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Courte histoire culturelle et industrielle des jeux vidéo

Numéro 1 - 2020 - histoire industrie culturelle jeux vidéo par Julien Annart

janvier 2020

Indus­trie cultu­relle gigan­tesque, les jeux vidéo sont un outil pré­cieux pour com­prendre notre réel en cours de numé­ri­sa­tion accé­lé­ré. Ils résultent d’une longue his­toire où se croisent tech­no­lo­gies, modèles indus­triels et éco­no­miques ain­si qu’artisanat cultu­rel voire artis­tique. Retour sur cette histoire.

Article

Avant-propos

Cet article est le compte ren­du modi­fié et enri­chi de six confé­rences don­nées à l’Iselp en jan­vier et février 2019 dans le cadre de l’exposition « Games & Poli­tics » (Goethe Ins­ti­tut & ZKM Karls­ruhe). Il adopte, à pro­pos du jeu vidéo, un angle his­to­rique et chro­no­lo­gique et sou­haite aus­si rele­ver les enjeux cultu­rels et indus­triels du média. Nous uti­li­sons à plu­sieurs reprises l’idée du « tri­angle des néces­si­tés » ins­pi­ré par Phi­lo­so­phie du jeu vidéo de Mathieu Tri­clot (2011), c’est-à-dire l’interaction entre pro­duc­teurs, contraintes tech­no­lo­giques et modèle économique.

1947 – 1972 : avant l’industrie commerciale

Les ori­gines du jeu vidéo se confondent avec celles de l’informatique. Si la recherche a beau­coup pro­gres­sé ces der­nières années, il demeure dif­fi­cile d’établir exac­te­ment une date de début, notam­ment parce qu’il n’existe pas aujourd’hui d’unanimité pour défi­nir ce qui consti­tue pré­ci­sé­ment un jeu vidéo.

Autre dif­fi­cul­té, les pre­mières formes de jeux vidéo sont sur­tout pen­sées comme des tests ou des démons­tra­tions tech­niques, le plus sou­vent démon­tées sans lais­ser de traces, leurs auteurs demeu­rant incons­cients de l’importance his­to­rique de leur créa­tion. Nous pou­vons tou­te­fois iso­ler quelques jeux et dates. Par exemple le Cathode-ray tube amu­se­ment device de Tho­mas Toli­ver Gold­smith Jr. et Estle Ray Mann en 1947, pre­mier jeu bre­ve­té, et Tur­bo­champ d’Alan Turing et David Gawen Cham­per­nowne en 1948. Mais ni l’un, ni l’autre ne dépas­se­ront le stade du pro­to­type. Les années sui­vantes voient appa­raitre plu­sieurs pro­grammes plus ou moins fonc­tion­nels, met­tant en scène pour la plu­part des jeux tra­di­tion­nels : les échecs, le jeu de dames, oxo…

En 1958, Willy Higin­bo­tham, un ingé­nieur au Broo­kha­ven Natio­nal Labo­ra­to­ries de New-York, met au point Ten­nis for Two pour diver­tir les visi­teurs lors d’une jour­née portes ouvertes. Affi­chant une par­tie de ten­nis vue de pro­fil sur un écran à oscil­lo­scope, le pro­gramme, révo­lu­tion­naire à bien des égards, annonce nombre de carac­té­ris­tiques des jeux à venir. Il rem­porte d’ailleurs un grand suc­cès auprès du public pré­sent. Mais, à nou­veau, incons­cient de l’importance de sa créa­tion, Higin­bo­tham ne cherche ni à la bre­ve­ter ni à la diffuser.

Quelques années plus tard, entre décembre 1961 et avril 1962, un groupe d’étudiants et d’employés du MIT se met en tête de créer un pro­gramme pour tes­ter le nou­vel ordi­na­teur que le labo­ra­toire vient de rece­voir. Steve Rus­sell, Mar­tin Graetz et Wayne Wii­ta­nen ont l’idée de Spa­ce­war !, un jeu de com­bat spa­tial impli­quant deux joueurs diri­geant cha­cun un vais­seau tirant sur l’autre en essayant d’éviter l’attraction d’un trou noir au centre de l’écran. Mais le tra­vail de créa­tion est col­lec­tif et de nom­breux autres inter­ve­nants viennent amé­lio­rer le jeu dans une optique col­la­bo­ra­tive et ouverte selon l’esprit « hacker1 » à l’œuvre dans la région. Le suc­cès du jeu est tel qu’il se dif­fu­se­ra les années sui­vantes au sein des autres uni­ver­si­tés amé­ri­caines munies d’ordinateurs dans des ver­sions sou­vent modi­fiées et amé­lio­rées par les usa­gers eux-mêmes.

En appli­quant le « tri­angle des néces­si­tés » à ces pre­mières années du média, plu­sieurs conclu­sions viennent à l’esprit. Si l’on ana­lyse les pro­duc­teurs, il faut consta­ter qu’ils sont presque exclu­si­ve­ment des ingé­nieurs ou des cher­cheurs en infor­ma­tique issus du monde uni­ver­si­taire anglo-saxon. De la même manière, les contraintes tech­no­lo­giques (com­plexi­té de créa­tion, rare­té et cout des machines) prennent une telle impor­tance que la pro­duc­tion ne peut venir que des labo­ra­toires et des uni­ver­si­tés. Tout comme le modèle éco­no­mique, pen­sé comme ouvert avec la volon­té de dis­tri­buer les pro­grammes, de par­ta­ger libre­ment les savoirs.

Ces trois aspects de la situa­tion de pro­duc­tion des pre­miers jeux vidéo lors des trois pre­mières décen­nies du média expliquent l’importance de thé­ma­tiques ins­pi­rées de la lit­té­ra­ture de science-fic­tion, cou­rante sur les cam­pus de l’époque, ain­si que de l’ambiance de guerre froide dans laquelle baignent ces labo­ra­toires infor­ma­tiques dont les recherches y sont liées de près ou de loin. Rien d’étonnant non plus à la com­plexi­té des com­mandes de la plu­part des jeux, pen­sés pour d’autres cher­cheurs ou ingé­nieurs. Nous ne man­que­rons pas non plus d’observer qu’il s’agit tous d’hommes blancs. Ce point reste à déve­lop­per à l’avenir tant les tra­vaux de Meh­di Der­fou­fi et d’Isabelle Col­let ont mon­tré que la contri­bu­tion des non-Occi­den­taux et des femmes a été négli­gée et invisibilisée.

1971 – 1983 : l’arcade comme lancement d’une industrie

Spa­ce­war ! va ins­pi­rer deux entre­prises qui en ima­ginent une ver­sion avec mon­nayeur, sur le modèle des flip­peurs. Com­pu­ter Recrea­tions Inc. pro­duit Galaxy Game en sep­tembre 1971, un pro­to­type de cabine de jeu qui ren­contre un grand suc­cès sur le site de l’université de Stand­ford où il est expo­sé. Tan­dis que Nut­ting Asso­ciates pro­duit Com­pu­ter Space, conçu par Syzy­gy Engi­nee­ring, deux mois plus tard, qui, lui, sera fabri­qué puis ven­du à plus d’un mil­lier d’exemplaires. Le suc­cès com­mer­cial cor­rect encou­rage Nut­ting Asso­ciates à conti­nuer la créa­tion de jeux vidéo, mais un désac­cord avec les deux employés de Syzy­gy Engi­nee­ring met fin à leur par­te­na­riat. Ces deux employés, Nolan Bush­nell et Ted Dab­ney, décident alors de fon­der une autre socié­té, Ata­ri, et d’y enga­ger Al Alcorn pour créer leur nou­veau jeu : Pong.

