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Conférence de Copenhague : fixer des plafonds de pollution individuel

Numéro 9 Septembre 2009 par Olivier Derruine

septembre 2009

Ce papier, qui a été publié il y a six ans, à la veille de la COP de Copen­hague, devient avec le temps, de plus en plus per­ti­nent. Tho­mas Piket­ty et Lucas Chan­cel l’ont confir­mé tout récem­ment en mon­trant que les 10 % des indi­vi­dus les plus riches de la Pla­nète, quel que soit leur pays d’o­ri­gine, émettent 45% du CO2, là où les 50% les plus pauvres n’en génèrent que 13%… C’est par ce type d’ap­proche qu’on peut évi­ter les oppo­si­tions entre pays riches/pauvres, pays émetteurs/peu émet­teurs, etc.

Le Mois

En décembre, cent quatre-vingt pays cher­che­ront à s’accorder à Copen­hague sur les objec­tifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre (GES) qui pré­vau­dront à par­tir de 2012, année d’échéance du pro­to­cole de Kyo­to1. D’ici là, le G20 qui se réuni­ra pour la troi­sième fois depuis le début de la crise à Pitts­burgh (fin sep­tembre) met­tra le sujet à son ordre du jour et deux réunions pré­pa­ra­toires à Bang­kok (octobre) et à Bar­ce­lone (novembre) essaie­ront de concré­ti­ser des avan­cées afin d’éviter un échec qu’un sta­tu quo ren­drait inévitable.

Si les négo­cia­teurs peinent à rap­pro­cher leurs posi­tions, cela n’a pas empê­ché cer­tains pays ou régions du monde de pas­ser à l’action. L’année der­nière, l’UE avait ain­si adop­té son paquet éner­gie-cli­mat en ver­tu duquel elle s’assignait d’ici 2020 une éco­no­mie d’énergie de 20%, 20% de renou­ve­lables dans la pro­duc­tion d’énergie, 20% d’émissions en moins et 10% de bio­car­bu­rants durables. Plus récem­ment, les Etats-Unis de Barack Oba­ma et le Japon ont adop­té leur propre pro­gramme, certes moins ambi­tieux. Pour ces pays, la réduc­tion serait limi­tée à 10 ou 15%.

Les enjeux de la Conférence de Copenhague

L’enjeu de Copen­hague est triple. Tan­dis que l’accord de Kyo­to res­tait confi­né aux pays riches (quoique l’administration de Bill Clin­ton l’avait signi­fié, mais le Congrès ne l’avait pas rati­fié)2, la menace cli­ma­tique qui se pré­cise et le déve­lop­pe­ment ain­si que l’envergure des puis­sances émer­gentes néces­sitent un enga­ge­ment de tous les pays. Cela implique une adap­ta­tion très impor­tante des struc­tures de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, ce qui requiert des inves­tis­se­ments colos­saux, en par­ti­cu­lier pour les pays pauvres qui seront par­ti­cu­liè­re­ment affec­tés. Ce point nous amène au cofi­nan­ce­ment par les pays indus­tria­li­sés des mesures qui devront être prises par les pays émer­gents et pauvres. Mais, si, his­to­ri­que­ment, les pays indus­tria­li­sés sont les pre­miers res­pon­sables de la dégra­da­tion éco­lo­gique, les autres pays par­ti­cipent de plus en plus au réchauf­fe­ment cli­ma­tique. C’est la ran­çon de leur forte crois­sance éco­no­mique. Ain­si, les pays riches étaient res­pon­sables de 43,4% du total des émis­sions de CO2 en 2006 contre une moyenne de 51,4% durant la période 1985 – 2000. Depuis 2000, les pays riches n’ont contri­bué que pour 7% de l’augmentation totale de CO2 (contre 58% durant la décen­nie pré­cé­dente), tan­dis qu’à eux seuls, les BRIC (Bré­sil, Rus­sie, Inde, Chine) repré­sen­taient 67% de la hausse et les autres pays 25%…

La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale fait face à un dilemme cor­né­lien dans la mesure où le sort de la pla­nète réside dans les pays émer­gents (essen­tiel­le­ment les BRIC). D’une part, leur déve­lop­pe­ment rapide signi­fie qu’ils (re)prennent leur place dans le monde3 et que leur popu­la­tion com­mence à en tirer par­ti pour éle­ver leur bien-être. D’autre part, l’adoption de com­por­te­ments de consom­ma­tion simi­laires à ceux des Euro­péens et en par­ti­cu­lier des Amé­ri­cains serait inte­nable en termes d’exploitation des res­sources natu­relles4, de pol­lu­tion et même de déve­lop­pe­ment éco­no­mique5. La pres­sion éco­lo­gique est d’autant plus forte que la crois­sance de la popu­la­tion au cours des pro­chaines décen­nies (plus 2,6 mil­liards d’ici 2050 selon l’ONU) se situe­ra dans les pays moins nan­tis (ain­si, l’Inde concen­tre­ra 20% selon les pro­jec­tions démo­gra­phiques de l’ONU).

