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D’où provient la précarité étudiante ?
En septembre 2016, le SPP Intégration sociale publiait son Focus n° 16 sur les étudiants et le revenu d’intégration sociale. Après s’être rapidement emparée du sujet, la presse titrait que le nombre d’étudiants bénéficiant d’un RIS aurait doublé lors des dix dernières années. Cette actualité serait même tellement saisissante, que « le ministre fédéral de l’Intégration […]
En septembre 2016, le SPP Intégration sociale publiait son Focus n° 16 sur les étudiants et le revenu d’intégration sociale1. Après s’être rapidement emparée du sujet, la presse titrait que le nombre d’étudiants bénéficiant d’un RIS aurait doublé lors des dix dernières années. Cette actualité serait même tellement saisissante, que « le ministre fédéral de l’Intégration sociale Willy Borsus affirme être préoccupé par ce phénomène et entend dès lors formuler des propositions aux Fédérations des CPAS au début de l’année prochaine. »
La réaction du ministre et les titres de presse laissent penser que la pauvreté et la précarité chez les étudiants seraient un phénomène conjoncturel, ayant tout au plus une dizaine d’années. Les faits sont néanmoins plus têtus : une rapide documentation sur le sujet permet de s’apercevoir que les situations de précarités chez les étudiants sont, au contraire, d’ordre structurel.
Les étudiants et les CPAS
En 2012, les médias s’inquiétaient déjà du fait que le nombre d’étudiants faisant appel aux CPAS ait doublé en l’espace d’une décennie. Ce qui avait d’ailleurs fait l’objet d’analyses dévoilant les limites de l’action des CPAS auprès des étudiants. Selon Renaud Maes2, « Par les modèles d’État social actif, par le fétichisme de la mise à l’emploi et les discours paternalistes exigeant “des efforts” des allocataires, il semble acceptable qu’une institution comme le CPAS ne compense pas (plus) les inégalités : dans la pratique, un étudiant au CPAS n’a pas le libre choix de son orientation d’étude, il est obligé à travailler sous le statut précaire de jobiste, il n’a (presque) pas le droit à l’échec. Un de ses congénères issu d’un milieu plus aisé pourra, quant à lui, bénéficier d’une totale liberté d’orientation (de types d’établissement, de filière), jobbera pour se faire de l’argent de poche et subira une bien moindre pression quant à sa réussite. On perçoit donc, à l’analyse, que ce sont les principes fondateurs de la loi du 26 mai 2002 qui posent question — plus que la divergence des pratiques, divergence que ces principes provoquent ! »
Depuis la parution de cet article, et en vertu de la lutte contre le terrorisme, seules quelques mesures de surveillance à l’égard des bénéficiaires ont modifié le cadre dans lequel doivent évoluer les étudiants bénéficiant d’un revenu d’intégration sociale. Ainsi, nous pouvons constater que, en l’espace de quatre ans, le législateur, déjà très préoccupé par les étudiants, a renforcé les contraintes administratives pour les séjours à l’étranger3, et donc la possibilité de réaliser un programme Erasmus.
Au-delà de toutes les mesures de contrôle à l’égard des étudiants, le rôle du CPAS en matière alimentaire est subsidiaire à l’intervention des débiteurs d’aliments. En d’autres termes, la participation financière des parents est à plusieurs reprises une référence dans les différentes étapes de l’octroi de l’aide. L’étudiant est ainsi toujours attaché à sa situation familiale d’origine, bien que dans quelques cas, celle-ci peut être suspendue pour des raisons d’équité.
En 2000, une étude publiée par le CIUF montrait que 16,1% des étudiants de l’enseignement supérieur faisaient état de difficultés financières préoccupantes4. Le nombre de situations d’étudiants en difficultés financières dépassait le champ d’action des CPAS, ce qui n’a guère changé aujourd’hui. Les situations de pauvreté, et donc de précarité en résultant, ne se limitent donc pas aux étudiants ayant établi un projet individualisé d’intégration sociale avec un CPAS. Il convient dès lors de s’intéresser à la situation des étudiants se déroulant en amont d’une éventuelle obtention d’un RIS.
La famille comme la base des ressources de l’étudiant
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, il convient de rappeler que les étudiants sont priés de faire appel en premier lieu à leurs ressources familiales avant de s’adresser aux services sociaux. Il s’agit de mobiliser l’obligation alimentaire définie dans le paragraphe premier de l’article 203 du Code civil. Les père et mère sont tenus d’assumer, à proportion de leurs facultés, l’hébergement, l’entretien, la santé, la surveillance, l’éducation, la formation et l’épanouissement de leurs enfants. Si la formation n’est pas achevée, l’obligation se poursuit après la majorité de l’enfant.
En cas de non-respect des obligations parentales, le législateur prévoit pour l’étudiant la possibilité de poursuivre ses parents au tribunal de première instance5, où un juge décidera s’il est dans l’intérêt de l’étudiant d’obtenir le soutien financier de ses parents pour poursuivre ses études. Bien que l’obligation alimentaire soit une protection à l’égard des étudiants, celle-ci n’est néanmoins pas parfaite et compte plusieurs effets pervers.
Le principe d’obligation alimentaire présuppose que l’étudiant est tenu de s’adresser à ses parents avant de réaliser une demande d’aide sociale aux pouvoirs publics. Ce qui lui sera d’ailleurs rappelé par les divers services sociaux auxquels il fera appel.
