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L’idéologie de Bart De Wever, par Bart De Wever. Conservatisme moderne
Ce texte a été écrit par Bart De Wever en 2003 dans De Standaard, en réponse à la demande d’évoquer le sens d’une pensée philosophique qui exerce une influence sur sa pensée et son action. Il a choisi Edmund Burke (1729 – 1797).
En Flandre, aucun homme politique ne se qualifie de conservateur. Étant donné le trouble caractériel persistant qui tend à me faire passer aux yeux de beaucoup pour un gaillard arrogant et irritant, cela me donne déjà envie d’adopter le prédicat « conservateur ». Ne fût-ce qu’à titre de provocation de l’establishment politiquement correct pour lequel j’ai une intense aversion. Un homme politique ne peut en effet concentrer son énergie sur un combat sémantique qui ne rapporte aucun avantage. Qui veut vendre ses idées doit expliquer à son adversaire la façon dont il utilise le langage politique. Ce n’est pas le cas quand vous maniez des termes qui vous placent d’emblée sur la défensive. Il faut prendre les mouches avec du miel et non avec du vinaigre. […]. Voici l’occasion bienvenue d’entamer ce travail. Edmund Burke est en effet toujours considéré comme le fondateur du conservatisme moderne.
Socle d’une pensée politique
Pendant ma première licence, j’ai lu Reflections on the Revolution in France, l’œuvre la plus connue de Burke. Il s’y attaquait à la Révolution française en 1790, donc déjà avant la seconde phase qui allait être caractérisée par la direction horrible des Jacobins. […]
La critique principale portait sur le renversement brutal de l’ordre existant à partir de l’illusion de pouvoir renouveler la vie en société de fond en comble sur la base de la raison. Le rationalisme et l’athéisme des Lumières témoignaient selon Burke d’un orgueil dérisoire. Le vivre ensemble n’est en effet pas production de la raison humaine, mais croissance organique d’un ordre coloré par l’«esprit de la religion » et l’«esprit du gentleman ». Cet ordre assure le lien « entre les vivants, les morts et ceux qui sont encore à naitre », il est un corps permanent composé de parties transitoires. Les traditions établies et les institutions, comme la famille, l’école et l’Église transcendent par conséquent les aspirations éventuelles des individus et des masses : « individual is foolish, the multitude is foolish ; but the species is wise ». Elles donnent forme à des attitudes spontanées dans la vie sociale — Burke parlait de « préjudices » — dont la validité se prouve à travers le temps.
Burke estimait que la tentative de remplacer cet ensemble par la raison ne pouvait conduire qu’à le compromettre définitivement. La quête collective de la prétendue liberté, égalité, fraternité conduirait donc irrémédiablement l’être humain vers la barbarie et le conflit. Le philosophe anglais considérait que l’authentique liberté, non pas celle de faire seulement ce qu’on veut mais celle de faire ce qui convient, était à gagner via l’obéissance aux traditions et aux institutions : assumer l’héritage, bien le gérer, dans la mesure du possible l’améliorer et le poursuivre. La révolution ne tendait qu’à déchirer brutalement la « précieuse construction de la société », la mince couche qui préserve l’être humain d’une explosion volcanique du désordre. […]
Le conservatisme, dans cette forme qu’il a prise il y a deux-cents ans avec Burke, est resté le socle de ma pensée et de mon action politique.
Convictions
En premier lieu, avec cette conviction : oui, la vie en société est essentiellement organique et donc non manipulable. Par conséquent, le politique qui veut apporter un changement positif peut au mieux intervenir comme un chirurgien : avec précaution, subtile précision et soin post-opératoire. Les révolutions politiques ne mènent jamais à des changements durables ou positifs. L’histoire punit chaque fois l’orgueil qui consiste à faire une table rase sociétale sur base de l’une ou l’autre pulsion rationnelle. […] Qui jette radicalement l’héritage du passé par-dessus bord laisse des ruines pour les générations suivantes.
En second lieu, il y a la conviction qu’une vie en société est, ou devrait être, plus qu’un contrat social entre des individus qui se protègent ainsi par nature les uns des autres. Quand l’individu est la mesure de toute chose, seule grandit l’orientation vers soi-même, et la porte s’ouvre sur un culte matérialiste de l’égo sans limites. À long terme, il n’y a donc plus la moindre cloison entre l’individu et l’État, les gens devenant clients du shopping gouvernemental, lequel doit assumer de plus en plus de tâches et en vient à fonctionner totalement selon la loi de l’offre et de la demande. En cas de conflits, reste seulement la solution du recours à l’autorité juridique. En effet, qu’elle résulte du contrôle de soi ou du contrôle social, la conscience morale comme limitation de la liberté individuelle n’est plus acceptée. Image redoutable qui prend de plus en plus corps sous nos yeux. La conséquence, c’est une situation paradoxale : notre bien-être s’accroit constamment tandis que nombre d’indicateurs sont au rouge : suicides et drames conjugaux, agressions dans la circulation, sentiment d’insécurité, usage des médicaments et des drogues, plaintes psychiques, échec des relations durables, solitude, dénatalité. Comme politiques, il est grand temps d’oser parler haut et fort de la nécessité de valeurs civiles comme l’amitié, la fidélité, la solidarité, le respect, l’honnêteté intellectuelle et, en définitive, le désir civique d’un vivre ensemble harmonieux. L’être humain atteint son potentiel maximal en réalisant avec d’autres une véritable société, où la liberté spontanée est limitée par le désir de responsabilité et d’alliance. Un rôle crucial reste ici dévolu à ce que Burke dénommait institutions et aux traditions, ce qui se comprend mieux aujourd’hui comme « société civile » ou maatschappelijk middenveld. La famille, l’école, le voisinage, le milieu associatif et en définitive la communauté culturelle flamande sont les cercles dans lesquels la transmission des valeurs s’organise de façon optimale.
Traduit du néerlandais par Paul Géradin