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Congrès CSC 2010. « Construisons demain…»

Numéro 12 Décembre 2010 par Quentin Leroy

décembre 2010

Après la FGTB au prin­temps, c’était au tour de la CSC d’organiser son congrès du 21 au 23 octobre der­nier. Inti­tu­lé « Construi­sons demain. Un autre ave­nir est pos­sible », celui-ci enten­dait ques­tion­ner le posi­tion­ne­ment de la CSC sur trois grandes thé­ma­tiques : la démo­gra­phie, la mon­dia­li­sa­tion et l’environnement.

Fruit d’un long pro­ces­sus de réflexion et de négo­cia­tion de l’ensemble de ses fédé­ra­tions régio­nales et cen­trales pro­fes­sion­nelles, le congrès, auto­ri­té supé­rieure de la CSC, est l’occasion de déter­mi­ner le pro­gramme géné­ral et l’attitude de la CSC face aux ques­tions impor­tantes. On trouve à chaque fois, et c’est nor­mal, un équi­libre entre des axes de pro­po­si­tions que la CSC veut impo­ser dans le débat socioé­co­no­mique et des consi­dé­ra­tions sur des faits qui lui sont impo­sées de l’extérieur. De là, cette pos­ture dif­fi­cile liée à la volon­té de se pro­je­ter dans l’avenir tout en sachant que les ren­dez-vous sont à prendre ici et main­te­nant dans le contexte de la négo­cia­tion inter­pro­fes­sion­nelle et dans les poli­tiques bud­gé­taires res­tric­tives qui s’annoncent. On a éga­le­ment une impres­sion géné­rale que la CSC s’adresse plus au gou­ver­ne­ment qu’au patro­nat et plus à soi-même qu’au gou­ver­ne­ment, le temps de construire une posi­tion d’unité face à des enjeux ou les divi­sions internes ris­que­ront de se mani­fes­ter sur des dos­siers chauds tels que l’harmonisation des sta­tuts entre ouvriers et employés, le dos­sier des pen­sions publiques et pri­vées sans oublier les ten­sions communautaires.

Démographie : vous me remettrez bien un petit peu de croissance (durable)?

L’une des grandes ambi­va­lences des réso­lu­tions du congrès est à attri­buer au posi­tion­ne­ment face à la crois­sance éco­no­mique. Déci­dée à chan­ger sa concep­tion du pro­grès, la CSC affirme qu’il faut « défi­nir d’autres cri­tères que le PIB pour déter­mi­ner la pros­pé­ri­té, la crois­sance [sic] et le pro­grès en étant éga­le­ment atten­tifs à la qua­li­té de la vie, à l’environnement et à la répar­ti­tion de la pros­pé­ri­té ». Il s’agit donc d’un chan­ge­ment radi­cal pour le mou­ve­ment syn­di­cal qui admet que la crois­sance, autre­fois per­çue comme moyen d’émancipation et comme fac­teur de jus­tice sociale, doit être ques­tion­née. Cepen­dant, l’addiction reste extrê­me­ment pré­gnante. C’est bien la crois­sance (pudi­que­ment assor­tie du qua­li­fi­ca­tif « durable ») qui per­met­tra de faire face aux défis du vieillis­se­ment : « Plus le PIB est impor­tant moins la part que repré­sente le cout du vieillis­se­ment pèse lourd dans le PIB. » Der­nière injec­tion avant la cure de désintoxication ?

Hor­mis la crois­sance, les solu­tions pro­po­sées sur ce thème sont l’occasion pour la CSC de remettre au gout du jour son fameux « tri­angle d’or » : emploi — sécu­ri­té sociale — fis­ca­li­té. Sans sur­prise, l’emploi est extrê­me­ment valo­ri­sé. Il doit être de meilleure qua­li­té, durable (ou vert) et, bien sûr, en plus grande quan­ti­té. Si l’allongement de la car­rière fut reje­té par le congrès, l’augmentation du taux d’emploi des tra­vailleurs âgés est consi­dé­rée comme l’une des com­po­santes pour faire face aux éven­tuels dés­équi­libres. Mal­gré les demandes de plu­sieurs fédé­ra­tions wal­lonnes et de la Cen­trale natio­nale des employés, le congrès a éga­le­ment reje­té en masse toute réfé­rence à la réduc­tion col­lec­tive du temps de tra­vail. Pas­sant de la semaine de quatre jours en 1968, à une réduc­tion du temps de tra­vail à trente-cinq heures au niveau euro­péen en 1990, cette reven­di­ca­tion conti­nue donc à perdre de sa force.

