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De l’utilité du clignotant

Numéro 4/5 avril-mai 2014 par Joëlle Kwaschin

novembre 2014

Comme chaque année, la jour­née inter­na­tio­nale des femmes du 8 mars est l’occasion pour les pleur­ni­cheuses (et les pleur­ni­cheurs qui prennent leur par­ti) de faire le constat attris­té ou révol­té que l’égalité entre les femmes et les hommes, si elle est acquise sur le ter­rain du droit est loin d’être réa­li­sée en pra­tique. Il n’y a pas […]

Comme chaque année, la jour­née inter­na­tio­nale des femmes du 8 mars est l’occasion pour les pleur­ni­cheuses (et les pleur­ni­cheurs qui prennent leur par­ti) de faire le constat attris­té ou révol­té que l’égalité entre les femmes et les hommes, si elle est acquise sur le ter­rain du droit est loin d’être réa­li­sée en pra­tique. Il n’y a pas si long­temps que les hôtesses de l’air peuvent être un peu moches et conti­nuer à tra­vailler mêmes mar­quées par l’âge, grâces en soient ren­dues à Gabrielle Defrenne1.

Sauf au Japon où une com­pa­gnie bon mar­ché a com­pris qu’une poli­tique com­mer­ciale de bas prix ne suf­fit pas. Encore faut-il que les hôtesses soient déco­ra­tives. Leur nou­vel uni­forme, très années soixante, est sexy en diable : une petite robe près du corps et qui répond à la défi­ni­tion cano­nique de la mini­jupe, dix cen­ti­mètres sous les fesses, et un bibi encore plus suc­cinct. Le genre de vête­ment inter­dit aux mémères enve­lop­pées, avec lequel on ne peut ni s’assoir ni se pen­cher. Pour ce qu’elles ont à faire, ce n’est du reste pas essen­tiel. Heu­reu­se­ment que les jeunes Japo­naises de vingt-cinq ans ont plu­tôt les men­su­ra­tions de la Nata­cha, de Wal­thé­ry. Mais le pré­sident de la com­pa­gnie auto­ri­se­ra celles qui refusent de por­ter le nou­vel uni­forme à s’en abs­te­nir. Social, le patron. Après une telle géné­ro­si­té, qu’elles ne viennent pas se plaindre de subir les pri­vau­tés de la clien­tèle mâle, elles n’auront qu’à s’en prendre à elles-mêmes si elles sont légères et court vêtues.

Soyons de bon compte, il reste des pro­blèmes graves (muti­la­tions sexuelles, mariages for­cés, viols, lapi­da­tion, répu­dia­tion…) dans des régions arrié­rées, et il faut res­ter mobi­li­sé pour que cela change. Du reste, les Espa­gnoles savent quelque chose du dépla­ce­ment des fron­tières et du gri­gno­tage de ter­rain par l’obscurantisme.

L’ONU l’affirme for­te­ment, « L’égalité pour les femmes, c’est le pro­grès pour toutes et tous. » Certes, mais chez nous, non, mille fois non, tout va bien. Évi­dem­ment, à la marge, on peut tou­jours faire mieux, par-ci par-là. Mais pas pour les des­si­na­teurs de presse qui, quel que soit leur genre, sont par­fai­te­ment égaux. Ils l’ont mon­tré lors de la nomi­na­tion de Domi­nique Leroy en qua­li­té de direc­trice géné­rale de Bel­ga­com. Par paren­thèse, l’anglais, si ché­ri du monde des affaires, est beau­coup plus inéga­li­taire que le fran­çais : essayez tou­jours de fémi­ni­ser ce titre bar­bare de chief exe­cu­tive officer…

Plu­sieurs des­si­na­teurs et sur­tout des­si­na­trices ont donc repré­sen­té la chief, pen­due au télé­phone avec sa sœur ou une copine en train de dis­cu­ter chif­fons et soldes pen­dant que ses col­la­bo­ra­teurs, tous des hommes, comme de bien enten­du, étaient contraints de faire le pied de grue en atten­dant qu’elle veuille bien rac­cro­cher, meu­blant leur longue attente de com­men­taires déso­lés sur l’erreur de lui avoir offert un abon­ne­ment gra­tuit. Tout de même quelle légè­re­té de la part du conseil d’administration de Bel­ga­com d’annoncer le choix de leur nou­velle chief au début des soldes. Tout le monde sait bien qu’une femme qui cause loques est intarissable.

Après tout de quoi se plaint-on ? Il y a beau temps que les gens et les gentes savent que si les femmes gou­ver­naient le monde, à rebours des illu­sions de cer­tains, il ne tour­ne­rait pas for­cé­ment mieux, ni plus jus­te­ment. Il s’est d’ailleurs trou­vé des fémi­nistes pour dire que les femmes avaient les mêmes droits que les hommes, y com­pris à la bêtise.

Nous y voi­là, l’égalité est acquise : désor­mais les femmes peuvent se moquer des leurs et être aus­si machos que leurs col­lègues, accré­di­ter les mêmes lieux com­muns, vieux comme le monde. À pro­pos, n’oubliez pas que le chan­ge­ment de vitesse au volant sert à sus­pendre leur sac à main. Zut, cela ne se fait plus sur les voi­tures actuelles ? Reste la manette des cli­gno­tants, mais elle est un peu courte. Voi­là com­ment se réduit le droit des femmes.

  1. En 1968, Gabrielle Defrenne, hôtesse de l’air à la Sabe­na est, comme toutes ses col­lègues, contrainte de prendre sa retraite à qua­rante ans alors que les ste­wards peuvent tra­vailler quinze ans de plus. Trois arrêts de la Cour de jus­tice des Com­mu­nau­tés euro­péennes (1970, 1975 et 1977) consacrent le prin­cipe d’égalité entre les hommes et les femmes énon­cé par le trai­té de Rome en 1957.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie