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Corruption : le Brésil face à ses vieux démons
La presse locale l’a surnommé le « procès du siècle ». Il est vrai que les personnalités qui ont déambulé, ces deux derniers mois, devant la Cour suprême de Brasilia, ont l’habitude de faire la « Une » de l’actualité politique ou économique du pays. Mais ici, les nouvelles sont à classer dans les colonnes judiciaires : tous sont mêlés à un […]
La presse locale l’a surnommé le « procès du siècle ». Il est vrai que les personnalités qui ont déambulé, ces deux derniers mois, devant la Cour suprême de Brasilia, ont l’habitude de faire la « Une » de l’actualité politique ou économique du pays. Mais ici, les nouvelles sont à classer dans les colonnes judiciaires : tous sont mêlés à un vaste scandale qui secoue le Brésil depuis près de sept ans et est surnommé le « mensalão » (le « scandale des mensualités »). Certains risquent jusqu’à quarante-cinq ans de prison. C’est notamment le cas de l’ancien directeur de cabinet du président Lula, Jose Dirceu, et l’ex-président du Parti des travailleurs (PT), Jose Genoino, qui ont été déclarés récemment coupables d’association de malfaiteurs par la Cour suprême. Les deux hommes, ainsi que l’ex-trésorier du Parti des travailleurs, Delubio Soareso, avaient déjà été déclarés coupables de « corruption active » le 9 octobre par la même instance.
« Rien n’est plus offensant et transgressif que l’association de malfaiteurs dans le cercle le plus proche et élevé de l’un des pouvoirs de la République », a regretté le juge Celso de Mello, qui a voté en faveur de la condamnation. Les peines dont ils écoperont seront connues au terme du procès, mais ils encourent des décennies de prison. Outre les politiques, on trouve sur le banc des accusés des hommes d’affaires et des banquiers. Vingt d’entre eux (ils sont trente-sept au total) ont déjà été condamnés pour détournement de fonds publics, blanchiment d’argent, association de malfaiteurs, corruption active ou passive.
Tout démarre en 2005. Le président Luiz Inacio da Silva ou Lula, comme l’appellent les Brésiliens, est alors au sommet de sa popularité. Il brigue un second mandat que personne n’ose lui contester. Mais à quelques mois du premier tour, la revue Veja publie une interview qui va faire chavirer la majorité en place. Les propos proviennent du député Roberto Jefferson du PTB, parti de centre droit allié au PT de Lula.
Celui-ci révèle un vaste système de corruption mis en place par le PT, qui « arroserait » plusieurs députés depuis 2002 pour s’assurer de leur vote au congrès. Jefferson évoque des sommes dépassant les 10000 euros par mois. Mais le Parti des travailleurs n’aurait pas respecté tous ses engagements, d’où la fuite du député dans la presse.
Le scandale du « mensalão » est né. Il va prendre des proportions inquiétantes au fur et à mesure des révélations de la presse, qui, caméras cachées ou documents dérobés à l’appui, va mettre au jour un gigantesque schéma de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent. Le mensalão fonctionnait par le biais d’un publicitaire, Marcos Valerio, qui avait obtenu des contrats pour le gouvernement et reversait une partie des sommes aux parlementaires alliés.
Il gérait aussi la « caisse noire » du parti, qu’auraient régulièrement alimentée plusieurs entrepreneurs et banquiers brésiliens ou étrangers, s’assurant, en échange, des contrats ou des « faveurs » du gouvernement en place.
Face à ces révélations, Lula réagit rapidement. Il demande à plusieurs ministres et à son chef de cabinet, l’ex-guerillero José Dirceu, accusé d’être le cerveau du mensalão, de démissionner. Ce dernier est remplacé par Dilma Rousseff, l’actuelle présidente du Brésil. Ironie du sort, d’aucuns remarquent d’ailleurs que sans cette mise à l’écart du bras droit de l’«ex-homme le plus populaire du Brésil », Dilma Rousseff n’aurait sans doute jamais accédé au poste suprême.
