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Congo, plus ça change…

Numéro 4 Avril 2010 par La rédaction

avril 2010

Nous avons iden­ti­fié les pro­blèmes, nous en connais­sons les causes et les solu­tions…, mais les choses vont de mal en pis. Telle est la conclu­sion à laquelle arri­vait un expert de la chose congo­laise lors d’un débat tenu dans l’en­ceinte du Par­le­ment belge il y a quelques mois et por­tant sur le Congo d’au­jourd’­hui. Sans pré­ju­ger de […]

Nous avons iden­ti­fié les pro­blèmes, nous en connais­sons les causes et les solu­tions…, mais les choses vont de mal en pis. Telle est la conclu­sion à laquelle arri­vait un expert de la chose congo­laise lors d’un débat tenu dans l’en­ceinte du Par­le­ment belge il y a quelques mois et por­tant sur le Congo d’au­jourd’­hui. Sans pré­ju­ger de la teneur quelque peu arro­gante ou non du pro­pos, beau­coup de témoins se sont sen­tis inter­pe­lés par ce « constat ».

Face au Congo, « objet poli­tique non aisé­ment iden­ti­fiable » qui char­rie pêle­mêle des cal­culs de bou­ti­quier, des inté­rêts non dits, des enthou­siasmes, des dés­illu­sions et des amer­tumes, nous avons été quelques-uns à vou­loir prendre la ques­tion par un bout plus objec­ti­vable : celui des conti­nui­tés et des dis­con­ti­nui­tés ou contra­dic­tions dans une his­toire qui a cin­quante ans pour les diplo­mates et autres acteurs des « salles cli­ma­ti­sées », mais dont d’autres acteurs, notam­ment ceux de l’in­tel­li­gent­sia congo­laise d’au­jourd’­hui ou d’hier, se sentent par­fois dépossédés.

Pour ce qui regarde les conti­nui­tés, une contri­bu­tion de ce dos­sier met l’ac­cent sur le « pré­si­den­tia­lisme » qui a mar­qué ces cin­quante der­nières années. Un pré­si­den­tia­lisme mus­clé sous le régime Mobu­tu où le par­tage des res­sources s’ef­fec­tue sous le mode patri­mo­nial, un pré­si­den­tia­lisme bru­tal sous Laurent-Dési­ré Kabi­la, pre­mier « sei­gneur de la guerre », et sans doute un pos­sible et poten­tiel « pré­si­den­tia­lisme » feu­tré qui se des­sine dans le Congo de son fils non­obs­tant les « conseils », voire les impé­ra­tifs de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. En toile de fond de cette conti­nui­té, on relè­ve­ra aus­si l’é­non­cia­tion d’un « sou­ve­rai­nisme » tou­jours réaf­fir­mé de la part d’une élite poli­tique qui cherche sa légi­ti­mi­té sur le plan exté­rieur plus qu’une véri­table recons­truc­tion du poli­tique sur le plan intérieur.

Autre conti­nui­té, celle de la fameuse iden­ti­té katan­gaise construite autour des richesses minières d’une région long­temps convoi­tée. Mais, comme le fait remar­quer Erik Kennes, cette iden­ti­té s’est le plus sou­vent construite dans une oppo­si­tion à la fois à l’«étranger », le tra­vailleur kasaïen immi­gré au Katan­ga, et au pou­voir cen­tral de Kin­sha­sa. Étrange congruence : le diri­geant séces­sion­niste du Katan­ga, Moïse Tshombe, appar­te­nait au petit milieu des com­mer­çants congo­lais. Le der­nier diri­geant d’une pro­vince où l’i­den­ti­té katan­gaise reste tou­jours pré­gnante s’ap­pelle Katum­bi : c’est un homme d’af­faires connu qui a le même pré­nom biblique que son « illustre » pré­dé­ces­seur. Comme Moïse Tshombe, Moïse Katum­bi est per­çu dans les milieux popu­laires comme le « sau­veur », le « mes­sie » d’une région que la Bel­gique appuya de manière poli­ti­que­ment déter­mi­nante en 1960 et que la Chine convoite aujourd’­hui pour ses res­sources minières.

