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Décret Onkelinx. Caricaturer les enseignants, dénaturer le décret
Le cabinet de la ministre de l’Éducation diffuse, depuis quelques mois, un fascicule destiné aux élèves. L’objectif est de présenter le contenu du récent décret consacré aux missions de l’école. Curieusement, ce texte vulgarisé développe un effet de communication implicite qui contredit, au long des pages, ses affirmations explicites. Celles-ci défendent la grandeur de l’œuvre éducative. Celle-là engendre une image dévalorisante de l’éducateur. Le professeur, d’ailleurs, est absent du texte. À peine épingle-t-on l’un ou l’autre de ses devoirs. Mais, de chapitre en chapitre, il est largement caricaturé. Et il est loin d’en sortir à son avantage. Au point que l’idée qui en ressort est qu’il n’y a pire adversaire de l’élève que le professeur lui-même… C’est l’impact antiéducatif d’une brochure quasi officielle qui est ici dénoncé. Faire un bon décret, c’est bien. Mais pourquoi en dénaturer l’enjeu en se laissant aller à caricaturer — une fois de plus — le corps enseignant ?
Promulgué en juillet dernier, le décret définissant les missions prioritaires de l’école fait actuellement l’objet d’une campagne de présentation et d’explication. Outre le texte intégral du décret, divers supports de vulgarisation — des livrets, des dépliants et une vidéocassette — sont actuellement largement diffusés. Ces documents édités par le ministère s’intitulent « Mon école comme je la veux. Ses missions. Mes droits et mes devoirs ».
Un fascicule de vingt-quatre pages, richement colorié et illustré et disponible sur simple demande au cabinet de la ministre de l’Éducation, prend clairement l’élève comme destinataire principal.
On perçoit bien l’impact éducatif possible de pareils textes. Ils peuvent effectivement aider chaque élève à mieux percevoir l’école et à s’y engager avec davantage de sérieux et de responsabilité. Et pourtant, ce but n’est pas vraiment atteint. Pourquoi ? Pour une raison toute simple : il n’y a pas d’école sans éducateurs. Il n’y a pas d’école efficace sans respect des éducateurs. Or ceux-ci sont étrangement absents au long de ces pages de présentation du décret. Pourquoi l’insistance légitime sur la place centrale de l’élève au sein de l’école ne permetelle pas, aussi, la mise en évidence du rôle des professeurs, dont la relation à l’élève est primordiale pour éveiller celui-ci à la responsabilité ? Tout, dans le texte en question, se passe entre l’école (qui, maintenant, depuis le décret « sait ce que la société attend d’elle ») et l’élève qui, maintenant, depuis le décret « sait ce qu’il peut exiger de son école ». On y trouve quelques allusions seulement à l’existence des « maitres », par exemple lors de la mention d’épreuves d’évaluation diffusées auprès des établissements et « assorties de l’obligation, pour l’enseignant, d’évaluer équitablement ses élèves ».
Les droits des élèves
On ne sait si les enseignants ont attendu le décret pour pratiquer leur devoir et respecter les droits des apprenants — spécialement ce droit à l’équité -, mais il est clair que, comme le dit la brochure ministérielle, les élèves n’ont, dorénavant, grâce au décret « pas de devoirs sans droits » (p. 2.).
Paradoxalement, si le professeur est quasi absent du texte, il est longuement présent dans une série de caricatures qui enjolivent la brochure. À travers elles se façonne insidieusement une image dévalorisante de l’enseignant. En incriminant ces caricatures, ce n’est pas le dessinateur que nous voulons mettre en cause. Au contraire, chargé d’illustrer un texte, il en a compris les diverses significations. Et il n’a fait que mettre au jour telle ou telle d’entre elles, explicitement.
Ces dessins sont au nombre de sept à mettre en scène élèves et enseignants. Examinons rapidement chacune de ces caricatures.
La première illustre la page d’introduction de la brochure présentée comme un « guide » pour découvrir le système éducatif tel qu’il émerge du décret. On y voit un professeur suivi de trois élèves et d’un petit singe. Celui-ci parait sortir de la trilogie de ceux qui ne veulent « rien voir, rien dire, rien entendre », c’est l’avant-décret. Les trois élèves, d’âges différents, sont présentés à leur avantage ; l’air intelligent et éveillé, ils bénéficient manifestement des avancées du décret. En opposition à cette vision moderne, le professeur a les traits d’un personnage âgé, à la chevelure ébouriffée et, l’air distrait et hagard, il ânonne « E = MC2 ». D’entrée de jeu, les protagonistes sont campés dans leurs rôles respectifs.