La CSC entend en outre défendre une fis­ca­li­té plus pro­gres­sive. Cela pas­se­rait par l’instauration de nou­velles taxes (sur les grosses for­tunes, les reve­nus du capi­tal…) et par une lutte plus effi­cace contre la fraude fis­cale (sur la base d’un cadastre des for­tunes, de la sup­pres­sion du secret ban­caire et d’un ren­for­ce­ment de l’administration fis­cale). La sécu­ri­té sociale devrait quant à elle être ren­for­cée et moder­ni­sée. Poin­tons deux avan­cées notables, l’objectif de la CSC d’introduire une coti­sa­tion sociale géné­ra­li­sée et d’arriver à une indi­vi­dua­li­sa­tion des droits sociaux.

Mondialisation oui, globalisation non

Ce deuxième thème fut l’occasion pour la CSC de déve­lop­per une cri­tique du capi­ta­lisme débri­dé et d’émettre une série de pro­po­si­tions en vue de sou­mettre les mar­chés finan­ciers à une super­vi­sion plus démo­cra­tique. Ins­tau­ra­tion d’une taxe inter­na­tio­nale sur les tran­sac­tions finan­cières, réformes des ins­ti­tu­tions éco­no­miques inter­na­tio­nales, ren­for­ce­ment des méca­nismes de contrôle de l’OIT, sup­pres­sion du secret ban­caire et des para­dis fis­caux, autant d’éléments pro­po­sés en vue de tem­pé­rer les effets néga­tifs de la glo­ba­li­sa­tion économique.

Les congres­sistes ont éga­le­ment approu­vé plu­sieurs réso­lu­tions visant à remettre en avant le rôle des pou­voirs publics, via leur rôle de régu­la­tion et de contrôle des mar­chés finan­ciers, en réin­tro­dui­sant des banques publiques, ou encore en repre­nant la mai­trise « sur les appro­vi­sion­ne­ments et les acti­vi­tés envi­ron­ne­men­tales stra­té­giques (comme l’approvisionnement et l’épuration de l’eau, la qua­li­té de l’air…) parce que ces acti­vi­tés cru­ciales ne peuvent être aban­don­nées à la soif de profit ».

Si la CSC sou­tient le prin­cipe d’interaction crois­sante des éco­no­mies natio­nales et refuse le pro­tec­tion­nisme, elle recon­nait « dans cer­tains cas aux États le droit de contrô­ler des mou­ve­ments de mar­chan­dises et de capi­taux au nom d’objectifs sociaux, démo­cra­tiques, envi­ron­ne­men­taux et de sou­ve­rai­ne­té alimentaire ».

L’écologie-ennemie-de‑l’emploi n’est plus

Deve­nue prio­ri­té syn­di­cale pour la CSC en 1990, l’environnement est un sujet cen­tral du congrès de 2010. Loin de la simple décla­ra­tion d’intention, la CSC éta­blit en détail les actions à sou­te­nir : lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, dimi­nu­tion de la consom­ma­tion (éner­gé­tique et de biens nui­sibles telles que les voi­tures), défense des emplois verts (et aide à la recon­ver­sion), fis­ca­li­té envi­ron­ne­men­tale ou encore adop­tion de normes plus strictes.

Cette thé­ma­tique a fait l’objet d’un large consen­sus, à condi­tion d’y ajou­ter la dimen­sion sociale. L’écologie enne­mie de l’emploi a vécu, lais­sant la place à une cri­tique des dérives pos­sibles de l’écologie où celle-ci ne pro­fi­te­rait qu’à quelques-uns.

Loin de l’image du mili­tant syn­di­cal de base inca­pable de prendre en compte l’enjeu envi­ron­ne­men­tal, les dis­cus­sions préa­lables au congrès ont mon­tré à quel point cette pré­oc­cu­pa­tion ne se limite pas aux ser­vices d’études et autres res­pon­sables en charge de ces pro­blé­ma­tiques. Car c’est bien de la base que pro­viennent les demandes les plus radi­cales en termes de chan­ge­ments poli­tiques. La confé­dé­ra­tion sem­blant, de son côté, plus frileuse.

