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Comment les bleus pétrolent

Numéro 5 - 2018 - Droite MR N-VA partis politiques par La Revue nouvelle

août 2018

Tout avait bien com­men­cé. On avait tout raflé, y com­pris le stra­pon­tin de Pre­mier, il y avait de quoi être triom­pha­liste. L’attelage fédé­ral galo­pait bon train. On aurait de quoi ren­voyer l’ascenseur à l’électeur. Le par­te­naire N‑VA était certes remuant, mais il suf­fi­sait d’admonester gen­ti­ment quelque second cou­teau pour gar­der le lea­deur­ship. Pro­gres­si­ve­ment, les choses se sont compliquées […]

Éditorial

Tout avait bien com­men­cé. On avait tout raflé, y com­pris le stra­pon­tin de Pre­mier, il y avait de quoi être triom­pha­liste. L’attelage fédé­ral galo­pait bon train. On aurait de quoi ren­voyer l’ascenseur à l’électeur. Le par­te­naire N‑VA était certes remuant, mais il suf­fi­sait d’admonester gen­ti­ment quelque second cou­teau pour gar­der le leadeurship.

Pro­gres­si­ve­ment, les choses se sont com­pli­quées pour le MR. Certes, grâce à un cal­cul insen­sé du copain Lut­gen1, le par­ti libé­ral s’est retrou­vé aux manettes éga­le­ment en Wal­lo­nie, une réelle aubaine. Mais dans le même temps, le par­ti indé­pen­dan­tiste fla­mand conti­nuait à ébran­ler les bases, comme sou­vent faibles, de l’attelage fédéral.

Bien sûr la N‑VA a l’intelligence de ne pas étriller son par­te­naire libé­ral fran­co­phone et de limi­ter au ser­vice mini­mum les saillies anti­wal­lonnes dont elle s’était fait une spé­cia­li­té. Mais pour pré­pa­rer les pro­chaines échéances élec­to­rales, De Wever a besoin de se nour­rir du conflit, et son équipe de dési­gner des cibles. De fait, ils ne se gênent pas pour til­ter sur nombre d’autres sujets sen­sibles que l’assistanat wal­lon, à com­men­cer par la pro­blé­ma­tique migra­toire, obli­geant même par­fois Michel fils à prendre publi­que­ment, mais avec des pin­cettes, les dis­tances de rigueur.

Ce der­nier semble désor­mais consa­crer l’essentiel de son éner­gie et de ses efforts de com­mu­ni­ca­tion à reca­drer son équipe et son Gepet­to anver­sois pour évi­ter un trop large dis­cré­dit. C’est que la belle una­ni­mi­té interne du MR, ali­gné der­rière ses diri­geants vic­to­rieux, a com­men­cé à sérieu­se­ment s’émousser au gré de ces escar­mouches. C’est autour du droit des ménages à héber­ger des migrants sup­po­sés illé­gaux que la bis­brouille a été la plus visible, mais l’actualité du 16 rue de la Loi ne manque pas d’occasions de ravi­ver le vieux cli­vage entre conser­va­teurs et tenants d’un libé­ra­lisme huma­niste issu des Lumières.

En cette fin de prin­temps, avec la mort de la petite Maw­da, affaire qui ne se lais­se­ra pas faci­le­ment réduire à une bavure poli­cière, avec le doigt de la Cour euro­péenne des droits de l’homme poin­tant l’enfermement des mineurs étran­gers, avec une crois­sance qui reprend, mais moins que dans bien d’autres pays euro­péens, avec un bud­get qui s’annonce dou­lou­reux (comme l’avait pro­phé­ti­sé l’opposition), le MR fait mon­ter au front son armée de réserve de man­da­taires et d’intellectuels orga­niques. Ils étaient jusqu’ici main­te­nus dans le rôle de francs-tireurs, les voi­ci pro­mus en garde pré­to­rienne. Les ren­forts accourent des quatre points car­di­naux, et notam­ment du Centre Jean Gol dont on se demande s’il est un centre d’études ou un label visant à légi­ti­mer ceux que l’on charge de mon­ter au cré­neau pour défendre l’attelage fédé­ral (Richard Mil­ler, Coren­tin de Salle, Georges-Louis Bou­chez, etc.).