Le dessin suivant accompagne le texte sur les objectifs prioritaires de l’école. C’est-à-dire sur ce que « chacun peut exiger de son école ». On y voit une galère. Des adultes rament péniblement, la sueur coule de leur front. Les commandements sont donnés par un élève habillé en corsaire : curieuse illustration de l’école.
Pour illustrer le passage de la sixième primaire au secondaire, la brochure propose le dessin de quelques élèves en train de gravir une montagne. Ils sont « en cordée ». Mais un élève tombe, il est le dernier du groupe, il tient en main un bulletin mentionnant 0/10. Le professeur est là, en tête, soucieux de grimper et d’avancer. Il est à l’opposé de l’élève faible dont il n’a cure. Seuls les autres élèves ont un regard pour le malheureux qui échoue : un professeur, chacun le sait, ça ne s’occupe pas des élèves en difficulté…
En relation avec la présentation des stages en milieu de travail, la brochure présente encore un dessin significatif : l’élève est une balle de tennis qu’un professeur muni d’une raquette envoie à un entrepreneur prêt à le renvoyer à son tour. Comme si l’élève n’était qu’un jouet.
La partie du texte consacrée au droit à l’inscription vaut au lecteur un dessin au message très clair : l’école y est représentée par un personnage à la carrure impressionnante et à la tête féline vêtu d’un T‑shirt comportant un immense signal « sens interdit ». Ce personnage (professeur ou chef d’établissement) écarte bras et jambes pour bien indiquer sa volonté de ne laisser entrer personne. L’école est ainsi définie par une sorte de volonté de refus et de rejet. Mais le dessin montre également des élèves qui filent entre les jambes du méchant personnage ou qui lui sautent pardessus la tête. C’est, là encore, un effet bénéfique du décret : aider l’élève à accéder là où les vilains enseignants n’en veulent pas.
Malheur aux vaincus
Vient alors le délicat chapitre du droit de recours contre une décision du conseil de classe. L’illustration correspondante dispose, en son centre, un enseignant. Revêtu d’une toge, il a le même air perplexe que le professeur du premier dessin. La tête dans la main, il est l’image même de l’hésitant, voire de l’ignorant. Mais, de part et d’autre, des parents pointent le bras vers lui, le pouce tourné vers le bas dans le geste bien connu des cirques romains. Comme si cela ne suffisait pas, au premier plan du dessin, à gauche et à droite, apparaissent deux grandes mains (avec manchette et boutons de manchette) et deux grands pouces magnifiant cette condamnation : vae victis.
La section réservée à la gratuité de l’enseignement est édifiante elle aussi. Elle clôture le fascicule. On y voit un dessin comprenant deux parties. D’un côté, un élève et sa tirelire. L’élève manifeste tous les signes de la peur et de l’émotion. Il se protège, faisant de son corps un rempart pour sa cassette. De l’autre côté, un adulte (à nouveau un professeur ou un chef d’établissement) menace, de toute sa hauteur, le jeune garçon et surtout ses biens. Il a le geste agressif et brandit un marteau, c’est à la tirelire qu’il en veut ! Malheureux enfant exploité ainsi par les enseignants et enfin délivré par le décret tant attendu !
La relation maitre-élèves
Certes, on nous dira qu’il faut avoir le sens de l’humour. Mais l’humour, à la vérité, a pour effet de démystifier, de relativiser, d’empêcher des acteurs trop entreprenants de se prendre au sérieux.
Ce n’est pas le cas ici. L’effet de communication des dessins humoristiques converge avec une tendance du texte à élaborer une image négative de l’enseignant. Et ce n’est pas neuf. Cela devient presque une habitude. On a cru pouvoir dire, jadis, que le professeur utilisait indument les possibilités de congés de maladie. On a cru bon, aussi, de le traiter de tricheur. Voilà maintenant qu’on le présente comme un adversaire de l’élève.
Or ce discours s’adresse à l’élève lui-même ! C’est de son professeur qu’on parle, de celui dont il aura tant à apprendre. Est-ce vraiment un acte éducatif ?
Mais peut-être aussi se trompe-ton d’élève : « L’école comme je la veux ! ». Ce je est-il vraiment celui de l’élève ? Celui-ci n’a guère été consulté — pas plus que ses professeurs — pour dire ce qu’il attend de l’école. L’aurait-il été qu’il aurait sans doute, lui, commencé par parler de ceux dont il perçoit tous les jours l’attention, le dévouement et l’ingéniosité.
C’est à préserver la relation maitre- élève, au nom même du décret, que doivent s’employer tous les responsables de l’éducation. L’éducateur a aussi ses droits et sa mission. Celle-ci est plus qu’honorable et elle est irremplaçable. En caricaturant les enseignants, c’est le décret lui-même que l’on dénature.