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De quelle révolution sexuelle parle-t-on ?
Les néoféministes des années septante étaient radicales et voulaient reconstruire le monde sur la base d’une égalité des sexes qui devait permettre à chacun et à chacune de se libérer. Certes, les femmes se sont en partie dégagées de leur subordination, mais elles restent marquées par un conditionnement à la soumission, leur sexualité reste un « continent noir » selon l’expression de Freud et de nouvelles formes d’oppression ont vu le jour. Les droits sexuels et reproductifs des femmes portés par les associations féministes restent au cœur des enjeux liés à la sexualité.
Tout porterait à clamer que la révolution sexuelle est accomplie.
Sur cette question, les écrits (nombreux) des féministes sont rarement consultés, encore moins mis en évidence. Pourtant, ils sont prolifiques sur les questions liées à la sexualité et à la libération sexuelle, et discutent toujours largement les bénéfices supposés ou réels de cette révolution pour les femmes. « Libération de tous et de toutes, ou réalisation du rêve masculin de libre accès à toutes les femmes ? » (Delphy, 2003).
En effet, rarement la pression aura été aussi forte sur les femmes et les jeunes filles. Comme l’écrit encore Christine Delphy, « la recherche de prince charmant, autrefois menée chastement, ne s’imagine plus sans moments torrides. Les publicités, au cinéma, ne présentent qu’une image du bonheur, du bien-être, de la normalité : un couple jeune en maillot de bain, en train de danser sur une plage tropicale, les yeux dans les yeux ». Les arguments de vente sont toujours les mêmes : « beauté, jeunesse et sexualité, voilà ce qu’on nous vend » (Delphy, 2003).
Que serait une véritable libération sexuelle ? Ou ce dont rêvent les féministes
Hedwige Peemans-Poullet se livrait déjà à un essai d’analyse critique de la théorie de la libération sexuelle en 1974, dans un numéro spécial de La Revue nouvelle, « Naissance de la femme », consacré au nouveau féminisme.
« Pour les femmes, écrivait-elle, la libération sexuelle suppose au préalable une réappropriation non seulement de leur propre corps, mais de tout leur être : La finalité de toute libération sexuelle est, bien sûr, le plaisir. Pas n’importe quel plaisir. Nous ne voulons pas seulement ce plaisir modeste et limité qu’est l’orgasme, mais le plaisir envahissant et global d’un corps réconcilié d’abord avec notre moi, puis avec l’autre et la nature. Nous voulons un bien être moral et physique, psychologique et sensuel, un plaisir où se trouve impliquée la totalité de notre être. Nous voulons ce bien-être, ce plaisir joyeux, maintenant, tout de suite, pour nous-mêmes et pour le plus grand nombre possible ».
Vaste programme. Cependant, une « libération véritable, qui par définition est totale, est radicalement impossible dans une société fondée sur l’inégalité sociale et la hiérarchie des pouvoirs ». Au contraire, cette fausse interprétation de la libération sexuelle, en définitive, ne change en rien les rapports sociaux entre les sexes, mais renforce les écarts. Dans une société d’inégalités en effet, toute liberté se traduira forcément par un avantage inégal pour les parties en présence.
Il en va de la liberté sexuelle comme des autres libertés (liberté de travail, liberté d’expression). Elle bénéficie plus au dominant qu’au dominé, et donc, davantage aux hommes qu’aux femmes (Coenen, 2007).
La liberté sexuelle ne peut se comprendre que dans le cadre d’une société profondément transformée.
Car « si nous arrivons à supprimer l’inégalité, des liens de solidarité pourront s’établir entre les hommes et les femmes qui se sentiront pour la première fois également concernés par le progrès socioéconomique, par les responsabilités familiales et domestiques. Alors les formes que prendraient les relations sexuelles auraient peu d’importance et se diversifieraient tandis que la relation elle-même deviendrait fondamentale parce que pour la première fois l’amour ne serait pas désintégré par la contradiction intime entre la pulsion érotique et l’hostilité née de l’inégalité » (Peemans-Poulet, 1974).
Le mouvement néoféministe, en mettant au cœur de sa révolte et de son débat le privé et le public, marquait une rupture radicale avec les courants féministes qui le précèdent que l’on pourrait qualifier de réformistes. Là où il s’agissait pour ceux-ci d’aménager la place des femmes au sein de la société, le féminisme des années septante est d’une autre essence.
Il conteste désormais les fondements mêmes de la société patriarcale et capitaliste. Il est révolutionnaire, radical, autogestionnaire, et veut non seulement penser le monde autrement, mais le construire sur la base d’un principe d’égalité des sexes. À partir de là, il lui faut interroger toutes les structures sociales, politiques et économiques.
L’émancipation sexuelle permettrait l’égalité dans le couple et était la condition de toutes les autres émancipations. Ce ne serait pas simple… et ce ne l’est toujours pas.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il est indéniable que le grand chambardement des années soixante et septante a dégagé nombre de femmes d’une partie de leur antique subordination, proscrivant les frustrations et contraintes qu’elles avaient si longtemps endurées. Ces quelque quinze années d’euphorie ont en tout cas permis des espoirs sans limite. Mais qu’en reste-t-il ?
Aussi incroyable que cela puisse paraitre, le plaisir féminin reste, aujourd’hui encore et pour une large part, un « continent noir ».