Mais le Congo est aus­si le lieu de contra­dic­tions conti­nuées dans le temps. Ain­si, selon Ger­main Ngoie Tshi­bambe, la construc­tion de l’É­tat au Congo, et en par­ti­cu­lier de son rap­port avec l’ex­té­rieur, a oscil­lé depuis 1960 entre deux stra­té­gies : d’une part, celle d’un natio­na­lisme ins­tru­men­ta­li­sé et, d’autre part, celle d’une accep­ta­tion for­melle de la dépen­dance vis-à-vis de puis­sances étran­gères, de leurs impé­ra­tifs et de leurs bons conseils. Toutes les Répu­bliques, la pre­mière comme la seconde et la troi­sième, furent confron­tées à ce dilemme sans réel­le­ment par­ve­nir à le trancher.

Au-delà de ces ana­lyses savantes, nous avons éga­le­ment vou­lu faire de la place à un témoi­gnage sur ce que fut le « vécu » d’un modeste acteur d’une déco­lo­ni­sa­tion, laquelle fut aus­si une aven­ture humaine et une somme de rela­tions personnelles.

Ici, c’est le thème de la dis­con­ti­nui­té qui est mis en avant-plan. Pour le « déve­lop­peur » de ter­rain que fut Paul Gros­jean, le « Congo éco­no­mique », qui fut source de tant de reve­nus pour la métro­pole pen­dant plus de quatre-vingts ans, a été pro­gres­si­ve­ment aban­don­né par son ancien men­tor, puis par l’en­semble du milieu éco­no­mique occi­den­tal, un aban­don qui fut fina­le­ment tout aus­si total que le Congo l’a­vait été par l’É­tat belge en 1960. On peut bien sûr épi­lo­guer sur les rai­sons géo­po­li­tiques ou autres qui ont été la cause de cet aban­don. L’au­teur a pré­fé­ré mettre en avant la pro­blé­ma­tique des limites d’un modèle déve­lop­pe­men­tal fon­dé sur des « abbayes à capi­taux étran­gers », sans vision sur un véri­table déve­lop­pe­ment natio­nal et régio­nal, et déci­dé dans l’an­cienne métropole.

La contri­bu­tion de l’au­teur ne laisse trans­pa­raitre aucune amer­tume, mais sim­ple­ment un constat lucide. Durant la phase colo­niale comme durant la déco­lo­ni­sa­tion, nous avons, comme « déve­lop­peurs », été abu­sés par deux para­digmes : celui de la (trop) haute image de nous-mêmes et celui de notre impos­si­bi­li­té à jouer les seconds rôles dans une pièce où l’on s’é­ver­tua à court-cir­cui­ter des col­lec­ti­vi­tés humaines qui avaient une capa­ci­té remar­quable à s’a­dap­ter à un monde qui chan­geait constam­ment autour d’elles.

Les fes­ti­vi­tés autour du cin­quan­tième anni­ver­saire du Congo, comme celles qui avaient pré­si­dé au dixième ou au vingt-cin­quième anni­ver­saire de l’in­dé­pen­dance, ne met­tront pas en lumière ces conti­nui­tés, ces dis­con­ti­nui­tés et ces contra­dic­tions. Elles seront sans doute domi­nées, en Bel­gique comme au Congo, par la langue de bois usuelle, mais aus­si peut-être par un zeste d’in­quié­tude à pro­pos d’é­vo­lu­tions qui ne sont guère ras­su­rantes. Mais pour la plu­part d’entre nous, le Congo conti­nue­ra de res­ter ce pays-conti­nent qui fas­cine au-delà des limites de ses diri­geants et des mal­adresses de nos diplo­mates tout bien inten­tion­nés qu’ils soient.

La rédaction


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