Sor­ti en 1972, Pong marque un tour­nant dans l’histoire du média. Repré­sen­tant en formes géo­mé­triques simples un match de ten­nis de table vu du des­sus, le jeu per­met de don­ner des effets à la balle qui, sur­tout, prend de la vitesse au fur et à mesure de l’échange. Pen­sé pour prendre place au sein de l’industrie des diver­tis­se­ments de café, domi­née alors par les flip­peurs, le suc­cès de Pong dépasse toutes les attentes et change cette indus­trie pour en créer une nou­velle. Le mar­ché du jeu vidéo d’arcade est alors sub­mer­gé de clones, une carac­té­ris­tique de l’industrie tou­jours sen­sible au suc­cès et à la recherche de for­mules. Esthé­ti­que­ment, les jeux font preuve d’une grande abs­trac­tion dans leur repré­sen­ta­tion des évè­ne­ments impli­quant les joueurs en rai­son des limites tech­niques. Tout se concentre autour du mou­ve­ment de quelques car­rés, des pixels. L’action pro­po­sée est simple, mais immé­diate, sans véri­table inter­mé­diaire (his­toire, cadre, per­son­nages…) entre le jeu et le joueur. Fon­da­men­ta­le­ment, les jeux vidéo de cette époque sont lit­té­ra­le­ment du mou­ve­ment et de l’action.

En 1978, le suc­cès déme­su­ré de Space Inva­ders (Tai­to, 1978), par­ti­cu­liè­re­ment inno­vant, ouvre un véri­table âge d’or créa­tif durant lequel les socié­tés riva­lisent d’imagination pour se dis­tin­guer dans un mar­ché qui ne cesse de gran­dir : Space Inva­ders (Tai­to, 1978), Galaxian (Nam­co, 1979), Aste­roids (Ata­ri, 1979), Bat­tle­zone (Ata­ri, 1980), Mis­sile Com­mand (Ata­ri, 1980), Defen­der (Williams, 1980), Pac-Man (Nam­co, 1980), Don­key Kong (Nin­ten­do, 1981), Frog­ger (Kona­mi, 1981), Qix (Tai­to, 1981), Dig Dug (Nam­co, 1982), Q*Bert (Got­tlieb, 1982), Joust (Williams, 1982), Zaxxon (Sega, 1982), Dragon’s Lair (Cine­ma­tro­nics, 1983), Track & Field (Kona­mi, 1983)… Tou­te­fois, après la seconde moi­tié des années 1980, l’arcade marque le pas et, même si de nom­breux clas­siques émergent encore, dont le phé­no­mène de socié­té Street Figh­ter II (Cap­com, 1991), recule pro­gres­si­ve­ment jusqu’à deve­nir un mar­ché de niche à l’aube des années 2000.

Space Inva­ders et Pac-Man sont un tour­nant par­ti­cu­lier en ins­tau­rant des embryons de nar­ra­tion. Ils des­sinent des uni­vers, tou­jours sous influence du ciné­ma et de la bande des­si­née, mais mus par des méca­nismes propres. Le fait que dans Space Inva­ders le temps de jeu ne soit plus indi­qué par un chro­no­mètre, mais maté­ria­li­sé par le dépla­ce­ment pro­gres­sif des enne­mis ain­si que la volon­té de ceux-ci de répondre aux tirs du joueur créent un nou­veau type de jeu. Pac-Man impose, lui, un concept évident, un game­play2 réduit aux dépla­ce­ments, enfin la volon­té de rendre le jeu acces­sible à tous par un tra­vail sur les cou­leurs, les sons, la pro­gram­ma­tion du com­por­te­ment des enne­mis et les petites say­nètes entre les stages où chaque per­son­nage du jeu semble doté d’une per­son­na­li­té propre et atta­chante pour les joueurs. Ces carac­té­ris­tiques ont été patiem­ment construites par Tōru Iwa­ta­ni (1955), le desi­gneur du jeu, pour plaire à cha­cun et en par­ti­cu­lier aux femmes qui com­mencent à déser­ter les salles d’arcade. Son suc­cès immense va défi­ni­ti­ve­ment décloi­son­ner le jeu vidéo et l’imposer auprès du grand public, notam­ment par une exploi­ta­tion de l’univers de Pac-Man sur d’autres médias (des­sins ani­més, bandes des­si­nées, objets de mer­chan­di­sing, musique…).

Autre effet majeur du gigan­tesque suc­cès du jeu vidéo d’arcade, le déve­lop­pe­ment du jeu vidéo domes­tique. Si la pre­mière console domes­tique est com­mer­cia­li­sée dès 1972 par Magna­vox3, ce n’est qu’après le suc­cès de Pong que se mul­ti­plient les « consoles Pong », dédiées à faire tour­ner un clone du suc­cès d’Atari. En 1975, Ata­ri et Sears com­mer­cia­lisent leur propre ver­sion, la Home Pong, au suc­cès énorme qui marque un nou­veau tour­nant pour l’industrie. Tour­nant confir­mé dans un pre­mier temps par la revente d’Atari à War­ner pour 28 mil­lions de dol­lars en octobre 19764 puis par la mise sur le mar­ché en 1977 de l’Atari VCS. L’arrivée d’une Major du ciné­ma ain­si que d’autres concur­rents comme Mat­tel ou Phi­lipps indiquent le chan­ge­ment d’échelle et l’importance nou­velle du média.

Quant à l’Atari VCS, elle ren­contre un suc­cès qui dépasse toutes les attentes, mal­gré ses faibles capa­ci­tés tech­niques. Si la plu­part de ses jeux adaptent les suc­cès de l’arcade avec un ren­du dégra­dé, mais en repre­nant leur esprit, des expé­riences dif­fé­rentes voient aus­si le jour, comme Adven­ture (Ata­ri, 1979), le pre­mier jeu d’action-aventure, très ins­pi­ré de Colos­sal Cave Adven­ture (William Crow­ther, 1976), sor­ti peu avant sur micro-ordi­na­teur. Mais la sur­abon­dance de titres publiés, la médio­cri­té de la plu­part d’entre eux et leur manque de dif­fé­ren­cia­tion finissent par entrai­ner un effon­dre­ment du mar­ché, le fameux « krach du jeu vidéo de 19835 ». Les maga­sins de jouets, prin­ci­paux canaux de dis­tri­bu­tion des consoles, et les ana­lystes éco­no­miques se méprennent sur le sens de cet évè­ne­ment et pensent que la mode du jeu vidéo est pas­sée. Les prix sont alors sévè­re­ment bais­sés, ce qui accen­tue les dif­fi­cul­tés du sec­teur. Mais d’autres acteurs ont déjà com­men­cé à prendre place et vont, à nou­veau, révo­lu­tion­ner le média.

Déter­mi­nant pour l’industrie, l’impact des évè­ne­ments vidéo­lu­diques entre 1972 et 1983 demeure visible encore aujourd’hui. Des trois pointes du « tri­angle des néces­si­tés », le modèle éco­no­mique incarne le mieux ces chan­ge­ments avec le pas­sage d’une optique de défi tech­nique à un diver­tis­se­ment pour le grand public et, sur­tout, le pas­sage de pro­duc­tions ouvertes à la modi­fi­ca­tion et à la dif­fu­sion libre à des archi­tec­tures fer­mées et com­mer­ciales. Pour mettre en place cette indus­trie du diver­tis­se­ment, le jeu vidéo d’arcade s’inspire de ses pré­dé­ces­seurs directs, les flip­peurs. Il entre­tient avec eux une conti­nui­té éco­no­mique et indus­trielle directe. Comme les flip­peurs, et comme le ciné­ma, le jeu vidéo en tant qu’industrie nait dans les foires. Mais cette nais­sance sur des « bornes com­munes », comme le ciné­ma offre des « écrans com­muns », résulte aus­si de contraintes tech­no­lo­giques, notam­ment le cout et la com­plexi­té du matériel.

