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Décret Inscriptions : tout reste à faire…

Numéro 4 Avril 2010 par Donat Carlier

avril 2010

Le décret Ins­crip­tions, troi­sième mou­ture, a donc été voté le 17 mars der­nier au Par­le­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise. Il serait bien évi­dem­ment fort naïf de pen­ser que cet épi­sode clôt l’ensemble des débats autour des enjeux que sou­lève cette nou­velle ten­ta­tive de « modé­ra­tion » des concur­rences et ségré­ga­tions qui carac­té­risent tout par­ti­cu­liè­re­ment le sys­tème sco­laire en […]

Le décret Ins­crip­tions, troi­sième mou­ture, a donc été voté le 17 mars der­nier au Par­le­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise. Il serait bien évi­dem­ment fort naïf de pen­ser que cet épi­sode clôt l’ensemble des débats autour des enjeux que sou­lève cette nou­velle ten­ta­tive de « modé­ra­tion » des concur­rences et ségré­ga­tions qui carac­té­risent tout par­ti­cu­liè­re­ment le sys­tème sco­laire en Bel­gique fran­co­phone. Mais il serait tout aus­si illu­soire de pen­ser, comme cer­tains cri­tiques l’avancent, par­fois impli­ci­te­ment en ne pro­po­sant aucune solu­tion alter­na­tive, qu’il suf­fi­rait de reve­nir au sys­tème anté­rieur de libre choix non régu­lé1 ou amé­lio­rer, comme par magie, le niveau des écoles les plus en dif­fi­cul­té pour ren­con­trer les ques­tions et demandes sociales que ces trois décrets ont for­te­ment aiguillonnées.

Dans le sys­tème belge basé sur le prin­cipe du libre choix, le long appren­tis­sage col­lec­tif de la régu­la­tion, évo­qué en jan­vier der­nier dans les colonnes de La Revue nou­velle2, ne peut en effet qu’inévitablement se pour­suivre et connaitre cer­tains ratés qui deman­de­ront néces­sai­re­ment des ajus­te­ments. Tout au plus, peut-on espé­rer que ce décret fort « prag­ma­tique » favo­rise un cli­mat plus apai­sé et pro­pice à une réelle mobi­li­sa­tion col­lec­tive autour de l’école. Mais pour cela, le nou­veau dis­po­si­tif devra évi­ter dif­fé­rents écueils pra­tiques et ne pas inter­dire de réou­vrir dif­fé­rentes ques­tions de fond.

Le texte sor­ti des trac­ta­tions au sein de la majo­ri­té n’est tout d’abord pas à l’abri de dif­fé­rents recours. Le Conseil d’État, qui avait d’ailleurs repous­sé son avis de quinze jours pour prendre le temps d’examiner ce dis­po­si­tif com­plexe, est res­té pru­dent en sou­li­gnant que son avis glo­ba­le­ment posi­tif « ne peut donc signi­fier qu’aucune dif­fi­cul­té ne serait éven­tuel­le­ment sus­cep­tible d’être sou­le­vée » eu égard au prin­cipe d’égalité des Belges devant la loi. C’est que la mul­ti­pli­ca­tion des cri­tères de clas­se­ment de chaque élève et la diver­si­té des cas indi­vi­duels n’ont pas per­mis à la juri­dic­tion admi­nis­tra­tive d’envisager toutes les situa­tions que l’on ne peut plus qua­li­fier de mar­gi­nales dans nos socié­tés où les liens se font et défont en permanence.

Au vu de sa com­plexi­té, le cal­cul de l’«indice com­po­site » de chaque élève a été confié à un logi­ciel qu’il a fal­lu créer. Nombre de déci­deurs croisent tout sim­ple­ment les doigts pour qu’il ne se plante pas et retarde le pro­ces­sus au point de dis­cré­di­ter une fois de plus cette ten­ta­tive de régu­la­tion… Plus pro­fon­dé­ment, au-delà de la tech­nique infor­ma­tique ou juri­dique, la sim­pli­ci­té de ce qui est deman­dé aux parents dans le nou­veau sys­tème n’est vrai­ment qu’apparente. Com­prendre les sub­ti­li­tés du décret et des consé­quences des choix posés n’est pas à la por­tée du pre­mier venu qui ne sera pas néces­sai­re­ment plus éclai­ré par un appel au numé­ro vert ou une visite sur le site inter­net clair et péda­go­gique dédié à ce méca­nisme. Comme le sou­lignent de nom­breuses asso­cia­tions de ter­rain, comme Infor Jeunes : « Qu’en est-il d’une véri­table infor­ma­tion de proxi­mi­té pour les familles qui ont le plus de dif­fi­cul­tés à s’approprier l’information : c’est-à-dire, prin­ci­pa­le­ment les familles des quar­tiers popu­laires3 ? » Diverses asso­cia­tions ont d’ailleurs joint le geste à la parole en sou­te­nant et accueillant les tour­nées d’un bus d’information, ini­tia­tive lan­cée par le délé­gué géné­ral aux droits de l’enfant.