À ce stade, la stra­té­gie du MR semble se déployer sur trois axes indis­so­ciables : engran­ger, mini­mi­ser et droitiser.

Engran­ger des résul­tats poli­tiques, c’est la feuille de route nor­male d’un par­ti de gou­ver­ne­ment. Les ministres MR s’y emploient, de la réforme des pen­sions à celle des aides à l’emploi APE : mar­quer un maxi­mum de points (!), en un mini­mum de temps, sur des dos­siers emblé­ma­tiques, tel est l’objectif. Et si Reyn­ders et De Wever se sont vrai­ment vus en décembre pour évo­quer des élec­tions anti­ci­pées, il est cer­tain qu’une rai­son déci­sive pour ne pas pas­ser à l’acte fut que le job n’était pas bou­clé. L’État PS n’est pas vain­cu, les impacts atten­dus des réformes tardent à se conso­li­der et, d’après plu­sieurs son­dages suc­ces­sifs, les Verts et le PTB man­ge­raient des parts de mar­ché électorales.

Mini­mi­ser, c’est le bou­lot de Charles. L’idée est de bana­li­ser De Wever et la N‑VA, d’en faire des gens fré­quen­tables comme n’importe qui et non un par­ti popu­liste et anti­sys­tème, de faire croire à la base droi­tière bel­gi­caine que c’est son agen­da à elle qui aura pré­va­lu, mal­gré tout. C’est un fameux défi et il n’est pas rare que les ges­ti­cu­la­tions fassent cra­quer le cos­tume, en par­ti­cu­lier quand la N‑VA flingue de pos­sibles alliés du MR au sein de l’establishment, à com­men­cer par les magis­trats et les rec­teurs ou quand Theo Fran­cken appelle à contour­ner l’article 3 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme, au moment même où Reyn­ders cherche à décro­cher un siège au Conseil de sécu­ri­té des Nations unies. Dans le même rayon, on a vu à la fin du mois de mai Gino Rus­so rele­ver sur sa page Face­book l’inanité d’un Michel stig­ma­ti­sant en prime time les carac­tères popu­listes et extrêmes de la Lega mon­tée aux affaires en Ita­lie, alors que c’est lui qui a por­té et main­tient au pou­voir ses cou­sins fla­min­gants. Dif­fi­cile de cacher le ven­tri­loque der­rière Tatayet.

Radi­ca­li­ser à droite, c’est le bou­lot du par­ti et de ce qui lui sert de pilier. L’idée — c’est du moins une hypo­thèse congruente avec l’histoire de crois­sance par agré­ga­tion de niches (FDF, MCC, etc.) du par­ti — est d’aller cher­cher un élec­to­rat de classes moyennes fran­co­phones confron­tées à un sen­ti­ment d’insécurité voire de déclas­se­ment, un sup­po­sé petit peuple de droite (les 25 % d’«abandonnés » du der­nier son­dage Noir Jaune Blues) que l’on pré­sume aigri, fri­leux, prompt au repli sur soi et arc­bou­té sur ses valeurs refuges, ses droits de pro­prié­té, son entre-soi. Autant dire un élec­to­rat qui n’est pas par­ti­cu­liè­re­ment per­méable aux réformes les plus emblé­ma­tiques de la doc­trine néo­li­bé­rale (accords com­mer­ciaux inter­na­tio­naux, libé­ra­li­sa­tion des ser­vices et de la culture, estom­pe­ment des der­niers cor­po­ra­tismes, lais­ser-faire en matière de grande fraude fis­cale, etc.), un élec­to­rat ébran­lé par des années de crise, mais qui reste mobi­li­sable par un dis­cours réac­tion­naire, cash et assu­mé, qui évite les ques­tions qui fâchent vrai­ment. Une bonne par­tie de la droite fran­co­phone, tou­jours divi­sée entre libé­ra­lisme et conser­va­tisme et tou­jours prompte à se lais­ser ins­pi­rer par ses alliés du moment a bien per­çu le poten­tiel d’un virage néoconservateur.

