men­taires de celles de deux autres éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux, l’Institut royal des sciences natu­relles de Bel­gique et le Musée royal de l’Afrique cen­trale. L’intégration de ces trois éta­blis­se­ments dans un « pôle nature » fédé­ral leur per­met­trait d’atteindre la taille requise par les bailleurs de fonds inter­na­tio­naux et de réa­li­ser des éco­no­mies d’échelle : un seul ser­vice du per­son­nel, de com­mu­ni­ca­tion… Jugeant donc aber­rant le prin­cipe de la défé­dé­ra­li­sa­tion du Jar­din bota­nique, aucun par­ti démo­cra­tique fran­co­phone ne s’y oppose pour­tant lors du vote final à la Chambre de la cin­quième réforme de l’État en juin 2001.

La justification flamande d’une réforme de l’État : cohérence et territorialité

Le pro­ces­sus de défé­dé­ra­li­sa­tion du Jar­din bota­nique pro­cède d’une pres­sion fla­mande aiguillon­née par la Volk­su­nie (VU). Ne par­ti­ci­pant pas à la coa­li­tion fédé­rale arc-en-ciel (libé­rale, socia­liste, éco­lo­giste) du Pre­mier ministre libé­ral fla­mand Verhof­stadt (VLD), le petit par­ti natio­na­liste fla­mand était indis­pen­sable à la majo­ri­té arc-en-ciel fla­mande du ministre-pré­sident Dewael (VLD) pour main­te­nir les sociaux-chré­tiens du CVP dans l’opposition. D’où la VU deve­nait indis­pen­sable à la majo­ri­té fédé­rale arc-en-ciel pour voter une réforme de l’État requé­rant une majo­ri­té spé­ciale : deux tiers des voix expri­mées et la moi­tié plus une dans chaque groupe linguistique.

Quand des négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles débutent à leur ins­ti­ga­tion, les par­tis fla­mands démo­cra­tiques s’alignent der­rière cinq réso­lu­tions pour une pro­chaine réforme de l’État, adop­tées le 3 mars 1999 par le Par­le­ment fla­mand à l’issue de nom­breuses séances d’audition d’experts et de dis­cus­sion qui n’ont pas eu d’équivalent côté fran­co­phone. Si les socia­listes fla­mands s’abstiennent de voter l’une des réso­lu­tions, c’est pour des motifs étran­gers au pré­sent dos­sier. Quant aux éco­lo­gistes fla­mands, ils s’abstiennent sur toutes les réso­lu­tions les jugeant, déjà, trop ins­pi­rées par une logique confé­dé­rale. Néan­moins, l’accord de gou­ver­ne­ment qu’ils concluent en juillet 1999 à la Région fla­mande appelle à une réforme de l’État très lar­ge­ment cal­quée sur ces résolutions.

Aucune reven­di­ca­tion ne concerne alors le Jar­din bota­nique dont le sort n’a jamais été évo­qué durant les débats préa­lables. Toutes les reven­di­ca­tions qui y sont for­mu­lées dérivent de deux prin­cipes géné­raux qui com­mandent la dis­tri­bu­tion des matières et ins­ti­tu­tions entre les niveaux fédé­ral et fédé­rés : la cohé­rence et la ter­ri­to­ria­li­té. Tous deux visent à l’homo­gé­néi­sa­tion : maté­rielle des com­pé­tences déjà défé­dé­ra­li­sées, ins­ti­tu­tion­nelle des enti­tés fédé­rées qui les exercent sur un ter­ri­toire par­ti­cu­lier, et lin­guis­tique des règles sur l’emploi des langues. Ces prin­cipes ne valent cepen­dant pas pour la Région de Bruxelles-Capi­tale, vouée à être cogé­rée par les Communautés.

Le prin­cipe de cohé­rence déclare viser à une plus grande effi­ca­ci­té des poli­tiques. Il enjoint de défé­dé­ra­li­ser davan­tage pour com­plé­ter les leviers d’action déjà dévo­lus aux enti­tés fédé­rées afin de for­mer des paquets cohé­rents. En découle la reven­di­ca­tion d’une défé­dé­ra­li­sa­tion com­plète de toute une série de matières comme la poli­tique agri­cole (y com­pris la recherche scien­ti­fique) et la poli­tique scien­ti­fique, à l’exception des éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux qui en relèvent.

