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Constitution espagnole contre normalisation du catalan

Numéro 6 - 2020 - castillan catalan Catalogne Langue par Jean-Rémi Carbonneau

septembre 2020

Après une longue période de répression politique et culturelle, la mort de Franco en 1975 a ouvert la porte à la démocratisation de l’Espagne et à la reconnaissance de sa diversité linguistique historique, deux valeurs cardinales qui seront enchâssées dans la Constitution de 1978. Or, force est de constater que l’hégémonie du castillan, acquise sous le franquisme, continue d’être assurée grâce à des mécanismes constitutionnels utilisés par des gouvernements centralistes. Ces mécanismes nuisent considérablement à la promotion du catalan en Espagne.

Dossier

L’État espagnol a parachevé son unification territoriale au début du XVIIIe siècle avec l’annexion, par la Castille, des différents royaumes appartenant à la Couronne d’Aragon (1162 – 1715), une union fédérale de royaumes médiévaux dont la Catalogne représentait la composante (politique, économique, démographique) prépondérante et la matrice linguistique. La disparition de cette union, qui comptait également les royaumes d’Aragon, de Valence et de Majorque (incluant l’archipel baléare), fut la conséquence de la Guerre de Succession d’Espagne (1701 – 1715), déclenchée en raison du refus de ces royaumes de céder le trône de l’ensemble espagnol à un Bourbon. Cet épisode allait consacrer une longue période de domination de la Castille sur ses régions périphériques qui trouvera sa consécration administrative en 1833 dans la division de l’État en cinquante provinces selon le modèle des départements français.

Outre les parenthèses de 1914 – 19251 et 1932 – 19392, il faudra attendre la mort du dictateur Francisco Franco, en novembre 1975, avant de voir finalement l’Espagne se restructurer en tenant compte de sa diversité linguistique historique. Ainsi que l’ont documenté les historiens3, la dictature franquiste s’est montrée impitoyable face au catalan, le bannissant de l’école et de la sphère publique tandis que sa politique industrielle et touristique a redirigé une forte migration interne vers la périphérie méditerranéenne, contribuant à castillaniser encore plus la Catalogne, le Pays valencien et l’archipel baléare.

Après la mort de Franco, le régime sortant fut contraint de négocier avec l’opposition politique : il fallait démocratiser l’Espagne afin d’éviter le glissement de l’instabilité ambiante vers une nouvelle guerre civile, crainte de tous. À la suite d’élections constituantes en juin 1977, l’Espagne adoptait une nouvelle Constitution, en décembre 1978, laquelle institutionnalisait un modèle territorial : l’État des Autonomies. Ce compromis retenait le principe de l’État unitaire et des cinquante provinces tout en leur donnant à elles, seules ou avec « des provinces limitrophes ayant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes », la possibilité de se constituer en communautés autonomes après un délai de cinq ans grâce à l’adoption d’un statut d’autonomie (art. 143) et de disposer d’une liste de compétences énumérée à l’article 1484. Parallèlement, une voie bonifiée en termes de compétences et exemptée du délai de cinq ans (art. 151) était réservée auxdites nationalités ; ceci revenait à une reconnaissance implicite des régions historiques caractérisée par la présence d’une langue traditionnelle autre que le castillan5. Ainsi furent créées les communautés autonomes de Catalogne (1979), du Pays basque (1979) et de Galice (1981), trois nationalités, puis, plus tard, le reste des dix-sept communautés autonomes. Ces dernières incluront la Navarre (1982), où l’on parle aussi basque, et deux autres régions catalanophones héritées de l’ancienne Couronne d’Aragon : le Pays valencien, reconverti en Communauté valencienne dans son Statut d’autonomie (1982) et où le catalan est officiellement appelé valencien, ainsi que les Iles Baléares (1983).

