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Coopération au développement : ausculter une réforme

Numéro 3 – 2019 - aide coopération nord-sud Développement par Grega

avril 2019

À la veille des élec­tions légis­la­tives, la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment est un domaine de com­pé­tence fédé­rale lar­ge­ment absent des débats. Certes, voi­ci plus d’un an, une cen­taine de per­son­na­li­tés de tous hori­zons avaient expri­mé publi­que­ment leur inquié­tude devant l’insuffisance et la régres­sion de la part de richesse natio­nale que la Bel­gique consacre à l’aide au développement. […]

Dossier

À la veille des élec­tions légis­la­tives, la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment est un domaine de com­pé­tence fédé­rale lar­ge­ment absent des débats. Certes, voi­ci plus d’un an, une cen­taine de per­son­na­li­tés de tous hori­zons avaient expri­mé publi­que­ment leur inquié­tude1 devant l’insuffisance et la régres­sion de la part de richesse natio­nale que la Bel­gique consacre à l’aide au déve­lop­pe­ment. Cette prise de posi­tion avait sus­ci­té un large écho. Mais depuis, plus rien. Et la réa­li­té des chiffres reste igno­rée en dehors des milieux direc­te­ment concernés.

La Revue nou­velle se risque à sou­le­ver le cou­vercle en ouvrant ses pages à un ample dos­sier sur l’état de la coopé­ra­tion belge au déve­lop­pe­ment. Outre les chiffres, éclai­rants et utiles, le pro­jet est de situer, d’analyser et d’évaluer les recon­fi­gu­ra­tions du sec­teur. On a en effet assis­té à une impor­tante et rapide recom­po­si­tion des acteurs et des ins­ti­tu­tions qui en sont par­tie pre­nante. Dès lors, il a sem­blé essen­tiel d’aller au-delà des dis­cours conve­nus pour décryp­ter ce qui se fait « au nom » du déve­lop­pe­ment. La com­plexi­té d’une telle ana­lyse pro­vient du fait que, loin d’être sim­ple­ment confron­tée à un pro­blème sec­to­riel de la poli­tique belge, cette ana­lyse mène à des enjeux qui sont cru­ciaux dans le deve­nir du monde, et est révé­la­trice de pro­jets de socié­té qui requièrent un débat public.

Le dos­sier est conçu de façon telle qu’un par­cours sys­té­ma­tique puisse ali­men­ter la réflexion et le débat par­mi les acteurs concer­nés par la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, de même que dans le monde socio­po­li­tique et dans les milieux scien­ti­fiques. Néan­moins, le lec­teur tout sim­ple­ment concer­né comme citoyen par cet enjeu essen­tiel pour­ra sans doute aus­si y trou­ver son compte en gla­nant ce qui peut l’intéresser dans tel ou tel élé­ment de l’ensemble.

En pré­am­bule, deux outils sont des­ti­nés à accom­pa­gner ces lec­teurs en fonc­tion de leurs besoins d’éclaircissement en matière de chro­no­lo­gie (« Moments ins­ti­tu­tion­nels ») et de ter­mi­no­lo­gie (« Repères ins­ti­tu­tion­nels et conceptuels »).

L’ensemble s’ouvre sur deux aper­çus géné­raux, mais pré­cis et qui appellent déjà des inter­pré­ta­tions. L’article de Marie Derid­der ana­lyse les trans­for­ma­tions récentes du contexte inter­na­tio­nal, à savoir non seule­ment les cadres ins­ti­tu­tion­nels, mais les stra­té­gies, les hié­rar­chies et les rap­ports de pou­voir sous-jacents. La coopé­ra­tion belge au déve­lop­pe­ment est indis­so­ciable de ce contexte. Elle est très clai­re­ment abor­dée sur la base des don­nées quan­ti­ta­tives dans l’article d’Antoinette van Haute. La consi­dé­ra­tion des sta­tis­tiques induit des constats qua­li­ta­tifs, c’est-à-dire les inco­hé­rences entre, d’une part, les enga­ge­ments poli­tiques louables et, d’autre part, l’évolution des finan­ce­ments et des ins­tru­ments finan­ciers qui vont dans le sens d’une ins­tru­men­ta­li­sa­tion crois­sante de l’aide de la Bel­gique au pro­fit de ses inté­rêts propres, plu­tôt qu’en faveur du déve­lop­pe­ment des pays du Sud.