Pro­téi­forme, le prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té se veut la pierre angu­laire de la paci­fi­ca­tion com­mu­nau­taire. Il concerne d’abord les matières déjà défé­dé­ra­li­sées dont l’exercice ne doit rele­ver que d’une seule auto­ri­té fédé­rée sur un ter­ri­toire don­né. Assi­mi­lé au prin­cipe de non-ingé­rence, il motive une seule reven­di­ca­tion : que la Com­mu­nau­té fran­çaise n’exerce plus de com­pé­tences à l’égard des fran­co­phones éta­blis en Flandre, même dans les com­munes à faci­li­tés où ils sont majo­ri­taires. La ter­ri­to­ria­li­té est ensuite invo­quée en com­bi­nai­son avec le prin­cipe d’homogénéité lin­guis­tique pour obte­nir au niveau fédé­ral la scis­sion de l’arrondissement élec­to­ral et judi­ciaire de Bruxelles-Hal-Vil­vorde. Enfin la Flandre argue de la ter­ri­to­ria­li­té com­bi­née aux prin­cipes, tan­tôt d’homogénéité lin­guis­tique, tan­tôt de cohé­rence, pour défé­dé­ra­li­ser de nou­velles matières afin d’en obte­nir la com­pé­tence exclu­sive dans son res­sort ter­ri­to­rial : l’emploi des langues, l’organisation des com­munes et des pro­vinces, l’exploitation des eaux et fonds marins atte­nant à la côte…

Premier acte : le principe de la défédéralisation

Menées dans le cadre de la Confé­rence inter­gou­ver­ne­men­tale et inter­par­le­men­taire du renou­veau ins­ti­tu­tion­nel (cii­ri), les négo­cia­tions portent d’abord sur l’agriculture et le com­merce exté­rieur. Après un accord par­tiel fin 1999, les par­tis fla­mands s’impatientent. La VU menace de faire tom­ber le gou­ver­ne­ment fla­mand. Le Pre­mier Verhof­stadt convoque un kern (Pre­mier et vices-Pre­miers), le 4 avril 2000. Le 5 à l’aube, l’«accord Her­mès » scelle le « pre­mier paquet », à la sur­prise qua­si géné­rale : ni le ministre de l’Agriculture ni le direc­teur du Jar­din bota­nique n’ont été tenus au cou­rant. L’essentiel des com­pé­tences agri­coles passe aux Régions sauf celles en lien avec la nou­velle Agence fédé­rale pour la sécu­ri­té ali­men­taire. L’accord est conclu « dans l’attente d’une réforme struc­tu­relle de la loi de finan­ce­ment à conclure dans le cadre de la CIIRI », ce qui, d’un point de vue fran­co­phone, ouvre la négo­cia­tion de la réforme de l’État à un refi­nan­ce­ment bien­ve­nu de l’enseignement en Com­mu­nau­té française.

Quid des éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux rat­ta­chés au minis­tère de l’Agriculture ? Leur sort varie : les Centres de recherches agro­no­miques de Gem­bloux et de Gand sont trans­fé­rés, l’un à la Région wal­lonne, l’autre à la Région fla­mande. La déci­sion est repor­tée pour le Centre d’économie agri­cole et pour le Centre d’étude et de recherches vété­ri­naires et agro­chi­miques, qui res­te­ra fina­le­ment fédé­ral. Le Jar­din bota­nique devra être rayé de la liste des éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux, mais son « trans­fert effec­tif […] inter­vien­dra seule­ment après qu’un accord de coopé­ra­tion aura été conclu entre les Com­mu­nau­tés ». La déci­sion résulte d’un com­pro­mis. La demande fla­mande ini­tiale, pous­sée par la VU, visait un trans­fert du Jar­din bota­nique à la seule Région fla­mande, au nom de la simi­la­ri­té de trai­te­ment avec les Centres de recherche agronomiques.