Du point de vue linguistique, l’adoption d’un statut d’autonomie a permis à ces six territoires de, primo, officialiser leur langue respective en plus du castillan (dont l’officialité régionale est imposée par l’ordre constitutionnel, nous y reviendrons), secundo, en faire la llengua pròpia (langue propre) de la communauté autonome (pour lui consentir une légitimité régionale supérieure au castillan) et, tertio, légiférer pour « normaliser » son usage dans le système d’éducation, l’administration, les médias et les autres sphères publiques. Lancée dès 1980 en Catalogne, la politique de normalisation linguistique a été conçue comme un processus correctif visant à substituer à la normalité linguistique imposée durant le franquisme la naturalisation de la langue minoritaire dans sa zone historique d’usage ; en deux mots, de lui rendre son statut de langue normale. Cet objectif sera balisé formellement grâce à l’adoption de plusieurs textes législatifs : la Loi de normalisation linguistique (1983) et la Loi de politique linguistique (1998) en Catalogne, la Loi d’usage et d’enseignement du valencien (1983) et la Loi de normalisation linguistique des Iles Baléares (1986). Il faut savoir que cette législation, qui a permis de réaliser des avancées significatives durant les décennies suivantes, a été elle-même fortement imprégnée des politiques linguistiques du Québec et notamment de sa Charte de la langue française (1977).

Au-delà du tournant que 1978 a représenté pour la protection des langues minoritaires, il faut cependant constater que l’hégémonie du castillan, acquise sous le franquisme, continue d’être assurée par l’entremise d’un ensemble de mécanismes constitutionnels dont font usage, et mésusage, des gouvernements centralistes, incarnés de 1977 à 1982 par l’Union de centre démocratique (UCD, centre droit), puis par le Parti socialiste (PSOE, centre-gauche) et le Parti populaire (PP, droite conservatrice) qui alternent au pouvoir depuis 1982. Le recours à ces mécanismes limite considérablement le rayon d’action des politiques régionales de normalisation linguistique et assure la pérennité de la charge du bilinguisme imposée aux catalanophones dans les trois communautés concernées.

Il faut premièrement souligner l’esprit restrictif de la Constitution quant au processus de décentralisation lui-même. En effet, en offrant à des régions qui n’avaient rien demandé la possibilité de se constituer elles aussi en communautés autonomes (art. 143) et d’obtenir les mêmes compétences que les nationalités (art. 151) après une période de cinq ans, l’État a banalisé le processus de décentralisation revendiqué exclusivement par les nationalités. La satisfaction a donc été de courte durée pour ces dernières qui, pour employer une analogie de la science politique espagnole, ont vu le concentré d’autonomie réclamé pour satisfaire leurs besoins culturels spécifiques être dilué dans un café para todos (café pour tous) moins corsé. Ce mécanisme constitutionnel incitatif a eu pour effet préventif de compliquer toute décentralisation de nouvelles compétences au bénéfice des nationalités, y compris en matière linguistique, sous prétexte que toute autre communauté autonome pourrait exiger les mêmes prérogatives, ce qui, dans la logique de Madrid, porterait atteinte à la fois à l’unité nationale et à la prépondérance de l’État central dans l’ordre constitutionnel. Ce nivèlement par le bas explique notamment pourquoi le gouvernement Suárez (UCD) a fermé à la région valencienne l’accès à l’autonomie par la voie de l’article 151 malgré une volonté ferme des Valenciens6, et pourquoi le PSOE a bloqué par trois fois (1984, 1988, 1991) le transfert de compétences vers les Iles Baléares, incluant l’éducation, ne respectant pas le partage des compétences prévu par la Constitution7.