Le modèle éco­no­mique, des bornes louées ou ven­dues à des exploi­tants qui doivent les ren­ta­bi­li­ser, incite à des par­ties durant les­quelles les joueurs déposent de nom­breuses pièces. Avec une consé­quence directe sur le game desi­gn6 qui pousse le concept d’accélération du jeu à la manière de Pong jusqu’à plon­ger le joueur dans un état second. État concep­tua­li­sé deux décen­nies aupa­ra­vant par le socio­logue Roger Caillois comme le ver­tige, l’ilinx. D’autres ajouts découlent aus­si de ce besoin éco­no­mique, comme le high-score puis le clas­se­ment et la pos­si­bi­li­té d’y ins­crire son nom, la com­pé­ti­tion aug­men­tant le nombre de joueurs et créant toute une culture autour de ces records7. Der­nier point et non des moindres, une esthé­tique accro­cheuse pour atti­rer les joueurs, notam­ment par des gra­phismes tape-à‑l’œil et des per­for­mances tech­niques à même de dis­tin­guer la borne de ses voi­sines ali­gnées les unes à côté des autres. La per­for­mance tech­nique et la recherche de pho­to­réa­lisme demeu­re­ront pen­dant des décen­nies à la fois le mètre éta­lon de l’industrie pour juger les jeux et un objec­tif jamais réel­le­ment remis en ques­tion pour la majo­ri­té des créateurs.

Enfin, les pro­duc­teurs res­tent majo­ri­tai­re­ment des infor­ma­ti­ciens, mais les entre­prises prennent le relai des uni­ver­si­tés comme cadre ins­ti­tu­tion­nel de pro­duc­tion. Autre chan­ge­ment notable, com­mun à toutes les indus­tries liées à l’informatique, le retrait numé­rique des femmes, très pré­sentes dans les années 1950 et 19608, encore nom­breuses dans la pro­duc­tion de jeux vidéo dans les années 1970 et qua­si­ment dis­pa­rues dès le début des années 1980.

1983 – 1994 : le jeu domestique comme nouveau paradigme

Dès la fin des années 1970, le Japon a conquis une place de choix par­mi les pro­duc­teurs de jeux vidéo, comme le montrent les suc­cès de Space Inva­ders et Pac-Man. Nin­ten­do, un très ancien acteur du sec­teur des jeux de cartes et des jouets, déjà auteur de jeux vidéo et de jouets élec­tro­niques, va bou­le­ver­ser l’industrie avec une nou­velle console : la NES pour Nin­ten­do Enter­tain­ment Sys­tem ou Famit­su au Japon. Mise sur le mar­ché en 1983, la console est d’abord pen­sée autour d’un prix le plus bas pos­sible pour des per­for­mances cor­rectes dans l’ensemble. Second choix indus­triel de Nin­ten­do, l’obligation pour les jeux édi­tés sur sa pla­te­forme de pas­ser par un pro­ces­sus de cer­ti­fi­ca­tion afin d’obtenir le Nin­ten­do Seal of Qua­li­ty, une manière d’éviter la sur­pro­duc­tion comme la sur­abon­dance de clones, d’imposer une exclu­si­vi­té aux pro­duc­teurs et de contrô­ler les reve­nus géné­rés par les édi­teurs-tiers. En effet, contrai­re­ment aux consoles pré­cé­dentes, la plus-value s’est dépla­cée du hard­ware au soft­ware, des pla­te­formes aux jeux eux-mêmes, Nin­ten­do tou­chant un pour­cen­tage sur toutes les ventes réa­li­sées sur la NES.

Si les édi­teurs se bous­culent pour publier sur la console de Nin­ten­do, la socié­té japo­naise garan­tit aus­si son hégé­mo­nie9 par des séries propres conçues avec atten­tion et menées par des équipes recru­tées avec soin : Super Mario Bros (à par­tir de 1985), Zel­da (à par­tir de 1986), Metroid (à par­tir de 1986)… Le tout sous la hou­lette d’un trio vision­naire, aujourd’hui encore très lar­ge­ment recon­nu pour leur apport au média : le direc­teur Hiro­shi Yamau­chi (1927 – 2013), le res­pon­sable R&D Gun­pei Yokoi (1941 – 1997) et le game desi­gneur Shi­ge­ru Miya­mo­to (1952).

Cette hégé­mo­nie va être ren­for­cée avec la Game­boy (Nin­ten­do, 1989), une console por­table au suc­cès sans pré­cé­dent. Si le jeu vidéo por­table existe depuis 1979 avec la MB Micro­vi­sion puis 1980 avec les Nin­ten­do Game & Watch, la socié­té de Kyo­to trans­forme une pra­tique d’initiés en phé­no­mène de socié­té, sa console por­table et celles qui ont sui­vi se ven­dant à près de 120 mil­lions d’exemplaires. Le suc­cès de Nin­ten­do marque légè­re­ment le pas avec sa console sui­vante, la Super NES (1990), une console 16-bits dite de qua­trième géné­ra­tion. Nin­ten­do demeure lea­deur du sec­teur, mais la Mega Drive (Sega, 1988) arrache pra­ti­que­ment la moi­tié du mar­ché. Le modèle éco­no­mique reste iden­tique, mais on note­ra un cer­tain vieillis­se­ment du public, le mar­ke­ting visant doré­na­vant les adolescents.

Le suc­cès hors norme de Nin­ten­do est riche d’enseignements. Tout d’abord, le modèle éco­no­mique mis en place par Nin­ten­do va s’imposer jusqu’à aujourd’hui et res­ter domi­nant mal­gré de nom­breuses remises en ques­tion depuis une dizaine d’années. Tous les édi­teurs et pro­duc­teurs de consoles cher­che­ront doré­na­vant, sur le modèle de la socié­té japo­naise, à contrô­ler le plus stric­te­ment pos­sible la pro­duc­tion de valeur.

Ensuite, Nin­ten­do va impo­ser des stan­dards qua­li­ta­tifs très éle­vés en accor­dant un soin, et des bud­gets de pro­duc­tion, sans com­mune mesure avec les socié­tés pré­cé­dentes. En termes de desi­gn et de quan­ti­té d’idées, les jeux de la firme de Kyo­to demeurent des réfé­rences et Super Mario Bros une pièce mai­tresse du média. De la même manière, Nin­ten­do vise dès ses débuts vidéo­lu­diques à pro­duire une culture glo­bale, mélange d’éléments de cultures dif­fé­rentes, à même de par­ler aux dif­fé­rents mar­chés mon­diaux10. Pour cela, Nin­ten­do prend exemple sur Dis­ney et mélange ain­si, dans Super Mario Bros, des réfé­rences euro­péennes et japo­naises qui trouvent leur cohé­rence dans un game desi­gn liant des élé­ments à prio­ri disparates.

Enfin, Nin­ten­do vise un public jeune et doit pour cela se conci­lier les maga­sins de jouets pour y dis­tri­buer ses consoles ain­si que ses jeux. Mais l’industrie du jouet est une indus­trie très gen­rée, les rayons des maga­sins se divisent stric­te­ment en deux caté­go­ries : des gammes de cou­leurs sombres pour les gar­çons, des varia­tions autour du rose pour les filles. En Occi­dent, Nin­ten­do choi­sit le gris pour ses consoles 8‑bits et 16-bits tan­dis que Sega, son prin­ci­pal concur­rent, choi­si­ra le noir. On note­ra aus­si le nom de la console por­table de Nin­ten­do, autre suc­cès pla­né­taire des années 1990, le Game­boy. S’il n’a jamais été neutre en termes de genre, l’arcade était déjà majo­ri­tai­re­ment mas­cu­line, le jeu vidéo se voit, pour des rai­sons de mar­ke­ting et de dis­tri­bu­tion, soli­de­ment mas­cu­li­ni­sé dans l’imaginaire collectif.

Rétros­pec­ti­ve­ment affir­mer la conti­nui­té au sein de l’industrie des consoles, entre Ata­ri et Nin­ten­do, peut sem­bler évident ; il en va tout autre­ment pour les acteurs de l’époque. En effet, là où cer­tains ana­lystes de la crise de 1983 y voient la fin du jeu vidéo, d’autres pré­disent plu­tôt la fin des consoles au pro­fit de la micro-infor­ma­tique, qui se déve­loppe auprès du grand public à la même époque.