Or une telle simi­la­ri­té n’existe pas : d’abord, le Jar­din bota­nique n’a pas d’utilité directe pour le sec­teur agri­cole belge, sa recherche étant lar­ge­ment tro­pi­cale. Sa défé­dé­ra­li­sa­tion ne se jus­ti­fie donc pas par l’homogénéisation des com­pé­tences agri­coles des Régions. Ensuite, il est unique en Bel­gique. Si défé­dé­ra­li­sa­tion il y avait mal­gré tout au nom de la cohé­rence, celle-ci aurait dû alors conduire à une coges­tion entre Régions, pas à un trans­fert à la seule Région fla­mande. Ou plus logi­que­ment à une coges­tion entre Com­mu­nau­tés, com­pé­tentes en recherche fon­da­men­tale, cœur de métier du Jar­din bota­nique. Cette « cocom­mu­nau­ta­ri­sa­tion » avait d’ailleurs été pro­po­sée pour les éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux rat­ta­chés à la Poli­tique scien­ti­fique fédé­rale au nom de la cohé­rence par la VU et le pré­cé­dent ministre-pré­sident fla­mand Van den Brande (CVP). Les réso­lu­tions fla­mandes de 1999 n’avaient tou­te­fois pas été aus­si loin, ren­voyant pour chaque éta­blis­se­ment scien­ti­fique fédé­ral à une solu­tion au cas par cas, après exa­men appro­fon­di, sans exclure un main­tien au fédéral.

L’homogénéisation des com­pé­tences en matière de recherche fon­da­men­tale ne peut donc être invo­quée pour défé­dé­ra­li­ser le Jar­din bota­nique qu’en don­nant au prin­cipe de cohé­rence une por­tée plus grande que dans les réso­lu­tions de 1999. Mais en aucun cas, la cohé­rence ne peut jus­ti­fier une défé­dé­ra­li­sa­tion au pro­fit de la seule Flandre. C’est ici qu’intervient la ter­ri­to­ria­li­té. Le Jar­din bota­nique est une ins­ti­tu­tion de recherche fon­da­men­tale unique en Bel­gique, soit. « On ne peut pour­tant pas nier que le Jar­din bota­nique se trouve en Flandre, avec toutes les consé­quences de la chose2 ». Dit plus clai­re­ment : « La péri­phé­rie de Bruxelles est fla­mande et Meise est une com­mune fla­mande […]. C’est très simple : le Jar­din bota­nique de Meise est à nous3 ». La reven­di­ca­tion de son trans­fert inté­gral à la Flandre outre­passe ici une seconde fois les réso­lu­tions fla­mandes de 1999. Elle donne au prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té appli­qué aux matières défé­dé­ra­li­sées, comme est appe­lé à l’être le Jar­din bota­nique, une por­tée allant bien au-delà de la « non-ingé­rence » de la Com­mu­nau­té fran­çaise à l’égard des popu­la­tions fran­co­phones de Flandre. Peu importe désor­mais qu’une ins­ti­tu­tion natio­nale soit unique, si les contin­gences his­to­riques l’ont ame­née à être basée en Flandre, elle devra en cas de défé­dé­ra­li­sa­tion rele­ver de la com­pé­tence exclu­sive de la Flandre. Et pas « seule­ment » être cogé­rée par les Com­mu­nau­tés, comme reven­di­qué pour les éta­blis­se­ments scien­ti­fiques fédé­raux par les élus fla­mands les plus radi­caux en 1999. Selon une telle dila­ta­tion du prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té, en toute logique, en cas de défé­dé­ra­li­sa­tion, « est à la Flandre » alors le Musée royal de l’Afrique cen­trale (Ter­vue­ren) ou le Centre d’études de l’énergie nucléaire (Mol).