Deuxièmement, alors que l’article 3.2 de la Constitution permet aux langues régionales d’être co-officielles dans les communautés autonomes où elles sont historiquement parlées, l’article 3.1 crée une asymétrie plaçant les castillanophones dans une situation de supériorité linguistique sur l’ensemble du territoire étatique : «[l]e castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de la savoir et le droit de l’utiliser ». Les répercussions de cet article sont très concrètes. Ainsi, malgré un devoir de protection énoncé dans le préambule et à l’article 3.3, l’usage des autres langues espagnoles n’est reconnu ni à Madrid ni à Bruxelles ni dans les institutions espagnoles disséminées autour du globe, pas plus qu’il n’est permis dans la communication entre l’État et les communautés autonomes, ou même entre elles. C’est ainsi que la délégation du gouvernement espagnol à Valence a interdit, en juillet 2017, à l’exécutif régional l’usage du valencien dans ses communications avec les communautés autonomes « appartenant à la même aire linguistique » (selon la formulation de Valence) au motif que le valencien n’était parlé nulle part ailleurs. Ce faisant, le gouvernement central de Mariano Rajoy (2011 – 2018, PP) endossait le sécessionnisme linguistique promu énergiquement par sa branche valencienne depuis la Transition démocratique.

Le devoir constitutionnel des citoyens de connaitre le castillan a également des répercussions concrètes dans le domaine des médias et contribue à l’insuffisance de l’offre médiatique en catalan dans les communautés autonomes où cette langue est parlée. Cette offre publique est de surcroit submergée par l’offre de médias privés en castillan. Au mépris de sa compétence exclusive quant aux normes en matière de presse et de radiotélédiffusion (article 149.1, alinéa 27), le gouvernement espagnol fait peu pour assurer une offre linguistique équilibrée dans le secteur des médias. Dans la pratique, la normalisation du catalan, y compris dans les médias, demeure du ressort des gouvernements régionaux et des municipalités sur qui l’État se décharge de son devoir de protection, et ce, tout en entravant l’élaboration d’une politique linguistique commune aux régions de langue catalane.

Une troisième contrainte constitutionnelle à la normalisation linguistique, et non la moindre, émane du pouvoir judiciaire espagnol. Sur la base des articles 161.2 et 162.1 de la Constitution, il est possible de contester la constitutionnalité de n’importe quelle loi adoptée par une communauté autonome8, tandis que cette dernière est privée du même recours vis-à-vis des lois de l’État central empiétant sur ses compétences. La saisine du Tribunal constitutionnel (TC), organe responsable de l’arbitrage des litiges entre les deux ordres de gouvernement, entraine la suspension immédiate de la loi contestée pendant cinq mois, période durant laquelle son inconstitutionnalité doit être confirmée ou infirmée. Or, comme l’ont noté les politologues Ramón Máiz et Antón Losada, le TC a eu jusqu’ici « tendance à ratifier ces suspensions » prenant « en moyenne sept à huit ans pour résoudre les recours constitutionnels. Il est facile de comprendre comment un recours constitutionnel avec suspension automatique devient, dans la pratique, un pouvoir constitutionnel9 ».

Depuis les années 1980, le gouvernement central a fait usage à plusieurs reprises de cette prérogative pour consolider la prépondérance du castillan sur l’ensemble du territoire espagnol. Dans un arrêt de 1986 sur la Loi sur la normalisation de l’usage de l’euskera adoptée au Pays basque en 1982, le TC confirmait la distinction entre le devoir de savoir le castillan (art. 3.1) et le droit d’utiliser les langues co-officielles (art. 3.2), garantissant ainsi l’officialisation du castillan dans chacune des dix-sept communautés autonomes. Le gouvernement socialiste de Felipe González (1982 – 1996) rebondit rapidement sur cet arrêt pour contester la constitutionnalité de la Loi de normalisation linguistique des Iles Baléares (LNLIB), adoptée la même année. En 1988, le TC tranchera en rendant le gouvernement régional inapte à prendre toute mesure contraignante (politique, juridique, administrative) pour assurer le respect des droits linguistiques des catalanophones. Il annulera, de plus, la prépondérance juridique donnée aux textes de loi rédigés en catalan et invalidera une disposition de la LNLIB garantissant le droit d’utiliser le catalan lors d’un service militaire effectué dans l’archipel.