Grâce à la minia­tu­ri­sa­tion et à la baisse des couts, plu­sieurs machines arrivent sur les mar­chés occi­den­taux et japo­nais au début des années 1980 : Com­mo­dore 64, Amstrad CPC, Spec­trum, MSX, puis Com­mo­dore Ami­ga et Ata­ri ST… Une pro­fu­sion de machines dif­fé­rentes et incom­pa­tibles entre elles, à laquelle le PC met­tra pro­gres­si­ve­ment fin durant les années 1990 en s’imposant comme l’ordinateur per­son­nel de référence.

Le « tri­angle des néces­si­tés » de la micro-infor­ma­tique de l’époque est par­ti­cu­liè­re­ment éclai­rant sur les condi­tions et les formes de son déve­lop­pe­ment. Si les prix sont en baisse constante à par­tir du début des années 1970, le cout d’accès demeure éle­vé, ce qui réserve ce pro­duit à une cer­taine caté­go­rie sociale d’acheteurs. Très rapi­de­ment, les dépar­te­ments mar­ke­ting des dif­fé­rentes socié­tés for­mulent l’idée d’un « ordi­na­teur fami­lial » pour les classes moyennes et supé­rieures, utile pour tous, des enfants à la mère, mais sous l’autorité du père. Père qui lui accorde d’ailleurs sou­vent une place de choix dans son espace per­son­nel : le bureau à domi­cile. Les fonds pour l’achat d’un micro-ordi­na­teur sont donc pui­sés dans les éco­no­mies fami­liales, mais le client-cible, celui qui décide de l’acte d’achat, est iden­ti­fié comme le père. Les jeux déve­lop­pés le sont donc en fonc­tion de lui, pro­po­sant des méca­nismes plus adultes et des thé­ma­tiques néces­si­tant un bagage cultu­rel plus évo­lué, ce que la tech­no­lo­gie spé­ci­fique aux micro-ordi­na­teurs per­met, grâce à une plus grande puis­sance de cal­cul que celle des consoles et sur­tout grâce à la sau­ve­garde de ses par­ties, porte ouverte à des jeux plus longs. Ces deux points déter­minent en grande par­tie le pro­fil des pro­duc­teurs, par­ti­cu­liè­re­ment en Occi­dent : sou­vent de petites com­pa­gnies, spé­cia­li­sées dans des genres propres à la micro-infor­ma­tique (simu­la­tion, ges­tion, stra­té­gie, jeu à énigmes, aven­ture tex­tuelle…) et qui accordent une grande atten­tion aux pos­si­bi­li­tés et défis tech­niques offerts par ces supports.

Le jeu vidéo com­mer­cial se déve­loppe donc aus­si sur micro-ordi­na­teurs, mais les carac­té­ris­tiques que nous venons de décrire vont lui don­ner un visage dif­fé­rent de celui des salles d’arcade et des consoles qui sont plu­tôt spé­cia­li­sées dans l’action, l’aventure et le sport tan­dis que le jeu infor­ma­tique va offrir un autre panel de genres. Panel d’autant plus large que les réseaux de dif­fu­sion sont plus ouverts que celui des seuls maga­sins dédiés. Les créa­teurs et les joueurs sur infor­ma­tique déve­lop­pant des com­mu­nau­tés (clubs, réseaux de dif­fu­sion BBS11, salons, demos­cene12, sha­re­ware13…) qui encou­ragent la créa­ti­vi­té puisque les jeux n’y existent pas uni­que­ment en fonc­tion de leur poten­tiel suc­cès commercial.

Mais il fau­dra attendre le début des années 1990 pour que cette créa­ti­vi­té, tou­jours aus­si forte, mais doré­na­vant plus acces­sible, ren­contre un plus large public et donne nais­sance à des clas­siques qui vont bou­le­ver­ser l’industrie : Wing Com­man­der (Ori­gin Sys­tems, depuis 1990), Civi­li­za­tion (Micro­prose, depuis 1991), Ulti­ma Under­world (Ori­gin Sys­tems, 1991), Dune II (West­wood, 1992), Doom (id Soft­ware, depuis 1993), Myst (Cyan Worlds, depuis 1993)… Ces titres ins­crivent défi­ni­ti­ve­ment le PC comme une pla­te­forme de jeu, for­ma­lisent de nou­veaux genres et ouvrent le média à de nou­veaux publics, notam­ment le public fémi­nin14.

Cette décen­nie impose donc le jeu vidéo sur consoles et ordi­na­teurs en chan­geant radi­ca­le­ment le visage du média, à la fois avec un nou­veau modèle éco­no­mique fon­dé sur l’achat du sup­port du pro­gramme, par la pra­tique dans un espace domes­tique, par de nou­veaux genres ren­dus pos­sibles par les spé­ci­fi­ci­tés tech­niques des machines per­son­nelles et par de nou­velles inter­ac­tions por­tées par ces mêmes spécificités.

1994 – 2006 : une industrie culturelle

La décen­nie qui suit la confir­ma­tion du jeu domes­tique comme nou­vel espace de réfé­rence va connaitre trois chan­ge­ments consi­dé­rables15 d’un point de vue tech­no­lo­gique, indus­triel et créatif.

Indus­trie numé­rique dès ses ori­gines, por­tée par un ima­gi­naire tech­no­phile et une course à la puis­sance de cal­cul, le jeu vidéo a tou­jours regar­dé les chan­ge­ments tech­no­lo­giques comme posi­tifs en eux-mêmes. D’où sa faci­li­té à les adop­ter rapi­de­ment. Si inter­net tou­che­ra le grand public dans la seconde par­tie des années 1990, des jeux vidéo l’utilisent dès les années 1980. Et plu­sieurs suc­cès vidéo­lu­diques, dont Doom, vont beau­coup par­ti­ci­per à son adop­tion puis à son expan­sion. Et c’est rapi­de­ment inter­net qui chan­ge­ra le jeu vidéo, comme nous le ver­rons ci-dessous.

Autre chan­ge­ment tech­no­lo­gique impor­tant, la dif­fu­sion du CD puis du DVD. Avec leur for­mi­dable capa­ci­té de sto­ckage, ces sup­ports vont per­mettre l’éclosion d’autres jeux, plus com­plexes et plus riches en conte­nu, ain­si que l’arrivée de nou­veaux acteurs.

Par­mi ces nou­veaux jeux, un genre en par­ti­cu­lier va illus­trer les aveu­gle­ments tech­no­philes16 de l’industrie : le FMV17. Depuis tou­jours, le jeu vidéo uti­lise la com­pa­rai­son avec le ciné­ma, à la fois comme stra­té­gie de légi­ti­ma­tion avec une indus­trie cultu­relle accep­tée et comme éta­lon de réus­site éco­no­mique du média. Avec la pos­si­bi­li­té de pro­po­ser des films inter­ac­tifs, il offre un récit nou­veau, de dépas­se­ment et de pro­grès, pour se valo­ri­ser. Las, les jeux FMV offrent bien peu d’interactions et, pour des rai­sons de cout, pro­posent sou­vent un spec­tacle médiocre.

Mais le chan­ge­ment le plus impor­tant appor­té par le CD n’est pas tech­no­lo­gique, même s’il y est lié, il est indus­triel. En effet, par­mi les nom­breux acteurs qui se lancent sur le mar­ché des consoles CD (Phi­lipps, Pana­so­nic…), un acteur de poids se dis­tingue : Sony, co-inven­teur du sup­port. Et sur­tout, mul­ti­na­tio­nale gigan­tesque aux reve­nus diver­si­fiés et aux moyens sans com­mune mesure avec Sega, Nin­ten­do ou Ata­ri, les acteurs tra­di­tion­nels du mar­ché des consoles. Une dif­fé­rence qui va très vite se mar­quer avec une cam­pagne mar­ke­ting autour de la PlayS­ta­tion (à par­tir de 1994) dif­fé­rente, s’adressant au public des jeunes adultes18 qui tra­di­tion­nel­le­ment délais­saient le loi­sir vidéo­lu­dique lors de l’entrée aux études ou dans la vie pro­fes­sion­nelle. Le suc­cès gigan­tesque de cette console sera fatal à Ata­ri puis à Sega, obli­ge­ra Nin­ten­do à se repo­si­tion­ner et inci­te­ra fina­le­ment Micro­soft à entrer dans ce sec­teur avec la Xbox (2001). Micro­soft, un autre géant éco­no­mique en quête de diver­si­fi­ca­tion. Et de place dans le salon pour y dis­tri­buer ses pro­duits via une console qui se résume à un ordi­na­teur plus simple d’accès, mais aus­si connec­té à inter­net. D’ailleurs, les consoles deviennent rapi­de­ment des pla­te­formes mul­ti­mé­dias comme l’illustre le suc­cès encore plus impor­tant de la PlayS­ta­tion 2 (2000), pous­sé notam­ment par le lec­teur DVD intégré.

