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Décret Inscriptions : tout reste à faire…
Le décret Inscriptions, troisième mouture, a donc été voté le 17 mars dernier au Parlement de la Communauté française. Il serait bien évidemment fort naïf de penser que cet épisode clôt l’ensemble des débats autour des enjeux que soulève cette nouvelle tentative de « modération » des concurrences et ségrégations qui caractérisent tout particulièrement le système scolaire en […]
Le décret Inscriptions, troisième mouture, a donc été voté le 17 mars dernier au Parlement de la Communauté française. Il serait bien évidemment fort naïf de penser que cet épisode clôt l’ensemble des débats autour des enjeux que soulève cette nouvelle tentative de « modération » des concurrences et ségrégations qui caractérisent tout particulièrement le système scolaire en Belgique francophone. Mais il serait tout aussi illusoire de penser, comme certains critiques l’avancent, parfois implicitement en ne proposant aucune solution alternative, qu’il suffirait de revenir au système antérieur de libre choix non régulé1 ou améliorer, comme par magie, le niveau des écoles les plus en difficulté pour rencontrer les questions et demandes sociales que ces trois décrets ont fortement aiguillonnées.
Dans le système belge basé sur le principe du libre choix, le long apprentissage collectif de la régulation, évoqué en janvier dernier dans les colonnes de La Revue nouvelle2, ne peut en effet qu’inévitablement se poursuivre et connaitre certains ratés qui demanderont nécessairement des ajustements. Tout au plus, peut-on espérer que ce décret fort « pragmatique » favorise un climat plus apaisé et propice à une réelle mobilisation collective autour de l’école. Mais pour cela, le nouveau dispositif devra éviter différents écueils pratiques et ne pas interdire de réouvrir différentes questions de fond.
Le texte sorti des tractations au sein de la majorité n’est tout d’abord pas à l’abri de différents recours. Le Conseil d’État, qui avait d’ailleurs repoussé son avis de quinze jours pour prendre le temps d’examiner ce dispositif complexe, est resté prudent en soulignant que son avis globalement positif « ne peut donc signifier qu’aucune difficulté ne serait éventuellement susceptible d’être soulevée » eu égard au principe d’égalité des Belges devant la loi. C’est que la multiplication des critères de classement de chaque élève et la diversité des cas individuels n’ont pas permis à la juridiction administrative d’envisager toutes les situations que l’on ne peut plus qualifier de marginales dans nos sociétés où les liens se font et défont en permanence.
Au vu de sa complexité, le calcul de l’«indice composite » de chaque élève a été confié à un logiciel qu’il a fallu créer. Nombre de décideurs croisent tout simplement les doigts pour qu’il ne se plante pas et retarde le processus au point de discréditer une fois de plus cette tentative de régulation… Plus profondément, au-delà de la technique informatique ou juridique, la simplicité de ce qui est demandé aux parents dans le nouveau système n’est vraiment qu’apparente. Comprendre les subtilités du décret et des conséquences des choix posés n’est pas à la portée du premier venu qui ne sera pas nécessairement plus éclairé par un appel au numéro vert ou une visite sur le site internet clair et pédagogique dédié à ce mécanisme. Comme le soulignent de nombreuses associations de terrain, comme Infor Jeunes : « Qu’en est-il d’une véritable information de proximité pour les familles qui ont le plus de difficultés à s’approprier l’information : c’est-à-dire, principalement les familles des quartiers populaires3 ? » Diverses associations ont d’ailleurs joint le geste à la parole en soutenant et accueillant les tournées d’un bus d’information, initiative lancée par le délégué général aux droits de l’enfant.
L’école en questions
Mais la question qui se pose aux associations progressistes qui se sont fortement mobilisées depuis le Contrat pour l’école et le décret de Marie Arena est bien plus cornélienne : quel conseil donner à des familles issues des milieux populaires lorsque celles-ci désirent que leur enfant rejoigne une école plus sélective, voire élitiste, sachant qu’elles ne modifieront pas fondamentalement leurs pratiques ? Les décourager dans leur désir d’ascension sociale ? Au nom de quoi ? Mais que leur dire quand, quelques mois plus tard, ces familles reviennent dans ces associations avec des échecs prononcés par des écoles qui n’ont pas tout tenté pour accrocher et intégrer leurs enfants ? Ces acteurs de terrain ont rencontré ces situations après la mise en œuvre des deux précédentes moutures : il est plus qu’urgent de les anticiper pour les 20% d’élèves issus des 40% d’écoles moins bien loties selon le calcul de leur indice socioéconomique.
La ministre promet un décret modifiant — une fois encore — l’accompagnement pédagogique au premier degré. Espérons que l’on commence par l’organisation obligatoire de premiers degrés différenciés (pour les élèves sans CEB) dans toutes les écoles ; mais c’est d’un travail plus large et plus profond dont on a besoin. Particulièrement dans les grandes villes où la ségrégation sévit comme à Bruxelles.
Quitte à faire tourner des logiciels, il aurait été intéressant de déterminer quel sera l’impact des nouvelles règles dans les différents « bassins scolaires » et tout particulièrement à Bruxelles où le passage du primaire au secondaire se marque par des taux de redoublement très nettement plus élevés qu’ailleurs. Quelle conséquence a le choix de l’indice socioéconomique de l’école plutôt que celui de l’élève (qui peut être nettement plus élevé)? Quel sera l’effet d’avoir favorisé la proximité du lieu de résidence de l’élève avec l’école de son choix ? L’objectif même du décret, la lutte contre la dualisation, risque de ne pas en sortir gagnant.
Le monde politique est depuis quelques semaines obnubilé par les projections statistiques relatives au nombre d’écoles qu’il faudra créer à Bruxelles pour y rencontrer le boom démographique. L’enjeu est réel. Mais créer des écoles ne résout pas une question essentielle : pour y apprendre quoi et dans quelles conditions ? Au-delà des inscriptions ou de la construction de bâtiments, c’est bien le sens de l’école qui est aujourd’hui interrogé et que les différents acteurs réunis au sein de la plate-forme de lutte contre l’échec scolaire, par exemple, ont décidé de poser publiquement dans leurs débats intitulés « L’école en questions ».
- Parys M., de Callatay E., Ledoux L., Hindriks J. et Deguide E., « Le nouveau décret inscriptions risque de renforcer la dualisation à Bruxelles », dans Le Soir du 22 janvier 2010.
- Carlier Donat, « Budget, inscriptions : les grands travaux inachevés de l’école », janvier 2010.
- Massaer C. et Bruggeman E., « Décret inscriptions : pourquoi il faudra aller plus loin », communiqué de presse d’Infor jeunes Laeken.