Deuxième acte : le transfert quasi intégral à la Flandre

Inchan­gée, la déci­sion du 5 avril 2000 se retrouve dans l’une des deux lois du 13 juillet 2001 qui for­ma­lisent la réforme de l’État : « Le Jar­din bota­nique natio­nal est trans­fé­ré après qu’un accord de coopé­ra­tion aura été conclu à ce sujet entre les Com­mu­nau­tés ». Curieu­se­ment, les gou­ver­ne­ments des Com­mu­nau­tés fla­mande et fran­co­phone négo­cient déjà cet accord avant même le vote de la future loi du 13 juillet 2001 qui leur en donne com­pé­tence… À nou­veau, cet empres­se­ment pro­vient de la VU dont le centre de gra­vi­té est entre­temps pas­sé des modé­rés aux radi­caux repré­sen­tés par quatre des huit dépu­tés fédé­raux ; ceux-ci rejoin­dront ulté­rieu­re­ment la Nieuw-Vlaamse Allian­tie (N‑VA). Désa­vouant ses négo­cia­teurs, la VU consi­dère que le deal ins­ti­tu­tion­nel « final » conclu fin jan­vier 2001 ne va pas assez loin dans la défé­dé­ra­li­sa­tion. Mais les négo­cia­teurs fran­co­phones jugent eux les accords du Lam­ber­mont équi­li­brés : la nou­velle vague de défé­dé­ra­li­sa­tion, y com­pris le trans­fert de moyens finan­ciers aux enti­tés fédé­rées, com­pense lar­ge­ment le refi­nan­ce­ment de l’enseignement en Com­mu­nau­té fran­çaise qui, à l’horizon 2010, sera moi­tié moindre que celui accor­dé à l’enseignement en Com­mu­nau­té fla­mande4. Pas ques­tion de rou­vrir les négociations.

Com­ment « rou­vrir les négo­cia­tions sans les rou­vrir » ? En enta­mant la négo­cia­tion des accords de coopé­ra­tion qu’implique la réforme de l’État en ges­ta­tion et en les concluant avant le vote de celle-ci, pour en favo­ri­ser l’issue favo­rable. Mi-février, les pré­si­dents du VLD, De Gucht, et de la VU, Bour­geois, s’entendent sur un cahier de reven­di­ca­tions qui (re)demande le trans­fert inté­gral du Jar­din bota­nique à la Flandre : « L’idéal serait que le Jar­din bota­nique devienne une ins­ti­tu­tion fla­mande et que le per­son­nel fran­co­phone y demeure, mais sur un cadre d’extinction5. » L’homo­gé­néi­sa­tion recher­chée serait alors totale : maté­rielle, la com­pé­tence de la Flandre en matière de recherche fon­da­men­tale s’étend à un éta­blis­se­ment sup­plé­men­taire, très coté ; ins­ti­tu­tion­nelle, la Flandre en devient la ges­tion­naire exclu­sive ; et lin­guis­tique, le Jar­din bota­nique devient uni­lingue néer­lan­do­phone, comme tout éta­blis­se­ment public dépen­dant exclu­si­ve­ment de la Com­mu­nau­té flamande.

Début mars, le Pre­mier ministre met la négo­cia­tion de ces accords de coopé­ra­tion à l’ordre du jour d’une réunion du comi­té de concer­ta­tion qui réunit, sous sa pré­si­dence, douze ministres dési­gnés de façon dou­ble­ment pari­taire : autant de l’exécutif fédé­ral que des exé­cu­tifs fédé­rés, autant de Fla­mands que de fran­co­phones. Mais le ministre-pré­sident de la Com­mu­nau­té fran­çaise, le libé­ral Her­vé Has­quin rejette caté­go­ri­que­ment la pro­po­si­tion Bourgeois/De Gucht : « Le Lam­ber­mont […] ce n’est pas ça. […] Dans les accords [repre­nant le deal du 5 avril 2000], on parle clai­re­ment d’un trans­fert aux Com­mu­nau­tés6 ». Le Pre­mier convoque alors une réunion au finish. Le 22 mars aux aurores, tous les accords sont conclus. « Prin­temps meur­trier pour Meise », titre Le Soir : « La Bel­gique se détri­cote à un rythme accé­lé­ré, les fran­co­phones se contentent de quelques graines. »

