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Culture du redoublement dans l’enseignement obligatoire, dégâts collatéraux dans l’enseignement supérieur (version courte)

Numéro 3 - 2018 par Jean-Paul Lambert

mai 2018

Les enquêtes Pisa ont mis en lumière les faibles per­for­mances de notre ensei­gne­ment obli­ga­toire, sur­tout au niveau du secon­daire : médiocre score moyen des élèves, inéga­li­tés extrêmes entre élèves et entre les écoles, forte ségré­ga­tion sociale entre les écoles, etc. Mais les enquêtes Pisa ont aus­si four­ni l’occasion de mettre en évi­dence, grâce aux col­lectes internationales […]

Le Mois

Les enquêtes Pisa ont mis en lumière les faibles per­for­mances de notre ensei­gne­ment obli­ga­toire, sur­tout au niveau du secon­daire : médiocre score moyen des élèves, inéga­li­tés extrêmes entre élèves et entre les écoles, forte ségré­ga­tion sociale entre les écoles, etc. Mais les enquêtes Pisa ont aus­si four­ni l’occasion de mettre en évi­dence, grâce aux col­lectes inter­na­tio­nales de don­nées, cer­taines carac­té­ris­tiques struc­tu­relles de notre ensei­gne­ment secon­daire qui appa­rait par­ti­cu­liè­re­ment « stra­ti­fié », tant hori­zon­ta­le­ment (seg­men­ta­tion de la popu­la­tion sco­laire en filières dis­tinctes) que ver­ti­ca­le­ment (ampleur du recours au redou­ble­ment). En matière de redou­ble­ment, la FWB s’illustre même comme la cham­pionne « hors caté­go­rie » de l’OCDE avec ses taux de retard sco­laire à des dis­tances « stra­to­sphé­riques » de ceux de tous les autres pays, même des plus « gros redou­bleurs » de l’OCDE.

Or les nom­breux tra­vaux por­tant sur la pra­tique du redou­ble­ment abou­tissent à des conclu­sions sévères. Du point de vue péda­go­gique d’abord, cette pra­tique appa­rait inef­fi­cace et même, plus grave, contre­pro­duc­trice pour le cur­sus ulté­rieur de l’élève ; du point de vue des impli­ca­tions sociales, il appa­rait que ce sont les élèves des caté­go­ries socioé­co­no­miques modestes qui sont, dans les faits, les prin­ci­pales vic­times de cette pratique.

Si notre sys­tème est inéga­li­taire, peut-on néan­moins espé­rer qu’il amène à l’«excellence » un contin­gent impor­tant de « bons » élèves ? Les com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales sont sans appel, que l’on se com­pare à des sys­tèmes « inté­grés » (pas de filières dis­tinctes et redou­ble­ments très rares) ou à des sys­tèmes à « stra­ti­fi­ca­tion plus mai­tri­sée » (filières dis­tinctes et taux de redou­ble­ment moyens, et avec peu d’élèves en redou­ble­ment répé­té), la FWB appa­rait avoir tout faux car elle « pro­duit » non seule­ment une pro­por­tion plus impor­tante d’élèves « faibles », mais aus­si une pro­por­tion plus réduite d’élèves « forts » que cha­cun de ces autres systèmes.

Cette brève mise en pers­pec­tive faite, nous abor­dons la ques­tion sui­vante, jusqu’ici sou­vent négli­gée : au-delà des dégâts internes cau­sés à notre ensei­gne­ment secon­daire, ces poli­tiques et pra­tiques « struc­tu­relles » de notre ensei­gne­ment secon­daire affec­te­raient-elles aus­si notre ensei­gne­ment supérieur ?

Nous mon­trons que les périodes de modé­ra­tion de la pra­tique du redou­ble­ment et de la relé­ga­tion dans le secon­daire (comme celle que l’on a connue tout au long des années 1990 jusqu’au début des années 2000) génèrent une amé­lio­ra­tion pro­gres­sive des taux de réus­site des étu­diants de pre­mière géné­ra­tion accé­dant à l’enseignement supé­rieur et que les périodes d’exacerbation de ces pra­tiques dans le secon­daire (comme celle que nous connais­sons depuis le milieu des années 2000) génèrent une dégra­da­tion pro­gres­sive des taux de réus­site de ces étu­diants de pre­mière génération.