Puisque le PP de Modri­ka­men est visi­ble­ment un échec, voire une farce, et dès lors que le pay­sage poli­tique se pola­rise à nou­veau, s’ouvre la pers­pec­tive pour le MR de deve­nir la N‑VA fran­co­phone. Car le fait est que le MR, à défaut d’être capable de se doter d’une doc­trine (ce qui n’a plus été son fort depuis le XIXe siècle) ni même de res­ter fidèle à quelques prin­cipes direc­teurs libé­raux (notam­ment au libé­ra­lisme poli­tique), a pris le par­ti de mimer les modes d’action et les registres lan­ga­giers de la N‑VA, pour ten­ter de rejoindre la grande famille euro­péenne de la droite conser­va­trice décom­plexée2. Le temps du libé­ra­lisme social et la fin du cli­vage gauche droite, quand le pou­voir se conqué­rait au centre, paraît aus­si vieux que Michel père.

Certes, les résis­tances internes sont bien réelles, mais un ensemble d’acteurs très dyna­miques et effi­caces a pris le par­ti de trus­ter la visi­bi­li­té du MR et d’imposer ses élé­ments de lan­gage dans le débat public. Du reste, si le suc­cès élec­to­ral est au ren­dez-vous aux pro­chaines com­mu­nales, qui pour­ra encore s’opposer à cette recette gagnante ? Rien ne réduit mieux les réti­cences éthiques et idéo­lo­giques que des mandats.

Les moteurs de ce virage à droite, s’ils ne sont pas tous stric­te­ment sur la même lon­gueur d’onde, n’en pour­suivent pas moins un objec­tif com­mun, celui d’instaurer l’hégémonie idéo­lo­gique de la droite conservatrice.

C’est autour du Centre Jean Gol, le ser­vice d’études du MR, que se struc­ture le mou­ve­ment. Son direc­teur scien­ti­fique, Coren­tin de Salle, auteur d’un volu­mi­neux « Lagarde et Michard » du libé­ra­lisme ras­sem­blant les textes des pères fon­da­teurs, se reven­dique libé­ral au sens strict du terme. C’est sur cette base qu’il plaide pour que l’on laisse s’exprimer les voix conser­va­trices. Il com­met par ailleurs nombre de « contri­bu­tions externes », notam­ment dans une Libre Bel­gique qui lui ouvre très lar­ge­ment ses pages. Il y fus­tige le gau­chisme, tout en se démar­quant des ana­lyses conser­va­trices. Culture de l’assistanat, déclin de l’enseignement, res­pon­sa­bi­li­té de l’État PS, échec poli­tique et moral de la gauche sont quelques-uns de ses thèmes de pré­di­lec­tion. Sa vision du pay­sage média­tique se donne à voir quand il affirme que « la RTB a œuvré effi­ca­ce­ment à liqui­der la droite intel­lec­tuelle3 ». L’objectif est clair : puisque l’on n’a jamais ces­sé de tendre le micro à la gauche, il s’agit d’instaurer une hégé­mo­nie média­tique au pro­fit de la droite, fût-ce en don­nant lar­ge­ment la parole à des conser­va­teurs dont on peut pen­ser qu’il ne les approuve pas idéologiquement.