L’école en questions

Mais la ques­tion qui se pose aux asso­cia­tions pro­gres­sistes qui se sont for­te­ment mobi­li­sées depuis le Contrat pour l’école et le décret de Marie Are­na est bien plus cor­né­lienne : quel conseil don­ner à des familles issues des milieux popu­laires lorsque celles-ci dési­rent que leur enfant rejoigne une école plus sélec­tive, voire éli­tiste, sachant qu’elles ne modi­fie­ront pas fon­da­men­ta­le­ment leurs pra­tiques ? Les décou­ra­ger dans leur désir d’ascension sociale ? Au nom de quoi ? Mais que leur dire quand, quelques mois plus tard, ces familles reviennent dans ces asso­cia­tions avec des échecs pro­non­cés par des écoles qui n’ont pas tout ten­té pour accro­cher et inté­grer leurs enfants ? Ces acteurs de ter­rain ont ren­con­tré ces situa­tions après la mise en œuvre des deux pré­cé­dentes mou­tures : il est plus qu’urgent de les anti­ci­per pour les 20% d’élèves issus des 40% d’écoles moins bien loties selon le cal­cul de leur indice socioéconomique.

La ministre pro­met un décret modi­fiant — une fois encore — l’accompagnement péda­go­gique au pre­mier degré. Espé­rons que l’on com­mence par l’organisation obli­ga­toire de pre­miers degrés dif­fé­ren­ciés (pour les élèves sans CEB) dans toutes les écoles ; mais c’est d’un tra­vail plus large et plus pro­fond dont on a besoin. Par­ti­cu­liè­re­ment dans les grandes villes où la ségré­ga­tion sévit comme à Bruxelles.

Quitte à faire tour­ner des logi­ciels, il aurait été inté­res­sant de déter­mi­ner quel sera l’impact des nou­velles règles dans les dif­fé­rents « bas­sins sco­laires » et tout par­ti­cu­liè­re­ment à Bruxelles où le pas­sage du pri­maire au secon­daire se marque par des taux de redou­ble­ment très net­te­ment plus éle­vés qu’ailleurs. Quelle consé­quence a le choix de l’indice socioé­co­no­mique de l’école plu­tôt que celui de l’élève (qui peut être net­te­ment plus éle­vé)? Quel sera l’effet d’avoir favo­ri­sé la proxi­mi­té du lieu de rési­dence de l’élève avec l’école de son choix ? L’objectif même du décret, la lutte contre la dua­li­sa­tion, risque de ne pas en sor­tir gagnant.

Le monde poli­tique est depuis quelques semaines obnu­bi­lé par les pro­jec­tions sta­tis­tiques rela­tives au nombre d’écoles qu’il fau­dra créer à Bruxelles pour y ren­con­trer le boom démo­gra­phique. L’enjeu est réel. Mais créer des écoles ne résout pas une ques­tion essen­tielle : pour y apprendre quoi et dans quelles condi­tions ? Au-delà des ins­crip­tions ou de la construc­tion de bâti­ments, c’est bien le sens de l’école qui est aujourd’hui inter­ro­gé et que les dif­fé­rents acteurs réunis au sein de la plate-forme de lutte contre l’échec sco­laire, par exemple, ont déci­dé de poser publi­que­ment dans leurs débats inti­tu­lés « L’école en ques­tions ».

  1. Parys M., de Cal­la­tay E., Ledoux L., Hin­driks J. et Deguide E., « Le nou­veau décret ins­crip­tions risque de ren­for­cer la dua­li­sa­tion à Bruxelles », dans Le Soir du 22 jan­vier 2010.
  2. Car­lier Donat, « Bud­get, ins­crip­tions : les grands tra­vaux inache­vés de l’école », jan­vier 2010.
  3. Mas­saer C. et Brug­ge­man E., « Décret ins­crip­tions : pour­quoi il fau­dra aller plus loin », com­mu­ni­qué de presse d’Infor jeunes Laeken.

Donat Carlier


Auteur

Né en 1971 à Braine-le-Comte, Donat Carlier est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1997. Actuellement Directeur du Consortium de validation des compétences, il a dirigé l’équipe du Bassin Enseignement Formation Emploi à Bruxelles, a conseillé Ministre bruxellois de l’économie, de l’emploi et de la formation ; et a également été journaliste, chercheur et enseignant. Titulaire d’un Master en sociologie et anthropologie, ses centres d’intérêts le portent vers la politique belge, et plus particulièrement l’histoire sociale, politique et institutionnelle de la construction du fédéralisme en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre. Il a également écrit sur les domaines de l’éducation et du monde du travail. Il est plus généralement attentif aux évolutions actuelles de la société et du régime démocratiques.