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CSC-FGTB. « Je t’aime, moi non plus » ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2011 par Michel Capron

juillet 2011

Les diver­gences entre CSC et FGTB sont appa­rues, ces der­niers mois, à la suite des négo­cia­tions pour l’accord inter­pro­fes­sion­nel et, jusque début avril, elles n’ont ces­sé de s’accroitre. Depuis lors, une accal­mie rela­tive est inter­ve­nue, mais ces rup­tures au sein du front com­mun syn­di­cal posent ques­tion. Des appré­cia­tions diver­gentes du pro­jet d’accord inter­pro­fes­sion­nel Le 18 janvier […]

Les diver­gences entre CSC et FGTB sont appa­rues, ces der­niers mois, à la suite des négo­cia­tions pour l’accord inter­pro­fes­sion­nel et, jusque début avril, elles n’ont ces­sé de s’accroitre. Depuis lors, une accal­mie rela­tive est inter­ve­nue, mais ces rup­tures au sein du front com­mun syn­di­cal posent question.

Des appréciations divergentes du projet d’accord interprofessionnel

Le 18 jan­vier 2011, les inter­lo­cu­teurs sociaux étaient par­ve­nus, non sans peine, à éla­bo­rer un pro­jet d’accord1. Celui-ci, tous en conve­naient, était mini­ma­liste, mais mieux valait, semble-t-il, un pro­jet d’accord que pas d’accord du tout. En prin­cipe donc, les repré­sen­tants CSC et FGTB au sein du Groupe des dix avaient acquies­cé à ce pro­jet d’accord. Il appa­rut très rapi­de­ment que les logiques de pré­sen­ta­tion de ce pro­jet — pour appro­ba­tion ou refus — aux ins­tances des deux syn­di­cats emprun­taient des voies dif­fé­rentes, voire diver­gentes2.

Côté CSC, très logi­que­ment L. Cor­te­beeck et Cl. Rolin ont défen­du le pro­jet d’accord devant leur Conseil géné­ral : ils avaient signé un pro­jet d’accord et enten­daient bien le défendre devant leur ins­tance man­dante, en sou­li­gnant les points posi­tifs et en met­tant en garde contre l’absence d’accord. Cela ne se fit tou­te­fois pas sans mal : la lbc fla­mande — la cen­trale la plus impor­tante de la CSC — et la CNE fran­co­phone, soit les deux cen­trales pro­fes­sion­nelles d’employés, ont una­ni­me­ment reje­té ce pro­jet. Ferre Wij­ck­mans, le secré­taire géné­ral de la LBC, a accu­sé L. Cor­te­beeck d’exercer des pres­sions scan­da­leuses auprès des autres cen­trales et des fédé­ra­tions régio­nales ; les deux cen­trales d’employés se rejoi­gnaient par ailleurs pour cri­ti­quer ver­te­ment aus­si bien le pro­ces­sus d’harmonisation des sta­tuts ouvriers et employés au détri­ment des employés que la fai­blesse de la marge sala­riale (0,3% de hausse sala­riale en 2012). L’issue du vote fut néan­moins nette (un « oui » à 67,9%): à l’exception des cen­trales d’employés et de quelques votes scin­dés ou majo­ri­tai­re­ment néga­tifs (les régio­nales de Bruxelles-Hal-Vil­vorde et de Liège), les autres cen­trales et fédé­ra­tions régio­nales ont enté­ri­né ce pro­jet d’accord. À un tra­di­tion­nel cli­vage com­mu­nau­taire entre une aile fla­mande majo­ri­taire et plus consen­suelle et une aile fran­co­phone en géné­ral plus reven­di­ca­tive est venue cette fois se super­po­ser une oppo­si­tion entre cen­trales ouvrières et cen­trales d’employés.