Il ne s’agit pas d’une simple cor­ré­la­tion, car la cau­sa­li­té est clai­re­ment mise en évi­dence : l’orientation (modé­ra­tion ou exa­cer­ba­tion) de la pra­tique du redou­ble­ment et de la relé­ga­tion dans le secon­daire exerce un effet puis­sant sur la « qua­li­té », disons plu­tôt le « pro­fil aca­dé­mique », des géné­ra­tions d’étudiants accé­dant au supé­rieur. On véri­fie que, dans les périodes de modé­ra­tion des pra­tiques du redou­ble­ment et de la relé­ga­tion dans le secon­daire, les jeunes accé­dant à l’enseignement supé­rieur comptent, d’année en année, une pro­por­tion de plus en plus réduite d’étudiants « en retard » et d’étudiants issus des filières « qua­li­fiantes », caté­go­ries d’étudiants dont le taux de réus­site est très net­te­ment infé­rieur à celui de leurs condis­ciples issus, sans retard sco­laire, du secon­daire géné­ral. Le taux de réus­site glo­bal des étu­diants de pre­mière géné­ra­tion (tant à l’université que dans le supé­rieur « hors uni­ver­si­té ») s’améliore donc, méca­ni­que­ment, d’année en année. Les mêmes effets, mais dans le sens inverse, jouent dans les périodes d’exacerbation des pra­tiques du redou­ble­ment et de la relé­ga­tion dans le secon­daire, ce qui explique la dégra­da­tion conti­nue du taux de réus­site des étu­diants de pre­mière géné­ra­tion à laquelle nous assis­tons, depuis plus de dix ans, dans l’ensemble de l’enseignement supé­rieur de la FWB.

Nous démon­trons éga­le­ment que les pra­tiques mal­heu­reuses de notre ensei­gne­ment secon­daire sont à la base d’un phé­no­mène par­fois pré­sen­té comme une énigme : pour­quoi, alors que tous les pays de l’OCDE ont réus­si à faire aug­men­ter de façon conti­nue, entre 2000 et 2015, la pro­por­tion de leur popu­la­tion de 25 – 34 ans diplô­mée de l’enseignement supé­rieur, la FWB n’a‑t-elle pas réus­si à faire de même, cette pro­por­tion se rédui­sant même chez nous entre 2010 et 2015 ? L’évolution de cet indi­ca­teur dépend de celle de deux variables déter­mi­nantes : le taux d’accès à l’enseignement supé­rieur des nou­velles tranches d’âge et le taux final d’accession au diplôme des étu­diants de pre­mière géné­ra­tion accé­dant au supé­rieur. Nous mon­trons que taux d’accès à l’enseignement supé­rieur, après avoir long­temps aug­men­té, s’est mis à pla­fon­ner, essen­tiel­le­ment sous l’effet de la contrac­tion de la part du secon­daire géné­ral dans la popu­la­tion totale des années ter­mi­nales du secon­daire1. Quant au taux de diplo­ma­tion final des étu­diants de pre­mière géné­ra­tion accé­dant au supé­rieur, il ne peut que se contrac­ter, dès lors que les taux de réus­site en pre­mière année du supé­rieur, déter­mi­nants pour la suite du par­cours dans le supé­rieur, se mettent à plon­ger sous l’effet des pra­tiques péda­go­giques du secon­daire, comme expli­qué plus haut.

Quelques réflexions à la tonalité plus « politique »

La réduc­tion enre­gis­trée, entre 2010 et 2015, de la pro­por­tion des 25 – 34 ans diplô­més de l’enseignement supé­rieur signi­fie concrè­te­ment que 15.000 de ces jeunes (de l’ensemble de la tranche d’âge 25 – 34 ans) ont été pri­vés d’un diplôme de l’enseignement supé­rieur par les seuls effets de l’exacerbation de la « culture du redou­ble­ment » dans le secon­daire. Une telle poli­tique, unique dans l’OCDE, n’est-elle pas « sui­ci­daire » lorsqu’on sait que les mul­tiples défis que nos socié­tés devront affron­ter requièrent une élé­va­tion du niveau de qua­li­fi­ca­tion des nou­velles générations ?