La crise actuelle de légitimité de l’État espagnol en Catalogne est en bonne partie due à ce mécanisme de judiciarisation du politique. Rappelons que cette crise tire son origine du recours déposé en 2006 par le PP (alors dans l’opposition) contre le nouveau statut d’autonomie catalan en dépit de sa ratification par le Parlement catalan, par le Congrès des députés et par référendum. En 2010, le TC amputait lourdement le Statut d’autonomie (14 articles annulés, 27 autres réinterprétés, dont plusieurs articles touchant à l’identité et à la langue catalanes), alimentant du même coup un glissement déjà observable au sein de la société catalane, de l’autonomisme vers l’indépendantisme. Entre autres choses, la Cour a annulé la désignation de la Catalogne comme nation, l’usage « préférentiel » du catalan dans les écoles et l’administration régionale ainsi que le devoir des citoyens catalans de connaitre le catalan qui se voulait le pendant du devoir constitutionnel de maitriser le castillan.

Cet arrêt a eu à son tour un impact négatif sur la politique linguistique baléare et valencienne. S’appuyant explicitement sur la décision du TC, le gouvernement baléare, dirigé alors par le PP, modifiera en 2012 la Loi sur la fonction publique et la LNLIB afin d’y éliminer l’exigence de maitriser le catalan pour travailler dans la fonction publique de l’archipel. Contestée par de larges pans de la société baléare, cette mesure a ensuite été confirmée par une autre décision du TC en septembre 2013, créant de la sorte un deuxième précédent10. C’est selon ce même raisonnement que l’ús destacat (l’usage marqué) du valencien au sein de la fonction publique valencienne — formulation alternative introduite en 2017 par la coalition gouvernementale de gauche11 —, sera invalidé en 2018 par le Tribunal supérieur de justice de Valence.

Il faut noter dans un quatrième temps que la Constitution autorise le Congrès des députés, «[l]orsque l’intérêt général l’exigera », à adopter, et ce, au moyen d’une majorité absolue, des lois « organiques » visant « l’harmonisation des dispositions normatives des communautés autonomes, même pour des matières relevant de la compétence de celles-ci » (art. 150.3). Ce mécanisme, qui subordonne les compétences régionales à l’humeur des autorités madrilènes, a donné lieu à des tentatives répétées de recentralisation depuis les années 1980, dont plusieurs ont eu des implications négatives pour la normalisation du catalan et des autres langues minoritaires.

En novembre 2013, par exemple, le gouvernement Rajoy a adopté la controversée Loi organique pour l’amélioration de la qualité de l’éducation (Lomce selon l’acronyme castillan) dont la trente-huitième disposition additionnelle prescrivait une augmentation du temps d’enseignement des matières en castillan dans les communautés autonomes bilingues, portant ainsi un dur coup à la normalisation du catalan à l’école mise en place dans les années 1980. Avant même le dépôt du projet de loi, le ministre espagnol de l’Éducation, José Ignacio Wert, avait fait part à l’Espagne, dans sa célébrissime intervention du 10 octobre 2012, de son intention d’«espagnoliser les élèves catalans ». Comme il était prévisible, cette disposition de la Lomce se butera à une forte opposition dans les trois communautés autonomes catalanophones en raison de ses effets déstabilisants sur les programmes scolaires. Ce refus sera sanctionné dans un arrêt du TC, rendu en février 2018, rappelant à l’exécutif espagnol qu’il outrepassait ses compétences en dictant aux gouvernements régionaux sa vision d’une offre « raisonnable » en castillan.