La tolérance zéro de Dilma Roussef
À l’époque de la découverte du scandale et après avoir écarté ses collaborateurs gênants, Lula fait profil bas et s’adresse à la nation en s’excusant, tout en niant être au courant. « Je me sens trahi par ces pratiques inacceptables, indigné par ces révélations qui choquent le pays et dont je n’avais aucune connaissance. Je n’ai aucune honte de dire que nous devons présenter des excuses. […] Le gouvernement, là où il a fait une erreur, doit présenter des excuses. »
Le message passe et Lula est réélu pour un second mandat. Sa popularité ne fléchit pas : quand il passe le relai à sa dauphine Dilma Rousseff en 2010, il récolte encore 80% d’opinions favorables parmi les Brésiliens.
Mais l’opposition n’en démord pas. Sa cible préférée est José Dirceu, l’un des fondateurs du PT et un compagnon de lutte de Lula sous la dictature. José Dirceu aura quelques phrases malheureuses (« Je suis de plus en plus convaincu de mon innocence » ou « le problème du Brésil est l’excès de droit de liberté et de droit d’expression de la presse ») qui le condamnent définitivement auprès d’une bonne partie de la population.
Face à un PT déstabilisé, l’actuelle présidente Dilma Rousseff a retenu la leçon. Elle fait preuve depuis son élection d’une « tolérance zéro » envers ses ministres suspectés de corruption. Elle en a déjà démis sept, même si aucun n’a encore été jugé. La main de fer imposée par Dilma Rouseff semble avoir porté ses fruits puisque son parti, le PT, n’a pas véritablement souffert de l’onde médiatique de ce procès au premier tour des municipales, le 14 octobre dernier. S’il éprouve des difficultés dans certaines grandes villes, il a progressé de 14% par rapport à 2008, alors que la popularité de Mme Rousseff est au zénith (77%). Le PT pourrait même rafler la capitale économique, São Paulo, où le favori, un populiste soutenu par les évangélistes, Celso Russomanno, a été devancé par le maire social-démocrate, José Serra, et par Fernando Haddad, le candidat du Parti des travailleurs. Ce dernier est favori des sondages.
Un tournant ?
« Même s’il faudra attendre le deuxième tour des municipales le 28 octobre dans de nombreuses villes du pays pour pouvoir tirer un enseignement national de ces élections, le premier tour à São Paulo démontre que le PT n’a pas trop souffert du vaste procès de corruption qui l’a éclaboussé devant la Cour suprême », explique un observateur.
Reste que ce procès ultra-médiatisé aura laissé des séquelles : Lula, qui reste, malgré sa maladie, le principal conseiller politique de Rousseff, ne semble plus inattaquable. Roberto Jefferson réclame sa présence sur le banc des accusés, tandis que son ancien responsable de campagne affirme que Lula était au courant du mensalão depuis 2002. Pour beaucoup, ce procès marque un tournant dans la lutte contre la corruption. « Maintenant, les personnes qui voudraient suivre un tel chemin savent qu’elles risquent d’être punies, voire emprisonnées. L’impunité n’est plus la règle et les politiques savent désormais qu’il existe des limites, que l’argent ne peut tout acheter », explique à la presse locale Ricardo Ismael, professeur de sciences politiques à l’université catholique de Rio.
Bref, sur fond de campagnes municipales, le Brésil fait face frontalement à ses vieux démons : la corruption et les collusions permanentes entre pouvoirs économiques et politiques. Le système politique est aussi mis en cause. D’aucuns affirment que la kyrielle de petits partis (une trentaine au Brésil), qui changent d’«alliance comme de chemise », n’arrange pas les choses. D’après certaines déclarations dans les médias, le système du mensalão existerait d’ailleurs depuis le retour du Brésil à la démocratie en 1985. Les vieux démons sont les plus difficiles à abattre. Dilma Rousseff en est, sans doute, consciente. La prise de conscience est un premier pas. Il lui faudra désormais les affronter quotidiennement.