Au sein de la FGTB, la situa­tion se révé­la à la fois plus claire et plus com­plexe. Plus claire parce que le refus du pro­jet d’accord par le Comi­té fédé­ral de la FGTB fut voté à 75%. Plus com­plexe parce que l’attitude finale adop­tée par les repré­sen­tants FGTB au sein du Groupe des dix par rap­port au pro­jet d’accord laisse per­plexe. D’une part, A. Deme­lenne et R. De Leeuw affirment s’être limi­tés à para­pher le pro­jet d’accord inter­pro­fes­sion­nel pour authen­ti­fi­ca­tion. Autre­ment dit, si l’on com­prend bien, ils recon­nais­saient que c’était bien le texte cor­rect du pro­jet d’accord auquel les négo­cia­teurs avaient fini par abou­tir. C’est qu’en défi­ni­tive mieux valait débou­cher sur ce texte-là que sur une feuille blanche mar­quant l’échec patent des négo­cia­tions. Or, il semble que, sur le point rela­tif à la marge sala­riale, R. De Leeuw ait mar­qué son désac­cord, mais de manière tel­le­ment feu­trée qu’aucun des négo­cia­teurs ne l’aurait remar­qué3. En outre, la ques­tion de l’harmonisation des sta­tuts ouvriers et employés aurait fait l’objet de dis­cus­sions en comi­té res­treint [P. Tim­mer­mans (FEB), K. Van Eet­velt (Uni­zo), L. Cor­te­beeck (CSC) et A. Deme­lenne (FGTB)]. Selon P. Win­dey, pré­sident du CNT4, appe­lé à la res­cousse pour for­mu­ler une pro­po­si­tion qu’il juge « en ce moment la seule réa­li­sable », A. Deme­lenne aurait par­ti­ci­pé à l’entérinement final de la pro­po­si­tion de P. Win­dey, reprise inté­gra­le­ment dans l’annexe II du pro­jet d’AIP.

Or, dans cette phase finale, les négo­cia­teurs FGTB étaient bien conscients d’avoir outre­pas­sé le man­dat confé­ré par les cen­trales et n’ignoraient pas que ce pro­jet d’accord serait reje­té par leurs man­dants. D’où leur déci­sion de pré­sen­ter ce pro­jet d’accord, sans le défendre, devant leur Comi­té fédé­ral. Vu le rejet mas­sif du pro­jet, le secré­ta­riat fédé­ral de la FGTB pro­po­sait dès lors une série d’actions devant culmi­ner en une jour­née d’action natio­nale le 4 mars et des­ti­nées à mar­quer publi­que­ment cette oppo­si­tion. De manière quelque peu sur­pre­nante, la CGSLB avait éga­le­ment refu­sé le pro­jet d’accord et emboi­tait le pas à la FGTB.

Il reste que l’observateur exté­rieur peut dif­fi­ci­le­ment se défaire de l’idée que les négo­cia­teurs FGTB ont enté­ri­né ce pro­jet d’accord — faute de mieux — tout en sachant qu’ils seraient désa­voués par leur base, c’est-à-dire par les cen­trales syn­di­cales par­mi les­quelles le set­ca, la cen­trale la plus puis­sante, et les métal­los fla­mands avaient d’emblée opté pour le « non ». A. Deme­lenne et R. De Leeuw se sont donc retrou­vés dans une situa­tion où, devant l’opposition de leur base, ils ont dû reve­nir sur leur signa­ture5 et, pour évi­ter d’accroitre les ten­sions, lan­cer une série de grèves et de mani­fes­ta­tions dans l’espoir de pou­voir, par un rap­port de forces revi­go­ré, obte­nir une rené­go­cia­tion de ce pro­jet d’AIP. En fait, la pres­sion exer­cée notam­ment par la FGTB sur le PS a per­mis d’amender quelque peu les mesures prises, in fine, par un gou­ver­ne­ment en affaires cou­rantes et adop­tées au Par­le­ment, mais FGTB et cgslb ont main­te­nu leur oppo­si­tion à ces mesures.

Outre ces ten­sions en leur sein, CSC et FGTB ont opté pour des stra­té­gies incon­ci­liables : accord, « sans enthou­siasme » il est vrai, de la majo­ri­té de la CSC, refus et actions publics d’opposition à la FGTB allant jusqu’à une jour­née d’action natio­nale le 4 mars. Seules les cen­trales d’employés de la CSC ont, elles aus­si, orga­ni­sé des actions de pro­tes­ta­tion. La frac­ture du front com­mun aurait sans doute pu quelque peu se résor­ber à l’occasion de la mani­fes­ta­tion du 24 mars orga­ni­sée par la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats (CES) à Bruxelles pour pro­tes­ter contre les inten­tions de la Com­mis­sion et des diri­geants de l’Union ciblant un cer­tain nombre d’acquis sociaux et, notam­ment, l’indexation auto­ma­tique des salaires. Ce ne fut pas le cas.

On en remet une couche

Le 24 mars, alors qu’il était pré­vu d’organiser une concen­tra­tion rue de la Loi, la FGTB décide de pro­cé­der à plu­sieurs ras­sem­ble­ments en des points sen­sibles de la capi­tale avant de conver­ger vers la rue de la Loi, pro­vo­quant ain­si de mul­tiples embou­teillages. Outrée par ce qu’elle consi­dère comme une rup­ture de l’accord ini­tial, la CSC orga­nise, de son côté, une concen­tra­tion de ses mili­tants au Hey­sel. La rup­ture du front com­mun s’étale sur la place publique, défor­çant ain­si une mani­fes­ta­tion bien néces­saire de riposte aux pro­jets anti-sociaux des auto­ri­tés euro­péennes. Cette dis­sen­sion n’est d’ailleurs pas sans rap­pe­ler notam­ment celle appa­rue en 2005 à pro­pos du Pacte de soli­da­ri­té entre les générations.

La rup­ture du front com­mun a été cri­ti­quée dans une carte blanche publiée dans Le Soir6par deux membres des ins­tances natio­nales de la CSC et de la FGTB appe­lant à recons­ti­tuer, sans tar­der, le front com­mun. Encore fau­drait-il déter­mi­ner des objec­tifs com­muns pour s’engager à contrer effec­ti­ve­ment aus­si bien les pres­sions patro­nales que, plus lar­ge­ment, les attaques néo­li­bé­rales en pro­ve­nance des auto­ri­tés euro­péennes. Si la mésen­tente règne déjà chez nous7, com­ment la CES pour­rait-elle enclen­cher des poli­tiques et des stra­té­gies com­munes au niveau européen ?

À la suite des mani­fes­ta­tions des 4 et 24 mars, les deux orga­ni­sa­tions syn­di­cales ont échan­gé, début avril, des accu­sa­tions réci­proques, qu’il s’agisse pour la CSC de débau­chage d’affiliés par la FGTB ou, dans le chef de la FGTB, de paie­ment d’indemnités de grève par la CSC à des affi­liés ne par­ti­ci­pant pas à la mani­fes­ta­tion du 4 mars. Simul­ta­né­ment, dans cer­tains sec­teurs et entre­prises (notam­ment dans le métal), le début des dis­cus­sions en vue de la conclu­sion de conven­tions col­lec­tives de tra­vail (CCT) a don­né lieu à de sérieuses prises de bec entre délé­gués et mili­tants des deux orga­ni­sa­tions. En conclu­sion, les deux orga­ni­sa­tions décident d’affréter des char­ters dis­tincts en vue de par­ti­ci­per, sépa­ré­ment, à la mani­fes­ta­tion du 9 avril à Buda­pest à l’initiative de la CES.

Un début de réconciliation ?

À la suite des remous déclen­chés par cette esca­lade dans la polé­mique, les diri­geants de la FGTB et de la CSC ont fini par se rendre compte qu’il fal­lait poser des balises de récon­ci­lia­tion. Ils se sont donc ren­con­trés à deux reprises avant le 9 avril, en toute dis­cré­tion. Il en est résul­té une appa­rente accal­mie, cha­cun s’efforçant de recom­man­der à ses affi­liés une atti­tude cor­recte envers les autres. Si donc les dif­fé­rends semblent offi­ciel­le­ment apla­nis et si l’on a pré­pa­ré ensemble le Congrès de la CES fin mai à Athènes, les stra­té­gies visant à atteindre des objec­tifs com­muns res­tent dif­fé­rentes. Au sein de la CES, la CSC conti­nue à pri­vi­lé­gier le dia­logue, voire la négo­cia­tion avec les ins­tances euro­péennes et le patro­nat de Busi­ness Europe, la FGTB optant davan­tage pour un rap­port de force basé sur l’action au début ou en cours de négo­cia­tion. Ces diver­gences stra­té­giques per­sis­tantes sont aigui­sées par la pers­pec­tive des élec­tions sociales de 2012 qui com­mence à agi­ter délé­gués et mili­tants des deux orga­ni­sa­tions. Il s’agit, dans les entre­prises et lors des négo­cia­tions sec­to­rielles, mais aus­si devant les médias, d’apparaitre comme l’organisation qui, à sa manière, défend le mieux les inté­rêts des tra­vailleurs. Cette concur­rence risque sans nul doute de s’exacerber dans les mois à venir, que ce soit dans l’escalade de reven­di­ca­tions ou dans le pas­sage à l’action dont les négo­cia­tions pour la conclu­sion de CCT pour­raient être le catalyseur.