Même si elle fut rabo­tée de sa pre­mière phrase qui sti­pu­lait que « la notion de déve­lop­pe­ment durable n’est qu’un des ava­tars du capi­ta­lisme, des­ti­né à nous four­nir la même soupe consu­mé­riste tein­tée de vert » (sur demande des diri­geants de la confé­dé­ra­tion1), la CSC de Namur-Dinant à réus­si à faire voter une ligne de force sup­plé­men­taire appe­lant à « repen­ser fon­da­men­ta­le­ment ce modèle basé sur la sur­con­som­ma­tion de biens maté­riels et le faire évo­luer vers un modèle qui remet l’humain et l’intérêt géné­ral au cœur du sys­tème, dans le res­pect du cli­mat et de l’environnement ».

Un vide à moitié plein ?

Le mili­tant éco­lo­giste res­te­ra sans doute sur sa faim, tout comme le mili­tant alter­mon­dia­liste. La CSC n’est pas deve­nue, le temps d’un congrès, le fer de lance de la cri­tique sociale et envi­ron­ne­men­tale de la socié­té indus­trielle glo­ba­li­sée. Il n’empêche, cer­taines posi­tions repré­sentent de réelles avan­cées pour le syn­di­cat chré­tien, et semblent bien plus ancrées à gauche que les pro­po­si­tions ini­tiales de la confédération.

L’amendement de Namur cache tou­te­fois assez mal de nom­breuses autres posi­tions qui semblent engluées dans un agen­da poli­tique court-ter­miste. Car c’est bien sur une ten­sion constante entre éthique de res­pon­sa­bi­li­té et éthique de convic­tion que se sont struc­tu­rés les débats et les textes approuvés.

L’ambivalence ne s’arrête pas là. Loin de refaire le tra­vail d’analyse des ten­sions entre ses sta­tuts de mou­ve­ment social et d’organisation réa­li­sé lors de son congrès de 1968, on per­çoit sans mal que cette ten­sion existe encore bel et bien. Son sta­tut d’organisation refai­sant lar­ge­ment sur­face lorsque pour évo­quer l’affiliation, le pré­sident Luc Cor­te­beeck ne put s’empêcher de par­ler en termes de « clients » et de « parts de mar­chés », expri­mant par là l’importance que les ser­vices aux tra­vailleurs repré­sente dans le syn­di­ca­lisme belge.

Une ana­lyse par les cli­vages indique que la CSC conti­nue à se posi­tion­ner à gauche. Les adver­saires nom­més expli­ci­te­ment sont les néo­li­bé­raux et l’extrême droite. C’est une ligne qui dans le contexte élec­to­ral en Flandre est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant. Sur le plan com­mu­nau­taire, la CSC se posi­tionne comme un acteur fédé­ral s’opposant à toute pers­pec­tive de voir le natio­na­lisme s’emparer des ques­tions sociales pour en refor­mu­ler une grille de lec­ture com­mu­nau­taire. La CSC n’est cepen­dant pas hos­tile à accor­der une plus grande res­pon­sa­bi­li­sa­tion aux enti­tés fédé­rées pour autant que cela ne casse pas les soli­da­ri­tés. Enfin, la réfé­rence chré­tienne que la CSC ne remet pas en ques­tion ne l’empêche pas de consi­dé­rer la famille tra­di­tion­nelle comme un modèle fami­lial par­mi les autres et de rejoindre les par­ti­sans de l’individualisation pro­gres­sive des droits sociaux et de la « défa­mi­lia­li­sa­tion » des poli­tiques sociales. Sur le cli­vage pro­duc­ti­visme-anti­pro­duc­ti­visme, le posi­tion­ne­ment est moins net. On sent que la ques­tion fait débat.

Espé­rons que les crises que nous connais­sons ne poussent pas encore davan­tage l’ensemble du mou­ve­ment syn­di­cal dans une atti­tude trop défen­sive, fai­sant pas­ser au second plan cer­taines de ses reven­di­ca­tions de modi­fi­ca­tions plus pro­fondes de la socié­té. Le tra­vail de pro­po­si­tion de solu­tions inno­vantes, mobi­li­sa­trices et éman­ci­pa­trices pour sor­tir la tête haute de la crise de modèle que nous connais­sons n’est pas encore achevé.

  1. Alors qu’elle avait été accep­tée par une courte majo­ri­té lors de tra­vaux préa­lables en sec­tion (regrou­pant un tiers des neuf-cents congressistes).

Quentin Leroy


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