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Communication vs information

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par David Morelli Évelyne van Meesche

février 2013

La pos­si­bi­li­té pour la presse d’ac­cé­der à cer­tains lieux d’en­fer­me­ment favo­ri­se­rait la trans­pa­rence quant aux condi­tions de déten­tion des migrants. On est actuel­le­ment loin du compte, le gou­ver­ne­ment favo­ri­sant la com­mu­ni­ca­tion au détri­ment de l’ac­cès à une véri­table information.

Pour un droit de regard dans les lieux d’enfermement

Éve­lyne van Meesche et David Morel­li

Depuis la consti­tu­tion du réseau Migreu­rop1 en 2005, les centres de déten­tion pour migrants se sont mul­ti­pliés et bana­li­sés, un peu par­tout en Europe. La direc­tive dite « direc­tive retour », adop­tée en 2008, a ins­ti­tu­tion­na­li­sé au niveau euro­péen, de nou­velles pra­tiques : mesures d’interdiction d’accès au ter­ri­toire, allon­ge­ment de la durée de déten­tion dans de nom­breux pays (jusqu’à dix-huit mois… Les centres fer­més sont deve­nus un ins­tru­ment phare de l’Union euro­péenne en matière de poli­tique de ges­tion des flux migra­toires…, mais très peu de garan­ties sont offertes aux per­sonnes enfer­mées quant au res­pect des droits fondamentaux.

Dans un contexte pour le moins peu pro­pice à la sup­pres­sion des centres, le réseau tente d’obtenir un droit de regard de la socié­té civile dans ces lieux d’enfermement afin de rendre visibles les condi­tions d’enfermement de leurs « rési­dents ». Le droit de savoir et de faire connaitre les réa­li­tés vécues par les migrants en déten­tion consti­tuait l’enjeu prin­ci­pal de la cam­pagne « Droit de regard dans les lieux d’enfermement ».

Un accès limité et biaisé

Pour Migreu­rop, ce droit de regard se concré­tise notam­ment par la garan­tie légale et sans res­tric­tion de l’accès de la socié­té civile et des ONG aux lieux d’enfermement, mais aus­si par la garan­tie que les étran­gers déte­nus ont accès à la défense de leurs droits, four­nie par des acteurs indé­pen­dants des auto­ri­tés nationales.

En Bel­gique, une dizaine d’ONG sont accré­di­tées pour visi­ter les cinq centres pré­sents sur le ter­ri­toire. Cepen­dant, même auto­ri­sé, l’accès demeure pré­caire pour ces ONG. D’une part, il relève du pou­voir dis­cré­tion­naire de l’administration. Et celle-ci ne se prive pas d’agiter la menace d’un retrait des accré­di­ta­tions déli­vrées. Dès 2006, les ONG visi­teuses en ont payé les frais à la suite de la publi­ca­tion d’un « Etat des lieux sur les centres fer­més » très cri­tique sur le fonc­tion­ne­ment des centres : des mesures furent prises pour limi­ter les infor­ma­tions com­mu­ni­quées lors de leurs visites. D’autre part, l’accès aux centres est res­treint par l’obligation pour les ONG, de pré­ve­nir de leur visite vingt-quatre heures à l’avance et, pour cer­tains centres, de four­nir une liste exhaus­tive des per­sonnes qu’elles sou­haitent ren­con­trer. Ces élé­ments démontrent la néces­si­té de conso­li­der le droit d’accès des ONG et de sor­tir du pou­voir dis­cré­tion­naire du ministre et de son administration.

Open Acces Now !

En 2012, la cam­pagne « Open Access Now2 », lan­cée par le réseau Migreu­rop, a mis l’accent sur le droit d’accès des jour­na­listes aux lieux d’enfermement. Cette cam­pagne, sou­te­nue par la LDH, s’appuie sur l’article11 de la Charte euro­péenne des droits fon­da­men­taux qui consacre la liber­té d’accéder aux infor­ma­tions et de les dif­fu­ser au sein de l’Union euro­péenne sans ingé­rence des auto­ri­tés publiques. Consi­dé­rant les médias comme des garants légi­times de l’accès aux centres fer­més pour la socié­té civile, un appel a été lan­cé aux jour­na­listes afin qu’ils par­ti­cipent à cette cam­pagne. Cinq jour­na­listes y ont répondu.

Début avril 2012, la LDH a intro­duit auprès de l’Office des étran­gers une demande d’autorisation de visite du centre de Brugge, par­ti­cu­liè­re­ment repré­sen­ta­tif du carac­tère opaque du dis­po­si­tif car­cé­ral des centres fer­més. Une liste nomi­na­tive des jour­na­listes accom­pa­gnait la demande. Elle sera refu­sée par l’administration avec, pour motif, une réfé­rence à l’article 40 de l’arrêté royal du 2 aout 2002 selon lequel « les rési­dents ne peuvent pas être expo­sés à la curio­si­té du public ». Esti­mant cette inter­pré­ta­tion abu­sive, la LDH intro­duit dès lors une deuxième demande en insis­tant sur le fait que le second ali­néa de ce même article sti­pule que les déte­nus «[…] ne peuvent être ni sou­mis sans leur consen­te­ment aux ques­tions de jour­na­listes […] ni fil­més ». En consé­quence, si les déte­nus y consentent, les jour­na­listes devraient pou­voir s’entretenir avec eux.

Cette deuxième demande sera intro­duite le 11 avril 2012. Elle essuie­ra elle aus­si un refus au motif qu’il exis­te­rait « suf­fi­sam­ment d’organes de contrôle internes et externes, contri­buant par ailleurs à une huma­ni­sa­tion des centres » et qu’il est évident que la cam­pagne n’entend pas contri­buer à une pré­ten­due huma­ni­sa­tion des centres. La visite pré­vue sera donc annulée.

Transparence arbitraire

Hasard du calen­drier, l’inauguration du nou­veau centre La Cari­cole, ins­tal­lé aux abords de l’aéroport de Bruxelles, était annon­cée pour le 26 avril. A cette occa­sion quelques jour­na­listes (ne par­ti­ci­pant pas à la cam­pagne Open Access) seront conviés par la ministre de l’Intérieur pour une visite gui­dée du nou­veau centre, alors com­plè­te­ment inhabité.

Le libre accès aux centres doit-il être exclu­si­ve­ment réser­vé aux opé­ra­tions de com­mu­ni­ca­tion des auto­ri­tés visant à démon­trer les efforts d’humanisation qui pré­sident à leur construc­tion ? L’opération Open Accès Now aura ten­té de chan­ger la donne et conti­nue­ra à œuvrer dans ce sens à l’avenir par la réflexion et la récolte d’informations en vue de pos­sibles actions à l’encontre de refus d’accès injus­ti­fiés aux lieux d’enfermement.

  1. Le réseau Migreu­rop est un réseau euro-afri­cain d’associations, de cher­cheurs et de mili­tants pour­sui­vant un objec­tif d’identification, d’information et de dénon­cia­tion des poli­tiques euro­péennes d’éloignement et d’enfermement des migrants
  2. www.openaccessnow.eu/fr/.

David Morelli


Auteur

Évelyne van Meesche


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