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Comment sortir d’une usine à gaz ?
Ce serait désormais un débat classique. Il aurait sa grammaire, ses acteurs, son histoire et un schéma canonique : une personnalité en vue dans le monde politique ou social lance un appel à la régionalisation des compétences de la Communauté française (rebaptisée « Fédération Wallonie-Bruxelles »). La Libre et Le Soir s’en emparent. On met en garde contre le […]

Ce serait désormais un débat classique. Il aurait sa grammaire, ses acteurs, son histoire et un schéma canonique : une personnalité en vue dans le monde politique ou social lance un appel à la régionalisation des compétences de la Communauté française (rebaptisée « Fédération Wallonie-Bruxelles »). La Libre et Le Soir s’en emparent. On met en garde contre le « repli », la rupture de la solidarité Wallonie-Bruxelles ou le spectre du nationalisme. On sort des chiffres, des plans. Le ps se divise publiquement, Écolo se divise plus discrètement, le fdf s’insurge, le mr en appelle à la « Patrie francophone », le cdh enfin rappelle qu’il est le parti qui s’occupe des « vrais problèmes des vrais gens », et donc bien évidemment pas des « faux problèmes institutionnels1 ».
Puis la polémique retombe et chacun retourne pester dans son coin sur l’usine à gaz des structures publiques wallonnes et bruxelloises. Le scénario est bien rodé et fonctionne en pilote automatique depuis plus de vingt ans, mais manifestement, il lasse, et c’est peu dire. Il est d’autant plus ennuyeux que ses paramètres constitutionnels fondamentaux — liés au fédéralisme dual régional et communautaire — n’ont pas varié depuis vingt ans. Mais en rester à ce constat serait ignorer les transformations réelles que ce débat a connues ces dernières années sur le plan social et politique, et risquerait ainsi de contribuer à le rendre un peu plus inaudible et vain.
La sortie de Jean-Claude Marcourt sur un « Plan W », qui comprendrait notamment la régionalisation de l’enseignement et plus largement la « déconstruction/reconstruction de la Fédération Wallonie-Bruxelles », doit évidemment être interprétée en partie comme un positionnement politique personnel. Si de nombreux acteurs politiques l’ont dès lors logiquement contré, ils sont au moins tout aussi nombreux (Paul Magnette, Jean-Marc Nollet, Jean-Jacques Viseur…) à avoir souligné la nécessité de ce débat. Il y a des raisons plus profondes à cela que les tactiques des uns et des autres. Nombre de responsables politiques se sont aperçus qu’ils s’étaient laissé en partie piéger par leur refus affiché des changements institutionnels. Ainsi, les francophones ne se sont pas préparés à la prise en charge de nouvelles compétences qu’implique la sixième réforme de l’État. Cette intégration de nouvelles politiques s’avère d’autant plus ardue qu’elles doivent trouver leur place dans une architecture politico-institutionnelle particulièrement baroque. Or un déploiement efficace des nouvelles compétences est urgent : dans dix ans, le nouveau mécanisme de financement fédéral prévoit que les mesures de solidarité financière subsistant en faveur de la Région wallonne vont s’éteindre. Si on ajoute à cela qu’une majorité des partis flamands prépare d’ores et déjà une septième réforme de l’État dont l’exigence montera en puissance dès les élections régionales de 2014, on comprend parfaitement qu’une « remise à plat » doit être réalisée immédiatement. Invoquer le fait que nous sortons à peine de 545 jours de crise institutionnelle et que nous nous enfonçons dans la crise économique pour ne pas bouger ou reporter à plus tard les réformes à entreprendre revient à ne tirer aucune leçon de plus de dix ans d’erreurs stratégiques, côté francophone.
Deux dynamiques régionalistes
Il faut également noter un second changement d’ampleur. La relance du débat vient de Wallonie. Or, depuis quelques années, on avait surtout entendu les mouvements régionalistes bruxellois récemment issus de la société civile et dont les arguments travaillent les différentes formations politiques. Comparativement, le débat régionaliste wallon était largement entré en léthargie. Mais certains en Wallonie ont manifestement compris qu’à force d’être « demandeurs de rien », ils n’obtiennent tout simplement rien ; et qu’avant de se positionner uniquement face à la Flandre en faveur d’un fantomatique plan B, il importe de s’investir plus efficacement dans des projets forts et cohérents visant une réelle autonomie2. Stratégiquement, Jean-Claude Marcourt s’est probablement trompé en s’attaquant bille en tête à la Fédération Wallonie-Bruxelles à peine née (cette nouvelle appellation a été lancée officiellement en septembre dernier). Derrière l’idée de Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’y avait pas seulement un front anti-flamand, une prophétie auto-réalisatrice et contreproductive née de la peur panique des francophones. Il y a aussi l’idée que les Régions sont premières. Les sentiments régionalistes progressent manifestement depuis un certain temps au moins autant à Bruxelles qu’en Wallonie, il aurait été probablement plus intéressant de pousser cette reconfiguration régionale de la Communauté française jusqu’au bout.