À la droite de Coren­tin, siège Drieu, son ami de tou­jours, qui a étu­dié le droit en même temps que lui et avec lequel il a fon­dé l’Institut Hayek, un think tank libé­ral-conser­va­teur, aujourd’hui dis­pa­ru. Drieu Gode­fri­di, « doc­teur en phi­lo­so­phie de La Sor­bonne », est omni­pré­sent à la droite de la droite. L’avantage de l’homme est qu’il n’hésite jamais à adop­ter des posi­tions très tran­chées dans des domaines, qu’il les mai­trise ou non, comme la cli­ma­to­lo­gie, les ques­tions de genre, le droit romain, le mar­xisme, l’art contem­po­rain, l’enseignement supé­rieur, la réa­li­té aug­men­tée, etc. On l’a ain­si vu pro­po­ser de déman­te­ler le Giec, d’autoriser la tor­ture, de sélec­tion­ner les étu­diants au tra­vers de concours pré­coces, d’instaurer un cor­don sani­taire autour du PTB, sou­te­nir le bilan de la pre­mière année de règne de Donald Trump et défendre la poli­tique inter­na­tio­nale de Vla­di­mir Pou­tine. Autre avan­tage : il ne dédaigne pas l’extrême droite, puisqu’on a pu l’entendre, en France, sur les ondes de Radio Cour­toi­sie et le voir débattre avec Mischaël Modri­ka­men sur « Le Peuple TV ». Pour­fen­deur des liber­ta­riens comme du libé­ra­lisme social, il s’avère par­fois très cri­tique vis-à-vis du gou­ver­ne­ment Michel, n’hésitant pas à le tan­cer lorsqu’il s’aventure à des réformes trop proches des attentes des sociaux-chrétiens.

Tout ceci n’empêche bien enten­du pas Drieu Gode­fri­di d’avoir son rond de ser­viette au Centre Jean Gol, où il pré­sente chaque année une confé­rence. La der­nière, fort sub­ti­le­ment, le voyait, en quelques minutes, et en deux coups de cuillère à pot, asso­cier socia­lisme et natio­nal-socia­lisme, repre­nant de manière syn­thé­tique le rai­son­ne­ment de son der­nier ouvrage, La Pas­sion de l’égalité. Il est aus­si reçu à bras ouverts à La Libre, même si elle ne le pré­sente plus comme chro­ni­queur, comme par le pas­sé. Depuis, il a fon­dé le site d’information extrê­me­ment droi­tiste Infobelge.com, un Breit­bar­teke belge foca­li­sé sur les thé­ma­tiques de la droite très décom­plexée : immi­gra­tion et identité.

Par ailleurs, depuis quelque temps, Drieu Gode­fri­di com­met des vidéos avec Alain Des­texhe, des « débats » dans les­quels ils s’assurent réci­pro­que­ment qu’ils sont bien d’accord, par exemple, pour dénon­cer la « cote­rie de juges de gauche et d’extrême gauche » qui, au sein de la Cour euro­péenne des droits de l’homme, a dévoyé l’interprétation de l’article 3 de la Convention.

Appa­rait donc ici un des liens qui unissent les pre­miers cités à l’un des plus fer­vents avo­cats, non seule­ment de l’alliance avec la N‑VA, mais aus­si du virage (néo)conservateur du MR. Le très contro­ver­sé Alain Des­texhe, mal­gré des sou­cis récur­rents en interne pour son manque de fia­bi­li­té, ses outrances publiques, son absen­téisme, ses nom­breuses et sérieuses cas­se­roles, reste un des piliers impor­tants du cou­rant conser­va­teur, voire réac­tion­naire, au sein du MR. Il n’a ain­si pas fait mys­tère de son sou­hait d’un virage à droite, ins­pi­ré par les résul­tats élec­to­raux bri­tan­niques, autri­chiens ou ita­liens4. Tout est dit.

Ce vieux bris­card des accoin­tances avec les thèses d’extrême droite et de l’obsession migra­toire, sou­te­nu à plu­sieurs reprises par le grou­pus­cule Nation durant ses cam­pagnes, assure une assise élec­to­rale mini­male et, sans doute, un lien avec un élec­to­rat âgé peu sen­sible au style des jeunes loups conser­va­teurs. Jouant à l’envi de son image de méde­cin, spé­cia­liste du double dis­cours par ailleurs, il pro­duit régu­liè­re­ment des chro­niques sur divers sites et son blog, immé­dia­te­ment reprises par La Libre. Net­te­ment plus actif sur les réseaux sociaux que dans les assem­blées où il est cen­sé sié­ger (11.500 abon­nés sur Twit­ter, 5.000 pour sa page Face­book), il y est un relai utile pour les textes de ses com­pa­gnons de route. Notons tou­te­fois que ses rares pré­sences dans les­dites assem­blées sont géné­ra­le­ment émaillées d’incidents cau­sés par ses dis­cours vio­lents, dans des­quels il n’hésite pas à prendre à par­tie les autres mandataires.