L’«accord Has­quin-Dewael » acte en effet le prin­cipe du trans­fert inté­gral du Jar­din bota­nique à la Com­mu­nau­té fla­mande : col­lec­tions, infra­struc­tures, ter­rain, per­son­nel et fonds propres (pro­duits des tickets d’entrée, ventes à la bou­tique…). Deux maigres bémols : pri­mo, les cher­cheurs fran­co­phones pour­ront res­ter de façon pérenne au Jar­din, mais sous sta­tut « Com­mu­nau­té fran­çaise », contrai­re­ment aux autres tra­vailleurs fran­co­phones mis en cadre d’extinction ; secun­do, les col­lec­tions scien­ti­fiques exis­tantes res­tent, sur papier, pro­prié­té fédé­rale. Mais elles sont don­nées en prêt à la Com­mu­nau­té fla­mande, gra­tui­te­ment, pour une durée indé­ter­mi­née, sans que le fédé­ral soit asso­cié à la ges­tion du Jar­din bota­nique. Pas plus que la Com­mu­nau­té fran­çaise, exclue du futur conseil d’administration.

Paral­lè­le­ment, le gou­ver­ne­ment fédé­ral décide de trans­fé­rer aux Com­mu­nau­tés l’équivalent du bud­get fédé­ral alloué au Jar­din bota­nique en 2001. Selon une dis­po­si­tion qui figu­re­ra éga­le­ment dans l’une des lois spé­ciales de réformes ins­ti­tu­tion­nelles du 13 juillet 2001, la répar­ti­tion de ce finan­ce­ment fédé­ral devra s’effectuer « selon une clé qui est en confor­mi­té avec le rôle lin­guis­tique des effec­tifs en per­son­nel du Jar­din bota­nique au jour du trans­fert ». Soit à l’époque envi­ron 80 – 20 en faveur de la Flandre. Basée sur les effec­tifs, c’est-à-dire le per­son­nel sta­tu­taire et contrac­tuel, cette clé a été fina­le­ment pré­fé­rée à celle basée sur les cadres orga­niques, visant le seul per­son­nel sta­tu­taire, qui se serait tra­duite à l’époque par une pro­por­tion de « seule­ment » 73 – 27 en faveur de la Flandre : ultime recul francophone.

Si le paquet « final » reçoit le sou­tien de la VU, il insa­tis­fait ses quatre dépu­tés radi­caux qui refusent de le voter. La majo­ri­té fédé­rale arc-en-ciel per­suade alors le PSC, l’opposition sociale-chré­tienne fran­co­phone, de ne pas s’opposer à la réforme grâce à quelques ultimes conces­sions, fla­mandes cette fois, dont la signa­ture par la Bel­gique de la conven­tion-cadre du Conseil de l’Europe sur la pro­tec­tion des mino­ri­tés natio­nales7. L’abstention des dépu­tés psc com­pense la défec­tion des dépu­tés VU, la réforme de l’État voit le jour en juillet 2001. Fin de la partie ?

Prolongations : l’opérationnalisation difficile de l’accord communautaire

Très vite, l’accord Has­quin-Dewael pose cer­tains pro­blèmes. Le pas­sage du per­son­nel sta­tu­taire fran­co­phone non scien­ti­fique au cadre de la Com­mu­nau­té fla­mande est juri­di­que­ment incon­gru. Si les col­lec­tions res­tent fédé­rales, rien n’est dit de la pro­prié­té des dons futurs ou du renou­vè­le­ment des plantes vivantes. De plus, cer­taines col­lec­tions ne sont qua­si­ment pas inven­to­riées : com­ment iden­ti­fier ce qui relève du fédé­ral, dès lors que la Com­mu­nau­té fla­mande reven­dique la pro­prié­té des élé­ments nou­veaux ? Un espace de négo­cia­tions se rouvre, cette fois hors d’un pro­ces­sus glo­bal de réforme de l’État. Les négo­cia­teurs fran­co­phones peuvent dès lors davan­tage résis­ter à l’agenda des négo­cia­teurs fla­mands qui en viennent en 2007 à pro­po­ser de rené­go­cier cer­taines dis­po­si­tions de l’accord Has­quin-Dewael. Au prin­temps 2008, l’actuel ministre-pré­sident social-chré­tien fla­mand, Kris Pee­ters, fait cer­taines conces­sions, la prin­ci­pale admet­tant une repré­sen­ta­tion, mino­ri­taire, de la Com­mu­nau­té fran­çaise dans le futur conseil d’administration du Jar­din bota­nique8. De son point de vue, l’accord est conclu.

Mais son homo­logue fran­co­phone, le socia­liste Rudy Demotte refuse de signer un accord de coopé­ra­tion pour lequel la Flandre est deman­deuse si celle-ci bloque sur d’autres accords où la Com­mu­nau­té fran­çaise est deman­deuse, notam­ment celui sur les pro­cé­dures d’adoption par les couples fran­co­phones des com­munes à faci­li­tés. À la fin 2008, il joint le dos­sier du Jar­din bota­nique aux points « conten­tieux » des négo­cia­tions sur une nou­velle réforme de l’État enta­mées entre­temps. Depuis les élec­tions de juin 2010, le Jar­din bota­nique figure au menu des dis­cus­sions menées par les dif­fé­rents res­pon­sables dési­gnés par le roi pour for­mer une nou­velle majo­ri­té gou­ver­ne­men­tale9.

Retour d’expérience : cas particulier ou dynamique généralisable ?

Les négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles démarrent à l’instigation des par­tis fla­mands démo­cra­tiques munis d’un volu­mi­neux cahier de reven­di­ca­tions défé­dé­ra­li­sa­trices com­mun. Déga­gées à par­tir de prin­cipes géné­raux, ces demandes issues d’années de tra­vail par­le­men­taire des­sinent une nou­velle archi­tec­ture de l’État. Favo­rables au sta­tu­quo ins­ti­tu­tion­nel, les par­tis fran­co­phones concèdent l’ouverture de négo­cia­tions ins­ti­tu­tion­nelles en s’efforçant de les cana­li­ser dans un péri­mètre réduit com­pa­ré aux sou­haits flamands.

Le cas du Jar­din bota­nique montre que la dyna­mique de pour­par­lers est pro­pul­sée par le par­te­naire fla­mand le plus radi­cal, la VU. Même si son poids par­le­men­taire est très faible, même si elle n’appartient pas à la majo­ri­té gou­ver­ne­men­tale fédé­rale, et ne par­ti­cipe ni au kern ni au comi­té de concer­ta­tion, lieux déci­sifs d’avancée dans les négo­cia­tions. Indis­pen­sable à la majo­ri­té régio­nale en Flandre, la VU tire les demandes fla­mandes de départ vers des reven­di­ca­tions plus radi­cales. Le VLD, lea­deur des coa­li­tions fédé­rale et fla­mande les endosse, les autres par­te­naires de coa­li­tion suivent, l’opposition fla­mande les soutient.

Ain­si, plu­tôt qu’examiner ulté­rieu­re­ment la pos­si­bi­li­té de défé­dé­ra­li­ser le Jar­din bota­nique, il s’agit de le défé­dé­ra­li­ser immé­dia­te­ment ; plu­tôt que le cogé­rer par les Com­mu­nau­tés, le trans­fé­rer exclu­si­ve­ment à la Flandre. Cette posi­tion plus radi­cale n’a plus rien à voir avec la « simple » appli­ca­tion du prin­cipe de cohé­rence au nom duquel le déman­tè­le­ment du minis­tère fédé­ral de l’Agriculture était exi­gé. La jus­ti­fi­ca­tion change alors de pied. Elle repose uni­que­ment sur le prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té en en élar­gis­sant le champ d’application, puisqu’il ne concer­nait pas jusque-là les ins­ti­tu­tions scien­ti­fiques fédé­rales. Une telle dila­ta­tion du prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­té conduit à reven­di­quer l’annexion d’une ins­ti­tu­tion natio­nale unique en Bel­gique au seul motif qu’elle est loca­li­sée en Flandre. Dans ce cas, défé­dé­ra­li­ser équi­vaut à fla­man­di­ser, pure­ment et sim­ple­ment : dérive reven­di­ca­tive… dont pour­tant aucun acteur poli­tique fla­mand ne se démar­que­ra par la suite.