Au-delà de cette petite victoire, il importe de rappeler que rien n’empêchera un parlement hostile à la diversité historique d’adopter de nouvelles lois limitant la place des langues minoritaires dans l’enseignement, voire de recentraliser certaines prérogatives des communautés autonomes. Nonobstant une décentralisation évidente, l’État des Autonomies ne constitue pas une fédération au même titre que la Belgique, la Suisse ou le Canada (comme l’affirment erronément certains politistes espagnols qui confondent rêve et réalité): l’État central (et non fédéral) peut, à tout moment, reprendre ce qui a été dévolu par ses soins aux régions qui lui sont inféodées en vertu de la Constitution. De là à la suspension de l’autonomie, il n’y a qu’un pas à franchir.

Ce qui nous amène à un cinquième point : l’article 155 de la Constitution, la plus lourde des contraintes institutionnelles pouvant peser sur la normalisation des langues minoritaires. Cet article habilite le gouvernement central à suspendre l’autonomie d’une communauté autonome s’il estime que celle-ci « ne remplit pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent ou si elle agit de façon à porter gravement atteinte à l’intérêt général de l’Espagne ». Bien que cette disposition ne vise pas la question linguistique à proprement parler, la suspension de l’autonomie affecte directement cette dimension dans la mesure où elle neutralise le fondement institutionnel d’une politique de réparation linguistique rendue nécessaire après le franquisme.

L’article 155 a été utilisé pour la première fois en octobre 2017 par le gouvernement Rajoy après la proclamation d’une République catalane indépendante par le président Carles Puigdemont, annonce qui faisait suite aux résultats d’un référendum qualifié d’illégal par Madrid. Placée sous tutelle, la Catalogne perdit ainsi, pendant sept mois, tous ses pouvoirs autonomes, y compris en matière linguistique. Après l’arrestation préventive d’une partie des membres du gouvernement catalan et la fuite des autres à l’étranger, de nouvelles élections régionales seront imposées en décembre 2017, après quoi les partis indépendantistes remporteront, à nouveau, une majorité absolue de sièges à Barcelone (70 sur 135). L’autonomie de la Catalogne ne sera restaurée qu’après le dépôt d’une motion de censure contre Mariano Rajoy en juin 2018, dont le gouvernement sera remplacé par celui du socialiste Pedro Sánchez.

En dépit de ce changement d’exécutif, la crise catalane est demeurée aux mains des tribunaux. Ainsi, en février 2019, un procès fortement médiatisé a été ouvert par la plus haute instance judiciaire de l’Espagne, le Tribunal suprême, à l’encontre de douze chefs indépendantistes pour sédition, rébellion, désobéissance et détournement de fonds publics. Il s’agit d’une inculpation surréaliste qui a toutes les apparences d’un procès politique fait au nationalisme catalan. Ce procès, où il fut strictement interdit aux accusés de s’exprimer en catalan, s’est conclu en octobre 2019 et a infligé de lourdes peines de prison aux accusés (de neuf à treize ans). La situation est d’autant plus ironique que le procès a été introduit non seulement par le parquet général de l’État, comme on pouvait s’y attendre, mais également par Vox12. En tant que « groupe de citoyens », Vox a ainsi pu faire usage du droit d’accusation populaire prévu à l’article 25 de la Constitution.

S’il est vrai que la Constitution de 1978 a permis de réaliser d’importants progrès quant à la normalisation du catalan (et du basque et du galicien), force est de constater qu’on y a enchâssé plusieurs dispositions susceptibles d’être utilisées par des partis centralistes pour imposer la préséance du castillan sur tout le territoire de l’État. Et cette préséance, elle n’est en fait rien d’autre qu’un privilège ethnique hérité du franquisme que les espagnolistes de tout acabit invoquent dans leur habituel discours sur les « droits » individuels – droits qui sont évidemment exclusifs aux seuls castillanophones. La pleine normalisation des différentes langues espagnoles est indissociable de la reconnaissance en amont du caractère fédéral et multinational de la société espagnole, ce qui implique nécessairement la pleine fédéralisation de l’État des Autonomies par une révision en profondeur de la Constitution. Sans cette légitimation, l’Espagne, comme projet politique commun, est voué à l’échec.

