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Culture du redoublement dans l’enseignement obligatoire, dégâts collatéraux dans l’enseignement supérieur (version courte)
Les enquêtes Pisa ont mis en lumière les faibles performances de notre enseignement obligatoire, surtout au niveau du secondaire : médiocre score moyen des élèves, inégalités extrêmes entre élèves et entre les écoles, forte ségrégation sociale entre les écoles, etc. Mais les enquêtes Pisa ont aussi fourni l’occasion de mettre en évidence, grâce aux collectes internationales […]
Les enquêtes Pisa ont mis en lumière les faibles performances de notre enseignement obligatoire, surtout au niveau du secondaire : médiocre score moyen des élèves, inégalités extrêmes entre élèves et entre les écoles, forte ségrégation sociale entre les écoles, etc. Mais les enquêtes Pisa ont aussi fourni l’occasion de mettre en évidence, grâce aux collectes internationales de données, certaines caractéristiques structurelles de notre enseignement secondaire qui apparait particulièrement « stratifié », tant horizontalement (segmentation de la population scolaire en filières distinctes) que verticalement (ampleur du recours au redoublement). En matière de redoublement, la FWB s’illustre même comme la championne « hors catégorie » de l’OCDE avec ses taux de retard scolaire à des distances « stratosphériques » de ceux de tous les autres pays, même des plus « gros redoubleurs » de l’OCDE.
Or les nombreux travaux portant sur la pratique du redoublement aboutissent à des conclusions sévères. Du point de vue pédagogique d’abord, cette pratique apparait inefficace et même, plus grave, contreproductrice pour le cursus ultérieur de l’élève ; du point de vue des implications sociales, il apparait que ce sont les élèves des catégories socioéconomiques modestes qui sont, dans les faits, les principales victimes de cette pratique.
Si notre système est inégalitaire, peut-on néanmoins espérer qu’il amène à l’«excellence » un contingent important de « bons » élèves ? Les comparaisons internationales sont sans appel, que l’on se compare à des systèmes « intégrés » (pas de filières distinctes et redoublements très rares) ou à des systèmes à « stratification plus maitrisée » (filières distinctes et taux de redoublement moyens, et avec peu d’élèves en redoublement répété), la FWB apparait avoir tout faux car elle « produit » non seulement une proportion plus importante d’élèves « faibles », mais aussi une proportion plus réduite d’élèves « forts » que chacun de ces autres systèmes.
Cette brève mise en perspective faite, nous abordons la question suivante, jusqu’ici souvent négligée : au-delà des dégâts internes causés à notre enseignement secondaire, ces politiques et pratiques « structurelles » de notre enseignement secondaire affecteraient-elles aussi notre enseignement supérieur ?
Nous montrons que les périodes de modération de la pratique du redoublement et de la relégation dans le secondaire (comme celle que l’on a connue tout au long des années 1990 jusqu’au début des années 2000) génèrent une amélioration progressive des taux de réussite des étudiants de première génération accédant à l’enseignement supérieur et que les périodes d’exacerbation de ces pratiques dans le secondaire (comme celle que nous connaissons depuis le milieu des années 2000) génèrent une dégradation progressive des taux de réussite de ces étudiants de première génération.
Il ne s’agit pas d’une simple corrélation, car la causalité est clairement mise en évidence : l’orientation (modération ou exacerbation) de la pratique du redoublement et de la relégation dans le secondaire exerce un effet puissant sur la « qualité », disons plutôt le « profil académique », des générations d’étudiants accédant au supérieur. On vérifie que, dans les périodes de modération des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire, les jeunes accédant à l’enseignement supérieur comptent, d’année en année, une proportion de plus en plus réduite d’étudiants « en retard » et d’étudiants issus des filières « qualifiantes », catégories d’étudiants dont le taux de réussite est très nettement inférieur à celui de leurs condisciples issus, sans retard scolaire, du secondaire général. Le taux de réussite global des étudiants de première génération (tant à l’université que dans le supérieur « hors université ») s’améliore donc, mécaniquement, d’année en année. Les mêmes effets, mais dans le sens inverse, jouent dans les périodes d’exacerbation des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire, ce qui explique la dégradation continue du taux de réussite des étudiants de première génération à laquelle nous assistons, depuis plus de dix ans, dans l’ensemble de l’enseignement supérieur de la FWB.