Amélie, vingt-quatre ans : « Et du coup, j’ai reçu par la poste, une lettre comme quoi ils refusaient de m’accorder le RIS en disant que, en gros, c’était à moi de m’arranger avec mes parents et d’éventuellement les poursuivre pour avoir une aide de leur part quoi. J’ai recroisé ma mère plus ou moins à la même époque et je lui ai demandé un peu ce qu’il s’était passé, et j’ai appris ce que l’assistant social avait fait comme enquête sociale. Il avait passé un coup de téléphone à mes parents…, était tombé sur ma mère et lui avait demandé : “Madame, est-ce que c’est vrai que votre mari est alcoolique et qu’il frappait sur ses gosses régulièrement?”. Évidemment ma mère a répondu : “Non monsieur c’est pas vrai”. Quand j’dis “Enfin, pourquoi t’as dit ça?” Elle m’a dit : “Ben euh… ce sont des choses qui ne se racontent pas ça…”.»
Le fait de contraindre l’étudiant à s’adresser en premier lieu à sa famille, et dans certains cas les poursuivre en justice, crée une crainte de rompre le lien familial. Ce qui pousse une partie de ces étudiants à se tourner vers des contrats étudiants précaires plutôt que les services sociaux.
Hélène, vingt-trois ans : « Mon assistante sociale m’avait dit que je devais trouver un travail. J’ai travaillé dans une boulangerie pendant un an, six jours par semaine pendant trois heures. Je ne suis plus retournée au service social. Il y a tellement de formulaires et de chipotis que c’était plus facile de travailler. »
Nous observons également que l’entrée dans le monde du travail par les étudiants a tendance à les éloigner des services sociaux. Cela peut s’expliquer par la difficulté que représente la demande réalisée auprès d’un service social, ou encore le manque de temps dont disposent les étudiants jobistes.
Dans plusieurs entretiens, il transparait que l’obligation alimentaire peut être utilisée par les services sociaux comme une forme d’alibi pour éviter de prendre en charge l’étudiant. Des étudiants mentionnent également la dureté de l’obstacle psychologique que représente l’acte de poursuivre ses parents face à la Justice de paix. Certaines croyances héritées des parents sur les services sociaux sont également à relever. Tous ces éléments restent encore à analyser pour comprendre quels sont les manquements des services sociaux et du législateur.
Comment identifier les précarités étudiantes ?
La précarité ne peut pas à proprement parler être qualifiée de pauvreté absolue ou relative. En se référant à la définition de Régis Pierret : elle n’est pas la pauvreté qui est un statut social, elle est une inscription sociale dans un rapport de domination, elle est inhérente à toute société. La précarité est une production de la modernité, elle constitue depuis le début de la société industrielle la « condition de l’homme moderne ». L’individualisme en rendant l’homme autonome le rend également vulnérable, précaire. En ce sens, nous sommes tous précaires. Avec la modernité, le travail acquiert une place centrale, il devient le principal lien qui rattache l’individu à la société à mesure qu’il se détache de la communauté de la société traditionnelle. Le travail est alors censé prémunir l’individu de la précarité. Aussi, plus l’individu occupe un emploi stable, plus il a le sentiment de la tenir à distance, a contrario plus le travail devient incertain, plus l’individu s’éprouve comme précarisable, lorsqu’il est privé d’emploi ou lorsque le travail ne lui permet pas d’être autonome, il se vit alors comme précarisé6.
Bien que l’extrême majorité des étudiants ait un revenu situé en dessous de 1.082 euros par mois7, on ne peut cependant pas affirmer qu’ils soient forcément en situation de privation matérielle. Le fait qu’une grande partie d’entre eux bénéficient de l’obligation alimentaire évite des situations de pauvreté. Nous pouvons cependant affirmer qu’ils sont tous sujets, à des degrés divers, à la précarité.
Le fait que les ressources des étudiants soient intimement liées au statut de leurs parents et qu’ils soient, par la même occasion, privés d’une réelle autonomie est déjà une forme de précarité. Derrière toutes les alternatives pour échapper à une famille qui manquerait à son devoir alimentaire, le spectre de celle-ci hantera toujours l’étudiant : qu’il s’agisse des plafonds de revenus pour les contrats déjà très précaires des jobistes, qu’il s’agisse de l’aspect subsidiaire du revenu d’intégration, etc.
Les dernières mesures du législateur se rapportant aux aides sociales et le temps de travail des étudiants laissent peu d’espoir quant à l’émancipation des étudiants bénéficiant d’aides sociales et l’accès à celles-ci. Alors que la flexibilisation du temps de travail des « contrat d’occupation d’étudiants » vient d’être votée, il est déjà certain que celle-ci augmentera le temps de travail des étudiants bénéficiant d’un revenu d’intégration, sans leur permettre d’augmenter leur budget. Derrière toutes ces réformes se dessinent encore et toujours plus d’incertitude et de contrôle pour les étudiants héritant des situations familiales les moins stables.
- SPP Intégration Sociale, Focus « Parcours des étudiants après le TIS », septembre 2016.
- Maes R., « CPAS et étudiants : les limites de l’État social actif », Ensemble !, n° 77, décembre 2012-mars 2013, pp. 16 – 19.
- Article 23§5 de la loi du 26 mai 2002 sur le droit à l’intégration sociale.
- Actes du premier Congrès des chercheurs en éducation 24 – 25 mai 2000, Bruxelles, ministère de la Communauté française.
- Article 591 § 1, 7° du code judiciaire.
- Pierret R., « Qu’est-ce que la précarité ? », Socio, 2013, pp. 307 – 330.
- Seuil de risque de pauvreté en 2014 selon Eurostat. Année des données 2015.