Les enjeux éco­no­miques et indus­triels changent donc au tour­nant des années 2000, ce que la série Call of Duty (Acti­vi­sion, depuis 2003) va illus­trer. Call of Duty se classe dans la caté­go­rie des FPS19, un genre majeur du média. L’originalité de la série, qui pro­pose de revivre les grandes batailles de la Seconde Guerre mon­diale, mais aus­si de conflits plus récents, tient à une vision très spec­ta­cu­laire de la chose mili­taire. Vision qui n’est pas sans pro­po­ser une lec­ture du réel proche des idées néo­con­ser­va­trices. Son impact, consi­dé­rable, tient sur­tout à un suc­cès gigan­tesque, 300 mil­lions d’exemplaires ven­dus depuis le pre­mier épi­sode, qui ne doit rien au hasard. Acti­vi­sion pro­duit, en effet, un épi­sode par an, dif­fu­sé à la fin de l’année civile, pré­cé­dé d’une cam­pagne mar­ke­ting digne des block­bus­ters hol­ly­woo­diens, réa­li­sé par plu­sieurs stu­dios, conçu pour les hard­core gamers20 et accom­pa­gné de nom­breux sup­plé­ments payants. Enfin, contrai­re­ment à l’ancienne habi­tude d’utiliser des licences d’autres indus­tries cultu­relles, l’éditeur pos­sède tous les droits sur la série, de manière à conser­ver la main sur toutes les formes de valeur pro­duites. L’industrialisation du pro­ces­sus pro­duc­tif prend des pro­por­tions jamais vues et devient un modèle qui s’impose auprès des plus grands édi­teurs : le Triple‑A21. Soit l’équivalent du block­bus­ter hollywoodien.

Der­nier bou­le­ver­se­ment indus­triel majeur de la décen­nie, l’arrivée de Steam sur PC. Déve­lop­pé par le stu­dio Valve et lan­cé en 2002, ce pro­gramme vise au départ à mettre à jour les jeux du stu­dio amé­ri­cain, mais va rapi­de­ment se trans­for­mer en maga­sin en ligne au suc­cès tel qu’il ins­tal­le­ra depuis un mono­pole de fait sur la vente des jeux PC. Mono­pole qui fera dis­pa­raitre la vente phy­sique des jeux sur ce sup­port et encou­ra­ge­ra les autres acteurs du sec­teur à accé­lé­rer la déma­té­ria­li­sa­tion du média.

Ce cadre tech­no­lo­gique et indus­triel va accom­pa­gner un der­nier bou­le­ver­se­ment, créa­tif cette fois-ci. Comme nous l’avons vu, le suc­cès du jeu vidéo domes­tique a don­né nais­sance à de nom­breux genres. Dix années plus tard, cette créa­ti­vi­té va se for­ma­li­ser en une série de clas­siques, des jeux-réfé­rences qui, sans jamais être les pre­miers de leur genre, portent à matu­ri­té les idées appa­rues sur micro-ordi­na­teurs et consoles. Tomb Rai­der (Core Desi­gn, depuis 1996) impose la 3D pour le jeu d’aventure et crée sur­tout une nou­velle icône du jeu vidéo avec Lara Croft ; Ulti­ma Online (Ori­gin Sys­tems, depuis 1997) puis Ever­quest (Verant Inter­ac­tive & 989 Stu­dios, depuis 1999) et World of War­craft (Bliz­zard Enter­tain­ment, depuis 2004) trans­forment le MMO22 en triomphe éco­no­mique ; Star­craft (Bliz­zard Enter­tain­ment, depuis 1998) signe le som­met com­mer­cial du jeu de stra­té­gie et devient un phé­no­mène de socié­té en Corée du Sud où il s’organise en sport, annon­cia­teur du suc­cès mon­dial actuel de l’esport ; Resident Evil (Cap­com, depuis 1996) et Silent Hill (Kona­mi, depuis 1999) imposent le jeu d’horreur comme un genre majeur ; Metal Gear Solid (Kona­mi, depuis 1998) ouvre de nou­velles pers­pec­tives en inci­tant à l’infiltration et à l’évitement du com­bat ain­si que par un dis­cours com­plexe sur son média au sein d’un jeu grand public ; ICO (SCE Japan Stu­dio & Team Ico, 2001) et REZ (Sega, 2001) pro­posent des expé­riences esthé­tiques stu­pé­fiantes et attirent l’attention de médias géné­ra­listes qui com­mencent à par­ler autre­ment de ces jeux artis­ti­que­ment ambi­tieux ; Half-Life (Valve, 1998) bou­le­verse le média par la puis­sance de sa nar­ra­tion réa­li­sée par les seuls codes du jeu vidéo puis démo­cra­tise les mods23 avec Coun­ter-Strike (Minh « Goo­se­man » Le & Jess Cliffe, 1999) dont le suc­cès influen­ce­ra lui aus­si le déve­lop­pe­ment de l’esport ; Grand Theft Auto III (DMA Desi­gn, 2001) va géné­ra­li­ser le genre du « jeu bac à sable » aus­si appe­lé « monde ouvert » dans lequel le joueur déam­bule libre­ment au sein du jeu pour y réa­li­ser ce qu’il sou­haite à son rythme…

Ces trois chan­ge­ments, tech­no­lo­gique, indus­triel et créa­tif, imposent défi­ni­ti­ve­ment le jeu vidéo comme une indus­trie cultu­relle, qui se conçoit comme telle, en concur­rence avec la télé­vi­sion et le ciné­ma24. Les géants du jeu vidéo déploient des moyens finan­ciers et tech­no­lo­giques consi­dé­rables pour impo­ser leur sup­port au sein du salon fami­lial, bien conscients que les consoles peuvent doré­na­vant deve­nir des pla­te­formes cen­trales pour la dif­fu­sion de toutes les autres indus­tries culturelles.

2006 à aujourd’hui : enjeux d’une industrie numérique

En sui­vant le calen­drier habi­tuel de sor­tie des consoles, treize années repré­sentent tra­di­tion­nel­le­ment deux géné­ra­tions dans l’industrie vidéo­lu­dique. Soit une période par­ti­cu­liè­re­ment longue que nous n’allons pas détailler ici, mais dont nous allons essayer de tra­cer les grandes lignes. Outre la confir­ma­tion des ten­dances décrites dans les para­graphes pré­cé­dents, deux faits marquent l’industrie depuis 2006 : l’arrivée ou plu­tôt l’attention enfin por­tée à de nou­veaux joueurs et joueuses, les casual gamers25, et l’émergence de nou­veaux enjeux média­tiques, poli­tiques et cultu­rels, soit autant de conflits qui secouent un sec­teur habi­tué à don­ner de lui-même une image uniforme.

Au milieu des années 2000, bous­cu­lé par les moyens de Sony et de Micro­soft sur le mar­ché des consoles, Nin­ten­do est obli­gé de se repo­si­tion­ner pour ne pas subir le même sort que Sega, concur­rent his­to­rique obli­gé de quit­ter le sec­teur en 2001. Avec sa console Wii (2006), la firme de Kyo­to vise son public tra­di­tion­nel, les familles, mais touche aus­si des consom­ma­teurs nou­veaux, les fameux « joueurs occa­sion­nels », avec une tech­no­lo­gie fon­dée sur la détec­tion de mou­ve­ments. Une manière de jouer plus évi­dente pour ceux qui ne pos­sèdent pas de culture vidéo­lu­dique. Et l’énorme suc­cès com­mer­cial, en par­ti­cu­lier auprès des publics fémi­nin et sénior, tra­di­tion­nel­le­ment négli­gés par l’industrie, confirme le pari de Nintendo.

C’est ensuite au tour d’Apple (2007) puis de Google (pro­gres­si­ve­ment entre 2008 et 2012) de se lan­cer dans la dis­tri­bu­tion de jeux via leur pla­te­forme de vente en ligne dédiée aux smart­phones. Le suc­cès déme­su­ré de l’iPhone trans­forme, en effet, ce nou­veau sup­port numé­rique en eldo­ra­do pour les pro­duc­teurs de jeux vidéo, le prin­ci­pal type de pro­gramme qui y est téléchargé.

S’il est au départ accueilli avec l’espoir de faire sor­tir l’industrie vidéo­lu­dique de cer­tains de ses car­cans et d’amener de nou­veaux usa­gers vers cette culture, le casual gaming va rapi­de­ment révé­ler ses par­ti­cu­la­ri­tés. Ses joueurs recherchent des expé­riences légères et courtes, ce que montre l’échec com­mer­cial des jeux tra­di­tion­nels sur ces pla­te­formes. Ensuite, le cadre tech­no­lo­gique de ces sup­ports, motion gaming et touch gaming26, limite gran­de­ment le type de jeux qu’il est pos­sible d’y déve­lop­per. Enfin, les joueurs occa­sion­nels vont très vite se mon­trer capables d’acheter des smart­phones à des prix consé­quents, mais peu dési­reux de payer pour leurs jeux vidéo.

La com­bi­nai­son de ces dif­fé­rents para­mètres va impo­ser à la fin des années 2000 le modèle éco­no­mique du F2P27 sur les smart­phones et les réseaux sociaux, un modèle qui chan­ge­ra radi­ca­le­ment la concep­tion des jeux qui l’adoptent, de plus en plus nom­breux. Les emblé­ma­tiques Can­dy Crush Saga (King, 2012) et Farm­Ville (Zyn­ga, 2009) illus­trent bien les enjeux de game desi­gn der­rière le F2P. Il s’agit de pro­po­ser aux joueurs une expé­rience évi­dente, avec un cha­lenge léger et des récom­penses régu­lières afin de les encou­ra­ger à conti­nuer à jouer. Ensuite, les délais d’attente, l’expérience sociale four­nie par la connexion inter­net de ces titres et la frus­tra­tion occa­sion­nelle doivent encou­ra­ger les joueurs à effec­tuer des micro-achats dans le jeu pour conti­nuer à y avan­cer. Outre ces micro-achats, la ren­ta­bi­li­té de ces titres est aus­si fon­dée sur la publi­ci­té et sur­tout la créa­tion de don­nées par les joueurs. Soit les bases de l’économie de l’attention et de l’économie des datas, bases sur les­quelles sont consti­tuées aujourd’hui les entre­prises numé­riques les plus puissantes.

Autre fait mar­quant, l’émergence de nou­veaux enjeux média­tiques, poli­tiques et cultu­rels. Grâce à la dif­fu­sion grand public d’internet et l’apparition de pla­te­formes de vente en ligne sur PC et consoles, d’autres types de jeux, plus ori­gi­naux dans leurs méca­nismes et leurs thé­ma­tiques, vont ren­con­trer un large public. La publi­ca­tion de Braid (Num­ber One, 2008), World of Goo (2D Boy, 2008) et d’autres jeux en 2008 sans le sou­tien d’un édi­teur va créer pen­dant quelques années un « moment Easy Rider28 » où des œuvres artis­ti­que­ment ambi­tieuses vont trou­ver le suc­cès public et com­mer­cial. Avant que la sur­pro­duc­tion ne remette en cause vers 2015 le modèle du jeu indé­pen­dant. Mais, durant cette période, nombre de clas­siques vont être créés pro­po­sant de nou­veaux game­plays et esthé­tiques à l’image de Jour­ney (that­ga­me­com­pa­ny, 2012) ou Mine­craft (Mojang, à par­tir de 2009). Là où le pre­mier est un voyage esthé­tique fon­dé sur les sen­sa­tions et la décou­verte non vio­lente d’un uni­vers, le second encou­rage la créa­ti­vi­té des joueurs dans une sorte de jeu Lego infi­ni et numérique.

Cette période d’intense liber­té et d’innovation va aus­si mettre sur le devant de la scène des ques­tions poli­tiques, d’inégalités de genre, de racisme, de repré­sen­ta­tion de l’impérialisme, de sexua­li­tés… jusqu’ici tues ou peu ques­tion­nées par les jeux vidéo. La créa­trice Anna Anthro­py va abor­der des ques­tions trans­genres à tra­vers des jeux auto­bio­gra­phiques, le col­lec­tif Mol­lein­dus­tria va créer des jeux mar­xistes décons­trui­sant l’idéologie néo­li­bé­rale, The Stan­ley Parable (Galac­tic Cafe, 2013) brise le qua­trième mur à la manière d’un À bout de souffle vidéo­lu­dique qui se dou­ble­rait d’une cri­tique acide du néo­ma­na­ge­ment, le jeu Papers, Please (Lucas Pope, 2013) confronte le joueur dans le rôle d’un doua­nier à la bana­li­té du mal d’Hannah Arendt réac­tua­li­sée sur la ques­tion des réfugiés…

Cette créa­ti­vi­té s’accompagne d’une pro­duc­tion intel­lec­tuelle reven­di­ca­trice sur les sites et les blogs dédiés, dans la presse et les fes­ti­vals spé­cia­li­sés… encore ren­for­cée par les games stu­dies29. Mais cette approche nou­velle du média ne convient pas à tous et des ten­sions de plus en plus fortes appa­raissent autour de ces ques­tions. Jusqu’à l’explosion du #Gamer­gate en aout 2014. Lan­cé comme la dénon­cia­tion d’une col­lu­sion entre créa­teurs et sur­tout créa­trices de jeux indé­pen­dants avec des jour­na­listes dési­gnés comme des SJW30 cor­rom­pus, le #Gamer­gate va rapi­de­ment se struc­tu­rer sur les réseaux sociaux et cer­tains forums en mou­ve­ment de fond. Ce mou­ve­ment reven­dique un retour à des jeux vidéo « apo­li­tiques », c’est-à-dire aux block­bus­ters sou­vent viri­listes et mili­ta­ristes qui dominent alors le mar­ché et cri­tique une intel­li­gent­sia qui ten­te­rait d’imposer ses jeux sous cou­vert d’un dis­cours pro­gres­siste déta­ché du réel. Der­rière ce dis­cours assez com­mun dans le champ poli­tique actuel s’expriment un violent anti­fé­mi­nisme et un conser­va­tisme radi­cal qui fini­ront par rejoindre l’alt-right amé­ri­caine31.

Ces conflits pro­pre­ment poli­tiques, ce ques­tion­ne­ment sur les repré­sen­ta­tions por­tées par les jeux vidéo et les pro­duc­teurs de ces jeux, mais aus­si l’esport, le retro­ga­ming32, le casual gaming, les nom­breuses pra­tiques de réap­pro­pria­tion (spee­drun­ning33, jeu édu­ca­tif, cos­play34…), la pré­sence et l’influence de plus en plus mar­quées du média au sein d’autres médias, l’existence de dif­fé­rents voca­bu­laires propres et par­fois très spé­ci­fiques… tout cela indique bien que le jeu vidéo est une culture. Et que, comme tel, il n’échappe pas à la guerre cultu­relle qui secoue notre époque.

