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Conclusion. Une coopération vitale pour la démocratie

Numéro 3 – 2019 - coopération nord-sud Développement par Pierre Coopman

avril 2019

Récapitulons ce qui précède de façon lapidaire : dans le sillage de tendances internationales, la coopération au développement de la Belgique s’est engagée dans une profonde reconfiguration à caractère managérial. Après deux « décennies du développement », en observant l’état socioéconomique précaire d’une grande partie de ce qui était appelé le « tiers-monde », on a conclu au début de ce siècle […]

Dossier

Récapitulons ce qui précède de façon lapidaire : dans le sillage de tendances internationales, la coopération au développement de la Belgique s’est engagée dans une profonde reconfiguration à caractère managérial.

Après deux « décennies du développement », en observant l’état socioéconomique précaire d’une grande partie de ce qui était appelé le « tiers-monde », on a conclu au début de ce siècle que les coopérations postcoloniales au développement avaient échoué, en bloc. Aujourd’hui, les protagonistes de ces coopérations dites « classiques » — États donateurs membres de l’OCDE, organisations publiques partenaires des coopérations bilatérales, acteurs de la coopération non gouvernementale — sont soumis à des normes de performance et de reddition des comptes de plus en plus pointilleuses, voire kafkaïennes.

Autant la rigueur dans la gestion s’impose, autant, sur la base des constats relevés dans le présent dossier, on peut mettre en doute que des solutions soient enfin à portée de la main grâce à « la gestion axée résultats », au fonctionnement par « appel à projets », ou à coups d’audits, de certifications, d’évaluations, d’application de mesures vraiment mesurables etc.

Le harcèlement administratif va de pair avec une implication croissante des entreprises privées. En effet, dans un contexte d’ajustements budgétaires difficiles, les États donateurs s’orientent vers les partenariats publics-privés et les acteurs non gouvernementaux sont invités à insérer leurs programmes dans la logique des chaines de valeur des entreprises multinationales.

On en arrive ainsi à gommer le rôle d’entités civiles autonomes issues des sociétés des différents pays. Or, sur la base de valeurs et de moyens partagés, elles entretiennent des relations de solidarité internationale qui sont souvent en contradiction avec les orientations que les politiques officielles adoptent en connexion avec le secteur privé.

En théorie, tous les protagonistes doivent répondre aux mêmes contraintes, au nom de la cohérence. Certes, au départ, les acteurs les plus critiques avaient déjà plaidé pour plus de cohérence des politiques de coopération au développement. Mais aujourd’hui, au nom de la bonne gestion, les asymétries, la conflictualité, les rapports de force sont minimisés. En fait, la cohérence est noyée dans un océan d’incohérences mondiales… Ainsi, on peut déjà prévoir que les objectifs de développement durable (ODD) ne seront pas accomplis au prochain délai en 2030. Alors on les réorientera, comme le furent les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). En esquivant une question essentielle : les moyens sont-ils vraiment programmés pour fixer de nouveaux objectifs au moment où arrivera l’échéance ?

Plutôt que de passer de programme en programme sans attendre leur réalisation, ne serait-il pas plus raisonnable de se donner le temps nécessaire pour leur réalisation effective, en adoptant des stratégies plus volontaristes ? À savoir, reconnaitre d’emblée que les impacts positifs du développement durable ne se mesureront qu’au terme de plusieurs générations, à condition qu’on utilise réellement des méthodes fiables au travers de politiques mondiales vraiment cohérentes ?

En Belgique, on a vu comment la réforme de 2014, qui aurait pu inclure des rationalisations intéressantes, s’est largement soldée par une instrumentalisation de l’aide au détriment d’orientations essentielles. Cela s’est vérifié dans les économies faites en diminuant le financement des actions de lutte contre la pauvreté, et en se concentrant sur la prévention des mouvements migratoires au profit de la politique étrangère et des intérêts politiques, économiques et géostratégiques belges. Or, ce qui était attendu lors des premières réformes lancées par le secrétaire d’État Réginald Moreels en 1999, c’était « d’éviter un fonctionnement sans cohérence avec les besoins des pays en voie de développement ». Le projet était alors d’établir « une coopération plus résultante des demandes des pays partenaires. »

Alors que, durant longtemps la coopération belge au développement a pu fonctionner dans une autonomie relative par rapport à la politique étrangère, ce qui était sa spécificité reconnue, aujourd’hui, les demandes sont de plus en plus identifiées au rapprochement des intérêts matériels, lesquels font l’objet d’une évaluation rationnelle permanente. La solidarité internationale doit-elle entièrement se conformer à cette rationalité pressée ?

Au-delà du contenu de telle ou telle composante des réformes, tout ceci amène à poser à nouveau la question du sens du développement qui, dans les années 1960, était réduit à la modernisation. Depuis, du chemin a été parcouru, avec des avancées suivies d’une régression.

Contentons-nous pour terminer de poser une hypothèse purement fictive, à savoir le postulat selon lequel les problèmes dudit développement seraient résolus dès 2030 avec l’atteinte des indicateurs ODD. Si l’on s’en tient à la vision qui préside aux orientations mises en cause dans ce dossier, les ministères de Coopération au développement, leurs administrations et les acteurs non gouvernementaux pourraient mettre la clé sous le paillasson. En effet, la coopération internationale n’aurait plus besoin de son appendice nommé développement et ne se poursuivrait qu’au travers de l’action des secteurs privés orientés vers le profit. Dans cette perspective, la solidarité internationale aurait comme vocation apolitique ultime de disparaitre graduellement pour ouvrir docilement la voie au business as usual ?

Il en va tout autrement quand on considère qu’une collectivité humaine ne peut se développer que si les acteurs qui la composent parviennent à résoudre les problèmes vitaux de leur vie commune. À savoir, produire plus de richesse économique qu’elle n’en consomme, mais aussi préserver ses ressources non renouvelables et protéger son environnement, rendre possible la coexistence pacifique entre ses membres en gérant les conflits internes, avoir la capacité de socialiser et d’intégrer tous ses membres sans exclure certains d’entre eux. Dans cette perspective, le développement apparait comme le résultat de « la capacité des acteurs d’une collectivité humaine quelconque de collaborer, entre eux et avec les autres collectivités, pour résoudre les grands problèmes vitaux que leur pose leur vie commune, dans un contexte économique, politique et culturel donné1 ». Une telle conception concerne conjointement les pays du Nord et ceux du Sud, et implique une coopération internationale dans un véritable partenariat des gouvernements et des sociétés civiles autonomes dans différents pays et entre ceux-ci. Irréductible à des objectifs lucratifs, ne répond-elle pas à un but de solidarité et de partage d’expériences qui est un besoin vital pour la démocratie ?

Cette question peut sembler théorique, tant la réponse semblait aller de soi dans la ligne de la réforme de 1999. Elle est à nouveau abordée face aux résultats de celle de 2014. Ce qui est en cause, ce n’est pas le bienfondé d’une réforme, mais la prévalence des modèles managériaux empreints de néolibéralisme auxquels les gouvernements belges se sont conformés.

  1. G. Bajoit, note de travail inédite.

Pierre Coopman


Auteur

Pierre Coopman a étudié le journalisme à l'ULB et la langue arabe à la KUL, au Liban et au Maroc. Pour La Revue nouvelle, depuis 2003, il a écrit des articles concernant le monde arabe, la Syrie et le Liban . Depuis 1997, il est le rédacteur en chef de la revue Défis Sud publiée par l'ONG belge SOS Faim. À ce titre, il a également publié des articles dans La Revue nouvelle sur la coopération au développement et l'agriculture en Afrique et en Amérique latine.
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