Or la recons­truc­tion d’un front com­mun solide, réan­cré chez les mili­tants, me paraît d’autant plus néces­saire que des échéances dif­fi­ciles se pro­filent. D’une part, même si d‘aventure venait à naitre un gou­ver­ne­ment fédé­ral de plein exer­cice, les bud­gets d’ici 2015 risquent de don­ner lieu à des poli­tiques d’austérité tou­chant plus ou moins la sécu­ri­té sociale et les poli­tiques sociales en géné­ral au gré de la coa­li­tion for­mée, sans pré­ju­ger de ce que pour­rait réser­ver leur régio­na­li­sa­tion même par­tielle. Mar­chés finan­ciers, agences de nota­tion, spé­cu­la­teurs et tut­ti quan­ti pour­raient encore alour­dir la barque en cas de désac­cord ins­ti­tu­tion­nel per­sis­tant. D’autre part, la CES et ses orga­ni­sa­tions sont confron­tées à une vague de poli­tiques anti­so­ciales avec leurs effets sur l’emploi résul­tant d’une volon­té de « moder­ni­sa­tion » économique.

Marc Lee­mans vient d’être élu — sur pro­po­si­tion du bureau natio­nal — par le Conseil géné­ral de la CSC pour suc­cé­der dès jan­vier 2012 à Luc Cor­te­beeck. Il lui revien­dra sans doute à la fois de ren­for­cer la cohé­sion interne de la CSC en apla­nis­sant les dis­sen­sions entre cen­trales à la suite du vote sur le pro­jet d’AIP et de renouer les fils du dia­logue avec la FGTB dans une conjonc­ture déli­cate vu les élec­tions sociales de 2012. Par ailleurs, les futures poli­tiques d’austérité appellent sans doute les deux syn­di­cats à dépas­ser leurs diver­gences pour ripos­ter de concert aux atteintes éven­tuelles aux inté­rêts de l’ensemble des tra­vailleurs. L’avenir nous dira si l’amorce de récon­ci­lia­tion ébau­chée début avril pour­ra prendre racine et donc dépas­ser les seuls effets d’une com­mu­ni­ca­tion pure­ment médiatique.

  1. Voir M. Capron, « Un accord inter­pro­fes­sion­nel sau­vé du nau­frage ? », La Revue nou­velle, mars 2011, p. 6 – 10.
  2. Voir M. Capron, « L’échec de la négo­cia­tion inter­pro­fes­sion­nelle pour 2011 – 2012 », Cour­rier heb­do­ma­daire, Crisp, à paraitre en juin.
  3. C’est la thèse sou­te­nue par W. Pau­li, « De bocht van de vak­bond », De Mor­gen, 11 février 2011, p. 12.
  4. P. Win­dey, « Een week mee ach­ter de scher­men van het IPA », De Gids op maat­schap­pe­lijk gebied, mars 2011, p. 1 – 6. Il pré­cise notam­ment qu’en l’absence de toutes les don­nées néces­saires en matière d’harmonisation des sta­tuts, les négo­cia­teurs se sont enga­gés ensemble et ont pris des risques : « De onde­rhan­de­laars van het ont­werp-ipa heb­ben zich samen geën­ga­geerd, de sprong gewaagd, het risi­co geno­men » (p. 6).
  5. Il était tou­te­fois clair que ce pro­jet d’accord n’engageait les négo­cia­teurs que pour autant qu’il soit approu­vé par les ins­tances qui les avaient man­da­tés. Ce n’est pas la pre­mière fois que les diri­geants de la FGTB sont sèche­ment rap­pe­lés à l’ordre par des cen­trales pro­fes­sion­nelles culti­vant jalou­se­ment leur auto­no­mie, notam­ment financière.
  6. Sous le titre « Il faut recons­truire, vite et bien, l’unité d’action du mou­ve­ment syn­di­cal », Le Soir, 23 mars 2011. 
  7. Voir à ce sujet les réflexions cri­tiques de L. Cic­cia, « Le front com­mun est mort, vive le front com­mun », Poli­tique, n° 70, mai-juin 2011, p. 8 – 9.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.