Conclusion

Pour conclure ce déjà très long article, et alors qu’il y aurait encore beau­coup à dire sur le média notam­ment sur ses volets artis­tiques et poli­tiques, nous nous per­met­trons de poser quelques ques­tions sou­le­vées par les jeux vidéo. Ces ques­tions nous semblent aujourd’hui par­ti­cu­liè­re­ment impor­tantes par la place cru­ciale du vidéo­lu­dique, reflet de la socié­té du diver­tis­se­ment ain­si que de la numé­ri­sa­tion galo­pante de notre réel.

Les pre­mières ques­tions concernent les modèles éco­no­miques au cœur des jeux vidéo. Comme nous l’avons vu, ceux-ci déter­minent presque tou­jours le desi­gn, les méca­nismes et les repré­sen­ta­tions pré­sentes dans les jeux. Par­fois de manière inter­pe­lante35. Existe-t-il d’autres pers­pec­tives que com­mer­ciales pour le média ? Et si oui, com­ment évi­ter les dif­fi­cul­tés posées par les autres modèles de sou­tien à la créa­tion (entre-soi, spé­cu­la­tion mar­chande entre­te­nue par les métro­poles et les États en concur­rence de pres­tige, confis­ca­tion par les classes sociales supé­rieures…)? Dans un cadre com­mer­cial, com­ment com­prendre voire cadrer les pra­tiques liées à l’économie de l’attention ? C’est-à-dire, notam­ment, com­ment per­mettre aux joueuses et joueurs de tous âges un consen­te­ment éclai­ré pour leurs dépenses ou leur vie pri­vée ? Sur ce point, le ren­voi des consom­ma­teurs à leur res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle, modèle actuel des dif­fé­rentes formes de signa­lé­tique, est-il suf­fi­sant et satis­fai­sant ? Ces ques­tions en appellent à la pro­tec­tion des consom­ma­teurs et plus lar­ge­ment à la pro­blé­ma­tique de l’éducation aux médias.

Sor­tir d’un cadre uni­que­ment com­mer­cial et faire entrer les jeux vidéo dans les dif­fé­rentes éco­no­mies cultu­relles pose alors la ques­tion de la légi­ti­ma­tion cultu­relle. Plu­sieurs espaces cultu­rels exposent déjà des jeux vidéo et posent de mul­tiples ques­tions : le jeu expo­sé est-il encore du jeu ? Sur quelles bases les jeux expo­sés sont-ils choi­sis ? De culture ini­tia­le­ment popu­laire le jeu vidéo expo­sé ne change-t-il pas de sta­tut et donc de contrôle par d’autres classes sociales ? Com­ment faire place à tous les jeux dans ces espaces ? Sur quels cri­tères sub­si­dier ces jeux cultu­rels ? On le consta­te­ra, ces ques­tions rejoignent lar­ge­ment des ques­tions posées au ciné­ma, à la bande des­si­née et même à la lit­té­ra­ture de genre.

Ques­tion­ne­ment plus spé­ci­fique aux médias numé­riques, la culture du chan­ge­ment de l’industrie vidéo­lu­dique et le culte tech­no­phile de la nou­veau­té sont-ils conci­liables avec l’effondrement éco­lo­gique ? Der­nier ava­tar, le jeu en strea­ming36, notam­ment pous­sé par Google, ne va-t-il pas faire explo­ser la consom­ma­tion de bande pas­sante, à l’impact éco­lo­gique sans cesse crois­sant ? Sans même évo­quer les nom­breuses ques­tions sou­le­vées par cette tech­no­lo­gie à pro­pos de la vie privée…

Enfin, plus glo­ba­le­ment, se posent les ques­tions du sens de l’expérience vidéo­lu­dique, de sa spé­ci­fi­ci­té média­tique et de l’impact de ses représentations.

Ces ques­tions, outre les pers­pec­tives qu’elles ouvrent, affirment encore une fois l’existence des jeux vidéo comme un média, pra­tiques variées et une vaste réa­li­té cultu­relle. Au-delà de nombre de dis­cours média­tiques glo­ba­le­ment réduc­teurs, il existe de larges champs à découvrir.