Nous démontrons également que les pratiques malheureuses de notre enseignement secondaire sont à la base d’un phénomène parfois présenté comme une énigme : pourquoi, alors que tous les pays de l’OCDE ont réussi à faire augmenter de façon continue, entre 2000 et 2015, la proportion de leur population de 25 – 34 ans diplômée de l’enseignement supérieur, la FWB n’a‑t-elle pas réussi à faire de même, cette proportion se réduisant même chez nous entre 2010 et 2015 ? L’évolution de cet indicateur dépend de celle de deux variables déterminantes : le taux d’accès à l’enseignement supérieur des nouvelles tranches d’âge et le taux final d’accession au diplôme des étudiants de première génération accédant au supérieur. Nous montrons que taux d’accès à l’enseignement supérieur, après avoir longtemps augmenté, s’est mis à plafonner, essentiellement sous l’effet de la contraction de la part du secondaire général dans la population totale des années terminales du secondaire1. Quant au taux de diplomation final des étudiants de première génération accédant au supérieur, il ne peut que se contracter, dès lors que les taux de réussite en première année du supérieur, déterminants pour la suite du parcours dans le supérieur, se mettent à plonger sous l’effet des pratiques pédagogiques du secondaire, comme expliqué plus haut.
Quelques réflexions à la tonalité plus « politique »
La réduction enregistrée, entre 2010 et 2015, de la proportion des 25 – 34 ans diplômés de l’enseignement supérieur signifie concrètement que 15.000 de ces jeunes (de l’ensemble de la tranche d’âge 25 – 34 ans) ont été privés d’un diplôme de l’enseignement supérieur par les seuls effets de l’exacerbation de la « culture du redoublement » dans le secondaire. Une telle politique, unique dans l’OCDE, n’est-elle pas « suicidaire » lorsqu’on sait que les multiples défis que nos sociétés devront affronter requièrent une élévation du niveau de qualification des nouvelles générations ?
Au-delà du « cout humain », la « culture du redoublement » entraine aussi des couts budgétaires importants, comme le souligne l’OCDE. Pour une même population de la tranche d’âge 12 – 18 ans, les pays recourant de façon intensive à la pratique du redoublement maintiendront dans le secondaire une population scolaire plus nombreuse, à fortiori s’ils recourent volontiers (comme la FWB) au redoublement répété (élèves ayant redoublé à plus d’une reprise). Cette population scolaire plus nombreuse nécessite davantage d’infrastructures (écoles), d’enseignants, etc. On calcule que, si la FWB alignait ses pratiques de redoublement sur celles de la Flandre (classée pourtant parmi les « gros redoubleurs » de l’OCDE, mais qui recourt très peu au redoublement répété), la population scolarisée dans le secondaire de la FWB serait inférieure de plus de 11% à ce qu’elle est actuellement. Soit un « surcout budgétaire » annuel de quelque 350 millions d’euros par rapport à la Flandre, ce qui équivaut à la moitié du budget annuel des universités de la FWB.
Les choix politiques en matière d’éducation en FWB ne pèchent-ils pas par un manque de cohérence ? C’est, en effet, au moment où l’exacerbation de la « culture du redoublement » dans le secondaire aboutit à envoyer vers l’enseignement supérieur un public étudiant plus « fragile » qu’auparavant que les responsables politiques décident d’étrangler financièrement l’enseignement supérieur (via le système d’enveloppe fermée), le contraignant à réduire drastiquement les conditions d’encadrement de ces nouveaux étudiants2 ?
Confrontés à la chute des taux de réussite à l’entrée de l’enseignement supérieur, de nombreux responsables (tant académiques que politiques) incriminent les défaillances quant à l’orientation des étudiants. Or l’origine du « problème » n’est pas là, comme on l’a démontré, mais plutôt dans la dégradation de la « qualité », ou, si l’on veut, du « profil académique », des nouvelles générations d’étudiants de première génération. Une meilleure orientation des étudiants est certes bienvenue, dans l’état actuel des choses, mais celle-ci s’apparente davantage à « un emplâtre sur une jambe de bois » qu’à une solution de fond. Mieux vaut attaquer le « problème » à la racine en assignant (plus) explicitement au « Pacte pour un enseignement d’excellence » un objectif prioritaire de réduction rapide (avec échéancier et suivi) des taux de redoublement et de son corolaire, la relégation en cascade.
- Cette contraction de la part du secondaire général résulte de l’exacerbation de la pratique du redoublement, avec son corolaire, la relégation en cascade d’une filière à l’autre, qui « vide » progressivement le secondaire général au profit des filières « qualifiantes » (technique de transition, technique de qualification, professionnel).
- Dans les universités, en l’espace de quinze ans (1997 – 1998 à 2013 – 2014), le nombre de scientifiques (assistants) pour cent étudiants s’est réduit de 27%, le nombre d’académiques de 17% et le nombre de personnels administratifs de soutien de 26%.