Pour autant, les deux dynamiques régionalistes ne s’allient pas si facilement. Les tendances régionalistes de nombre de Bruxellois sont aiguillonnées par l’asymétrie des positions au sein de cette Fédération qu’il serait plus conforme à la réalité de rebaptiser « Fédération Wallonie-Cocof », puisqu’elle ne concerne que les institutions bruxelloises francophones et non toute la Région bruxelloise. Si la Flandre a fusionné ses institutions dès le départ (la Communauté flamande exerçant les compétences d’une Région flamande qui n’existe plus que sur papier dans la Constitution), on peut quasiment parler aujourd’hui d’une fusion de fait entre la Région wallonne et la Communauté française au bénéfice de la première. Les deux institutions ont le même ministre-Président, ont décloisonné nombre d’organes et d’instruments aussi essentiels que leurs budgets et développent de nombreuses politiques croisées qui laissent bien souvent les francophones bruxellois sur le côté ou les intègrent en leur imposant les priorités wallonnes (par ailleurs bien légitimes). Si la tendance régionaliste wallonne s’est peu exprimée ces dernières années, c’est que le sentiment de déséquilibre qui a historiquement nourri ses revendications s’est inversé pour passer dans le camp bruxellois, la Communauté étant grosso modo placée sous la tutelle de la Région wallonne. Nombre de régionalistes wallons s’étaient finalement satisfaits de cette situation, au contraire des Bruxellois. La réforme de l’État et ses conséquences rendent à présent un dialogue possible.
Croire que régionaliser l’enseignement le rendrait nécessairement performant relève bien évidemment d’une forme de pensée magique, tout autant qu’espérer que de meilleurs résultats scolaires induisent mécaniquement un plus grand développement économique. Par contre, on constate au quotidien que la complexité de nos structures publiques rend nombre de politiques inopérantes et certains investissements peu efficients. Tout progrès dans l’efficacité des politiques passe nécessairement par une réforme de ces structures. Confier à un seul niveau de pouvoir les politiques scolaires, sociales, de logement, de transport, d’aménagement du territoire, de formation, d’emploi, etc. permettrait de mieux les relier, d’opérer des choix plus efficients et, par exemple, de mieux soutenir les écoles. Les dynamiques politiques, sociales et institutionnelles font que les Régions constituent les seules bases sur lesquelles il est envisageable de reconstruire progressivement — y compris au niveau local — une action publique lisible, cohérente et adaptable à des besoins différents (comme ceux en matière d’apprentissage des langues à Bruxelles). Une Belgique fondée sur quatre Régions constitue une perspective qui ne peut être envisagée qu’à long terme, notamment en raison de la défense flamande d’institutions basées sur une logique communautaire. La difficulté réside essentiellement côté bruxellois : toutes les compétences régionalisées côté wallon y sont nécessairement confiées à la Cocof et non à la Région, ce qui limite la cohérence recherchée. Mais même cette perspective permettrait déjà des avancées notables, si elle s’accompagne d’accords plus serrés entre la Région et les Commissions communautaires ainsi que les communes. Au vu de la situation actuelle, toute avancée dans cette direction constitue un pas positif.
Des sociétés avant les institutions
À moins de céder à une vision technocratique de la politique, son efficacité, pour indispensable qu’elle soit, ne constitue pas un argument suffisant pour légitimer à lui seul l’existence ou la refonte d’entités politiques. Des différences de réalités et de besoins ne permettent pas plus de les fonder, à moins de les fragmenter à l’infini : la démocratie consiste précisément à faire coexister des différences potentiellement conflictuelles. Plus fondamentalement, une cohérence institutionnelle reconstituée sur une base régionale ouvrirait la possibilité de construire de réels projets de société en articulant un plus grand nombre de dimensions de la vie sociale et en offrant dès lors de plus grandes marges pour opérer des choix. On touche là à des arguments démocratiques : la capacité pour une population d’avoir prise sur son avenir en s’engageant dans sa construction en tant que citoyens. C’est en cela que la méthode par laquelle nous réformerons nos structures est cruciale3. Sur ce plan, Jean-Claude Marcourt a lui-même coulé sa réflexion. Non pas parce que, en politique, on confond quasiment nécessairement débat de fond et promotion électorale, mais parce qu’il a dévoilé les conclusions uniquement institutionnelles d’un « think thank » réservé à des experts… avant même qu’il n’existe. Les institutions ne précèdent pas les sociétés qu’elles sont censées servir. Le problème, particulièrement côté wallon, reste que tout ce débat part encore trop unilatéralement des sphères politico-institutionnelles et ne se fonde pas encore suffisamment sur « la mobilisation des forces internes de la société »4. Ces questions s’ancreront dans la société en partant de défis bien réels tels que le nombre dramatiquement élevé de Wallons, et plus encore de Bruxellois, sortant sans diplôme du secondaire, ou le manque criant d’écoles, d’enseignants ou de cours de langues dans l’enseignement technique et professionnel à Bruxelles. C’est des débats sur la meilleure manière de rencontrer ces défis que procèderont de nouvelles institutions légitimes, pas l’inverse.
- B. Lechat, « Institutionnel : les faux problèmes sont les vrais problèmes », La Revue Nouvelle, septembre 2011.
- B. Lechat, « Wallons et Bruxellois sont-ils sur la voie de l’autonomie ? », La Revue nouvelle, septembre 2011.
- D. Carlier, « Réformer les méthodes avant les structures », La Revue nouvelle, avril 2008.
- L. Van Campenhoudt, « Le pouvoir du pouvoir » La Revue nouvelle, février 2009.