  1. Que Ste­ven Levy for­ma­li­se­ra dans son ouvrage L’éthique des hackers, Dou­ble­day, 1984.
  2. Terme spé­ci­fique au jeu vidéo qui désigne la manière dont le joueur peut inter­agir dans l’univers du jeu, l’ensemble des actions qui lui sont proposées.
  3. La Magna­vox Odys­sey, très en avance sur son époque en pro­po­sant plu­sieurs jeux inté­grés, ne ren­con­tra pas le suc­cès com­mer­cial en rai­son d’une incom­pré­hen­sion du public, per­sua­dé qu’il fal­lait ache­ter un télé­vi­seur de la même marque pour en pro­fi­ter. Cette console fut conçue sous l’égide du vété­ran Ralph Baer (1922 – 2014), déjà auteur d’un concept de télé­vi­sion avec des jeux vidéo en 1951 puis de plu­sieurs pro­to­types, il inven­ta ensuite plu­sieurs clas­siques du diver­tis­se­ment dont le jouet élec­tro­nique Simon (1978). Indi­ca­teur de l’importance des volets tech­no­lo­giques et indus­triels dans l’histoire du jeu vidéo, Baer pas­sa une grande par­tie de sa vie à atta­quer les socié­tés qui uti­li­saient ses idées et concepts, à com­men­cer par Ata­ri qui s’inspira de son tra­vail pour conce­voir Pong. Plu­sieurs récom­penses viennent cou­ron­ner sa contri­bu­tion déter­mi­nante au média vidéo­lu­dique et il est recon­nu aujourd’hui comme l’un des pères du média.
  4. La branche jeu vidéo de War­ner devien­dra rapi­de­ment la plus lucra­tive des acti­vi­tés de la Major américaine.
  5. Ce krach demeure un évè­ne­ment his­to­rique encore sou­vent évo­qué au sein de l’industrie comme une « pre­mière fin des jeux vidéo ». Bien que dans les faits il fût limi­té à l’Amérique du Nord, avec un faible impact sur le sec­teur de l’arcade, que la micro-infor­ma­tique explo­sait et que les chiffres rede­vinrent miro­bo­lants dans les années qui sui­virent grâce à l’arrivée de nou­velles consoles.
  6. Terme spé­ci­fique au jeu vidéo, qui désigne la concep­tion géné­rale du jeu, l’articulation entre ses dif­fé­rents aspects (gra­phismes, pro­gramme, inter­ac­tion, sons…).
  7. À pro­pos de cette culture, nous vous ren­voyons vers l’excellent docu­men­taire The King of Kong : A Fist­ful of Quar­ters (Seth Gor­don, 2007).
  8. Sur les ques­tions liées au numé­rique et aux genres, voir les tra­vaux d’Isabelle Col­let de l’université de Genève.
  9. La console domine 90 % des mar­chés japo­nais et amé­ri­cain, les prin­ci­paux de l’époque, ses concur­rents comme Sega, Ata­ri ou NEC se par­ta­geant le reste.
  10. Le mar­ché mon­dial du jeu vidéo res­te­ra majo­ri­tai­re­ment foca­li­sé sur l’Amérique du Nord, le Japon et l’Europe jusqu’au début des années 2000. Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique des autres par­ties du monde, en par­ti­cu­lier la Chine deve­nu aujourd’hui le pre­mier mar­ché du sec­teur, ain­si que la numé­ri­sa­tion tou­jours plus grande de toutes les socié­tés chan­ge­ra pro­gres­si­ve­ment cette situation.
  11. Uti­li­sant dès les années 1970 les lignes télé­pho­niques pour échan­ger des mes­sages et des fichiers, les BBS anti­cipent l’internet grand public qui se répan­dra dans la seconde moi­tié des années 1990.
  12. Terme géné­ral dési­gnant la culture spé­ci­fique à l’informatique pro­fes­sion­nelle où des créa­teurs dif­fusent des démos tech­niques repous­sant les limites théo­riques des machines les fai­sant tour­ner. Très repré­sen­ta­tive de la culture créa­tive qui a ber­cé la créa­tion vidéo­lu­dique sur ordinateurs.
  13. Autre spé­ci­fi­ci­té de la dis­tri­bu­tion sur ordi­na­teurs, les sha­re­wares sont des pro­grammes dif­fu­sés le plus sou­vent via des asso­cia­tions ou des maga­zines qui pro­posent une par­tie de leur conte­nu, le reste étant déblo­cable via un paie­ment bancaire.
  14. The Sims (Maxis, depuis 2000) est long­temps res­té le jeu vidéo le plus ven­du de tous les temps alors que, pré­ci­sé­ment, son acces­si­bi­li­té et son game desi­gn « fémi­nin » ren­daient les pro­duc­teurs dubi­ta­tifs sur sa capa­ci­té à ren­con­trer un public.
  15. Confir­mant une fois de plus le dyna­misme de l’industrie ain­si que sa culture, voire son culte, de la nou­veau­té. Deux phé­no­mènes illus­trent par­ti­cu­liè­re­ment cela : l’importance des jeux récents dans le chiffre d’affaires glo­bal ain­si que les cycles propres, cal­qués sur ceux des nou­velles consoles arri­vant tous les cinq ans.
  16. Que l’on pense encore récem­ment aux casques de réa­li­té virtuelle.
  17. Pour Full Motion Video, c’est-à-dire des films interactifs.
  18. On note­ra que le mar­ke­ting comme l’esthétique des jeux vidéo devient beau­coup plus agres­sif au tour­nant des années 1990, relan­çant les polé­miques sur l’incitation à la vio­lence auprès des joueurs. Nous ne dis­po­sons pas de la place néces­saire à déve­lop­per les volets de cette ques­tion (panique morale, cynisme publi­ci­taire, biais de genre d’un média qui cède à une viri­li­té mili­ta­ri­sée, asso­cia­tion du jeu à l’enfance…), mais notons tou­te­fois que plu­sieurs aspects de cette polé­mique, éteinte après de très nom­breuses études, se retrouvent aujourd’hui dans la ques­tion de l’addiction aux jeux vidéo. À l’époque, sous la menace d’une régu­la­tion par les auto­ri­tés poli­tiques, les prin­ci­paux acteurs du sec­teur met­tront rapi­de­ment en place des ins­ti­tu­tions pri­vées (ESRB, PEGI…) char­gées de juger le conte­nu des jeux et d’en infor­mer les consom­ma­teurs. Une manière de ren­voyer à ces der­niers la res­pon­sa­bi­li­té de l’achat de ces jeux…
  19. Pour First Per­son Shoo­ter, soit des jeux de tir en vue sub­jec­tive, un genre par­ti­cu­liè­re­ment immersif.
  20. Une caté­go­ri­sa­tion mar­ke­ting qui vise un public jeune (15 à 30 ans), glo­ba­le­ment mas­cu­lin, atti­ré par des jeux d’action, prêt à ache­ter le jeu à prix plein dès sa sor­tie et à dépen­ser un cout équi­valent ensuite dans des sup­plé­ments, qui va lui consa­crer un grand nombre d’heures de pra­tique et sur­tout inté­res­sé par l’aspect com­pé­ti­tif. Soit une caté­go­ri­sa­tion qui cor­res­pond aux pré­ju­gés du grand public sur le média, mais qui recouvre une frange numé­ri­que­ment mino­ri­taire des joueurs ain­si qu’une pra­tique très spécifique.
  21. Le terme est issu du monde de la finance, réfé­rence signi­fi­ca­tive de la prise de contrôle de ce sec­teur sur des entre­prises doré­na­vant cotées en Bourse, où il désigne un pro­duit par­ti­cu­liè­re­ment sûr.
  22. Pour Mas­sive Mul­ti­player Online, soit des jeux pra­ti­qués par des mil­liers de joueurs en même temps, le plus sou­vent des jeux de rôle. Au plus fort de son suc­cès en 2010, World of War­craft comp­tait 12 mil­lions de joueurs.
  23. Habi­tés par « l’esprit hacker », les créa­teurs des années 1990 ont pris l’habitude de rendre leurs jeux acces­sibles à la modi­fi­ca­tion. Les modi­fi­ca­tions, rac­cour­cies sous le terme mod, réa­li­sées par des joueurs/créateurs ama­teurs sont ensuite dif­fu­sées librement.
  24. À noter la légende tenace du « jeu vidéo comme pre­mière indus­trie cultu­relle, devant le ciné­ma ». Tout d’abord, l’industrie vidéo­lu­dique génère un chiffre d’affaires plus impor­tant que le ciné­ma depuis le début des années 1980. Ensuite, le ciné­ma n’est pas, et de loin, la pre­mière indus­trie cultu­relle, pas plus que le jeu vidéo, ce titre reve­nant à la télé­vi­sion. Cette com­pa­rai­son, issue d’études finan­cées par les dif­fé­rents lob­bys du sec­teur vidéo­lu­dique, vise sur­tout à don­ner une légi­ti­mi­té cultu­relle au média. Enfin, les com­pa­rai­sons demeurent par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles à éta­blir en rai­son de modes de cal­cul et de modèles éco­no­miques très dif­fé­rents. Sans comp­ter que le détail des chiffres avan­cés reste com­pli­qué à obte­nir, les indus­tries cultu­relles concer­nées le conser­vant jalou­se­ment secret.
  25. Terme mar­ke­ting assez flou qui recouvre des pra­tiques et des pro­fils très divers ras­sem­blés autour de jeux plus accessibles.
  26. Pour dési­gner l’interface tac­tile, simple, mais aus­si limi­tée pour du jeu vidéo sur sup­ports mobiles.
  27. Pour Free To Play, des jeux gra­tuits à télé­char­ger et à pre­mière vue à jouer.
  28. Selon les mots du jour­na­liste Joshuah Bear­man dans le New York Times Maga­zine du 13 novembre 2009.
  29. Appa­rues dès la fin des années 1990 dans le monde uni­ver­si­taire anglo-saxon, les game stu­dies ras­semblent des cher­cheurs tra­vaillant sur dif­fé­rentes approches du jeu vidéo en sciences humaines.
  30. Pour Social Jus­tice War­riors, soit des mili­tants en ligne de causes progressistes.
  31. Plu­sieurs études ont depuis mon­tré l’utilisation par les réseaux d’extrême droite de cette colère, en par­ti­cu­lier par Steve Ban­non, pré­sident exé­cu­tif de Breit­bart News puis conseiller de Donald Trump.
  32. Soit le fait de jouer à d’anciens jeux, qui ne sont sou­vent plus dis­tri­bués ou sur des sup­ports obso­lètes. Por­té dès la fin des années 1990 par des pas­sion­nés, le phé­no­mène, éton­nant dans une indus­trie obsé­dée par la nou­veau­té, a pris une telle ampleur qu’il recouvre aujourd’hui un mar­ché propre et incite les plus gros stu­dios à réédi­ter leurs anciens titres.
  33. Soit la pra­tique par des joueurs d’achever leurs jeux le plus rapi­de­ment pos­sible sans que cela n’ait été pré­vu ni anti­ci­pé par les créateurs.
  34. Contrac­tion de cos­tume et play, cette pra­tique désigne la créa­tion de cos­tumes ins­pi­rés de cultures pop par les joueurs.
  35. La Bel­gique a par exemple été le pre­mier pays au monde à inter­dire les loot boxes, ces caisses de récom­pense au conte­nu aléa­toire. Autre nou­veau modèle éco­no­mique qui pose ques­tion, le game-as-ser­vice, une sorte de jeu sans fin où la moné­ti­sa­tion pro­vient d’achats inté­grés au jeu.
  36. La pos­si­bi­li­té de jouer à des jeux vidéo grâce à leur affi­chage sur tout sup­port numé­rique tan­dis que les cal­culs sont réa­li­sés par des ordi­na­teurs à dis­tance et leurs résul­tats affi­chés sur le sup­port via inter­net. Sur le modèle tech­no­lo­gique et com­mer­cial de Spo­ti­fy ou Netflix.

Julien Annart


Auteur

détaché pédagogique jeu vidéo auprès de FOr’J