Philippe Brenot, médecin sexologue, constatait encore en 2003 (!) que le clitoris reste « l’organe le plus secret des organes externes du corps humain », regrettant que « les médecins ne reçoivent aucun enseignement en matière de sexualité au cours de leurs études1 ». Pis, « La haine du clitoris est quasi universelle ». De nouveau, ce n’est pas une femme qui l’a écrit, mais un homme, un médecin de surcroit qui dénonce cette haine (Zwang, 2002). Qu’elle s’appelle excision, exclusion, ignorance, sa détestation poursuit le même but : abolir, annihiler cet organe destiné seulement au plaisir (de la femme). Il n’a aucune place utile dans cette vulve consacrée au travail du vagin pour la survie de l’espèce. Et peut-être a‑t-il le grand tort de demeurer sans lieu d’être, aussi, pour le plaisir de l’homme (Pujol, 2007)? Symptomatiquement, sur le marché des sex toys, si florissant à l’heure actuelle, on trouve tout pour le vagin, et presque rien pour le clitoris. Un hasard ?
Plus grave, la mythologie de la « révolution sexuelle » empêche les femmes de dire non, mais ne leur donne pas les moyens de dire oui. La définition de la sexualité n’a pas changé : « La sexualité c’est l’acte sexuel, et l’acte sexuel, c’est le coït hétérosexuel avec éjaculation de l’homme dans la femme, c’est-à-dire, de toutes les postures, la plus fécondante » (Delphy, 2003). Il n’existe pas de véritable choix quant à la sexualité que l’on peut avoir. La contraception et l’ivg sont toujours taboues ou contestées, il n’y a toujours pas d’éducation sexuelle systématisée par un cadre légal à l’école, et souvent guère à la maison.
Le conditionnement à la soumission marque profondément nombre de femmes et ce pour des générations encore : « la » femme est faite pour donner, pour « se donner » à lui, dans l’espoir de « gagner » son amour.
Pour quelques-unes qui arrivent à développer une relation d’autonomie et d’indépendance, combien continuent de céder de peur de le « perdre » ou de rester seules ? Quant aux hommes, ils ont parfois du mal à accepter cette nouvelle liberté féminine toute relative, et ceux qui cherchent à inventer de nouvelles relations, grâce à une sexualité libre et non possessive, ne sont certes pas à l’abri de leur propre jalousie et de leur volonté de contrôle.
La révolution sexuelle est un processus, toujours en cours, qui a fortement secoué la société ; en libérant la parole, celle des femmes en particulier, elle a mis en évidence les rapports entre la sexualité et le pouvoir, révélant un phénomène tu et caché : la violence sexuelle, la violence intraconjugale, et intrafamiliale (Montreynaud, 1997).
Yvonne Knibielher, dans La sexualité et l’histoire, montre combien cette utopie libératrice a marqué des générations de femmes, combien elle a ouvert le champ des possibles. Mais elle constate aussi que le danger qui menaçait la libéralisation sexuelle, s’est effectivement concrétisé dans de nouvelles formes d’oppression, inspirant des violences transformées : viol collectif, tournante, prostitution forcée, pornographie de plus en plus sadique. Ces pratiques obtiennent une publicité inimaginable grâce à internet. L’instrumentalisation du corps des femmes par les hommes à des fins sexuelles est banalisée à travers un sexisme quotidien « de bon aloi » qui, en dehors des associations féministes, ne semble plus choquer grand monde.
Il est vrai que le projet féministe des années septante visait une société idéale, et que nous n’en sommes certes pas là. Pour ce qui est des femmes, à qui l’on demande de réfléchir, et en même temps de se « laisser aller », elles en sont toujours « à sauver leurs vies menacées par des injonctions contradictoires » (Delphy, 2003).
Comme l’écrit Christine Delphy, « Les contradictions présentes dans l’ancienne société sont aujourd’hui exacerbées, et ce sont toujours les femmes qui paient le cout de cette exacerbation ».
C’est l’écume qui a été prise, pas la lame de fond
« C’est l’écume qui a été prise », constate Hedwige Peemans-Poullet, « pas la vague de fond. Notre société est restée patriarcale, dominée par un capitalisme sauvage mondialisé, profondément sexiste. Nous sommes loin, malgré les apparences, de l’idéal égalitaire où hommes et femmes seraient partenaires en tout, dans la sphère privée et publique, dans la sphère de la production et de la reproduction, et dans l’intimité des relations, qui touche au plus près de la vie. Pour cette révolution-là, le politique garde tout son sens. »
Certains dénoncent à raison l’individualisme, quand il se définit comme un repli sur soi, une tendance à l’égoïsme, un choix cynique de l’intérêt personnel et immédiat au mépris de l’intérêt général. Et pourtant, croyons-nous, c’est sur l’individu qu’il faut miser, à condition de le traiter comme « sujet responsable », et aussi et surtout, comme sujet de droits, capable de revendiquer de manière autonome (et responsable) d’autres droits, ou l’extension de ces droits à d’autres individus.
Les droits sexuels et reproductifs ont été et sont encore portés par les mouvements féministes (revendiquant la liberté sexuelle, la contraception et l’avortement), qui les rattachent clairement aux droits humains (Pereira, 2008).
Ils ont pour but à la fois de garantir le respect du corps des femmes, et le droit pour celles-ci d’en disposer librement, là où leur vie sexuelle (et reproductive) reste encore largement déterminée par des codes culturels et religieux qui nient leur épanouissement (comme en témoignent les pratiques de reconstruction de l’hymen qui connaissent un nouvel essor), ou menacée par une exploitation et une marchandisation qui en font des objets sexuels (encore accentuées à travers des phénomènes récents comme l’hypersexualisation de toutes les jeunes filles notamment).
Car de toute évidence, la question des droits des femmes reste plus que jamais au cœur des enjeux liés à la sexualité.
- Odile Buisson, gynécologue-obstétricienne à l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye, a réalisé en mai 2009 une première française : une sonographie complète en 3D d’un clitoris. Elle est l’auteure, avec Pierre Foldès, de Qui a peur du point G ?, un ouvrage qui dénonce le retard en matière de médecine sexuelle féminine.