Suivent des études par sec­teurs ali­men­tées par l’apport de pro­fes­sion­nels de la coopé­ra­tion. La coopé­ra­tion bila­té­rale est pré­sen­tée dans l’article de Pierre Gre­ga à tra­vers la réforme de l’organe exé­cu­tif de la coopé­ra­tion (la CTB, deve­nue Enabel). Qu’une réforme se soit avé­rée néces­saire en ce début du XXe siècle, c’est com­pré­hen­sible. Mais on assiste à l’affirmation de logiques qui posent ques­tion quant au main­tien et au déve­lop­pe­ment d’une exper­tise à la fois rigou­reuse, se construi­sant dans la durée et pla­cée au ser­vice des véri­tables des­ti­na­taires d’une aide au déve­lop­pe­ment. L’article de Laurent Atsou et Emma­nuel Kli­mis aborde, quant à lui, le sec­teur de la coopé­ra­tion non gou­ver­ne­men­tale qui est com­po­sée de deux types d’acteurs : les acteurs ins­ti­tu­tion­nels et les orga­ni­sa­tions de la socié­té civile (notam­ment les ONG). Il retrace le che­mi­ne­ment de mesures prises dans l’urgence, en prin­cipe moti­vées par la recherche de cohé­rence, mais impo­sées sur le mode du har­cè­le­ment et qui ont été géné­ra­trices d’incertitude, de pré­ca­ri­té et d’effets néfastes.

Dans la fou­lée, l’article de Paul Géra­din est consa­cré au volet de l’éducation au déve­lop­pe­ment. Il met en avant le carac­tère para­doxal de l’évolution d’un ensemble d’initiatives pro­met­teuses, et qui ont été sac­ca­gées alors même que la marche du monde confir­mait plus que jamais leur bien­fon­dé. Il conclut en consi­dé­rant le deve­nir de ce micro­cosme comme un révé­la­teur par­ti­cu­liè­re­ment clair de la direc­tion dans laquelle la coopé­ra­tion belge s’est orientée.

La der­nière contri­bu­tion, celle de Marie Derid­der, est plus longue et de lec­ture plus exi­geante. Elle a tout à la fois une fonc­tion de réca­pi­tu­la­tion et d’approfondissement pour ce qui concerne les logiques spé­ci­fiques au pay­sage poli­tique de la Bel­gique. L’article com­mence par don­ner un aper­çu des évo­lu­tions récentes du cadre légal de la coopé­ra­tion et des trans­for­ma­tions de ses ins­tru­ments à la suite des réformes qui ont été abor­dées sec­teur par sec­teur. En pas­sant par l’analyse d’un moment révé­la­teur de la por­tée de ces réformes — la sup­pres­sion d’un impor­tant outil de déve­lop­pe­ment —, il assume à nou­veau et pro­longe l’analyse de leur signi­fi­ca­tion poli­tique : en deçà des dis­cours offi­ciels et argu­ments for­mels, la réa­li­té des choix actuel­le­ment opé­rés est révé­la­trice d’un tour­nant néo­li­bé­ral enga­gé dès les années 2000, qui s’est accen­tué radi­ca­le­ment à par­tir de 2014, s’est pro­lon­gé en 2018, jusqu’à un pro­jet de loi qui est res­té en sus­pens… jusqu’à nou­vel ordre…

Enfin, une brève conclu­sion de Pierre Coop­man revient sur ce qui est en défi­ni­tive l’enjeu, tant des cri­tiques que des orien­ta­tions à pré­co­ni­ser : le sens du déve­lop­pe­ment. Last but not least, il faut dire ici que ce dos­sier est issu du tra­vail col­lec­tif d’une équipe plus large que le groupe des rédac­teurs des articles. Pro­gram­mée dans la pers­pec­tive des débats à l’occasion des élec­tions de mai 2019, cette démarche a été empreinte d’un inté­rêt pas­sion­né pour la pro­blé­ma­tique abor­dée, non sans une cer­taine décep­tion devant des dégâts, voire une cer­taine crainte des consé­quences d’un « par­ler vrai ». Mer­ci à ceux et celles qui y ont col­la­bo­ré et bonne lecture !

  1. Jour­nal Le Soir du 17 jan­vier 2018.

Grega


Auteur

consultant, bureau d’expertise DRIS