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De quelques paradoxes et illusions en matière de transparence des nominations
Se fonder sur un arrêté annulé par le Conseil d’État pour nommer le secrétaire général de la Communauté française, ex-chef de cabinet du président du Parti socialiste, n’a pas contribué à crédibiliser les nouvelles règles censées nous débarrasser de l’emprise des partis sur les nominations dans l’administration. Et ce d’autant moins que le Conseil d’État avait […]
Se fonder sur un arrêté annulé par le Conseil d’État pour nommer le secrétaire général de la Communauté française, ex-chef de cabinet du président du Parti socialiste, n’a pas contribué à crédibiliser les nouvelles règles censées nous débarrasser de l’emprise des partis sur les nominations dans l’administration. Et ce d’autant moins que le Conseil d’État avait déclaré illégal l’arrêté en question… en raison, notamment, de l’absence d’impartialité dans la procédure de sélection. On ne criera pas directement au retour pur et simple des bonnes vieilles pratiques partisanes, en se contentant de constater, à tout le moins, le manque de rodage du personnel politique au B.A.-ba de la motivation juridique de ses actes. La « simple erreur technique » avancée par le ministre Daerden doit nous préparer à une pluie de recours, à l’instar de ce qu’a provoqué la réforme Copernic au niveau fédéral.
Soyons cependant de bon compte, les procédures de nomination dans la haute fonction publique de la Région wallonne et de la Communauté française se sont relativement améliorées. La marge de progression était, cela dit, énorme, vu l’opacité totale qui permettait il y a quelques années encore de distribuer les postes en fonction de la seule carte de parti des fonctionnaires. Désormais, les décisions doivent être justifiées au regard d’une série de principes de base : publicité des appels à candidature, sélection par le Bureau de sélection de l’administration (Selor), régime de mandats, etc. Rien de spectaculaire, donc. Rien non plus qui soit de nature à alimenter une vision béate de la transparence de la nomination des fonctionnaires. Le diable peut se cacher dans le détail de la mise en œuvre de ces différents principes bien intentionnés et permettre in fine leur détournement ou les faire sombrer dans un certain formalisme absurde et contre-productif.
Mais ce qui est le plus frappant, c’est que le premier effet de cette nouvelle transparence a été que plus de 75% des personnes nommées par le gouvernement wallon sont étiquetées socialistes. Ceux qui font mine de s’étonner et remettent en cause l’objectivité de la procédure, voire chuchotent à mots couverts que les questions d’examen auraient été rédigées dans les bureaux du boulevard de l’Empereur, se trompent dans les faits, mais surtout dans l’analyse. Dans un certain sens, la réalité est en effet plus perverse. On pourrait tout d’abord se dire qu’il n’y a, à première vue, rien d’étonnant à cette suprématie du PS. Dans la mesure où la politisation structurelle de la fonction publique sur la longue durée devait nécessairement donner une longueur d’avance à des fonctionnaires liés au parti ultradominant, il aurait même été inquiétant que des examens portant sur des compétences acquises après une si longue expérience professionnelle se traduisent par des échecs massifs.
Se contenter de cette explication, c’est en rater une autre, plus fondamentale : plus que des fonctionnaires, les personnes qui ont réussi divers examens dans les ministères wallons, à la tête de l’administration de la CF, etc. sont souvent d’anciens membres de cabinets et autres responsables de service d’études. À ce titre, ils ont non seulement défini les politiques sur lesquelles les candidats sont interrogés, mais, accessoirement, ont parfois contribué à définir les profils des fonctions auxquelles ils postulent… Bref, à la fois à défaut et en guise d’ENA pour former les cadres de l’administration publique, la CFWB dispose de l’institut Émile Vandervelde et des cabinets. Dans de telles conditions, des procédures claires et transparentes ne peuvent conduire qu’à légitimer des distinctions à l’origine non légitimes dans la fonction publique, car fondées sur un choix d’affiliation. C’est là que se niche la perversité d’un système dont la transparence sert de cache-sexe. Il est à noter que certains impétrants ont carrément suivi des cours offerts par les partis, qui en ont fait de réelles « bêtes de concours ». S’il n’est donc pas question de discuter leurs compétences, il est difficile d’entretenir des illusions sur ce qu’ils doivent au parti.
En comparaison à la situation antérieure, le saut qualitatif est donc réel mais limité : plutôt que de se farcir des créatures et autres porte-flingues incompétents, alcooliques ou dressés au réflexe pavlovien du détournement de la lettre comme de l’esprit de la règle, les administrations wallonnes et de la Communauté française pourront désormais compter sur des personnes compétentes… mais demeurant aux ordres : ce ne sont évidemment ni leurs compétences ni le renouvellement générationnel qu’elles représentent qui les garantissent de tout renvoi d’ascenseur. Former des personnes n’est en rien interdit. Pas d’illégalité liée à de sombres conspirations dans l’histoire. En jouant simplement le jeu intelligemment, le PS règle au final deux problèmes d’un coup : celui du maintien de son contrôle structurel sur l’appareil d’État et celui du renouvellement légal de ses cadres dans la haute administration, en doublant sur des bases « objectives » de vieux serviteurs que le parti traîne comme des boulets…
On notera avec amusement qu’outre les rangs de l’opposition MR et Écolo, dont l’argumentation tourne essentiellement à vide dans la mesure où elle prend plus ou moins la forme de théories du complot, les critiques principales du mécanisme de nomination proviennent en réalité du CDH… Les fonctionnaires portant sa casaque ont en effet été laminés. Ce parti est pourtant bien l’héritier d’une machine de guerre qui a au moins autant, sinon proportionnellement plus, profité d’un système clientéliste, en l’occurrence le PSC. Or, la nouvelle transparence a, de manière inattendue, fait voler en éclats le bon vieux principe du deux tiers (PS), un tiers (CDH), réveillant immédiatement les anciens réflexes de politisation au CDH : le ministre Antoine n’a nommé aucun des trois candidats ayant réussi l’examen du Selor à la tête de la direction générale de l’Aménagement du territoire. Infondée, cette décision a suscité une révolte contre la politisation de la part d’une kyrielle de hauts fonctionnaires wallons. Ultime paradoxe ou réel réveil des consciences chez certains serviteurs sincères de l’État, étouffés jusqu’ici par le système en vigueur ?
En réalité, il ne sera pas mis fin à ce qui ressemble littéralement à un carnaval — chacun endossant, pour un jour, le rôle peu seyant de vierge effarouchée et de gardien de la transparence et de l’objectivité — tant que n’aura pas été rappelée cette vérité élémentaire : dans l’exception belge marquée par la toute-puissance des cabinets par rapport à l’administration, la transparence des procédures ne sert que de chambre d’entérinement et de légitimation à un rapport des forces biaisé entre le pouvoir politique et l’administration.