Au-delà du « cout humain », la « culture du redou­ble­ment » entraine aus­si des couts bud­gé­taires impor­tants, comme le sou­ligne l’OCDE. Pour une même popu­la­tion de la tranche d’âge 12 – 18 ans, les pays recou­rant de façon inten­sive à la pra­tique du redou­ble­ment main­tien­dront dans le secon­daire une popu­la­tion sco­laire plus nom­breuse, à for­tio­ri s’ils recourent volon­tiers (comme la FWB) au redou­ble­ment répé­té (élèves ayant redou­blé à plus d’une reprise). Cette popu­la­tion sco­laire plus nom­breuse néces­site davan­tage d’infrastructures (écoles), d’enseignants, etc. On cal­cule que, si la FWB ali­gnait ses pra­tiques de redou­ble­ment sur celles de la Flandre (clas­sée pour­tant par­mi les « gros redou­bleurs » de l’OCDE, mais qui recourt très peu au redou­ble­ment répé­té), la popu­la­tion sco­la­ri­sée dans le secon­daire de la FWB serait infé­rieure de plus de 11% à ce qu’elle est actuel­le­ment. Soit un « sur­cout bud­gé­taire » annuel de quelque 350 mil­lions d’euros par rap­port à la Flandre, ce qui équi­vaut à la moi­tié du bud­get annuel des uni­ver­si­tés de la FWB.

Les choix poli­tiques en matière d’éducation en FWB ne pèchent-ils pas par un manque de cohé­rence ? C’est, en effet, au moment où l’exacerbation de la « culture du redou­ble­ment » dans le secon­daire abou­tit à envoyer vers l’enseignement supé­rieur un public étu­diant plus « fra­gile » qu’auparavant que les res­pon­sables poli­tiques décident d’étrangler finan­ciè­re­ment l’enseignement supé­rieur (via le sys­tème d’enveloppe fer­mée), le contrai­gnant à réduire dras­ti­que­ment les condi­tions d’encadrement de ces nou­veaux étu­diants2 ?

Confron­tés à la chute des taux de réus­site à l’entrée de l’enseignement supé­rieur, de nom­breux res­pon­sables (tant aca­dé­miques que poli­tiques) incri­minent les défaillances quant à l’orientation des étu­diants. Or l’origine du « pro­blème » n’est pas là, comme on l’a démon­tré, mais plu­tôt dans la dégra­da­tion de la « qua­li­té », ou, si l’on veut, du « pro­fil aca­dé­mique », des nou­velles géné­ra­tions d’étudiants de pre­mière géné­ra­tion. Une meilleure orien­ta­tion des étu­diants est certes bien­ve­nue, dans l’état actuel des choses, mais celle-ci s’apparente davan­tage à « un emplâtre sur une jambe de bois » qu’à une solu­tion de fond. Mieux vaut atta­quer le « pro­blème » à la racine en assi­gnant (plus) expli­ci­te­ment au « Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence » un objec­tif prio­ri­taire de réduc­tion rapide (avec échéan­cier et sui­vi) des taux de redou­ble­ment et de son coro­laire, la relé­ga­tion en cascade.

  1. Cette contrac­tion de la part du secon­daire géné­ral résulte de l’exacerbation de la pra­tique du redou­ble­ment, avec son coro­laire, la relé­ga­tion en cas­cade d’une filière à l’autre, qui « vide » pro­gres­si­ve­ment le secon­daire géné­ral au pro­fit des filières « qua­li­fiantes » (tech­nique de tran­si­tion, tech­nique de qua­li­fi­ca­tion, professionnel).
  2. Dans les uni­ver­si­tés, en l’espace de quinze ans (1997 – 1998 à 2013 – 2014), le nombre de scien­ti­fiques (assis­tants) pour cent étu­diants s’est réduit de 27%, le nombre d’académiques de 17% et le nombre de per­son­nels admi­nis­tra­tifs de sou­tien de 26%.

Jean-Paul Lambert


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