Depuis le volu­mi­neux rap­port de Nicho­las Stern (six cents pages) paru en octobre 2006 qui a com­plé­té les ana­lyses du GIEC par une étude des coûts éco­no­miques, il ne fait plus aucun doute qu’un accord volon­ta­riste est indis­pen­sable et que la crise ne peut ser­vir d’alibi pour en bri­der les ambi­tions. En effet, le rap­port estime que « la sta­bi­li­sa­tion des gaz à effet de serre aux niveaux de 500 – 550 ppm éq. CO2 [uni­té de mesure de la concen­tra­tion atmo­sphé­rique des GES expri­mée en équi­valent-CO2] coû­te­ra, en moyenne, envi­ron 1% du PIB mon­dial annuel d’ici 2050 », ce qui en défi­ni­tive est bien peu au regard des coûts et des risques glo­baux liés au chan­ge­ment cli­ma­tique qui équi­vau­draient à la perte d’au moins 5% du PIB par an. Et la fac­ture sera encore plus cor­sée pour les pays pauvres6

Des plafonds de pollution individuels

Loin de l’angle d’attaque tra­di­tion­nel des tables de dis­cus­sion, une équipe de cher­cheurs7 ras­sem­blée autour de Shoi­bal Cha­kra­var­ty de l’université de Prin­ce­ton a esquis­sé une réponse alter­na­tive qui se foca­lise sur les émis­sions du seul CO2. Leur ori­gi­na­li­té réside dans leur pro­po­si­tion de fixer des objec­tifs par indi­vi­du en fonc­tion de leur niveau de richesse dans la mesure où les plus nan­tis sont éga­le­ment ceux qui pol­luent le plus. Le prin­cipe est qu’il faut trai­ter de manière égale ceux qui pol­luent autant et ce, où qu’ils vivent.

Un pla­fond d’émission indi­vi­duel est fixé de manière à atteindre l’objectif inter­na­tio­nal agréé. L’objectif natio­nal d’émissions à ne pas dépas­ser est obte­nu par la mul­ti­pli­ca­tion du pla­fond par le nombre d’habitants. Le quo­ta indi­vi­duel peut être tra­duit en un reve­nu-seuil ; cette opé­ra­tion pré­sente l’avantage d’identifier les per­sonnes contraintes à four­nir des efforts (ce qui est plus facile que de cal­cu­ler les émis­sions individuelles).

Concrè­te­ment, pour un objec­tif inter­na­tio­nal de réduc­tion de 30% par rap­port aux pro­jec­tions d’émissions en 2030 réa­li­sées par l’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie, le 1,13 mil­liard de per­sonnes dont les émis­sions excèdent 10,8 de tonnes de CO2 par an devraient rame­ner leurs émis­sions à ce niveau. Ces per­sonnes dis­posent d’un reve­nu d’environ 39000 dol­lars et se répar­tissent à parts égales entre les Etats-Unis, les autres pays de l’OCDE (les plus riches pays de l’UE avec le Japon, l’Australie et le Cana­da) la Chine et le reste du monde.

Pous­sant le sou­ci de l’équité plus loin, les cher­cheurs peau­finent leur modèle en cher­chant à exclure de l’effort géné­ral du cal­cul les 2,7 mil­liards de per­sonnes qui émettent maxi­mum une tonne de CO2 par an, soit un mon­tant com­pa­tible avec la réa­li­sa­tion des objec­tifs du Mil­lé­naire pour le déve­lop­pe­ment. Leur exemp­tion devrait être com­pen­sée par la par­ti­ci­pa­tion à l’effort géné­ral de seule­ment 200 mil­lions de per­sonnes qui, bien que pol­luant beau­coup, en étaient dis­pen­sées jusque ici.

Le tableau sui­vant décline les objec­tifs inter­na­tio­nal et indi­vi­duel pour une sélec­tion de pays par­ti­cu­liè­re­ment impor­tants dans les débats en cours.