  1. Après de laborieuses négociations, le gouvernement espagnol consentit à la réunification des quatre provinces historiques catalanes (Barcelone, Gérone, Lérida, Tarragone). Dotée de simples pouvoirs administratifs (sans réelle capacité législative), la Mancomunitat de Catalogne fut liquidée durant la dictature de Primo de Rivera (1923 – 1930).
  2. La Deuxième République espagnole (1931 – 1939) rétablit la Generalitat (le gouvernement catalan aboli en 1715) et lui octroya son premier statut d’autonomie. Celui-ci fut aboli après la victoire des troupes franquistes.
  3. Voir notamment la très dense Història dels Països Catalans. De 1714 a 1975 d’Albert Balcells, Manuel Ardit et Núria Sales (Edhasa, 1980).
  4. Toutes les citations de la Constitution proviennent de la traduction officielle publiée par le Bulletin officiel de l’État.
  5. Par sa portée politique, historique et symbolique, la nationalité à l’espagnole s’apparente étroitement à la notion, reconnue par le Conseil de l’Europe et de nombreux pays à travers le monde, de minorité nationale.
  6. Rappelons à ce sujet la manifestation monstre du 9 octobre 1977 réunissant plus de cinq-cent-mille Valenciens réclamant un statut d’autonomie ainsi que la création, en avril 1978, d’un Conseil du Pays valencien chargé d’élaborer un projet de statut d’autonomie qu’il présentera finalement au gouvernement Súarez en octobre 1979, fort de l’appui de 99% des municipalités valenciennes (soit bien plus que les trois quarts exigés par l’article 151 pour bénéficier de l’accession rapide à l’autonomie). Voir à ce sujet Aguiló i Lúcia Ll., « Els entrebancs jurídics de la Transició valenciana », dans la revue Afer, n° 67, 2010. Du point de vue des autorités centrales, l’enjeu ici était d’endiguer la formation d’un nouveau front centrifuge capable de converger avec le Pays basque et, surtout, avec la Catalogne, avec laquelle le Pays valencien partageait plusieurs traits identitaires historiques.
  7. López Casasnovas J., « Les Ciavogues del procés autonòmic a les Illes Balears » dans Pelai Pagès i Blanch (dir.), La transició democràtica als Països Catalans : història i memòria, Publicacions de la Universitat de València, 2005, p. 125 – 36.
  8. Cette procédure peut être lancée soit par le gouvernement central, soit par un groupe formé de cinquante membres du Congrès des députés ou du Sénat, soit par autre gouvernement régional.
  9. « The Erosion of Regional Powers in the Spanish “State of Autonomies”», Ferran Requejo et Klaus-Jürgen Nagel (dir.), Federalism beyond Federations. Asymmetry and Processes of Resymmetrisation in Europe, Routledge, 2011, p. 99.
  10. Cette exigence sera réintroduite en avril 2016 par la nouvelle coalition gouvernementale de gauche née des élections de mai 2015 (formée du Parti socialiste des Iles Baléares et des éco-souverainistes de la formation Més [Davantage]). La formation Podem (Nous pouvons) prendra part à ce gouvernement à partir de 2019.
  11. À l’instar des Baléares, cette coalition est constituée depuis 2015 du Parti socialiste et d’un parti nationaliste régional, Compromís (Engagement), auxquels s’est jointe la formation Unides Podem (Unies, nous pouvons) après les élections régionales de 2019.
  12. Vox est un parti d’extrême droite fondé par des dissidents du PP et dont le principal objectif est, ni plus ni moins, la liquidation de l’État des Autonomies.

Jean-Rémi Carbonneau


Auteur

vient de terminer une thèse à l’université du Québec à Montréal portant sur les politiques linguistiques dans les systèmes fédéraux allemand et espagnol. Il est chercheur en politique comparée à l’Institut Sorabe en Saxe et affilié à la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes.
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