Il faut ajou­ter au moins une per­sonne à ce trio : Étienne Dujar­din qui a déployé une acti­vi­té rédac­tion­nelle intense, relayée par La Libre, en se pré­sen­tant comme un simple citoyen libé­ral, un « juriste » inté­res­sé par la chose publique. Même l’organe de presse qui lui a tant prê­té ses pages fit mine de croire qu’il se lan­çait en poli­tique à l’occasion des pro­chaines élec­tions com­mu­nales, alors qu’il était déjà sur les listes du MR en 2012. Le Vif lui a aus­si lar­ge­ment ouvert les bras.

On retrouve dans ses billets les thé­ma­tiques pré­ci­tées : immi­gra­tion et islam, iden­ti­té, État PS, cri­tique du gau­chisme et de l’antiracisme, etc. Lui aus­si semble enthou­sias­mé par les vic­toires de la droite (extrême) en Autriche ou en Ita­lie, lui aus­si appelle à se sai­sir de thé­ma­tiques qu’il estime lais­sées à la seule N‑VA. N’a‑t-il pas, à ce sujet, clai­re­ment appe­lé le MR à s’inspirer de la N‑VA ?5 La boucle est bou­clée. Éga­le­ment très actif sur les réseaux sociaux, il y applique la même ligne, for­te­ment cen­trée sur les ques­tions migra­toires et d’intégration et la « dénon­cia­tion » des antiracistes.

Voi­là donc que se des­sine un petit noyau très actif qui s’est fixé pour objec­tif une droi­ti­sa­tion du MR orien­tée vers un libé­ra­lisme éco­no­mique dur et un conser­va­tisme fort sur les ques­tions sociales (avec une nette foca­li­sa­tion sur les ques­tions migra­toires et iden­ti­taires). La bête noire, pour tous, reste les gau­chistes (dans les diverses décli­nai­sons du terme) dont l’hégémonie idéo­lo­gique et morale fan­tas­mée attise des rêves de recon­quête. Certes, entre ces hommes, des nuances de ton et de foca­li­sa­tion existent, mais, glo­ba­le­ment, c’est une orien­ta­tion idéo­lo­gique cohé­rente qui se dessine.

On pour­rait bien enten­du sou­te­nir que ce n’est pas « le MR », mais ses marges mino­ri­taires, si on ne consta­tait pas l’implication impor­tante du Centre Jean Gol, la syn­chro­ni­sa­tion des bal­lons d’essai avec les besoins du MR gou­ver­ne­men­tal et la reprise, sous une forme peut-être plus poli­cée, de ces thé­ma­tiques par les ténors du par­ti. La défense de la N‑VA est ain­si deve­nue une acti­vi­té impor­tante des man­da­taires MR et, notam­ment, des posi­tions très dures de Theo Francken.

Pour en reve­nir au MR lui-même, cette défense doit certes beau­coup aux ten­ta­tives de mini­mi­sa­tion pré­cé­dem­ment abor­dées. Mais elle emprunte éga­le­ment aux rhé­to­riques tes­tées dans les marges du par­ti, par les pré­ten­dus tru­blions qui ne repré­sentent pas le parti.

Se sou­mettre ou se démettre, voi­là un impé­ra­tif aux dou­lou­reuses consé­quences. On peut à cet égard s’interroger sur l’état de dis­so­nance cog­ni­tive de l’habituellement dis­cret Richard Mil­ler, qui passe pour un libé­ral social et un intel­lec­tuel, pré­sident du Centre Jean Gol, et qui est mon­té au cré­neau à de nom­breuses reprises, par exemple pour déplo­rer, dans La Libre une fois encore, le manque de sou­tien des rec­teurs et des uni­ver­si­taires, qui avaient eu le tou­pet de dire ce qu’ils pen­saient des poli­tiques migra­toires prô­nées et appli­quées par Fran­cken6. Le même Richard Mil­ler n’a pas man­qué d’ironiser via son compte Face­book sur les « belles âmes » des uni­ver­si­taires invi­tant le gou­ver­ne­ment à refu­ser la déshu­ma­ni­sa­tion des migrants, repre­nant une argu­men­ta­tion déployée pré­cé­dem­ment par Coren­tin de Salle.