Bien sûr, le modèle est, comme le recon­naissent les auteurs eux-mêmes, réduc­teur car comme tout modèle, il repose sur des hypo­thèses sim­pli­fi­ca­trices en igno­rant des ques­tions telles que la véri­fi­ca­tion que les indi­vi­dus assu­jet­tis à l’effort res­pectent la contrainte, l’extension aux autres gaz à effet de serre, le fait que l’intensité en car­bone varie entre les pays (deux indi­vi­dus d’un même niveau de reve­nu, mais situés dans des pays dif­fé­rents peuvent émettre un volume dif­fé­rent en fonc­tion de l’efficacité éner­gé­tique du pays, de leur propre conscien­ti­sa­tion, etc.) ou le trans­fert de tech­no­lo­gies pour amé­lio­rer l’intensité en car­bone. Mais, il pré­sente le mérite de nous invi­ter à une réflexion ori­gi­nale qui repose sur le prin­cipe de l’équité de trai­te­ment des indi­vi­dus et des nations pour un niveau d’émission don­né et n’enraie ni le rat­tra­page des pays émer­gents ni le décol­lage des pays les plus pauvres.

Objec­tif natio­nal d’ici 2030 tenant compte d’un objec­tif inter­na­tio­nal de 30% et de l’exemption pour les 2,7 mil­liards de très petits revenus/pollueurs
1990 2003 2030 dans un scé­na­rio à poli­tique inchangée Per­sonnes concernées
(en millions) 
États-Unis -35% -45% -60% 285
Europe -11% -16% -23% 175
Japon 1% -18% -22% 57
Chine 264% 106% -29% 3548
Inde 304% 121% 7% 2
Monde 41% 18% -30% 1.300

Source : Cha­kra­var­ty S. et al, 2009

  1. Les gaz à effet de serre en ques­tion sont : le gaz car­bo­nique ou dioxyde de car­bone (CO2), le méthane (CH4), les halo­car­bures (HFC et PFC), l’oxyde nitreux (N2O), l’hexafluorure de soufre (SF6).
  2. Ain­si, le pro­to­cole de Kyo­to ne cou­vrait qu’environ 19% des émis­sions mon­diales de GES.
  3. Selon l’historien Angus Mad­di­son, le PIB de la Chine en 1820 s’élevait à 228 mil­liards de dol­lars inter­na­tio­naux de 1990, celui de l’Inde à 111 mil­liards, celui des Etats-Unis à 12 mil­liards et celui cumu­lé de tous les pays d’Europe occi­den­tale à 165 mil­liards de dollars.
  4. L’empreinte éco­lo­gique glo­bale de l’humanité excède de 30% les capa­ci­tés bio­lo­giques de la Terre et un ali­gne­ment des modes de vie sur celui des Occi­den­taux néces­si­te­rait trois pla­nètes pour satis­faire les besoins.
  5. Si un Chi­nois consom­mait autant de pétrole qu’un Amé­ri­cain, la Chine aurait besoin de 85 mil­lions de barils par jour (contre 7 mil­lions aujourd’hui), soit plus que la pro­duc­tion mon­diale actuelle, entraî­nant par consé­quent une dra­ma­tique pous­sée des prix. Autre exemple : la consom­ma­tion de viande en Chine est pas­sée de 20 kilo­grammes à 50 kilo­grammes par an et par per­sonne. Il s’agit d’une forte pro­gres­sion et on reste encore loin des 89 kilo­grammes de l’Européen ou des 124 kilo­grammes de l’Américain. Or, la pro­duc­tion d’un kilo de viande néces­site 15.000 litres d’eau et entre 5 et 10 kilo­grammes de céréales et rejette autant de gaz à effet de serre qu’un tra­jet de 220 kilo­mètres en voi­ture. Ces chiffres montrent la dif­fi­cul­té de l’arbitrage entre les habi­tudes élé­men­taires et la satis­fac­tion d’autres besoins ou objectifs.
  6. D’autres études ont ana­ly­sé le coût de cer­taines consé­quences spé­ci­fiques du chan­ge­ment cli­ma­tique. Ain­si, le rap­port inté­ri­maire adres­sé à la neu­vième réunion de la Confé­rence des Par­ties (COP9) de la conven­tion sur la Diver­si­té bio­lo­gique (CBD) (The Eco­no­mics of Eco­sys­tems and Bio­di­ver­si­ty, 2008) éva­lue les pertes annuelles des ser­vices ren­dus par les éco­sys­tèmes à envi­ron 50 mil­liards d’euros et les pertes de bien-être cumu­lées devraient atteindre 7% du PIB d’ici à 2050.
  7. Cha­kra­var­ty S., Chik­ka­tur A., de Coninck H., Paca­la S., Soco­low R., Tavo­ni M., « Sha­ring glo­bal CO2 emis­sion reduc­tions among one bil­lion high emit­ters », 2009.
  8. Le nombre de Chi­nois concer­né peut sem­bler dis­pro­por­tion­né étant don­né le niveau de reve­nu par habi­tant rela­ti­ve­ment faible mais ce fac­teur est contre­ba­lan­cé par la struc­ture de pro­duc­tion très pol­luante qui témoigne d’une grande inef­fi­ca­ci­té énergétique.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen