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Coopération au développement : ausculter une réforme
À la veille des élections législatives, la coopération au développement est un domaine de compétence fédérale largement absent des débats. Certes, voici plus d’un an, une centaine de personnalités de tous horizons avaient exprimé publiquement leur inquiétude devant l’insuffisance et la régression de la part de richesse nationale que la Belgique consacre à l’aide au développement. […]
À la veille des élections législatives, la coopération au développement est un domaine de compétence fédérale largement absent des débats. Certes, voici plus d’un an, une centaine de personnalités de tous horizons avaient exprimé publiquement leur inquiétude1 devant l’insuffisance et la régression de la part de richesse nationale que la Belgique consacre à l’aide au développement. Cette prise de position avait suscité un large écho. Mais depuis, plus rien. Et la réalité des chiffres reste ignorée en dehors des milieux directement concernés.
La Revue nouvelle se risque à soulever le couvercle en ouvrant ses pages à un ample dossier sur l’état de la coopération belge au développement. Outre les chiffres, éclairants et utiles, le projet est de situer, d’analyser et d’évaluer les reconfigurations du secteur. On a en effet assisté à une importante et rapide recomposition des acteurs et des institutions qui en sont partie prenante. Dès lors, il a semblé essentiel d’aller au-delà des discours convenus pour décrypter ce qui se fait « au nom » du développement. La complexité d’une telle analyse provient du fait que, loin d’être simplement confrontée à un problème sectoriel de la politique belge, cette analyse mène à des enjeux qui sont cruciaux dans le devenir du monde, et est révélatrice de projets de société qui requièrent un débat public.
Le dossier est conçu de façon telle qu’un parcours systématique puisse alimenter la réflexion et le débat parmi les acteurs concernés par la coopération au développement, de même que dans le monde sociopolitique et dans les milieux scientifiques. Néanmoins, le lecteur tout simplement concerné comme citoyen par cet enjeu essentiel pourra sans doute aussi y trouver son compte en glanant ce qui peut l’intéresser dans tel ou tel élément de l’ensemble.
En préambule, deux outils sont destinés à accompagner ces lecteurs en fonction de leurs besoins d’éclaircissement en matière de chronologie (« Moments institutionnels ») et de terminologie (« Repères institutionnels et conceptuels »).
L’ensemble s’ouvre sur deux aperçus généraux, mais précis et qui appellent déjà des interprétations. L’article de Marie Deridder analyse les transformations récentes du contexte international, à savoir non seulement les cadres institutionnels, mais les stratégies, les hiérarchies et les rapports de pouvoir sous-jacents. La coopération belge au développement est indissociable de ce contexte. Elle est très clairement abordée sur la base des données quantitatives dans l’article d’Antoinette van Haute. La considération des statistiques induit des constats qualitatifs, c’est-à-dire les incohérences entre, d’une part, les engagements politiques louables et, d’autre part, l’évolution des financements et des instruments financiers qui vont dans le sens d’une instrumentalisation croissante de l’aide de la Belgique au profit de ses intérêts propres, plutôt qu’en faveur du développement des pays du Sud.
Suivent des études par secteurs alimentées par l’apport de professionnels de la coopération. La coopération bilatérale est présentée dans l’article de Pierre Grega à travers la réforme de l’organe exécutif de la coopération (la CTB, devenue Enabel). Qu’une réforme se soit avérée nécessaire en ce début du XXe siècle, c’est compréhensible. Mais on assiste à l’affirmation de logiques qui posent question quant au maintien et au développement d’une expertise à la fois rigoureuse, se construisant dans la durée et placée au service des véritables destinataires d’une aide au développement. L’article de Laurent Atsou et Emmanuel Klimis aborde, quant à lui, le secteur de la coopération non gouvernementale qui est composée de deux types d’acteurs : les acteurs institutionnels et les organisations de la société civile (notamment les ONG). Il retrace le cheminement de mesures prises dans l’urgence, en principe motivées par la recherche de cohérence, mais imposées sur le mode du harcèlement et qui ont été génératrices d’incertitude, de précarité et d’effets néfastes.
Dans la foulée, l’article de Paul Géradin est consacré au volet de l’éducation au développement. Il met en avant le caractère paradoxal de l’évolution d’un ensemble d’initiatives prometteuses, et qui ont été saccagées alors même que la marche du monde confirmait plus que jamais leur bienfondé. Il conclut en considérant le devenir de ce microcosme comme un révélateur particulièrement clair de la direction dans laquelle la coopération belge s’est orientée.
La dernière contribution, celle de Marie Deridder, est plus longue et de lecture plus exigeante. Elle a tout à la fois une fonction de récapitulation et d’approfondissement pour ce qui concerne les logiques spécifiques au paysage politique de la Belgique. L’article commence par donner un aperçu des évolutions récentes du cadre légal de la coopération et des transformations de ses instruments à la suite des réformes qui ont été abordées secteur par secteur. En passant par l’analyse d’un moment révélateur de la portée de ces réformes — la suppression d’un important outil de développement —, il assume à nouveau et prolonge l’analyse de leur signification politique : en deçà des discours officiels et arguments formels, la réalité des choix actuellement opérés est révélatrice d’un tournant néolibéral engagé dès les années 2000, qui s’est accentué radicalement à partir de 2014, s’est prolongé en 2018, jusqu’à un projet de loi qui est resté en suspens… jusqu’à nouvel ordre…
Enfin, une brève conclusion de Pierre Coopman revient sur ce qui est en définitive l’enjeu, tant des critiques que des orientations à préconiser : le sens du développement. Last but not least, il faut dire ici que ce dossier est issu du travail collectif d’une équipe plus large que le groupe des rédacteurs des articles. Programmée dans la perspective des débats à l’occasion des élections de mai 2019, cette démarche a été empreinte d’un intérêt passionné pour la problématique abordée, non sans une certaine déception devant des dégâts, voire une certaine crainte des conséquences d’un « parler vrai ». Merci à ceux et celles qui y ont collaboré et bonne lecture !