En face, sans pro­jet alter­na­tif au sta­tu­quo ins­ti­tu­tion­nel, les négo­cia­teurs fran­co­phones semblent subir l’agenda que leur dictent leurs « par­te­naires » fla­mands. Ils appa­raissent constam­ment sur la défen­sive, dans la réac­ti­vi­té, allant de conces­sion en conces­sion, cher­chant à évi­ter le pire en sau­vant l’une ou l’autre limite à une défé­dé­ra­li­sa­tion-fla­man­di­sa­tion qu’ils jugent fon­da­men­ta­le­ment inéqui­table. Uti­li­sé comme une mon­naie d’échange dans le paquet ins­ti­tu­tion­nel, le Jar­din bota­nique est aban­don­né sur l’autel de l’espoir d’une paix com­mu­nau­taire durable et de l’assurance de nou­veaux moyens finan­ciers fédé­raux au béné­fice de la Com­mu­nau­té fran­çaise et déjà de Bruxelles. Seul avan­tage véri­table atten­du d’un chan­ge­ment ins­ti­tu­tion­nel par les acteurs poli­tiques fran­co­phones, ce refi­nan­ce­ment n’a été for­mu­lé que très tar­di­ve­ment dans le pro­ces­sus comme une reven­di­ca­tion expli­cite. Vu le rap­port de forces, les négo­cia­teurs fran­co­phones crai­gnaient en effet que cette demande de refi­nan­ce­ment se paye cher, par un sou­tien obli­gé à des réformes fla­mandes très éloi­gnées de leur vision de l’État fédéral.

Pour le Jar­din bota­nique, il en résulte un scé­na­rio qui lèse gra­ve­ment les fran­co­phones qui se voient pour ain­si dire exclus d’un des rares fleu­rons scien­ti­fiques natio­naux de valeur mon­diale dont les acti­vi­tés ne servent pas seule­ment la « simple » connais­sance du monde végé­tal, mais aus­si la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té, les solu­tions face aux chan­ge­ments cli­ma­tiques ou les espèces inva­sives et ce, sans scé­na­rio de repli en « Wal­lo-Brux ». Un comble : ce deal léo­nin sera adop­té sans le sou­tien de la « petite » force poli­tique qui en fut le moteur prin­ci­pal, puisque les quatre dépu­tés radi­caux de la VU vote­ront fina­le­ment contre la réforme de l’État. Trois d’entre eux (Bour­geois, Pie­ters, Bre­poels) figurent aujourd’hui par­mi les prin­ci­paux repré­sen­tants de la N‑VA, suc­ces­seur radi­cal de la VU, dont l’horizon est l’indépendance de la Flandre et désor­mais pre­mière force poli­tique du pays.

  1. O. Paye, « Le Jar­din bota­nique en (bonne) voie de fla­man­di­sa­tion », Poli­tique, n° 70, mai-juin 2011, p. 30 – 33.
  2. Sénat, Doc. Parl., n° 709/7, 23 mai 2001, p. 253.
  3. Sven Gatz (VLD, ex-VU), Par­le­ment fla­mand, Ann. Parl., 29 novembre 2006, p. 5.
  4. G. Van der Sti­chele et M. Ver­donck, « Les modi­fi­ca­tions de la loi spé­ciale de finan­ce­ment dans l’accord du Lam­ber­mont », Cour­rier heb­do­ma­daire du Crisp, n° 1733, 2001, p. 17.
  5. Frie­da Bre­poels, dépu­tée « radi­cale » de la VU, Knack, 11 avril 2001.
  6. Le Soir, 6 mars 2001.
  7. La signa­ture marque l’intention d’un État d’être lié par une conven­tion inter­na­tio­nale. Mais pour que celle-ci soit effec­tive dans cet État, il faut une rati­fi­ca­tion, ce qui en Bel­gique, pour la conven­tion-cadre, néces­site l’assentiment des Par­le­ments fédé­ral et fédé­rés. Or depuis 2004 les accords de gou­ver­ne­ment fla­mands s’engagent expli­ci­te­ment à s’opposer à cette ratification…
  8. Pour plus de détails, voir notre article pré­ci­té dans la revue Poli­tique.
  9. Voir rap­port De Wever, octobre 2010, p. 31, note Vande Lanotte, jan­vier 2011, p. 63, note Di Rupo, juillet 2011, p. 88.

Olivier Paye


Auteur