Si un libé­ral à prio­ri brillant offre ain­si son sou­tien, on peut ima­gi­ner l’influence que peut avoir la bande des quatre sur les tâche­rons du libé­ral-conser­va­tisme que sont des Ducarme et Clarinval.

Leur visi­bi­li­té média­tique fort impor­tante offre de fait au trio de Salle-Gode­fri­di-Dujar­din une capa­ci­té d’influence déter­mi­nante au sein du par­ti qui mar­gi­na­lise pro­gres­si­ve­ment les figures intel­lec­tuelles his­to­riques, autre­ment plus nuan­cées, comme Her­vé Has­quin ou Fran­çois De Smet. Ce fai­sant, ils ren­forcent l’impression de l’existence de deux « camps », « la gauche intel­lec­tuelle », assi­mi­lée au socia­lisme et donc au mar­xisme7, et donc à l’autoritarisme voire au nazisme8, et les « intel­lec­tuels de droite » (qu’ils incarnent), sans aucune pos­si­bi­li­té de posi­tions inter­mé­diaires. Pola­ri­sant le débat public, ils empêchent éga­le­ment les accoin­tances et les alliances his­to­riques entre cer­tains « libé­raux sociaux » et cer­tains « socia­listes libé­raux » : Jean-Claude Mar­court, pour ne citer que lui, ne fai­sait jusqu’à il y a peu pas mys­tère de sa pré­fé­rence pour des alliances avec le MR, là où aujourd’hui cela lui paraît plus dif­fi­ci­le­ment envisageable.

Le pro­blème de cette tac­tique est évi­dem­ment le scru­tin pro­por­tion­nel qui implique for­cé­ment des alliances. Or on voit mal quel autre par­ti dis­po­sant d’un nombre suf­fi­sant de voix du côté fran­co­phone du pays accep­te­ra de jouer le jeu de la ligne dure du MR. Pro­gres­si­ve­ment, la tac­tique de pola­ri­sa­tion qui s’avère peut-être pro­fi­table élec­to­ra­le­ment pour­rait bien des­ser­vir les pos­si­bi­li­tés pour le MR de res­ter au pou­voir ou d’être inté­gré dans les enti­tés fédé­rées. Et l’isolement au sein du seul gou­ver­ne­ment fédé­ral semble une situa­tion dif­fi­ci­le­ment tenable pour un nou­veau man­dat face à une N‑VA qui revient tam­bour bat­tant avec des reven­di­ca­tions communautaires.

  1. Dela­grange P., « Le CDH serait-il sui­ci­daire ? », Bel­go­sphère, un blog de La Revue nouvelle
  2. Déjà en 2005 un dos­sier de La Revue nou­velle se deman­dait si le MR était vrai­ment libé­ral : c’est un ques­tion­ne­ment qui reste d’actualité.
  3. Char­don Fr., « La RTB a œuvré à liqui­der la droite intel­lec­tuelle », LaLibre.be, 12 mars 2018.
  4. Char­don Fr., « Alain Des­texhe : “Il faut un cou­rant libé­ral-conser­va­teur au sein du MR”», LaLibre.be, 7 mars 2018.
  5. Dujar­din É., « Le MR devrait s’inspirer de la N‑VA (opi­nion)», LaLibre.be, 19 décembre 2017.
  6. D’Otreppe B., « Affaire Maw­da : “Les rec­teurs doivent aus­si encou­ra­ger le pou­voir”, Richard Mil­ler réagit suite à la lettre envoyée à Charles Michel », LaLibre.be, 4 juin 2018.
  7. Il faut noter, à ce sujet, que pour Drieu Gode­fri­di, l’écologie poli­tique est un « nou­veau marxisme ».
  8. Par l’emprunt un peu abrupt d’un très mau­vais argu­ment de Karl Pop­per sug­gé­rant que toute théo­rie défen­dant l’existence d’intérêts col­lec­tifs amène au fascisme.

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